Deux siècles de dermatologie à Nancy (1801-2001)
par J.
BEUREY, M. WEBER, J-L. SCHMUTZ
Texte extrait de « LA DERMATOLOGIE EN FRANCE »
(sous la direction de Daniel WALLACH et Gérard TILLES) – Editions PRIVAT
La
dermato-vénéréologie nancéienne se développe progressivement : en Lorraine, la
faculté siège depuis 1572 à Pont-à-Mousson et c'est
Louis XV qui la déplace à Nancy en 1768. Elle est supprimée par la Convention
en 1793 pour renaître en 1872 à la suite de la défaite de 1870 et du transfert
à Nancy de la faculté de médecine de Strasbourg.
Créée le 9 octobre 1626 par le duc de Lorraine Charles IV, elle se trouve en 1801 localisée au centre ville. La tourmente révolutionnaire lui fait perdre sa dénomination d'hôpital Saint-Charles : la Convention nationale la dénomme « hôpital de la Commune » qui redevient « hôpital Saint-Charles » en 1820. La congrégation des sœurs de Saint-Charles est dissoute en 1792 mais les religieuses en reprennent l'administration en l'an V, puis le calme revient, facilité par la signature du Concordat entre Pie VII et le 1er Consul (1er juillet 1801).
De 1824 à 1827, de nouvelles salles sont aménagées. Le nombre de lits passe de 112 à 118, car cet hôpital est le seul capable d'assurer à Nancy les soins aux « pauvres malades » et aux abandonnés.
Puis, les locaux deviennent insuffisants: en 1866, les enfants de plus de douze ans sont donc transférés vers « l’asile des orphelins ». Un grenier est converti en dortoir. On songe à abandonner ces locaux trop vétustés pour être rénovés (1869) ; mais la guerre éclate en 1870, ce qui retarde les travaux. Par la suite, les atermoiements sont nombreux, les discussions d'ordre financier interminables entre la Commission des hospices et la municipalité ; elles finissent par aboutir à trois décisions :
1. Construction d'un autre hôpital, réalisée de 1879 à 1883. C'est « l’Hôpital civil » ou « Hôpital central » actuel, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, toujours en activité.
2. Les religieuses transfèrent leur communauté dans un bâtiment construit sur un terrain acheté rue des Quatre-Églises ; la construction en est terminée en 1876. L'actuelle maison mère et la « Maison hospitalière Saint-Charles » sont toujours dans ce bâtiment. Il abrite le service de dermato-syphiligraphie de 1883 à 1914.
3.
Le vieil hôpital Saint-Charles (rue Saint-Jean) est
démoli en 1885 après deux siècles d'activité.
Localisé
sur le Quai de la Bataille, ses locaux sont achetés aux Dames du Sacré-Cœur qui
y dirigent un pensionnat de jeunes filles. La clinique de dermato-syphiligraphie
est alors transférée de la Maison hospitalière Saint-Charles
à l'hôpital Maringer au printemps 1914. Elle s'y
implante aux côtés de services de médecine et de chirurgie; en 1914-1918, ces
divers services abritent des militaires contagieux puis une école de rééducation
d'invalides de guerre qui subsiste jusqu'en 1925.
La clinique de dermato-syphiligraphie étant à l'étroit à l'hôpital Maringer, on entreprend la construction du « dispensaire Fournier », vaste bâtiment de consultation, de traitement, d'hospitalisation et d'enseignement, parfaitement conçu et utilisé encore actuellement avec satisfaction ; il est inauguré en 1925.
Au voisinage de ce dispensaire, on aménage des salles d'hospitalisation pour les femmes dans une aile de l'hôpital Maringer, des salles pour les hommes dans une aile voisine, un dispensaire pour les consultations de blennorragie qui disparaîtra vers les années 1960 du fait de l'efficacité de l'antibiothérapie. De même, annexé au dispensaire Fournier, on aménage en 1925 un service de désinfection et de bains particulièrement actif pendant la guerre de 1940-1945 ; il disparaîtra ensuite, transféré dans les locaux municipaux de la ville de Nancy.
L'hôpital
Fournier constitue donc un vaste ensemble homogène qui à l'heure actuelle
conserve toujours la même structure et la même efficacité.
Au
XIXème siècle, Nancy a donc une faculté de médecine (depuis 1872) et un service
de dermato-syphiligraphie à la « Maison hospitalière Saint-Charles ». Jusqu'en 1908, les professeurs agrégés
nommés chefs de service en dermatologie ne le sont pas forcément en fonction de
leurs connaissances ou de leur vocation dermatologique. À partir de 1908
seulement, il en sera autrement.
Paul
Spillmann (1844-1914)
Agrégé
de médecine en 1880, la faculté lui attribue l'enseignement de la
syphiligraphie car il a été interne d'Alfred Fournier à Paris. Il n'est donc
pas étranger à notre spécialité bien que se destinant à la médecine générale ;
il dirige ce service pendant sept ans. Il n'enseigne que la syphiligraphie, la
dermatologie étant confiée à son collège Herrgott,
accoucheur. Paul Spillmann est un esprit ouvert,
publiant en syphiligraphie, traduisant des ouvrages médicaux allemands, créant
un sanatorium pour tuberculeux à proximité de Nancy. Il devient en 1887
professeur de clinique médicale puis meurt en 1914.
Ces deux spécialités sont unifiées et confiées à des professeurs étrangers à notre spécialité et dont l'activité dermatologique est purement épisodique:
- Professeur agrégé Marie Xavier Joseph Schmitt (1855-1912) : il est chargé de cours de dermato-syphiligraphie en 1887 puis devient professeur dans la chaire de thérapeutique et matière médicale (1891).
- Professeur Alexis Vautrin (1859-1927) : il dirige le
service de 1891 à 1895 étant médecin de la Maison de secours. Il deviendra
titulaire de la chaire de chirurgie en 1914.
- Professeur agrégé Février : il lui succède de 1895 à 1907 et devient alors directeur du service de santé militaire à Paris.
Donc,
jusque-là, notre spécialité n'est qu'un tremplin d'accès à d'autres chaires; il
n'en est plus de même à partir de 1908.
Louis
Spillmann (1875-1940)
Il
est le fils de Paul Spillmann. Cet universitaire
d'envergure, énergique et efficace est agrégé en 1901, et prend en charge
l'enseignement des maladies vénériennes et cutanées. Il est le premier
titulaire de chaire de cette spécialité en 1919. En matière de lutte contre la
syphilis, il devient l'apôtre de la médecine préventive. Il devient doyen de la
faculté de médecine en 1923 ce qui lui donne l'envergure et les moyens de la
politique sociale dont il est le défenseur et l'organisateur; ce « doyen
bâtisseur » construit l'Institut dentaire, l'ancienne bibliothèque de la
faculté, l'Institut médico-légal, le dispensaire des étudiants.
Jules
Watrin (1887-1955)
Dès 1907, il affirme sa double vocation de chercheur fondamentaliste et de clinicien. En 1923, il passe avec succès le concours d'agrégation d'histologie et d'embryologie, puis il accède à la chaire d'anatomo-pathologie en 1938 et se livre à de brillants travaux d'endocrinologie.
Parallèlement, il suit le cursus hospitalier et devient chef de clinique de dermatologie et syphiligraphie (1913), puis il est médecin adjoint du doyen Louis Spillman.
À la fois anatomo-pathologiste et clinicien dermatologue, J. Watrin est tout désigné pour succéder à L. Spillman.
La chaire d'anatomo-pathologie est donc transférée et devient chaire de dermato-syphiligraphie, qui est donc attribuée à J. Watrin en même temps que le service clinique correspondant ; en fin de carrière, il devient président de la Société française de dermatologie et syphiligraphie, en même temps que président du VIIIème Congrès des dermatologistes et syphiligraphes de langue française organisé à Nancy en 1953.
Mais
la maladie le terrasse en 1955, l'année même où gravement atteint, il préside
néanmoins le jury d'agrégation de son élève J. Beurey
avec un courage et une abnégation totale à l'égard de celui-ci. Sa carrière
hospitalo-universitaire a donc visé avant tout à associer dermatologie clinique
et anatomo-pathologie.
Jean
Beurey (né en 1921)
Il est reçu au médicat et à l'agrégation de dermato-vénéréologie en 1955. Il succède donc au professeur J. Watrin. Sous la direction de celui-ci, il vient de rédiger deux rapports au VIIIème Congrès de dermatologie et vénéréologie de langue française (1953): « Lupus érythémateux aigu disséminé » et « Génoneurodermatoses », établissant un lien étroit entre dermatologie et médecine interne, objectif qu'il poursuivra tout au long de sa carrière.
Dans cet esprit, il participe à la rédaction de plusieurs rapports présentés à différents congrès de l'Association des dermatologistes et syphiligraphes de langue française :
-1963. 11ème Congrès : Rickettsioses,
-1973. 14ème Congrès : Toxidermies,
-1986. 18ème Congrès : Xeroderma pigmentosum,
-1989. 19ème Congrès : Borrélioses et maladie de Lyme.
Il en va de même avec l'organisation tous les deux ans à Nancy de Journées nationales dont les sujets dermatologiques sont toujours aux confins de la médecine générale ; nous en citerons trois exemples :
-1969 : Dermatologie et immuno-suppression,
-1978 : Journée franco-britanniques : Peau et maladies gastro-entérologiques,
-1988 : Actualités dermato-rhumatologiques. Parallèlement, il met au service de la clinique son passé de bactériologiste : ancien chef de laboratoire de Bactériologie (1947-1948) et Assistant délégué de bactériologie (1949-1954) il prend en main le laboratoire de sérologie annexé à l'hôpital Fournier et met sur pied la réalisation de tests de Nelson : elle est confiée à deux professeurs de la faculté de pharmacie, Lectard et Hayon. Ce laboratoire créé en 1965 disparaîtra en même temps que l'épidémie de syphilis, en 1985.
Puis, il implante une structure de photothérapie (PUVA), une section d'exploration photobiologique; il installe une salle de traitement par laser (argon et CO2), si bien qu'autour de la partie clinique et thérapeutique, existent finalement de nombreux laboratoires ou sections spécialisées qui donnent une extension considérable au service. Le nombre de lits d'hospitalisation est passé cependant de 100 à 50 lits, chiffre actuel. En octobre 1991, il devient professeur honoraire.
Le professeur Jean Beurey, pendant toute sa carrière, bénéficie de la culture et de l'activité de trois anciens chefs de clinique et collaborateurs éminents :
- Pierre Jeandidier (1911-1991), qui participe spécialement à la rédaction des publications du service,
- Jean-Marie Mougeolle (né en 1926): secrétaire général du GHHDA (Groupement d'études et de recherche en dermato-allergologie), il fait autorité en matière de dermato-allergie,
- Jacques Vadot (né en 1936): ancien président du Syndicat national des dermatologistes français. Il est à la fois un clinicien distingué et un organisateur remarquable.
Les professeurs Max Weber, né en 1934, décédé en 2001, et Jean-Luc Schmutz, né en 1952, prennent la suite et développent le service dans plusieurs directions :
- L'unité de dermato-allergie créée en 1963 par le professeur J. Beurey, est maintenant dirigée par le professeur Annick Barbaud, née en 1959. La prise en charge et l'étude de la physiopathologie des toxidermies sont un axe de recherche essentiel et ont constitué le thème principal du 19ème Cours du GERDA organisé à Nancy en octobre 1998.
-
Le docteur Sophie Reichert-Penetrat, praticien
hospitalier-universitaire, née en 1965, titulaire d'un DEA de génétique, dirige
une consultation de dermato-pédiatrie.
- Le docteur Florence Grand, assistante chef de clinique, née en 1969, est chargée de l'unité plaies et cicatrisation.
- Le professeur Jean-Luc Schmutz, avec l'aide du docteur Jacques Vadot, puis du docteur Marie-Noëlle Gillet-Terver, ancienne assistante chef de clinique, a développé une unité de photo-dermatologie et a organisé les 10èmes Journées de photo-dermatologie de la Société française de photo-dermatologie à Vittel les 8 et 9 octobre 1999.
Enfin, des liens étroits existent avec les laboratoires de parasitologie, mycologie (docteur Nelly Contet-Audonneau), d'immunologie, d'anatomopathologie et de génétique.
La
clinique est actuellement tenue par deux praticiens universitaires et
hospitaliers, un praticien hospitalier, deux assistants chef de clinique,
quatre internes et quinze dermatologistes vacataires. Ils assurent 40000
consultations annuelles.