Chirurgie thoracique
par J. BORRELLY
avec la participation de J. LOCHARD
les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)
C’est en 1948, un an après l’arrivée du Pr. Pierre CHALNOT à la tête de la Clinique Chirurgicale A, que le Doyen SIMONIN, Chef du Service Pneumophtisiologique de l’Hôpital Sanatorial Villemin, lui demanda d’organiser et de faire fonctionner une unité de chirurgie thoracique.
La raison en était préventive. Il fallait éviter la propagation de la tuberculose. La première entité médico-chirurgicale voyait le jour à une période qui ne connaissait pas encore la streptomycine, a fortiori les produits pharmacologiques, tels que le PAS, l’isoniazide, remarquablement efficaces envers l’infection tuberculeuse.
Le repos sanatorial prolongé et la collapsothérapie médicale (pneumothorax intrapleural) ou chirurgicale (thoracoplastie, pneumothorax extrapleural) en étaient la thérapeutique classique.
Il devenait logique de développer la collapsothérapie chirurgicale dans l’ensemble hospitalier Villemin.
Le Pr. CHALNOT confia la responsabilité de cette nouvelle unité à son élève et assistant Jean LOCHARD qui s’initia auprès des chirurgiens thoraciques de l’Hôpital Laënnec de Paris, Robert MONOD, Olivier MONOD, Philippe HERZOG, et qui allait devenir Professeur agrégé en 1953.
Occupant le rez-de-chaussée des deux pavillons hommes et femmes de l’Hôpital Villemin, l’unité chirurgicale eut un développement rapide. Elle devint Service Chirurgical de la Clinique Pneumophtisiologique en 1957. Son essor fut aidé par des collaborateurs médicaux et infirmiers compétents, dévoués, et par une ambiance presque familiale ; comment ne pas citer les Dr. CATTENOZ, BUSSIENE, BRIQUEL et parmi le personnel, Jeannette, Micheline, Sœur Amé, tous et toutes. Des internes de grande qualité assistèrent très efficacement le Chef de Service : Paul GILLE, Claude CHARDOT, Robert FRISCH, Michel RENARD, pour ne citer que ceux qui connurent une carrière universitaire.
Dans tous les domaines de la Médecine, les évolutions sont rapides. Des thérapeutiques, des techniques nouvelles émergent. Certaines pathologies s’éteignent tandis que d’autres naissent et croissent.
- La rééducation post-opératoire, sous l’autorité du Pr. Paul SADOUL, était particulièrement utile après les thoracoplasties.
- L’analyse et la compréhension de la physiopathologie respiratoire s’éclairaient avec le Pr. Jean LACOSTE, adjoint du Pr. SADOUL.
- Les exérèses par ouverture du thorax étaient rendues possibles par l’anesthésie en circuit fermé.
- L’arrivée des médications spécifiques anti-tuberculeuses éradiqua presque totalement l’infection tuberculeuse et leur efficacité diminua considérablement les indications opératoires en cette matière. L’inflexion se produisit aux alentours de 1965.
- La multiplication des cancers bronchiques allait profondément bouleverser l’activité du service, dont les 60 lits étaient administrativement « chirurgie de la tuberculose ». L’espoir placé dans les chimiothérapies était tel dans les années 70, que mon Maître, Le Pr. Jean LOCHARD, dont j’étais devenu l’adjoint en 1969, craignant une évanescence de la spécificité thoracique, fit transformer l’intitulé du Service en : « Service de Chirurgie Générale à Orientation Thoracique ».
- La perception anticipée par le Pr. Jean LOCHARD de l’importance de l’infection hospitalière est à l’origine d’une sectorisation du Service en secteur septique et secteur aseptique.
Son intérêt pour la réanimation, tout spécialement respiratoire, aura pour conséquence une dotation en lits spécifiques et en matériel d’assistance, (5 lits à Villemin).
- L’ouverture de l’Hôpital de Brabois en 1973, le transfert du Service de Chirurgie A sur ce site en 1974, au départ à la retraite du Pr. CHALNOT, nous offrent l’opportunité d’un transfert en 1975 de l’Hôpital Villemin où l’isolement devenait préjudiciable après les départs à Brabois des Services de l’Hôpital Maringer : Service des Insuffisants Respiratoires (Pr. SADOUL), Service des Maladies Infectieuses (Pr. DUREUX), Service de Médecine E (Médecine Générale et Endocrinologie (Pr. HARTEMANN), à l’Hôpital Central avec le sigle Chirurgie E, dans les locaux vacants de Chirurgie A.
- Le Service de Chirurgie E prenait dès lors une part croissante dans l’activité d’accueil des urgences, jusqu'à l’alternance des jours pairs ou impairs selon l’année, avec les Services de Chirurgie B1 et B2 (Pr FRISCH et Pr FIEVE). Le Service disposait de 9 lits de réanimation (5 pour le secteur propre et 4 pour le secteur septique) ; ces lits constitueront la part principale de la dote du Service de Réanimation Chirurgicale (Pr. Marie-Claire LAXENAIRE) à sa création en 1988 dans le Pavillon CHALNOT (13 lits).
- Le Pr. LOCHARD prenait sa retraite anticipée en 1980 et je lui succédais. J’allais être secondé par Gilles GROSDIDIER dont la formation chirurgicale était générale et traumatologique et dont le cursus universitaire en Anatomie en faisait une deuxième fois mon adjoint. Il devenait Maître de Conférences Agrégé en 1986.
- Une restructuration importante du CHU en 1992, sous l’impulsion du Président de la CME, le Pr. DUPREZ, m’a conduit au transfert du Service de Chirurgie Thoracique « exclusif » sur le site de Brabois avec un triple objectif :
1 - Rapprochement et regroupement de toutes les disciplines pulmonaires. Dès 1994 naissait la première Fédération Médico-Chirurgicale que l’on allait vite appeler Clinique Pneumologique Médico-Chirurgicale composée des Services de Pneumologie A (Pr. Daniel ANTHOINE), Pneumologie B (Pr. Gérard VAILLANT), Exploration Fonctionnelle Respiratoire (Pr Hubert UFFHOLTZ), Maladies Respiratoires (Pr. Jean-Marie POLU) et Chirurgie Thoracique. La Clinique bénéficiait de la création de locaux neufs communs de consultation, situés entre l’Hôpital de Brabois Adultes et la tour Drouet.
2 - Développement des transplantations pulmonaires et collaboration renforcée dans le cadre des transplantations cardio-pulmonaires. Nous avions collaboré et participé aux transplantations cardio-pulmonaires avec l’équipe du Pr. Jean-Pierre VILLEMOT dès 1988 (1ère transplantation Cœur-Poumon en 1988 et 1ère transplantation pulmonaire en 1989).
3 - Rapprochement de la chirurgie cardio-vasculaire avec possible mise en commun de moyens humains et techniques. Il faut mentionner que la chirurgie thoracique est une discipline chirurgicale si complexe qu’elle est seule à avoir deux entrées possibles pour la qualification y compris au niveau européen UEMS (Union Européenne des Médecins Spécialistes) : Chirurgie Générale (Allemagne), Chirurgie Thoracique et Cardio-vasculaire (pays nordiques et anglo-saxons), mixte (France).
Force est de reconnaître que les objectifs n’ont été que partiellement atteints :
1 - La Clinique Pneumologique souhaitait une fusion des moyens et un regroupement physique des lits, des moyens techniques et du personnel. La programmation en était faite pour 2012 ! Malgré un rapprochement géographique des blocs techniques d’endoscopie et de chirurgie mis à disposition pour traiter les mêmes patients avec la même équipe anesthésique, il était impossible de décloisonner le personnel. Quant aux lits, ils appartiennent à l’une des 3 catégories M.C.O (Médecine – Chirurgie - Obstétrique) ; un lit ne peut pas être mixte. Or, en matière d’oncologie, huit patients sur dix opérés ou opérables ont une chimiothérapie, pré ou post-opératoire quand elle n’est pas double. Quel intérêt y-a-t il à déplacer les patients pour des gestes chirurgicaux mineurs (biopsies, pose de site pour chimiothérapie, pose de drain thoracique…) ? Un pôle de l’Hôpital 2007 était mort-né 10 ans trop tôt.
2 - Le développement des transplantations pulmonaires après l’aménagement d’un secteur protégé dans le Service des Maladies Respiratoires du Pr. POLU et avec l’aide de l’équipe de l’Hôpital Foch de Suresnes (Dr. BISSON) et le l’équipe thoracique de Grenoble (Pr. BRICHON) que nous remercions, a pris son essor en 1995 mais a été considérablement freiné par la pénurie de donneurs et la fragilité extrême de ce viscère.
3 - Le rapprochement géographique de la chirurgie cardiaque n’a pas été conclusif. Il a cependant permis la formation à la thoracoscopie du Dr. Bruno SCHJOTH qui, devenu PH de la Clinique de Chirurgie Cardio-Vasculaire et Transplantations, joue un rôle important dans l’utilisation du robot DA VINCI acquis par le CHU en 2000. Cet outil onéreux est le premier en France à être partagé entre les disciplines chirurgicales de l’Hôpital de Brabois (à l’initiative du Pr. J.P VILLEMOT) : Chirurgie Cardiaque, Chirurgie Digestive, Urologie. La Chirurgie Thoracique qui avait un projet a été remplacée par le Centre Alexis Vautrin.
Cette restructuration était accompagnée d’une réduction de 2/3 des lits passant de 75 à 25, le Service retrouvant une dimension humaine fort utile lorsque la grande majorité des patients est atteinte d’une des pathologies les plus graves. Les lits restants constituèrent le service de Chirurgie Générale et Urgences sous la responsabilité du Pr. Gilles GROSDIDIER.
L’analyse des techniques développées et des travaux scientifiques et de recherche témoigne de ces bouleversements.
A - Entre 1948 et 1965 la tuberculose est la pathologie prépondérante à 90 % mais les techniques évoluent vite. Celles de la collapsothérapie font place aux exérèses parenchymateuses et aux décortications pleurales. Plus de 3500 interventions sont alors effectuées. Quelques travaux plus spécifiques concernent :
- Les pneumothorax extrapleuraux et leurs complications (1949-1950).
- Les exérèses d’urgence de cavernes tuberculeuses perforées dans la plèvre (1952).
- La pathologie de la primo-infection tuberculeuse soit au stade précoce de caséïfication-fistulisation, soit au stade des séquelles avec sténose bronchique ou lithiase ou migration calculeuse (1955-1957-1960).
- La chirurgie de l’emphysème apparaît (thèse de Claude MARTIN 1960) ainsi que les premières pleurectomies préventives pour pneumothorax spontané.
- La décortication pleurale chez le tuberculeux (108 cas) et la kinésithérapie (1958).
- En 1960 pour la première fois en en Europe Jean LOCHARD publie (Semaine des hôpitaux 1960, 38-39, p2162-2167) : « Les infections acquises en milieu hospitalier chirurgical », infections qui seront qualifiées plus tard de nosocomiales. La conclusion insiste sur les mesures à prendre tant dans le dépistage que dans la prophylaxie, souhaitant la création de ce que seront les CLIN (Comité de Lutte Contre les Infections Nosocomiales) dans chaque établissement hospitalier.
- En 1964-1965, le laboratoire de Bactériologie des hôpitaux avec E. DE LAVERGNE, J.C. BURDIN et Mme F. SCHACK firent de nombreux prélèvements dans le service parmi le personnel et les patients (mains, fosses nasales, vêtements et objets divers) ; les différents germes pathogènes (staphylocoques, serratias, streptocoques viridans…) furent identifiés et typés afin de déceler les voies de propagation. Plusieurs enseignements en découlèrent : fréquence réelle de germes souvent résistants dans ces différents sites, facilité et rapidité des contaminations croisées en fonction surtout des actes de soins, incidence fâcheuse sur les suites opératoires, utilité de prélèvements bactériologiques systématiques dans les services hospitaliers qui rendent le personnel médical et paramédical conscients de ce risque majeur, enfin, importance d’installations hospitalières adaptées : chambres à un lit, lavabos avec distributeurs d’antiseptiques, blouses, gants etc… .
B - La chirurgie de la tuberculose ne va bientôt plus représenter que 5 % de l’activité (thèse C. MATHIOT 1973) du service. Certaines techniques tombées en désuétude reprendront de l’intérêt pour la pathologie rare de l’aspergillome comme la spéléostomie ou le drainage à la « Monaldi ».
Les progrès majeurs des années 70 concernent l’endoscopie avec l’arrivée des bronchofibroscopes souples (Japon) et les appareils d’assistance ventilatoire. Le service va se doter de ces deux matériels.
1- Le service va prendre une part active dans la recherche et le traitement des traumatismes thoraciques ; ce domaine de la traumatologie avait fait l’objet d’un rapport exceptionnel en 1960 par Jean DOR et Henry LE BRIGAND. La physiopathologie et les intrications lésionnelles constituent un des sujets les plus passionnants. Les publications sur ce thème iront de 1973 à 2000. A la suite de JUDET qui inventa l’agrafe costale (1973), Franck MARTIN propose dans sa thèse (1976) l’Attelle-agrafe de MARTIN-CORVISIER. Elle fut modifiée en Attelle-agrafe à glissières en 1981 et depuis lors demeure l’ostéosynthèse la plus polyvalente à usage thoracique. Commençant par la thèse de Bernard WACK (Les contusions thoraciques graves 244 cas (1981), les publications concernant ses applications prédominent entre 1985 et 1995. Les analyses portent sur l’une des plus importantes séries de traumatismes thoraciques opérés (plus de 150), le service ayant bénéficié d’un recrutement accru après son transfert à l’Hôpital Central.
Parallèlement à la traumatologie, la pathologie iatrogène de l’arbre trachéo-bronchique (souvent résultat de l’assistance ventilatoire imposée par la détresse respiratoire) attirera notre attention dès 1970 (prévention et traitements des sténoses trachéales après trachéotomies). Elle fera l’objet de publications en commun avec le Pr. Claude SIMON (ORL) à l’Hôpital Central (1983-1987). La recherche aboutira à un brevet en 1986 concernant un dispositif d’étanchéité endotrachéal.
2- En matière médiastinale, il faut citer des travaux sur les tumeurs nerveuses intrathoraciques (1975), les tumeurs lipomateuses (liposarcomes, thymolipomes et lipomes géants du médiastin) (1978) et surtout les goîtres plongeants : Le hasard nous a fait observer en 1969 un goître plongeant postérieur croisé. Il fut à l’origine de travaux anatomiques réalisés par Jacques CINQUALBRE et de la thèse de Martine CINQUALBRE « La migration postérieure des goitres plongeants (1971) (Nancy – Strasbourg). Les publications suivirent sur ce thème (1972-1975) jusqu’à « une classification affinée des goîtres plongeants (1985) ; la période initiale précédait de plusieurs années la tomodensitométrie qui était la révolution des années 1980.
3- Une autre zone frontalière du thorax allait profiter du recrutement traumatologique du service avec une observation princeps de pseudarthrose de la première côte ; cette observation était le point de départ de recherches anatomiques (thèse de Jacques HUBERT - 1984) « Le syndrome des défilés cervico-axillaires » (thoracic outlet syndrome) et surtout d’une compréhension de ce syndrome invalidant du membre supérieur, souvent méconnu et rarement bien traité. La chirurgie thoracique et la chirurgie de la main et du plexus brachial (Pr. Michel MERLE) collaborent depuis 1980 et continuent de publier (2002).
4- En cancérologie pulmonaire le service a préconisé dès 1971 les exérèses limitées, même segmentaires, lorsqu’elles sont possibles ainsi que les exérèses lobaires avec réimplantation bronchique et tentant d’éviter les pneumonectomies dont le pourcentage est tombé de 60 à 30 % : cette attitude a été prise bien avant le constat actuel de l’extrême gravité de la pneumonectomie droite en particulier (1992). Les publications portent également sur les cancers métachrones (thèse de Christophe KLEIN 1989), les opérés âgés de plus de 70 ans (1981-1992) : thèmes d’actualité. La collaboration avec les équipes pneumologiques était une constante avec les réunions hebdomadaires depuis 1970, réunions qualifiées de comité de concertation pluridisciplinaire d’autant plus nécessaires que le traitement chirurgical est très souvent encadré de chimiothérapie et que le suivi à long terme est autant nécessaire qu’à l’époque de la tuberculose. Dans ce cadre, il est faut enfin souligner l’apport de Joëlle SIAT seul et unique PH de toute l’histoire du Service de Chirurgie Thoracique et dont le poste fut acquis de haute lutte. Elle ne fut titularisée qu’en 1999. Son mémoire de DEA (facteurs pronostiques des cancers bronchiques non à petites cellules de stade III opérés) était au cœur des préoccupations du Service et le demeure.
5- Enfin les années 90 ont vu éclore la thoracoscopie, résurrection d’une technique qui remonte au début du siècle dernier bénéficiant des fibres optiques souples et des progrès de la vidéo. Le Pr. Gilles GROSDIDIER va particulièrement s’y intéresser et s’y consacrer, d’autant plus qu’il s’agit d’une extension de la laparoscopie qui est en plein essor. Il développa notamment la sympathectomie pour hyperhidrose palmaire et plantaire (2000). Le Service de Chirurgie Générale et Urgence poursuivra le traitement des traumatisés du thorax et la place de la thoracoscopie y sera spécialement mise en valeur (1996-1997).
Finalement, les circonstances et le hasard ont fait que le Service de Chirurgie Thoracique, créé à l'initiative du Professeur CHALNOT, fondateur de la chirurgie viscérale moderne en Lorraine, a eu à sa direction le premier (Jean LOCHARD) et le dernier (Jacques BORRELLY) de ses élèves en cinquante ans. Sous leur impulsion la chirurgie thoracique a démontré tant sur le plan organisationnel que sur le plan des techniques, une adaptabilité et une plasticité, lui permettant des mutations avant-gardistes en soulignant l'importance du travail multidisciplinaire autour du malade.