La cardiologie
par G. FAIVRE
Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)
Annales Médicales de Nancy
(édité en avril 1975)
On ne saurait faire un panorama de la Cardiologie Nancéienne sans remonter au travail de Bernheim de 1909 sur « les mécanismes de l'asystolie veineuse de l'hypertrophie excentrique du ventricule gauche » qui a connu beaucoup plus tard la fortune que l'on sait sous le nom de syndrome de Bernheim. En 1921, Etienne et Spillmann sont chargés d'un rapport sur la syphilis cardio-vasculaire, en 1925 Richon du rapport sur la pathogénie de l'angor. En 1926, sort le premier numéro des Annales, consacré à la cardiologie sous la plume d'Etienne, Mathieu, Michon.
C'est en effet en 1945 que fut pratiquement créé à Nancy le service de cardiologie dont le premier titulaire a été le Dr Louis Mathieu. La spécialité a donc moins d'un demi-siècle, elle est en pleine force de l'âge.
Cet article est pour moi l'occasion de marquer une pause nécessaire à la réflexion rétrospective sur une évolution que j'ai eu l'occasion de suivre presque de bout en bout depuis mon externat en 1938, précisément dans les combles où le service de mon Maître donnait toutes les apparences d'être relégué. Il s'y trouve toujours. C'était l'époque où, par son incomparable talent, Monsieur Mathieu rendait la clinique attrayante et surtout nous initiait aux finesses de la sémiologie cardiaque. Un appareil de radioscopie servait aussi bien à la consultation externe déjà abondante qu'à l'investigation des hospitalisés. L'électrocardiographe à corde, meuble d'aspect moyenâgeux qui devrait orner un musée du cœur s'il y en avait un, était d'un maniement difficile et doué de tels caprices que nous le considérions avec méfiance et humeur. Point de recours chirurgical. Nous avions le loisir d'évaluer les qualités des bruits, souffles, galop... De cette belle époque, il restera beaucoup, c'est-à-dire la base même du métier de cardiologue, fondamentale et indispensable. Elle l'est demeurée aujourd'hui où malheureusement trop peu de temps est consacré à une étude précise de la tonalité, du timbre, de la place du souffle dans la systole ou la diastole. Et pourtant, en matière de cardiopathie valvulaire, n'est-ce pas là bien souvent l'essentiel, aujourd'hui comme autrefois ?
Beaucoup de sujets hospitalisés l'étaient in extremis, faisaient de très longs séjours pour des cardiopathies décompensées, bourrés d’œdèmes que les diurétiques de ce temps-là, efficaces, trop efficaces même et fort toxiques, arrivaient difficilement à vider. On ponctionnait beaucoup, des hydrothorax, des ascites. C'était l'affaire de l'externe. On plaçait des tubes de Southey aux chevilles des grands œdémateux, des nombreuses insuffisances cardiaques réfractaires. La Digitaline qui n'a rien perdu de son efficacité - était l'arme absolue de la thérapeutique des valvulopathies décompensées, et déjà, on faisait la chasse dans les tables de nuit aux réserves de sel apportées par les familles des malades sur la prière de ceux-ci. C'est que le régime était beaucoup moins facilement admis qu'aujourd'hui.
Quant aux consultants externes, il leur fallait une solide confiance et un courage peu commun pour affronter les deux étages d'un escalier menant au cardiologue de service, et s'ils s'arrêtaient souvent, accrochés à Tassez belle rampe en fer forgé, ce n'était pas pour en contempler le dessin, mais bien plutôt pour reprendre mainte fois haleine ou pour attendre la fin d'une crise angineuse. Combien de fois avons-nous été indignés par ces spectacles, et combien de visites officielles a-t-il fallu pour qu'on aménage enfin au rez-de-chaussée un local plus adéquat.
Le souvenir de cette époque est celui d'une cardiologie très pratique, proche de l'homme, mêlée à la Médecine générale, s'efforçant au diagnostic précis par les seuls moyens cliniques mais disposant déjà de drogues actives dont l'usage nous est demeuré familier.
Quelques publications suivent l'actualité clinique, mais on voit déjà apparaître, en 1932, la description des premières images électriques de l'infarctus, en 1937 l'étude de la dissociation auriculo-ventriculaire, d'autres troubles du rythme. Puis les premières audaces chirurgicales en 1951-1952 (plaie du cœur, embolectomie chez les cardiaques, ou encore embolectomie artérielle pulmonaire).
Cependant, les prémisses de la révolution qui va s'accomplir s'annoncent déjà depuis quelques années, avec l'électrocardiographie tout d'abord.
« Nous avons senti ce souffle nouveau des écoles américaines ébranler les fondements de la vieille méthode anatomo-clinique et l'investigation électrique sous l'impulsion des magnifiques travaux de Wilson devenir dominatrice » (Laubry et Soulie - Maladies des Coronaires, préface à la 2e éd. 1950). Que s'est-il donc passé depuis la découverte d'Einthoven en 1913 ? Deux faits capitaux : Herrick et Pardee ont, en 1918-1920 individualisé les signes électrocardiographiques de l'infarctus chez l'animal, et Frank Wilson a non seulement par ses travaux mis à la portée de tous, l'exploration électrique du cœur, point par point, mais aussi (1929) une interprétation rationnelle des faits enregistrés qui n'est diffusée en Europe qu'après la guerre (1945-1946) et sera adoptée finalement par toutes les écoles cardiologiques dans le monde.
Puis, l'école de Chavez, avec Cabrera, Sodi-Pallarès, fixe, par des travaux expérimentaux indiscutables, les stades de l'ischémie, de la lésion, de la nécrose. Mexico devient pour un temps la Mecque du croyant en électrocardiographie et en vectocardiographie dont les techniques vont approcher la perfection. Il faudra attendre la coronarographie pour faire faire à la cardiologie un nouveau bond en avant d'une importance comparable.
Mais, parallèlement, se développe à la suite de Cournand aux USA (1941), le cathétérisme cardiaque droit qui, ignoré du fait de la guerre, va se développer en France après son introduction par Lenègre dès 1948. En quelques années, toutes les écoles cardiologiques se lancent à corps perdu dans l'investigation hémodynamique et chaque service crée, dans l'enthousiasme, son propre département. C'est la grande époque des cardiopathies congénitales dont l'inventaire est dorénavant possible avec l'aide indispensable apportée par le développement parallèle de l'angiographie (1931), puis de la cardioangiographie (1946) et bientôt par l'apparition de la cinéangiographie (1956 à 1961 ). La chirurgie n'est pas en retard, parfois même en avance, et depuis les premiers exploits de Mlle H. Taussig (1944) et de Blalock (1945) à Baltimore et de Crafoord à Stockholm, elle aussi se gonfle et s'étend en collaboration avec les équipes de cardiologie médicales qui vont à peu près parfaitement maîtriser l'investigation cardiaque fonctionnelle en une dizaine d'années. C'est à partir de là que s'est individualisée et largement développée la cardiologie pédiatrique. La chirurgie des congénitaux va naître, et se développer jusqu'au point de qualité où elle se trouve aujourd'hui, et très vite, on n'enverra plus les «enfants bleus», à grand renfort de publicité, se faire opérer aux USA.
Le cathétérisme gauche (Dr Cuillière, Dr Tenette) nous ramène aux cardiopathies valvulaires chroniques de l'adulte. La plus simple d'entre elles, le rétrécissement mitral, a été dès 1950 l'objet des premiers et retentissants succès chirurgicaux, la commissurotomie à cœur fermé ayant très vite acquis droit de cité par les beaux succès qu'elle a fournis et les améliorations spectaculaires auxquelles elle a contribué. Des milliers d'interventions à travers le monde se sont déroulées sans incident.
A partir des possibilités d'exploration gauche des valvulopathies, l'avènement presque simultané de la chirurgie de remplacement a permis, dès 1962, avec l'apport technique indispensable de la circulation extracorporelle, de réaliser des remplacements valvulaires prothétiques avec des succès de plus en plus encourageants. Je n'aurais garde d'oublier de citer l'activité indispensable de Mlle Muller qui dirige notre section mécanographique. Une monographie, à destinée éducative pour étudiants du CES, qu'elle a signée avec le Pr Cherrier et moi donne une idée de sa compétence et de son inlassable activité dans le diagnostic des diverses cardiopathies, notamment valvulaires. Couplés avec le minicathétérisme, les tracés synchrones suffisent bien souvent à l'indication opératoire d'un rétrécissement mitral et plus encore à la surveillance post-opératoire et à l'appréciation des résultats.
En décembre 1967, nouvelle bouleversante pour le grand public comme pour les cardiologues du monde entier : C. Barnard a effectué au Cap la première transplantation d'un cœur humain. Ce qui a été possible en Afrique du Sud a comme toujours été préparé depuis des années, aux USA notamment, mais le passage à l'acte n'aurait pu s'effectuer en France sans des modifications profondes de la législation existante. Or, il s'avère que toutes nos équipes de chirurgie cardiovasculaire bien équipées, bien rodées, sont capables de réaliser des transplantations. La technique est loin d'être inabordable, la preuve en est qu'à Paris, à Marseille, à Bordeaux, etc., quelques « greffes » cardiaques sont effectuées avec succès.
En fait, il est nécessaire de restituer le problème sous l'angle psycho-affectif qui était celui du moment. La grande presse l'a bien compris, et l'Est Républicain réunit le 7 février 1968 une large table ronde en présence des autorités dans la salle du conseil d'administration du CHR pour entendre l'avis des cardiologues médico-chirurgicaux, connaître leur sentiment, mais surtout, comme il apparaît très rapidement au nouveau directeur du CHR, Monsieur Marquet, pour nous demander de répondre à la question simple suivante qui passionne les Lorrains : Pourquoi ne fait-on pas aussi à Nancy des greffes cardiaques ?
Le point de vue du Pr Chalnot, qui rejoint le mien, se résume ainsi : la greffe cardiaque est, et doit être exceptionnelle. Elle pose des problèmes très difficiles d'éthique médicale. Elle est techniquement possible à Nancy, mais elle va obliger à des installations onéreuses et peu souhaitables au moment où un nouveau service de chirurgie cardio-vasculaire est en voie de finition au CHU de Brabois avec une infrastructure ad hoc.
La conclusion est donc, au détriment du panache, que des investissements aussi lourds ne sont pas justifiés pour le moment.
Or, nous attendions depuis plus de 3 ans, en nous préparant soigneusement par des visites et des stages aux USA, au Canada (Pr Cherrier, Dr Cuillière) l'occasion de développer la technique de coronarographie sélective de Sones (1960). De nombreux arguments justifiaient ce désir : le nombre élevé des patients réclamant un contrôle de leur état coronarien en vue d'un diagnostic lésionnel précis, les débouchés sur une chirurgie coronarienne que le Professeur P. Mathieu était lui aussi prêt à réaliser.
Le choix fut donc décidé, à dater de la confrontation précédente, en parfaite entente médico-chirurgicale. Depuis cette date qui reste pour moi mémorable, 2000 explorations et quelque 300 opérations de pontage coronaire ont été effectuées.
De nombreuses publications témoignent de l'importance de l'activité de cette section dont le développement fulgurant a considérablement modifié la marche du service clinique et infléchi notre conception des maladies coronaires et par contre-coup nos décisions thérapeutiques. Il est vrai que la monographie que nous avons signée avec Gilgenkrantz en 1954 : « Epreuves d'effort et d'hypoxie » permet de mesurer le chemin parcouru.
La thèse de J.L. Neimann, les articles de Cherrier et coll. dans Cœur et Médecine Interne (1974), rendent compte de cette activité de pointe qui, pour l'importance et la qualité, placent ses auteurs parmi les plus actifs et les plus compétents de notre pays.
Si la collaboration médico-chirurgicale s'est révélée une fois de plus en ce domaine extrêmement bénéfique pour le malade et pour nous, c'est parce qu'elle a été étroite, c'est parce que toutes les décisions sont discutées et élaborées en commun, chaque dossier étant présenté et soumis à l'interprétation critique et publique de chacun.
Il est un autre domaine où, pour revenir un peu en arrière, cette collaboration a été également fructueuse, c'est celle des cardiopathies valvulaires où un remplacement prothétique se discute soit pour la mitrale, soit pour l'aorte, soit pour les deux et parfois même en plus pour la tricuspide. L'évaluation du moment chirurgical est parfois, pour le cardiologue un cas de conscience - plus tôt, plus tard ? - et même les données angiographiques ou hémodynamiques les plus complètes ne sont pas toujours suffisantes à provoquer une décision vraiment satisfaisante. Le risque est-il trop grand ou peut-il être couru ? Plus les techniques progressent, et plus la confiance du médecin dans le chirurgien grandit, plus tôt il est possible de décider l'intervention. C'est ainsi que chaque semaine ou presque un colloque médico-chirurgical permet depuis 1963 de soupeser ces décisions - faciles ou difficiles - d'évaluer les indications des prothèses comme les résultats post-chirurgicaux (500 interventions).
De plus, quelques exploits techniques ont été préparés par les médecins et réussis par l'équipe du Pr Chalnot. Première opération en Europe de fermeture septale postinfarctus (1963), première exérèse d'un gros anévrysme du ventricule gauche, remplacements aortiques (1961) etc.
C'est là, la meilleure démonstration de la nécessité de la collaboration entre des spécialités complémentaires, collaboration qui fait la qualité et l'efficacité des résultats et justifie une unité de lieu de travail, une symbiose telle qu'elle a été réalisée à l'Hôpital Cardiologique de Lyon et le sera prochainement à Bordeaux, Lille, etc. si les nuages qui s'amoncellent sur l'avenir de la construction en matière de Santé Publique le permettent.
Quelques travaux méritent d'être isolés parmi tous ceux qui ont marqué la dernière décade. Monographie sur la médianécrose aortique qui fait, après plusieurs articles parus de 1962 à 1965, le point de la question mais est sans doute un peu trop axée - comme à l'époque - sur le traitement chirurgical. Je citerai également diverses monographies sur des sujets techniques bien précis tels que le choc électrique (Imprimerie Thomas 1965), sujet de la thèse de J.M. Polu en 1965, et de nombreux articles parus dans Cœur et Médecine Interne, qui rapportent une large expérience de ce traitement. C'est en 1962 que Lown a proposé cette méthode pour arrêter certains troubles du rythme chroniques ou aigus, notamment le flutter ou l'arythmie complète par fibrillation auriculaire. Je me souviens de l'intérêt extrême qui avait été suscité par la première démonstration de choc électrique réalisé au service à l'occasion d'une de nos premières journées cardiologiques d'enseignement post-universitaire. Une grande foule de cardiologues venus de toute la région, d'Alsace, et de plus loin encore, se pressait dans les étroits couloirs et locaux du « grenier», et le saut de carpe du sujet anesthésié au moment de la décharge du condensateur était assez impressionnant. Depuis, le nombre de ces traitements a beaucoup diminué, comme le montre la thèse récente de Demoulin (1974) d'une part en raison de la vulgarisation de la technique de cardioversion, qui se fait un peu partout maintenant, mais aussi des meilleures indications qui ont entraîné la diminution du nombre des chocs, enfin, de la survenue de drogues plus efficaces dans la prévention et la thérapeutique des troubles du rythme. En revanche, les chocs d'urgence en unité de soins cardiaques intensifs deviennent plus fréquents. Il semble donc que cette technique particulière, si elle a acquis droit de cité, si elle est devenue classique, ne suscite plus de recherches particulières et cesse d'être le sujet d'intérêt brûlant qu'elle fut il y a 10 ans.
Tout à l'inverse, l'entraînement électrosystolique du cœur dans le traitement des blocs auriculo-ventriculaires continue depuis les premières tentatives de Zoll en 1952 et la diffusion de la méthode en 1961 en France (Bouvrain) à tenir la vedette. C'est au début de 1962 que les premières implantations chirurgicales lourdes ont eu lieu (Pr Frisch) et une longue série de travaux est sortie depuis cette époque du service, à la suite du premier travail d'ensemble présenté avec Gilgenkrantz et Renaud, dans une monographie éditée en 1964 chez Masson. Ce n'était qu'une première étape et personne à l'époque n'aurait pu prévoir le développement extraordinaire de ces techniques. Quelques années plus tard, le Dr Dodinot, après un long séjour au Centre réputé de Miami devait s'intéresser et se passionner pour ces problèmes. Réalisant à Nancy un des premiers centres de pacemakers français, des plus vivants et des plus achalandés, il voyait sa notoriété croître au point que l'organisation du 2e symposium mondial sur les pacemakers lui était confiée à Monaco en 1970 (Annales de Cardiologie 1971).
Les travaux qu'il a inspirés ou réalisés sont divers et nombreux, rien dans ce qui appartient au monde des stimulateurs ne lui a échappé. Le nombre des malades justiciables de ces traitements au long cours paraît ne pas vouloir cesser de croître, obligeant à une gestion par ordinateur du centre, à l'installation d'un contrôle téléphonique régional du fonctionnement des stimulateurs et aboutissant parfois à embouteiller le fonctionnement même du service général en obligeant à déplacer rendez-vous et séjours des autres malades en raison de l'urgence de certaines situations. Le 1er octobre 1972, une petite cérémonie permet de réunir mes collaborateurs autour du millième porteur de pacemaker. Depuis, près de 3000 stimulateurs ont été implantés. De nombreuses publications ont, avec la thèse de Dodinot (1967), celle de Saulnier (1971), celle récente de d'Hôtel (1973, traduit la qualité et le volume du travail de l'équipe responsable, rassemblée autour du Dr Dodinot, figure de proue de ce département. La revue « Stimucoeur » qu'il a fondée et qu'il anime a une large diffusion nationale aussi bien près des médecins que des malades.
Très vite, on ne pratique plus de thoracotomie, mais le problème se complique en se médicalisant (voie endo-cavitaire) en raison de la nécessité d'une mise en place stérile, chirurgicale de ces boitiers de pacemakers et de l'électrosonde ventriculaire droite. Une salle de chirurgie est indispensable pour laquelle l'opérateur médecin (car il s'agit là de petite chirurgie) doit compter sur l'obligeance et la bonne volonté de son collègue chirurgien. Ses particularités techniques, son infrastructure spéciale et son activité débordante qui bouscule les autres domaines de la cardiologie traditionnelle, donnent à ce secteur une autonomie très grande qui n'a pu encore se traduire dans des locaux appropriés.
Enfin, il arrive que certains malades venus pour épisodes syncopaux soient « à cheval » entre spécialité cardiologique et neurologique : Font-ils des syncopes par bloc paroxystique ou ischémie vasculaire cérébrale ? Le traitement étant radicalement différent, de minutieuses explorations s'imposent pour décider de la conduite à tenir. La monographie de Weber et Dodinot (1972) étudie ce difficile sujet.
Il a fallu, pour essayer de clarifier ces problèmes, installer une nouvelle série d'explorations par sonde endo-cavitaire droite (explorations hisiennes) afin de situer le déficit conductif sur une branche, un tronc, et rechercher ainsi des arguments diagnostiques et thérapeutiques complémentaires. La thèse de Luporsi (1973) présente ce sujet, entre autres travaux réalisés avec le Dr Hua.
Cette longue énumération, pourtant incomplète, introduit aux activités foisonnantes du service. Elle montre le développement technique incessant durant cette « décennie prodigieuse ». Elle n'exprime pas, dans sa sécheresse, la vie journalière réelle et profonde, fatigante mais combien passionnante qui trouve son expression la plus directe et la plus significative dans la marche de l'unité de soins intensifs.
C'est en 1965 que la création d'un tel secteur s'est imposée dans les services de cardiologie comme à la même époque, à travers toute la France, pour un certain nombre de raisons propres au nombre des infarctus recueillis, à l'engouement technique lié aux nouvelles possibilités de surveillance monitorisée et au transport rapide des malades de l'extérieur (service SOS du Pr Larcan).
Huit lits, pourvus du monitoring adéquat de chevet plus une grosse unité d'enregistrement continu avec mémoire pour 4 lits et 6 lits contrôlés en direct furent aménagés en 1967 sous les solives obliques du grenier. Une garde cardiologique spécialisée (assistants, internes) plus une garde infirmière 24 h sur 24 fut créée. Elle fonctionne toujours à notre grande satisfaction répondant aux besoins d'urgence (entraînement électrique, chocs, traitements et explorations miniaturisées diverses au lit du malade). Un gros effort d'éducation des infirmières, de préparation à ce type de travail et aux décisions thérapeutiques d'urgence fut réalisé, et on peut dire que ce secteur dorénavant irremplaçable, est devenu le fer de lance du service. L'administration du CHR soutient nos efforts, mais n'a pu encore remédier aux difficultés de recrutement des infirmières. En dépit des qualités exceptionnelles et du dévouement de la plupart d'entre elles, leur insuffisance numérique reste le facteur le plus limitatif de l'extension justifiée par le nombre croissant des malades.
De nombreux articles, les thèses de Hersan (1972), de Marquèze (1973), des mises au point diverses dans plusieurs symposiums ou réunions internationales, ont exprimé les résultats de cette réalisation. De 30 % de mort, toutes complications confondues, on arrive en 1973 à 17,5 % qui concernent à peu près uniquement les chocs des gros infarctus irrécupérables. On peut presque dire qu'on rattrape dorénavant tous les troubles du rythme (fibrillations ou blocs) mais que, malgré l'entraînement électrosystolique d'urgence, malgré l'installation d'une assistance circulatoire par contre-pulsion diastolique, on ne réussit pas à tirer d'affaire les « cœurs trop mauvais pour survivre », Sans doute a-t-on atteint là la limite de nos possibilités de traitement.
Il n'en reste pas moins que les récentes possibilités d'exploration du cœur droit et gauche au lit du malade, dès les premières heures de l'infarctus, viennent encore améliorer notre connaissance du retentissement ventriculaire gauche des diverses localisations nécrotiques myocardiques et partant, préciser la conduite thérapeutique. On a vu aussi un second laboratoire d'exploration fonctionnelle cardiaque venir, grâce à la miniaturisation des techniques, au lit du malade. Ce nouveau secteur, parallèle à l'hémodynamique lourde, dirigé par le Pr Cherrier - qui lui est complémentaire - a justifié la création d'une chefferie de service pour le Pr J.M. Gilgenkrantz intitulée « Hémodynamique clinique et soins cardiaques intensifs». La thèse de P. Groussin (1973) et plusieurs articles ont fait connaître les travaux originaux qui ont été conduits de 1971 à 1974 sur ce sujet. Fondée sur les mêmes explorations fonctionnelles, mais sous stimulation séquentielle de l'oreillette et du ventricule, le travail que présente F. Witz dans sa thèse vient couronner cet ensemble de travaux physiopathologiques.
Quant aux maladies vasculaires périphériques, bien que de réels progrès thérapeutiques aient été enregistrés, aucun bouleversement comparable à celui de la cardiologie n'a été enregistré dans leur étude. Certains secteurs n'ont pu encore recevoir, souvent uniquement par manque de place, obligeant à des priorités déchirantes, le développement qu'ils méritent. L'hypertension artérielle est l'un de ceux-là, mais il faut concevoir cette extension comme une coopération pluridisciplinaire entre cardiologues, urologues, néphrologues, etc. et surtout participation d'un laboratoire orienté vers les techniques propres à cette spécialisation. Une synthèse adaptée à chaque cas clinique étant absolument indispensable à la bonne direction du traitement.
Au terme de cette présentation, j'ai le sentiment d'avoir prononcé une leçon inaugurale telle que la fort courte expérience nancéienne due à l'initiative de M. le Doyen Beau en 1965 l'avait envisagée : l'instant de réflexion privilégiée avant de retourner à la mêlée. Après 6 ans de stage dans la chaire de thérapeutique, c'est en 1968, époque troublée, que fut créée, à la demande de l'ancien conseil de Faculté et de son Doyen, la chaire de clinique des maladies cardio-vasculaires, l'une des dernières, et je crois la 7e en France.
Je dois à la vérité de dire que cette promotion espérée en se réduisant au rang d'un emploi perdait par la platitude du terme beaucoup d'intérêt pour moi.
Les nouvelles formules d'enseignement n'ont rien apporté d'original, ni même de vraiment utile, en dépit des efforts méritoires des nouvelles équipes et l'on voit bien en interrogeant les étudiants en fin d'étude, que la qualité de la formation clinique et l'intérêt que portait à la séméiologie l'externe d'autrefois sont perdus pour longtemps sans doute parce que les froides vagues des sciences exactes qui ont inondé leur savoir - et de surcroît recouvert leur sensibilité - ont malheureusement conditionné la forme de leur pensée dès le début de leurs études. Ce qui manque trop souvent, c'est une certaine qualité de contacts humains, et aussi un esprit de synthèse critique qui sait rendre la priorité à la clinique sur la technique.
Précisément, la haute technicité des nombreux secteurs de la Cardiologie aurait pu y trouver son compte. Mais en vérité, en ce domaine surtout, la tentation est grande de négliger le contact humain en présence d'un « malade-objet » soumis sans condition aux explorations de toutes sortes, plus ou moins justifiées, par les nécessités du diagnostic et du traitement.
Dans quelques mois, la clinique des maladies cardio-vasculaires, celle de la chirurgie cardiaque, vont émigrer ensemble (le Pr Bénichoux succédant au Pr Chalnot, à la tête de celle-ci) sur le plateau venté de Brabois. Un service de cardiologie restera avec une unité de soins intensifs d'urgence à l'Hôpital Central (Pr Gilgenkrantz). Peut-être dans quelques années, l'Hôpital d'Enfants, dont la création est toujours remise, amènera-t-il à lui la cardiologie infantile partagée entre le service du Pr Neimann et du Pr Pierson d'une part, et celui du Pr Pernot à Dommartin-lès-Toul d'autre part ?
Ce panorama ne serait pas complet si je n'évoquais le nombre de plus en plus grand des convalescents pour l'hébergement desquels de nouveaux locaux sont nécessaires. Le problème posé par leur réinsertion sociale, leur réhabilitation est souvent difficile à résoudre et les conséquences économiques de cet afflux de malades cardio-vasculaires (fléau n° 1 des temps actuels) sont très lourdes pour la nation.
Est-il raisonnable de tenter une évaluation de l'avenir en fonction du passé ? Je ne le crois pas. Nous avons été si souvent et si profondément surpris par l'évolution des choses, par la survenue et l'introduction dans notre spécialité de techniques venues de tous les horizons de la science que toute réflexion prospective lointaine, fondée sur la connaissance passée, est illusoire. Le temps n'est plus lui non plus au savoir encyclopédique. Chaque secteur d'un grand service devient de plus en plus difficilement pénétrable pour les autres servants, pourtant voisins, d'autres techniques pour la compréhension et l'usage desquelles un langage spécial s'est créé. Ceux dont le rôle est de faire la synthèse des connaissances pour les utiliser à l'amélioration de la condition de vie des malades doivent se garder des périls du gaspillage technique comme des excès de la recherche pour la recherche.
Cinquante ans après, dans les mêmes locaux, ce ne sont plus les mêmes « cas » qui attendent impatiemment la visite journalière. On ne voit plus dans le service ces cardiaques chroniques, oedémateux, que je décrivais. Les diurétiques modernes ont asséché leurs œdèmes, les diverses variétés de digitaliques permettent une souplesse de prescription beaucoup plus grande et les antiarythmiques pour quelques uns d'entre eux au moins, ont une efficacité encore jamais connue. De lit en lit, on découvre ici un porteur de prothèses cardiaques, là un porteur de stimulateur qui vient d'être implanté, un troisième a subi une exploration endoauriculaire ou hisienne. Chez tel autre, on va évaluer le débit cardiaque, l'index systolique, les pressions droites, gauches, diastolique, télédiastolique, calculer les performances ventriculaires gauches, contrôler le fonctionnement d'un pontage coronarien... Mais pourtant, bien que nous ne guérissions pas vraiment ni les coronariens, ni les valvulaires, ni les artéritiques, combien plus confortable est devenue leur existence grâce à ces traitements ou à ces interventions.
C'est donc un bilan très positif qui est traduit à travers les diverses publications et l'activité cardiologique dont je viens de brosser un tableau succint.
Aucun symptôme de vieillissement n'apparaît, bien au contraire, il est clair que la cardiologie continue à progresser, mais il n'est pas moins évident que les bouleversements intérieurs qu'elle a subis du fait de son évolution supertechnique en moins de 20 ans ont imposé des remaniements incessants au jour le jour, faute de planification globale ajustée à son explosion démographique et structurelle.
Les soupentes, les greniers puis les caves ont accueilli les appareils les plus complexes et les plus onéreux, les « coronariens » ont bousculé les porteurs de pacemakers, ceux-ci ont refoulé les valvulaires qu'on cherche dans tous les services de médecine, voire des diverses spécialités à travers les groupes des hôpitaux de ville - contre toutes les règles de sécurité - la veille de l'exploration prévue depuis des mois et il faut bien s'accommoder de ce mouvement brownien perpétuel. Cependant, depuis un an, un grand service équipé, mais vide de malades attend... espérons que le transfert qui s'approche apportera l'oxygène et l'espace à ceux qui ont si longtemps patienté et qu'une nouvelle ère aussi fructueuse commencera avec 1975.