HAMANT Aimé

1884-1973

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ELOGE FUNEBRE

Le Professeur Hamant, de souche lorraine, naquit à Nancy le 13 mars 1884. Après ses études secondaires au collège de la Malgrange, il prit sa première inscription à la Faculté de Médecine en 1903 et se fit remarquer dès le début de ses études par son travail et sa ténacité. Il manifesta d'emblée sa vocation chirurgicale. Ceci n'est pas pour nous surprendre. Voici comme il raconte lui-même le début de sa carrière par l'étude de l'anatomie : « De longues et fructueuses conversations avec notre médecin de famille le Pr Baraban ancien agrégé d'anatomie m'avait fait connaître l'importance - pour le futur chirurgien que je voulais être - de la science anatomique et de la nécessité absolue de la posséder dans ses moindres détails. C'est pourquoi, dès ma libération du service militaire, je m'étais astreint à étudier chaque jour quelques chapitres du volumineux Testut et j'arrivai (à la faculté) ayant vu presque tout mon programme ».

M. Hamant eut l'immense avantage de commencer et de poursuivre ses études sous la direction du Pr. Nicolas, prestigieux anatomiste qui devait terminer sa carrière à la faculté de Paris. A cette époque, l'anatomie était la base de l'enseignement médical. Toutes les après-midi du semestre d'hiver étaient consacrées à la dissection. Il était pratiquement indispensable pour un futur chirurgien de mener de front, parallèlement à la filière des hôpitaux, la recherche des titres anatomiques : adjuvat et prosectorat. « La connaissance approfondie de l'anatomie dit Jean-Louis Faure donne au chirurgien cette sécurité morale, ce sentiment intérieur qu'il sait où il est, qu'il sait où il va, qu'il sait ce qu'il fait. Les exercices de médecine opératoire, leur constante répétition chez ceux qui aspirent à devenir des chirurgiens dignes de ce nom, n'ont d'autres raisons d'être que de faire chez eux l'éducation de la main, de leur donner cette sûreté, cette précision, cette sobriété et même cette élégance du geste qui est, elle aussi une des qualités du chirurgien, de leur apprendre en un mot le mécanisme opératoire qui est indispensable à l'art chirurgical comme le mécanisme instrumental est inséparable de l'art qui nous transporte aux régions sereines de la divine harmonie » .

En dehors de dons particuliers, cette formation anatomique et la médecine opératoire si contestée actuellement ont fortement contribué au perfectionnement et à l'épanouissement de ses qualités chirurgicales. M. Hamant m'a plusieurs fois décrit ses séances de travail à l'Institut de la rue Lionnois. Favorisé par ses fonctions de prosecteur il sacrifiait, tous les dimanches, le cadavre entier mis à sa disposition pour faire différents exercices. Toutes les découvertes des vaisseaux, les désarticulations étaient réalisées dans un minimum de temps, sans compter les mises au point de techniques opératoires classiques ou nouvelles. Combien j'ai déploré, ces dernières années, la dégradation progressive des disciplines de base de la chirurgie devant les hésitations de certains internes réalisant cependant des interventions mais ignorant autant l'usage du couteau à amputation que le nom de Farabeuf.

A la fin de sa première année, M. Hamant fut reçu à l'Externat et accomplit son premier stage dans le service du Pr Weiss dont il devait être le chef de clinique. Il fut ensuite externe du Professeur Bernheim qui s'illustra par ses travaux sur l'hystérie mais qui n'en était pas moins un parfait professeur de séméiologie. M. Hamant l'a défini un « excellent clinicien, ponctuel, sachant retenir l'attention ». Aux concours de fin d'année, M. Hamant enleva tous les prix : Anatomie, Histologie, Physiologie, Physique et Chimie. Parallèlement, poursuivant ses études d'anatomie, il était nommé successivement aide d'anatomie puis prosecteur. A la fin de sa 3e Année, il fut reçu au concours de l'Internat, 3e de sa promotion, celle de 1907 avec Heully *, Legris, André Boeckel, Fritsch et Pillot.

Son premier service fut la Maison de Secours, à l'époque considérée comme service chirurgical bien qu'on y soigna des affections cutanées, des ulcères de toutes variétés et des troubles gynécologiques. Le Pr. Vautrin, puis le Pr. Février en furent les titulaires. Ce dernier, chirurgien militaire, fut un excellent maître pour le jeune interne. Mais le chef de service suivant fut un médecin, le Pr. Louis Spillmann. De là, date l'amitié du Pr. Hamant pour son maître Spillmann qui, devenu doyen, fut un de ses plus zélés protagonistes à l'heure de la désignation pour la chaire de clinique que devait illustrer le Pr. Hamant.

M. Hamant passa ensuite une année d'internat comme bénévole au Service du Pr. Herrgott, directeur de la Maternité. Il y fit la connaissance d'un jeune agrégé déjà réputé dit-il par sa « science, ses succès et son urbanité », le Pr. Fruhinsholz. En 1908, après avoir remporté le prix de chirurgie et d'accouchement, il est obligé de par les circonstances de choisir le Service du Pr. Rohmer, brillant chirurgien mais déjà orienté vers l'ophtalmologie. M. Hamant en profite pour combler ses lacunes en fréquentant les Services de Paul Spillmann, Pierre Parisot et Georges Etienne. Il devint ensuite chef de travaux d'Anatomie et dirigea seul pendant plusieurs mois le laboratoire tout en devenant l'interne du P. Weiss. C'est avec ce maître, opérateur précis et méticuleux, d'un diagnostic sûr et d'une culture étendue dit M. Hamant qu'il apprit « l'art d'être exact, de commencer son travail de très bonne heure et de bien préparer ses tâches journalières ». Chef de clinique en 1912 chez M. Weiss, il effectue une étude expérimentale de l'hydatidose péritonéale à laquelle il consacre sa thèse, remportant le Prix en 1913.

Mobilisé le premier jour de la guerre de 1914, il rejoignit à Troyes l'ambulance 14/20. Il prit part à la bataille de Lorraine puis, dirigé sur la Somme, il organisa en hôpital une école de Montdidier avec Armbruster, futur sénateur de l'Aube. Celui-ci rejoignit bientôt une mission française en Roumanie et en laissa l'entière responsabilité au Dr. Hamant déjà en pleine possession de son admirable maîtrise chirurgicale. Le nouvel hôpital dont le judicieux aménagement avait fait mériter à son auteur les félicitations du médecin-inspecteur Nimier, ne recevait que des blessés des membres.

En raison dit-il de la carence des médecins de l'ambulance, M. Hamant avait formé trois équipes d'infirmiers et pouvait ainsi opérer à toute heure, sans arrêt et dès l'arrivée des blessés. Petit à petit, il s'enhardit et en vint assez vite à rechercher systématiquement les balles ou éclats et les débris vestimentaires en explorant les blessures sur tout leur parcours. Il pansait lui-même ses opérés. Constatant les bons résultats et la cicatrisation rapide des plaies, il tenta de les fermer de plus en plus et en arriva assez vite à pratiquer des sutures primitives. Fut alors désigné un nouveau médecin-chef, le Pr. Gaudier de Lille. Ce dernier était un chirurgien très distingué, d'une grande culture mais très préoccupé alors par le sort de sa famille laissée à Lille en territoire occupé. Il était très bon musicien et jouait de l'orgue. Dans les périodes de calme, il se livrait à sa passion favorite sur un excellent instrument qu'il avait découvert à proximité. Les séances, parait-il, se prolongeaient quelquefois toute la matinée.

Pendant ce temps, son adjoint soignait, opérait et pansait les blessés, mettant au point cette technique des sutures primitives des plaies de guerre qui fut une étape importante dans l'évolution de cette chirurgie. Il alla exposer ses résultats à Compiègne à l'Hôpital Royal-Lieu qui devait devenir tristement célèbre en 1940. Ses communications furent accueillies avec un scepticisme suscitant même des critiques acerbes. Cependant, après ses démonstrations, un certain nombre de chirurgiens vinrent le visiter, examiner les opérés, contrôler les techniques et, voyant les résultats, furent rapidement convaincus. Ce ne fut que plus tard, dit M. Hamant, que le Pr. Fiessinger vint examiner bactériologiquement les plaies et les exsudas et confirmer les résultats empiriques d'un procédé basé seulement sur une pratique méthodique et un contrôle personnel des plaies traitées précocement et intégralement.

Ses observations dépassaient déjà la centaine. Le Pr. Mathieu, chirurgien des hôpitaux de Paris, dirigeait alors à Montdidier un service de blessés de l'abdomen. Les résultats de M. Hamant l'avaient convaincu et il le poussa à les communiquer à la Société de Chirurgie. Le Pr. Gaudier se chargea de publier les observations mais sans toutefois mettre en valeur et à leur juste place - sans le citer même parait-il - les mérites du véritable auteur de la méthode. Je ne crois pas que mon maître en ait conservé de la rancune car il se retrouva avec son ancien médecin-chef en parfaite harmonie dans le jury d'Agrégation de 1933 pour me nommer avec mon camarade Bodart.

Entre-temps, M. Hamant muté à Lihons et victime d'une attaque de gaz, avait présenté par la suite une hémoptysie grave. Voici comment lui-même raconte cet accident : au moment des attaques de Verdun en 1916, il avait été détaché à l'Ambulance du corps colonial. L'ennemi déclencha alors brusquement une attaque par gaz. Sous la violence et la soudaineté de l'assaut, de l'efficacité des gaz qui n'étaient pas encore connus, les coloniaux furent refoulés. L'effet de surprise passé, une brillante contre-attaque repoussa les agresseurs, mais il y a eu de nombreux blessés et intoxiqués. M. Hamant passa toute la nuit à trier et à opérer les blessés, sans aucune précaution ; les masques étaient entassés dans d'immenses caisses avec interdiction d'y toucher.

Le lendemain, il eut une première et forte hémoptysie. Il ne voulut y voir que la traduction d'une bronchite compliquant une poussée grippale et il continua à panser et à opérer les blessés. Cependant, les hémoptysies se répétaient et, malgré son refus d'évacuation, sur l'ordre impératif du Pr Nimier, il fut dirigé sur l'Hôpital d'Amiens. Le traitement de la tuberculose pulmonaire était alors très décevant. Après divers séjours à Lyon, à Nancy, à Grenoble enfin où il fut réformé, M. Hamant fut envoyé à Cambo. Il était extrêmement fatigué, fébrile, avec de petites hémoptysies et une résistance physique extrêmement diminuée. « Il avait perdu 60 kilos ». Mon Maître m'a plusieurs fois parlé de ce long séjour en sanatorium, de la vie souvent dissipée des jeunes malades voués, le plus souvent, à une mort prochaine et qui ne tenaient qu'à profiter du peu de temps qu'il leur restait à vivre... « Ignis aurum probat, miseria fortes viros ». Il était le seul survivant de ses compagnons d'Hôpital grâce à la volonté qu'il avait de guérir et surtout d'accomplir scrupuleusement tout ce qui était nécessaire - voire indispensable - pour y parvenir. D'où cette discipline rigoureuse qu'il s'imposa chaque jour pour pouvoir, en dépit d'une santé toujours fragile, mener à bien une vie des plus actives et des plus remplies.

Dès son retour à Nancy en 1919, il reprit son service en prenant de multiples précautions et conservant, pendant de nombreuses années, des poussées de pleurite qui réapparaissaient à chaque effort. Tout en préparant les concours, il commençait une clientèle privée qui allait rapidement s'accroître et devenir des plus florissantes. Il ne faut pas oublier, qu'à l'époque, la fonction hospitalière était gratuite et que le chef de clinique, cheville ouvrière des Services, ne touchait qu'une maigre contribution de la faculté pour l'enseignement. M. Hamant, déjà père de famille, était chargé de lourdes obligations matérielles auxquelles il avait mis son honneur à faire face.

En 1920 s'ouvrit un concours d'Agrégation. M. Weiss fut nommé Juge pour Nancy. Il insista parait-il beaucoup pour faire inscrire M. Hamant. Mais malheureusement, au dernier moment et pour des raisons extra-médicales, il se désista et fut remplacé par le Pr. Vautrin. M. Hamant ne fut pas nommé mais, dès le soir de la dernière épreuve, il rentrait à Nancy car M. Weiss avait hâte de le voir revenir pour s'occuper de malades qu'il ne voulait pas opérer sans lui.

En 1922, son clinicat terminé, M. Hamant devint l'Assistant de M. Froelich orthopédiste déjà connu, ce qui lui permit d'enrichir son expérience dans la spécialité, puis fut reçu au concours d'Agrégation de 1923. L'Agrégé était alors nommé pour 9 ans et devait une heure de cours par semaine s'il n'était pas chargé d'enseignement, ce qui était la règle au début. En dehors des deux grandes cliniques chirurgicales, les Hôpitaux ne comportaient aucun service « ouvert ». Cependant, il y avait des « dépotoirs » : une sorte d'infirmerie chirurgicale à la Maison de Secours et un service de convalescents à l'Hôpital Maringer. Ce service où je fus externe en 1923, sans « entrées directes », recrutait ses pensionnaires dans les 2 cliniques chirurgicales. On y trouvait des fractures plâtrées, des convalescents d'interventions diverses, des malades chez lesquels certaines contre-indications chirurgicales avaient été posées, bref un service « sans intérêt » et où, en général, le chef ne passait que quelques heures par semaine. « Dans ces salles soi-disant déshéritées dit M. Hamant, j'opérais quasi chaque jour assisté d'un interne dévoué le Dr Malton ». On pourrait ajouter malgré l'inconfort des locaux, des couloirs non chauffés, de la salle d'opérations bonne à tout faire, sans éclairage, avec un poêle « Godin » chargé à la houille chaque matin. C'était la démonstration du dynamisme du futur professeur de clinique.

Les deux cliniques chirurgicales de la Faculté étaient alors dirigées par les Professeurs Vautrin et Michel. M. Vautrin avait une réputation très étendue due à une adresse remarquable, une énorme puissance de travail et une ingéniosité sans cesse en éveil. Ses cliniques étaient très suivies car il était un excellent enseigneur, doué d'un talent oratoire légèrement emphatique mais très prisé des étudiants. Son service était très recherché des externes. « Son verbe enchanteur, son exceptionnelle distinction, son élégante douceur faisaient de lui pour l'externe débutant que j'étais, la plus fascinante figure d'initiateur qu'on puisse rêver ». Malheureusement, depuis quelques années, il était atteint d'un emphysème pulmonaire dont il souffrait sans arrêt et l'obligeait à passer des nuits assis dans un fauteuil. Une crise plus forte l'arrêta quelque peu. Il paraissait complètement rétabli lorsqu'une nouvelle poussée l'emporta en quelques jours ouvrant prématurément sa succession professorale.

C'était en 1927. J'étais alors interne du Pr. Spillmann, doyen de la Faculté. Ce dernier avait l'habitude de discuter devant son personnel et les étudiants de son service des « affaires » de la faculté, ce qui nous amusait beaucoup et n'était pas dans les habitudes de l'époque. Il nous interrogeait pour connaître le « pouls » de la base suivant la terminologie actuelle. M. Hamant était le plus jeune des trois agrégés en compétition. Il avait indiscutablement la faveur du doyen et de la plupart des étudiants qui déjà le jugeaient un remarquable opérateur. Ce fut aussi l'avis du conseil de faculté qui lui accorda une majorité très confortable. Il fut donc nommé titulaire de la chaire de Clinique Chirurgicale B en 1927. C'est là qu'il donna toute sa mesure jusqu'en 1953. M. Hamant, témoin du développement extraordinaire de la chirurgie et de la naissance des spécialisations a été essentiellement un « chirurgien général ». Sa formation datant du début du siècle fut surtout anatomique mais il s'adapta progressivement aux autres disciplines physiologiques et fonctionnelles.

Ses premiers travaux constituent une très importante contribution à l'étude et à l'évolution du traitement de la plaie de guerre et de ses incidences sur la pratique civile. Ces recherches et leurs applications sont liées essen­tiellement aux tragiques événements qui ont fait sacrifier à toute une génération, pour le service de la patrie et de la collectivité, une bonne partie de leurs plus belles années. Si l'on en croit certaines chroniques, les chirurgiens du début de la guerre de 1914 semblaient bien mal préparés à leur future mission. Mais, pensons-nous, si les recherches et les travaux de M. Hamant ont été si rapidement couronnés de succès, c'est que cette question ne lui était pas étrangère. Il était alors chef de clinique du Pr. Weiss avec lequel il collaborait depuis 1910 et sûrement très documenté sur les blessures causées par les projectiles. En effet, M. Weiss médecin principal de 2e classe de l'armée territoriale avait publié une monographie sur les « leçons sanitaires de la guerre des Balkans » dont on trouve le compte-rendu sous la plume de Louis Sencert.

Ce livre contenait des documents importants avec de très nombreuses photographies dont une bonne part avaient été prises sur les champs de bataille par des élèves serbes, bulgares ou grecs du Pr. Weiss et envoyées à leur ancien Maître. On notait déjà dans ces pages un aspect sanitaire particulier de ces guerres, surtout de la seconde guerre balkanique ou la proportion avait été très élevée (jusqu'à 53 % des blessés) de blessures par éclats d'obus et graves parce qu'infectées (70 % des cas). Heureusement, disait l'auteur, que les blessures par balles ne sont pas si meurtrières malgré les déformations des projectiles qui ne restent pas pointus. Le chirurgien constatait avec stupéfaction que beaucoup de perforations du crâne, du thorax et de l'abdomen étaient suivies d'invraisemblables guérisons : d'où les mérites de la désinfection immédiate, du pansement individuel et de l'évacuation. Mais voici la conclusion : « Plus encore que dans la chirurgie civile, « la conservation à outrance » doit être la règle dans la chirurgie de guerre : s'abstenir de tamponnement, de sondages, de recherches intempestives des projectiles et en somme de toute opération précoce, sauf celle que nécessitent l'asphyxie menaçante ou les graves hémorragies et s'en tenir à une chirurgie de surveillance et d'expectative ». Le Pr. Weiss avait donc formulé une bonne part de prévisions justes qu'il résuma, du reste, de la façon suivante : « Alors que tous les auteurs admettaient auparavant la proportion de 10 pour 100 de plaies produites par éclats d'obus, j'établissais que cette fréquence serait fort augmentée et je pensais qu'elle serait de 40 pour 100 au moins. Cette prévision fut encore bien dépassée lors de la guerre de tranchées que nous eûmes à supporter si longtemps. J'avais, à ce moment, prôné d'utiliser des ambulances de première ligne : vous savez tous combien la justesse de cette idée s'est trouvée vérifiée, mais que de rapports furent nécessaires pour en faire établir le bien fondé ! Dans cette même publication, j'établissais l'importance de l'utilisation d'un personnel habitué à travailler en commun. J'écrivais : le bon travail sera fourni par une équipe chirurgicale et non pas par des médecins assemblés au hasard. On connaît le rendement d'un chirurgien servi par ses aides habituels. J'y prônais aussi l'emploi systématique de la radiologie et le groupement des blessés par catégories. Cette idée, utilisée depuis, prévoyait des centres de fractures par exemple qui ont permis de si beaux résultats. » Il écrivait cependant en conclusion « le traitement conservateur de la plaie de guerre devait rester la règle. » Et c'est précisément l'action chirurgicale immédiate permettant souvent la suture primitive qui sera la contribution personnelle très importante de M. Hamant.

Le Pr. Weiss explique, après la guerre 1914-1918, dans une revue générale qui est une leçon, du reste recueillie par le Dr Hamant chef de clinique en 1919, le cheminement de la pensée chirurgicale concernant la plaie de guerre. « C'est que l'on avait oublié de remarquer que la grande majorité des chirurgiens qui avaient pu suivre les armées combattantes n'avaient été autorisés à le faire que de loin. Les blessés qu'ils avaient vus étaient donc en quelque sorte des blessés sélectionnés, vus tout au moins quelques jours après leur blessure. Ce qui fut décrit ce fut, non pas le blessé sur le champ de bataille, mais le blessé qui avait survécu après une longue et dure évacuation : le blessé qui n'avait pas été victime des infections primitives, précoces ; le blessé arrivé à l'intérieur et non le blessé vrai, complet, intégral. Il fallut, malheureusement, un certain temps pour s'apercevoir que les indications données pour le traitement et l'évacuation des blessés étaient insuffisantes et qu'il ne suffisait pas d'un bureau d'emballage et d'expédition pour guérir et récupérer rapidement des soldats. L'étude plus détaillée, plus précise, des blessés et de leurs plaies, contribua beaucoup à faire accepter de nouvelles méthodes ».

De ces recherches auxquelles avaient pris une part active MM. Weiss et Hamant découlaient les vœux émis à l'unanimité au premier congrès de chirurgie d'après-guerre. Dans toutes les formations hospitalières, les services de chirurgie devront être pourvus : D'une installation garantissant d'une façon absolue la stérilisation des instruments, de l'eau et de tous les objets de pansements - De l'application à la chirurgie civile des enseignements de la guerre. Leçon recueillie par le Dr Hamant, chef de clinique (Revue Médicale de l'Est - 1919 p. 169-186) - D'une installation de radiologie (radiographie et radioscopie) - D'un laboratoire suffisamment outillé pour permettre de faire les examens histologiques, chimiques et les recherches bactériologiques constamment indispensables à l'examen et au traitement des malades.

J'ai regretté bien souvent pendant ma carrière hospitalière que ces vœux ne soient pas toujours réalisés. J'ai répété souvent aussi que, malgré la profusion de moyens mis théoriquement à notre disposition, les chirurgiens de la guerre 14-18 suivaient mieux l'évolution des plaies que nous. Ainsi donc la participation nancéienne à l'évolution des idées concernant le traitement des plaies de guerre et son influence considérable sur la pratique civile fut très importante. Les traumatisés de la route, nouveau fléau familial, social et humain bénéficient tous les jours, hélas, de ces notions chèrement acquises.

M. Hamant devint chirurgien de la maternité dès 1923 sur la proposition de M. Fruhinsholz avec lequel il entretint toujours des liens d'amitié. Il la reporta ensuite sur son petit-fils, le Pr. Larcan et ne cachait pas sa joie d'avoir présidé le concours d'internat où ce dernier devait être nommé major. La Clinique Obstétricale était alors très modestement installée dans une aile de la Maison Départementale de Secours. Elle n'en brillait pas moins d'un très vif éclat tant par la personnalité de son directeur, gendre du Pr. Pinard alors à l'apogée de sa renommée, qu'à la valeur de l'enseignement et à la discipline du Service. Tout y était impeccable, depuis les archives et les observations, les soins donnés aux parturientes, la tenue des sages-femmes alors dirigées par Mlle François. M. Fruhinholz, sa blouse élégamment ajustée aux poignets, faisait dès 8 heures du matin une visite commentée et minutieuse. Tous ceux qui l'ont suivie gardent le souvenir d'un enseignement doctrinal et précis, particulièrement précieux en un temps où l'accouchement était encore du domaine du praticien. Dès qu'une indication chirurgicale était posée, on faisait appel à M. Hamant qui, aidé du Pr. Vermelin alors jeune agrégé, faisait avec succès les interventions gynécologiques et obstétricales les plus délicates de l'époque. Il put ainsi exposer, dès 1922, les résultats de plus de 100 myomectomies au cours de la grossesse alors que cette opération restait encore une intervention d'exception pour beaucoup de chirurgiens. Cette fructueuse collaboration continua dans la nouvelle maternité qui fut pendant longtemps le seul établissement hospitalier moderne de Nancy, parfaitement installé grâce à la diligente collaboration du directeur M. Jattiot. Elle devint bientôt le centre de l'activité obstétricale et gynécologique avec de plus jeunes collaborateurs, en particulier MM. Hartemann, Louyot, Richon.

Avec M. Hamant nous assistions régulièrement aux réunions de la Société de Gynécologie et d'Obstétrique de langue française. A la fin d'une séance, M. Hamant me fit part de la proposition qui lui était faite : un rapport sur les « moyens sociaux de dépistage du cancer du col d'utérus » avec le Pr. Koenig de Genève. Avant de l'accepter, il me demanda ma collaboration car le sujet nécessitait des enquêtes importantes. J'acquiesçai bien volontiers. J'avais, en effet, envisagé une thèse sur le diagnostic précoce du cancer du col de l'utérus après avoir eu connaissance des travaux d'Hinselmann de Hambourg et de ceux de Winter, qui en Prusse Orientale avait déjà pratiqué des campagnes de dépistage.

Funk-Brentano, chargé en 1955 d'un rapport au congrès de chirurgie sur le même sujet, fut très étonné d'apprendre que dès 1930, 25 ans auparavant, avec M. Hamant nous avions largement utilisé la colposcopie décrite tant dans ma thèse que dans plusieurs publications. M. Hamant avait acquis le colposcope de Leitz, bien sûr à ses frais, Car, à l'époque, les cliniques ne possédaient aucun crédit. Hinselmann avec lequel nous sommes restés en relation jusqu'à la guerre, nous avait délégué une assistante pendant une quinzaine de jours avec d'abondants documents : photographies, aquarelles, préparations microscopiques montrant tous les degrés du développement du cancer. On y a peu ajouté depuis ! Nous reprîmes bien des fois la rédaction du rapport, supprimant les exposés obscurs et modifiant les passages incertains. M. Hamant aimait le style sobre et très simple. Il insistait, en particulier, sur la nécessité de parler à chacun le langage qu'il comprenait ; ceci est essentiel lorsqu'on rédige le texte d'une campagne anticancéreuse. Depuis ce temps, nous avons pu nous rendre compte combien la nébulosité de l'exposé pouvait cacher l'indigence des idées ! La réunion eut lieu à Bordeaux en septembre 1931 et la journée consacrée au rapport à Arcachon. Par malheur, le soleil resplendissant et la douceur de l'air incitaient plus les auditeurs à goûter les charmes d'une promenade sur le bassin qu'à travailler. C'est devant un auditoire réduit mais cependant attentif que mon maître fit son exposé. Avec le Pr. Ducuing, nous reprimes à Toulouse le même sujet quelques années plus tard.

M. Hamant excellait dans le traitement chirurgical du cancer du col. Sous rachi-anesthésie qu'il pratiquait très élégamment, il réalisait de façon parfaite le Wertheim en 50 minutes à 1 heure. Récemment, j'écoutais les doléances d'un urologue très qualifié sur la fréquence des complications urinaires, fistules etc. du Wertheim entre les mains de jeunes chirurgiens cependant aidés de tous les perfectionnements de l'anesthésie et de la réanimation. Je continue à croire que l'expérience et la discipline restent le tremplin de la bonne chirurgie. Avant l'ère des antibiotiques, le traitement chirurgical des salpingites et des pelvipéritonites s'imposait souvent même chez de jeunes femmes. Avec précision et une aisance étonnante, sans l'issue à l'extérieur d'une goutte de pus, il faisait les hystérectomies les plus délicates avec succès alors que l'enjeu terrible était la péritonite, souvent mortelle, et dont la thérapeutique était particulièrement désolante.

Madame Hamant nous recevait somptueusement et, après le repas où s'affrontaient les délices de la gastronomie, il était de coutume avec les rafraîchissements de déployer les tables de bridge ou quelques externes doués avaient tendance à prolonger la soirée. Notre maître devisait aimablement en nous faisant les honneurs de sa magnifique galerie de tableaux. Mais bien avant minuit, on voyait, à des signes imperceptibles seuls connus des initiés, ses efforts pour ne rien laisser paraître de son désir de repos. Sachant qu'il serait debout le lendemain à 5 heures et peut-être dérangé la nuit, je battais le rappel pour diriger la joyeuse cohorte à « l'Excelsior » où se terminait la soirée.

Il a pu faire face ainsi à une vie professionnelle, universitaire et hospitalière des plus remplies - sans défaillance apparente - quoiqu'à certains moments, il présenta de petites rechutes. Je me souviens qu'après le concours d'Agrégation de 1933 auquel il prit part, il accusa une assez longue période de fatigue. Malgré cela, il continuait à faire son service et à opérer. Cependant, à plusieurs reprises, il me demanda de fermer les parois pendant qu'il se reposait étendu sur une table d'opérations voisine en attendant de commencer l'intervention suivante.

C'est cette image du courage personnifié que conservent de lui ses élèves. « Ecole de saine rudesse et d'austère discipline, non pas tant imposée qu'allègrement consentie, dans la contagion de l'exemple d'un Maître véritable qui s'impose à lui-même beaucoup plus qu'il n'exige de ses élèves ». De par son caractère, de par son brio et sa rapidité technique, M. Hamant acceptait mal certaines disciplines, en particulier, celle de l'anesthésie locale longtemps pratiquée dans la chirurgie gastrique. Il continuait à faire les gastrectomies à l'anesthésie générale à une époque où cette dernière était encore meurtrière.

Il comprenait difficilement aussi le démembrement de la chirurgie. Il admit avec réticence la spécialisation de notre jeune collègue Rousseaux qui, à l'instigation du Pr. Michel, s'initiait à la neuro-chirurgie. Enlevé prématurément, ce dernier eut pour successeur son élève Lepoire, particulièrement doué, qui devint le gendre de M. Hamant et le titulaire actuel de la chaire. Lorsque je manifestai de l'intérêt pour la chirurgie thoracique, je reçus de mon maître peu d'encouragement. Mais lorsqu'après la guerre, je présentai, tant au Congrès de Chirurgie qu'à l'Académie, mes premiers succès en chirurgie de l'œsophage, il me félicita disant que c'était à mon tour d'avoir la charge de la chirurgie de pointe. Il avait cependant réussi, grâce à sa maîtrise opératoire, plusieurs exérèses brillantes mais les suites en avaient été troublées par une réanimation insuffisante et dont l'entière responsabilité était assumée à ce moment par le chirurgien.

Comme il nous le recommandait pour l'exposé des titres et travaux lors de l'Agrégation, je n'ai retracé que les grandes lignes de l'activité scientifique et chirurgicale de M. Hamant, mais ses publications furent nombreuses, tant avec ses maîtres qu'avec ses élèves.

Dès son arrivée à la Clinique Chirurgicale B en 1927, il installa à ses frais un laboratoire d'Anatomie Pathologique d'où sortirent de nombreux travaux en collaboration d'abord avec son ami Cornil, jeune agrégé arrivant à Nancy, et ensuite avec son interne Mosinger. Ce dernier après avoir longtemps travaillé avec Roussy s'orienta définitivement vers la biologie et la médecine légale dont il devint titulaire à Marseille. Le Pr. Hamant dirigea pendant 26 ans la Clinique Chirurgicale B de la Faculté de Médecine ; son travail et son rayonnement y furent considérables.

Il fut mobilisé en 1939 comme médecin capitaine puis commandant, chef de service de chirurgie de l'Hôpital Sédillot à Nancy où je le rejoignis au début de 1940. Nous soignions quelques blessés de la Warndt et surtout, pendant cette période de la guerre froide, des fractures et des entorses de toutes variétés. Une salle était réservée aux entorses du genou. A l'entrée du chef de service lors de la visite, c'était un véritable spectacle de voir, quadriceps tendu, les membres inférieurs décoller lentement le talon du plan du lit, s'élever progressivement jusqu'à la verticale, puis s'abaisser à nouveau, pendant que nous traversions la salle d'un pas mesuré et que le patron jetait un coup d'œil circulaire pour voir si tout était en ordre (la kinésithérapie officielle n'était pas encore inventée).

Ce souci de la tenue parfaite du service était inné chez lui. Tant dans les Hôpitaux Civils que militaires, tout marchait au doigt et à l'œil. Il n'y a pas que des besognes glorieuses dont doivent s'occuper les grands hommes : Jean Patel raconte que Mondor au milieu des cliniques les plus éblouissantes, forgeant des mots neufs, découvrant des lésions masquées prenait soin, avant de partir, d'être rassuré d'un coup d'œil de la bonne tenue des locaux, des linges, des soignants.

En juin 1940, l'Hôpital Sédillot ayant été évacué, nous prîmes hélas la route du Midi et arrivâmes à Penne d'Agenais près de Villeneuve-sur-Lot où nous retrouvâmes notre collègue Lienhardt de la Faculté des Sciences et où nous attendîmes les ordres. L'armistice fut signé, puis la démobilisation commença. M. Hamant au lieu de demeurer avec les officiers vint rejoindre simplement notre petit groupe, nos amis Rousseaux et François Mathieu, notre infirmier Verrier avec lequel nous fîmes une petite « popotte » à « l'entrepôt Sémézis » où nous logions alors que M. Hamant avait une chambre chez le curé de St-Sylvestre-sur-Lot.

M. Hamant réussit à rentrer rapidement à Nancy qui se trouvait dans la zone particulièrement difficile d'accès. Il reprit alors son service avec les moyens très limités de l'époque aussi bien en matériel qu'en personnel. Son chef de clinique, le Dr Rothan s'était installé à Toul, son successeur Bergeron à Epinal. Il fut aidé pendant long­temps par Hautdidier avant de retrouver de nouveaux collaborateurs. Il circulait à bicyclette, ce qu'il affectionnait du reste. Il avait fait dans sa jeunesse de longues randonnées dans la vallée du Rhin avec son père pour lequel il avait une grande vénération et qu'il entourait de toute sa piété filiale.

Sous des dehors impassibles et même rudes, M. Hamant avait en effet un cœur sensible. Il perdit sa mère en 1929 et avant de prendre mon premier service d'interne chez lui à la Toussaint, nous allâmes à la Maison familiale près de l'église de Bon Secours lui rendre les derniers devoirs. Avec son ami de toujours, le Dr. Verain, j'eus le triste privilège de lui annoncer, à son service, la mort presque subite de Madame Hamant. Il eut le courage de terminer la conférence qu'il avait commencée. Jusqu'à la fin de sa carrière hospitalo-universitaire, il remplit ses fonctions avec la même régularité attendant cependant les vacances qu'il allait passer dans sa propriété de Golfe Juan. C'est là qu'il se retira après le mariage de sa dernière fille, Madame Lepoire, et sans attendre l'âge de la retraite officielle. Il fut Rédacteur de la Revue Médicale de Nancy dont nous fêtons le centenaire, de 1936 à 1962. Entre ses mains, le Journal subit une entière rénovation et connut une prospérité remarquable. Pendant plusieurs années, il continua depuis sa nouvelle résidence à s'occuper de la Revue Médicale. Il revenait à Nancy assez souvent pour le Journal, pour sa famille et ses affaires personnelles.

Il passa ses dernières années dans le midi où, malgré la distance, venaient le voir souvent ses filles mariées à deux de nos collègues qui avaient été ses élèves, son second fils et ses petits enfants. Il avait une foi simple dont il ne faisait pas étalage. Son fils aîné, d'abord prêtre du diocèse, avait été ensuite chargé d'un ministère à Nice. Il put apporter à son père une assistance familiale plus présente loin de sa Lorraine natale. M. Hamant devait mourir à Cannes le 23 janvier 1973. Il repose dans le caveau de famille au cimetière de Malzéville.

M. Hamant par sa forte personnalité, son organisation méthodique, son audace alliée à une sûreté opératoire rarement égalée a été le modèle de toute une école de chirurgiens. Presque tous ceux de la région et bien d'autres ont été ses élèves et ont gardé de lui le souvenir d'un maître qui fut le chirurgien type de son temps. Grâce à son adresse, à son habileté, il a été parmi les meilleurs d'une génération d'opérateurs qui, à l'apogée de la chirurgie anatomique et malgré des moyens très modestes, ont établi les règles de base de la chirurgie moderne. Il enseignait plus par l'exemple que par le discours. Bien des étudiants et des internes ont appris de lui une médecine pratique, exempte de considérations théoriques discutables qui, pour beaucoup, ont été balayées rapidement par les progrès stupéfiants de la biologie. Travailleur infatigable, magnifique exemple d'auto­discipline et de maîtrise de soi, par son autorité et son rayonnement, il fut un grand chirurgien et un grand chef d'école.

Les Annales avaient le devoir de réserver une place d'honneur au début de ce numéro du centenaire, à l'Eloge de celui qui fut le Rédacteur en Chef de la Revue Médicale de Nancy, la dirigea pendant un quart de siècle à une période difficile, sut maintenir sa réputation et assurer son avenir.

Professeur P. CHALNOT

* Note : Il s'agit probablement du père du Professeur Heully