La chirurgie maxillo-faciale

par M. GOSSEREZ

Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)

Annales Médicales de Nancy

(édité en avril 1975)

HISTORIQUE

La naissance d'une nouvelle discipline médicale ne procède jamais de la génération spontanée, tant est vieux l'art de soigner qui figure parmi les premiers signes de civilisation.

Entre les branches de la médecine les modes de fécondation sont divers et les durées de gestation variables :

C'est ainsi que jouent tantôt la parthénogenèse, tantôt la scissiparité, mais, le plus souvent, la fécondation à partenaires multiples.

Il en est ainsi pour la Chirurgie maxillo-faciale, la Chirurgie plastique de la face, ou, beaucoup plus simplement, la Chirurgie de la face, multidisciplinaire par essence.

Elle procède en effet de la chirurgie en général et de chirurgies spécialisées, oto-rhino-laryngologique, stomatologique entre autres.

Ces disciplines de base étaient illustrées brillamment à Nancy et d'autres que nous, dans ce panorama, ont fait revivre nos Maîtres chirurgiens, les Professeurs Hamant, Rousseaux et Chalnot, oto-rhino-laryngologistes (le Professeur Jacques, le Docteur Aubriot) ou stomatologiste (Professeur Houpert).

Très conscient de l'importance de l'appareil masticateur, le Professeur Jacques souhaitait voir un de ses élèves se consacrer à ce département et, dès 1940, le Professeur Terracol à Montpellier, nous confiait, avec le Professeur Houpert, la section des « gueules cassées » des Cliniques Saint-Charles.

A notre retour en Lorraine, le Doyen Jacques Parisot, sur notre suggestion, appelait le Professeur Houpert à la direction de l'Institut dentaire de la Faculté de Médecine, en sommeil depuis la tragique disparition au Vercors de son animateur, le Doyen Rosenthal.

Le Doyen actuel de la Faculté dentaire a su dire tout ce qu'elle doit à Houpert, cet organisateur né.

Sa tâche fut malheureusement interrompue par la maladie et l'Institut nous fut confié de 1958 à 1969. Nous en fûmes le « conservateur ».

Dès 1941, nous avions eu la chance insigne de compléter notre formation auprès de Maîtres éminents, à Paris, en O.R.L. avec le Professeur André Aubin, en Stomatologie avec le Professeur Michel Dechaume, pendant 2 ans, et en Angleterre, à East Grinstead, avec Sir Archibald Mac Indoe, en Chirurgie plastique.

Il serait bien difficile de peser la dette de reconnaissance que nous avons pour ces Maîtres, auprès desquels nous laissait partir le Doyen Jacques Parisot et auxquels nous devons avec quelques amis d'avoir pu implanter la Chirurgie Plastique en France.

La situation nancéenne était confuse. En 1951 avait été créé par le C.H.R. le Service de Chirurgie maxillo-faciale, mais sans que ne soient prévus de locaux, de matériel ou de personnel, sinon par partition du Service O.R.L.

Une longue cohabitation (17 ans) avec notre collègue et ami le Professeur Grimaud, nous permit d'appliquer avant la lettre, les principes de la fusion hospitalo-universitaire de la réforme Debré.

Monoappartenant l'un et l'autre, nous fûmes l'un et l'autre nommés aux concours des Hôpitaux et de l'agrégation.

Mais il convient de décrire pour nos confrères l'activité de notre service et l'éventail de nos compétences.

D'abord l'équipe. Car si le Chef de service a été le fondateur, le développement comme le rayonnement du Service est dû au choix de ses collaborateurs qui forment un groupe particulièrement homogène.

L'ÉQUIPE :

Le pilier en est le Professeur Agrégé Michel Stricker.

Sa compétence et son dynamisme valent au Service une activité peu courante (dont on se rendra compte par le graphique ci-joint) qui n'a fait que s'accentuer depuis 3 ans, malgré l'insuffisance des locaux.

Son expérience et ses travaux scientifiques lui valent de diriger la Section de Chirurgie maxillo-faciale de la Société Française de Chirurgie plastique et reconstructive et d'animer le Club Morestin, groupement de travail des jeunes plasticiens dont il est le Secrétaire général.

Nous lui devons le rayonnement de l'école nancéenne.

Il est aidé dans sa tâche journalière par le Docteur Francis Flot, que l'on ne peut mieux comparer qu'à un apôtre de la discipline au dévouement toujours disponible.

Mais il faudrait citer toute l'équipe avec Marcel Kurtz qui dirige l'anesthésie réanimation, Rozencweig et Fourquet l'orthopédie et la pathologie temporo-mandibulaire dysfonctionnelle, Madame Chasselle l'Orthophonie.

Les jeunes élèves, dès leur formation de Chef de Clinique achevée nous quittent pour occuper des postes de haute responsabilité dans d'autres C.H.U.

LA CHIRURGIE PLASTIQUE DE LA FACE :

Avant d'aborder le rayonnement de l'école de Nancy, nous voudrions, pour nos confrères praticiens, qu'ils soient généralistes ou spécialistes, définir l'objet et la spécificité de la chirurgie de la face.

A plusieurs reprises déjà nous avons insisté sur- la nécessité de rétablir la face dans l'intégralité de ses fonctions dynamiques, compte-tenu du retentissement psychique parfois considérable de son délabrement.

Les techniques de la chirurgie de la face, bien qu'obéissant aux règles de chirurgie générale, sont, malgré tout, très spéciales car elles doivent laisser le minimum de traces. Les reliefs ou les orifices ne doivent pas être déformés, mais si l'architecture est complexe, la vitalité est remarquable.

Les fonctions primordiales de la face sont des fonctions de ravitaillement aérien et alimentaire. Mais ces fonctions d'intendance ne sont pas les seules. Et le massif facial s'est vu colonisé par les délicates antennes sensorielles du cerveau, visuelles, auditives, olfactives qui se logent dans les cavités.

Véritable fenêtre ouverte sur le monde extérieur, la face est ainsi le poste principal de l'information, à la fois récepteur par ses éléments sensoriels, mais aussi émetteur.

Le visage, sur sa surface mouvante inscrit, comme sur un écran, la mimique, réponse muette de l'être au sensible.

Et la bouche émet la réponse sonore, la voix, le cri, le chant, la parole, admirable mariage où la pensée se matérialise en vibrations physiques de l'environnement.

Voilà ce domaine redoutable et privilégié où le plasticien laissera sa marque, une marque qui libérera le cortex de son obsession ou au contraire se gravera plus profondément parfois que sur le tégument.

L'ÉVENTAIL :

Nos patients relèvent de plusieurs rubriques :

A - La Traumatologie du squelette et des parties molles

Nous n'insisterons pas sur la fréquence des accidents, en rapport direct avec la fièvre de déplacement des hommes, mais uniquement sur la précision exigée par la réhabilitation.

Qu'il suffise de songer que le déplacement d'une seule dent est susceptible de conditionner le déséquilibre de la denture et des deux articulations temporo-maxillaires et l'on comprendra que la récupération de l'engrènement des dents entre elles - l'articulé dentaire, pour utiliser notre jargon habituel - est notre souci majeur.

Nos blessés sont souvent des cranio-faciaux : nous les traitons en collaboration avec le Service de neurochirurgie du Professeur Lepoire et dans le choix de notre implantation hospitalière nous avons tenu à ce que nos services ne soient pas éloignés l'un de l'autre.

Ils sont souvent polyblessés et le travail d'équipe s'effectue avec les autres services de chirurgie générale, mais tout spécialement avec la Clinique de traumatologie (Professeur Sommelet), où l'un de nos collaborateurs assure une présence régulière.

L'appareil de la vision étant fréquemment intéressé, des blessés sont traités par une équipe mixte, soit dans le Service de Chirurgie maxillo-faciale, soit en Ophtalmologie (Professeur Thomas) et c'est ainsi que les Professeurs agrégés Stricker et Reny après avoir traité en 4 ans 615 fractures de l'orbite ont pu codifier leur technique dans une récente monographie parue chez Masson.

B - Malformations :

Les plus fréquentes sont les fentes faciales, qui interfèrent sur l'apparence extérieure (défiguration), mais aussi sur la phonation (rhinolalie), la mastication (perte de l'articulé) et le psychisme.

L'équipe est nécessaire ; la réhabilitation totale s'étale de la naissance à l'adolescence.

Pour indiquer un ordre de fréquence Fogh et Andersen, deux auteurs danois, en relèvent une sur 600 naissances, alors que jadis on en comptait une pour 1000.

Les prognathismes, rétrognathismes, les malformations cranio-faciaies (Maladie de Crouzon - syndrome d'Apert - hypertélorisme) sont fort heureusement plus rares, mais se concentrent sur notre équipe neurochirurgicale et faciale et c'est ainsi qu'en 3 ans ont été réalisés plus d'une centaine d'ostéotomies cranio-faciales, sans la moindre léthalité, en collaboration avec le Service du Professeur Lepoire.

Avec l'Hôpital Foch de Suresne où Tessier a codifié la méthode, Nancy a été le premier centre provincial à œuvrer dans ce secteur de pointe, où - pour une fois -nous précédons nos collègues américains.

C - Manifestations tumorales :

Les maxillaires sont le siège d'élection de tumeurs kystiques.

Ces kystes sont les uns franchement bénins, mais d'autres possèdent un potentiel de récidive et d'évolution maligne qui nécessitent des amputations étendues, parfois des désarticulations.

Cette chirurgie large suivie de reconstruction par greffes osseuses ou par endoprothèses, nous a permis d'augmenter, dans les cancers du plancher buccal ou osseux, le nombre des guérisons à 5 ans de trente pour cent environ.

Dans le domaine tumoral, nous avons pu (thèse Stricker 1965) codifier les voies d'abord et la technique d'exérèse des tumeurs profondes de la fosse ptérygo-maxillaire (12 cas).

D - Chirurgie stomatologique :

Sans parler des affections ou infections d'origine dentaire, ni de la chirurgie préprothétique, le traitement des dysfonctions des articulations temporo-mandibulaires représente une part importante et originale de l'activité du Service. L'orthodontie par baguage (méthode Edgewise), rapide et efficace, prévient, prépare ou accompagne l'acte chirurgical.

E - Chirurgie esthétique et réparatrice :

De marginal qu'il était, ce domaine s'est imposé et intégré dans celui de la Médecine parce qu'il constitue un besoin de notre civilisation actuelle.

La fréquence des rapports humains et la réalité du retentissement psychologique de la disgrâce physique font que le Médecin ne peut plus ignorer cette souffrance.

Mais, il convient de remarquer qu'il exige une éthique rigoureuse tout aussi indispensable qu'une technique parfaite.

Son exercice exclusif appelle, de notre part, certaines réticences, car nous estimons que la perte du contact avec le malade entraîne l'atrophie de certaines vertus qui font la noblesse de notre art de guérir.

Et Sir Archibald (Mac Indoe) disait joliment que la Chirurgie esthétique était « the cream of plastic Surgery ».

Quoi qu'il en soit, rhinoplasties, otoplasties, lutte contre le « vieillissement » sont de pratique courante.

Il va sans dire que fonctionnel et cosmétique vont de pair et que chaque cas étant particulier, l'éventail des techniques permet un choix personnalisé.

La réhabilitation dynamique, la réanimation des paralysies faciales est un objectif auquel s'est particulièrement attaché la chaire.

Pendant longtemps et maintenant encore, bien souvent, nous effectuons des transpositions musculaires des masticateurs pour réanimer les peauciers préalablement isolés et préparés.

Nos recherches de laboratoire et de chirurgie expérimentale nous orientent actuellement vers les transpositions d'éléments musculaires éloignés, munis de leur équipement nerveux (tibial antérieur et pédieux) et vasculaire.

L'apport des techniques microscopiques conforte nos espoirs.

LE RAYONNEMENT:

L'école de Nancy a contribué largement à obtenir sur le plan national la reconnaissance de la Chirurgie plastique qu'elle avait implantée.

Du point de vue universitaire, le titulaire a été de 1969 à 1973, le seul représentant de cette discipline au Comité Consultatif des Universités.

Ce poste lui a permis avec l'aide de ses collègues chirurgiens orthopédistes, de porter sur la liste d'aptitude, puis de voir nommer six professeurs de Chirurgie plastique dans diverses facultés françaises.

Pour la première fois en France, la chaire nancéenne a été intitulée : « Chirurgie plastique et Stomatologie ».

Du point de vue hospitalier, un très récent décret vient de paraître au Journal officiel (6/7/1974), qui prévoit qu'un Service de Chirurgie plastique sera ouvert dans chaque CHR français.

Cette « reconnaissance » ne vient que confirmer la nécessité de la spécialisation dans ce domaine chirurgical.

Et Nancy qui avait vu la première création en 1951, dans le secteur public, se devait de représenter le pays dans la C.E.E. du Marché Commun.

Ainsi  en juillet   1975,  pourrons-nous  recevoir dignement à Paris, à l'occasion du VIe Congrès international de Chirurgie plastique (chaque 4 ans), quelques 3000 congressistes puisque nous assurons la Vice Présidence de ce Congrès. Certains d'entre eux se réuniront à Nancy en Post Congrès.

L'avenir nous parait donc sous un jour favorable. Plusieurs de nos élèves ont entamé une brillante carrière hospitalo-universitaire. Certains (Strasbourg), sont titulaires de chaire, d'autres (Tours, Marseille) Professeurs agrégés, d'autres enfin Chefs de Service hospitalier (Grenoble, Limoges).

Le service est fréquenté par les Chefs de Clinique des autres CHU (Marseille, Bordeaux) et par des stagiaires étrangers (actuellement deux Espagnols, un Mexicain).

Aussi pensons-nous avoir apporté notre contribution au développement de l'Université Lorraine.