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Discours du Docteur RENY, Président des Internes (mai 1960) - Extrait

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Mes chers Amis,

Me voici parvenu à l'heure de ce redoutable honneur que m'annonçait le Professeur HERBEUVAL  lorsqu'il y a deux mois, il me demandait de présider le Banquet de l'Internat.

Redoutable honneur, en effet, que celui de retrouver parmi les anciens, ceux qui ont conquis à Nancy des grades très enviés, redoutable honneur aussi que celui de prendre contact avec la jeune génération d'internes en essayant d'oublier les trente, années passées à Saint-Dizier. Cependant, je pressentais en donnant sans hésiter mon acceptation au Professeur HERBEUVAL et au Professeur LAMY qui vient de lui succéder à la tête de notre Association, que l'amitié si chaude de notre vieille salle de garde et les liens solides qui nous unissent tous, faciliteraient bien ma tâche et j'oubliais tous les périls de cette présidence en pensant qu'au soir de notre banquet, jeunes et vieux, professeurs et praticiens, se retrouveraient à égalité avec une pareille charge d'imagination et d'espoir et une fraternité qui emporterait tout autre sentiment.

Je ne me trompais pas et parmi vous ce soir, j'éprouve une joie très douce, mêlée d'émotion et de reconnaissance. Pour commencer mon entretien, il m'est agréable de suivre la tradition et de vous parler d'abord, de mes souvenirs d'internat en me reportant aux années 1923 à 1928.

 

J'ai passé la plus grande partie de mon internat dans le service du Professeur MICHEL, à la clinique chirurgicale A, qui est aujourd'hui le domaine du Professeur CHALNOT.

Le Professeur MICHEL était alors un maître d'une haute conscience professionnelle, d'un dévouement et d'un désintéressement sans bornes. Clinicien très fin, il posait avec méthode ses indications chirurgicales, menait ses interventions avec une grande sûreté et surveillait avec minutie ses suites opératoires. Il était prudent et blâmait avec vigueur le « prurit secandi » de certains de ses jeunes disciples.

D'une stature imposante, il apportait par sa seule présence, la confiance à ses malades. Ses grosses mains qui, au premier abord ne paraissaient pas assez déliées pour la chirurgie, s'animaient au cours des interventions et montraient alors, une habileté étonnante. I1 réalisait avec brio et rapidité certaines opérations auxquelles allaient ses préférences et nous l'admirions en particulier dans les amputations coccy-périnéales du rectum en position ventrale de Depage où il était éblouissant.

Très aimé de ses élèves, il avait su créer avec nous une union affectueuse qui était bien la marque de son service. Il connaissait nos joies et nos peines, encourageait nos ambitions, nous accueillait comme ses enfants dans sa maison de la rue de Rigny ou l'été dans sa maison de campagne de Crévéchamps.

D'un tempérament calme et doux, il avait parfois des sautes d'humeur que rien ne paraissait légitimer ni prévoir, il s'emportait alors et paraissait vouloir tout renverser, mais ses colères ne duraient jamais, elles tombaient aussi vite et le Patron redevenait en quelques instants très bon et très conciliant.

Je me souviens d'une de ces explosions lorsqu'un matin, j'arrivai très satisfait au service en lui annonçant avoir trouvé au cours d'une urgence de nuit, une invagination aiguë gangrenée chez un adulte. « Une invagination ! C'est très rare chez l'adulte, Reny : il s'agissait plutôt d'un volvulus ». Et comme je soutenais qu'il s'agissait cependant bien d'une invagination, il entra dans une violente colère qui m'obligea à disparaître rapidement. Mais lorsque je revins un moment après, avec la pièce à conviction sur un plateau, il la regarda quelques instants et très paternel me dit : « vous publierez l'observation à la Société de Médecine, Reny ! »

Lorsqu'il mourut en 1937, ses obsèques, après une cérémonie solennelle à Nancy, se terminèrent à Bussy-la-Côte, son pays natal, à quelques kilomètres de Revigny. Les fidèles seuls y étaient venus et nous avons accompagné jusqu'au petit cimetière du village, notre Maître qui retrouvait pour toujours les horizons de son enfance et cette terre meusienne qu'il avait tant aimée.

 

Après le Patron, les jeunes maîtres et camarades du service :

GUIBAL, qui fut pendant trois ans mon chef de clinique. C’était un travailleur acharné et un opérateur aux gestes déjà précis et efficients. I1 ramenait de la grande guerre qu'il avait terminée comme lieutenant d'artillerie, non seulement celte opulente moustache à laquelle il resta longtemps fidèle, mais surtout cet esprit de méthode et d'exactitude qui lui permit de se créer rapidement à Nancy, une situation de premier plan. Quant à moi, je lui dois une bonne part de ma formation chirurgicale.

CORNU, calme et bon, cachant, sous un flegme apparent, une grande sensibilité, ami fidèle et d'excellent conseil. Il s’installa à Neufchâteau, deux ans avant que je ne parte à Saint-Dizier et a réalisé là-bas un petit centre chirurgical qui peut être cité comme modèle.

René ROUSSEAUX, camarade d'études et camarade d'internat, qui nous dépassait tous par son brio, sa clarté, par ses facultés d'assimiler et d'exposer les sujets les plus divers. Notre Patron et nous tous restions émerveillés de ses leçons lumineuses, admirablement équilibrées et très documentées. Tout faisait prévoir l'avenir exceptionnel qui s'ouvrait à lui. Pauvre René ! Quel malheur que nous ne puissions te retrouver à cette table aujourd'hui pour te redire toute notre affection, consacrée par tant d'années de travail en commun.

Il me faut dire aussi la profonde gratitude que je garde envers les anciens qui nous avaient alors préparé à l'internat.

Je cite BOHEME, MICHON, CHARLES, BAUDOT, GERBAULT, mais je retiens surtout Louis MATHIEU avec sa patience et son indulgence, avec son bon sens et son esprit clinique remarquable : il nous apprit à examiner les malades au cours des contre-visites à l'hôpital et à faire ces exposés de 10 minutes qui devaient être précis, rapides et cependant suffisamment argumentés. D'autres avant moi déjà lui ont rendu grâce. Que sa modestie ne souffre pas du témoignage supplémentaire que je lui apporte aujourd'hui.

Je revois aussi, comme si je venais de les quitter, les camarades de l'époque, dont beaucoup sont devenus des patrons d'aujourd'hui.

CHALNOT, qui fut en 1923-24 mon premier externe à l'hôpital Maringer dans le service du Professeur BINET. I1 arrivait de Besançon où d’excellents Maîtres l'avaient déjà formé.

Dans cet Hôpital Maringer qui était alors pour les Internes, l'antichambre de la chirurgie, j'appréciais son expérience déjà grande et je mis à contribution son enthousiasme pour faire mes premières armes chirurgicales avec plus ou moins de bonheur.

Je me souviens d'une résection de l'épaule qui m'attira les foudres officielles. CHALNOT me consola sans grand discours : il se mit au piano et m'apporta avec talent le réconfort des harmonies frémissantes de Debussy. Cette image m'est restée gravée dans la mémoire et témoigne d'une amitié que les années n'ont pas effacée.

BODART, qui nous étonnait tous par l'universalité de ses connaissances, une mémoire hors série et une magnifique limousine Berliet avec laquelle il réalisait dans les rues de Nancy, au grand dam des bourgeois de l'époque, des courses effrayantes dignes des meilleurs films d'Harold Lyod. On racontait même que cette limousine l'avait conduit jusqu’à Moscou, mais était-ce vrai ?

MOSINGER, à qui je disputais sans succès le prix Bénit, et, dont bien des années après, j'entendis parler avec admiration par des étudiants à la cape noire de l'Université de Coïmbra, au cours d'un périple au Portugal. Ce qui les étonnait surtout, c'était d'avoir vu MOSINGER apprendre le portugais en quelques mois. Ils n'en revenaient pas.

Les Frères LOUYOT, qu'on appelaient le grand Louyot et le petit Louyot, comme on disait le grand et le petit Reny : les uns comme les autres passaient l'Internat sans se laisser séparer au poteau d'arrivée: les Reny, 6° et 7° en 1923, les Louyot 4° et 5° en 1925. Reprenez la liste des anciens Internes de Nancy depuis 1872 : on n'avait pas encore vu ça et on ne l'a plus revu depuis. Avis aux frères amateurs !

TACHOT : le brillant urologue au teint mat, l'élève chéri du Professeur ANDRE ; il m'apprit à énucléer les adénomes prostatiques au cours d'une période de grandes vacances, sous l'œil bienveillant et complice de Sœur Alexandrine. Vous l'avez revu il y a trois ans à la place que j'occupe ce soir et je sais qu'il vous a étonné par l'élégance et l'humour de son exposé...

Bien d'autres encore dont vous m'excuserez de ne pas rappeler les noms. Mais je pense que tous les souvenirs gardés précieusement dans notre cœur vont paraître fastidieux à nos jeunes. On ne vit pas avec le passé et je sais que mon propos, pour être utilement entendu, doit dépasser les limites de l'histoire ancienne pour rejoindre le présent et même imaginer l'avenir.

Aussi, j'aimerais ce soir, si vous le voulez bien, vous parler du chirurgien de petite ville que je suis depuis 30 ans, de sa condition et de son devenir probable.....