` sommaire

Chirurgie pédiatrique

 

par J. PREVOT

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les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

 

A vrai dire mon orientation pour la chirurgie infantile date de 1956, date à laquelle j’ai été nommé chef de clinique par le Pr. BEAU, nouvellement promu dans ce service à la suite du décès du Pr. ROUSSEAUX (novembre 1955) ce qui a entraîné le départ du Pr. BODART vers la Clinique Chirurgicale B. Le Pr. BEAU que rien ne destinait jusqu’alors à la chirurgie infantile s’est très rapidement adapté à cette discipline au point d’y occuper une place de choix parmi les professeurs éminents de cette discipline.

D’autre part il  a été nommé rapidement Doyen de la Faculté de médecine ce qui m’a laissé beaucoup de liberté. Il s‘occupait essentiellement de représenter la chirurgie infantile auprès des instances supérieures ce qui a abouti à la reconnaissance officielle de cette spécialité  dans l’éventail des disciplines chirurgicales (1957).

Toutes mes activités se déroulaient  au sein du pavillon Virginie Mauvais que l’intéressée avait fait construire sur ses deniers. Nous n’avons déménagé pour l’hôpital d’enfant qu’en 1983. J’étais donc libre de mes mouvements et en plus j’avais le soutien, non négligeable, de mon maître et ami qui avait compris très astucieusement qu’il ne pouvait pas en réalité tout gérer.

Mon premier souci fut de réorganiser la chirurgie néonatale ce qui fut assez aisé car le Pr. BEAU, aidé en cela par ses collègues, avait décidé de se débarrasser de la pathologie des adultes qui occupaient la moitié du Service dont l’ambiance était empestée par la fumée des cigarettes.

Une section de chirurgie néonatale fut donc crée ;  on acheta du matériel adapté à la chirurgie des tout petits pour l’anesthésie, pour la réanimation ; des isolettes furent achetées ; on fit préparer par la pharmacie des solutés adaptés ; bref tout était à faire pour sortir le service du Moyen-Age et concurrencer le service du Pr. CHALNOT  très en pointe à l’époque, et ce fut déjà exaltant.

J’ai pu ainsi obtenir la première guérison d’une atrésie de l’œsophage ; l’enfant s’appelait Schneider ;  puis d’une deuxième qui s’appelait Larnack (1959). A la différence du premier, cet enfant sortait d’un milieu défavorisé et je lui ai longtemps envoyé de petits cadeaux achetés par ma femme.

C’étaient les premières guérisons provinciales  qui ont donné lieu à plusieurs publications et à un livre (PREVOT et RENARD : L’atrésie congénitale de l’oesophage) alors que les parisiens, très en avance, avaient obtenu sous la direction de Pierre PETIT une guérison six ans auparavant et cette guérison était survenue dix huit ans après la première guérison en 1943 aux USA par Cameron HAIGH, pendant qu’en  Europe la guerre faisait rage : on s’amuse comme on peut !

Le reste de la chirurgie néo-natale a subi la même évolution positive (atrésie du grêle, imperforation anale, mégacolon congénital etc..).

Je voudrais faire une mention particulière pour l’Urologie infantile confiée primitivement au Service des voies urinaires. Mais à la suite du congrès de Bruxelles organisé par le Pr. GREGOIR (1956) où nous avions publié et sous l’amicale pression des assistants du Pr. NEIMANN, (les Dr. MANCIAUX et LASCOMBES), l’Urologie Infantile me fut alors confiée.  

Dans ces conditions, le Pr. NEIMANN devait me proposer un rapport sur les uropathies malformatives, en compagnie du Dr CENDRON de Paris et du Pr. AUVERT  de Paris également. Ce rapport devait avoir un grand succès et a amené le Dr  LAUSEKER de Colmar à me confier ses petits malades au grand dam des urologues strasbourgeois.

Nous avions formé le club d’Urologie Pédiatrique qui se réunissait tous les ans et qui abordait des sujets variés mais toujours pointus. Après de nombreuses années, j’ai du abandonner le club à regrets au moment du départ à la retraite de Monsieur BEAU car je voulais sauver l’orthopédie pédiatrique menacée par des appétits redoutables car des chefs de Service voisins non orthopédistes pédiatres s’intéressaient de près à cette chefferie de service.

L’orthopédie pédiatrique était en effet en déshérence. Mr. BEAU n’avait jamais voulu accepter la partition de son service en orthopédie et chirurgie viscérale ; il était chef  de service total 

A la suite d’une démarche pressante du Pr. NEIMANN, relayée par le Pr. PIERSON, j’avais  depuis 1976 une section  de chirurgie néo-natale qui ne me satisfaisait pas pleinement  car je ne pouvais pas y mettre les grands enfants que l’on m’adressait. Or les assistants du Pr. BEAU, les Dr. LEPELLEY et BAUQUEL quoique dévoués étaient des collaborateurs temporaires, plus enclins à cultiver leur avenir qu’à entretenir l’activité du Service.

 Enfin bref différentes hypothèses avaient été échafaudées en prévision de la mise à la retraite du  Doyen BEAU.

C’était l’époque où Mr. MARQUET, Directeur de l’hôpital, trop tôt disparu, ouvrait l’hôpital de Brabois ce qui libérait les bâtiments préfabriqués notamment l’annexe Prouvé B.

Pressentant le joug que le Pr. BEAU m’imposait dans les faits, Mr. MARQUET m’avait confié l’annexe Prouvé B ce que Mr. BEAU avait accepté à contre-cœur mais, à son avis, c’était sans risque car l’annexe Prouvé B était dans un état déplorable.

Avec l’aide et le concours de Madame Sobac, la meilleure de mes infirmières que j’avais fait nommer surveillante, j’ai commencé par déplacer la porte d’entrée qui initialement donnait sur une allée passante de l’hôpital ; avec l’aide du personnel, j’ai fait repeindre les chambres avec des couleurs jeunes et voyantes et puis j’ai su imprimer à cette annexe Prouve B un aspect de jeunesse qui cachait avec bonheur un délabrement réel.

J’ai eu aussi deux brillants assistants les Dr. METAIZEAU et LIGIER qui étaient à la fois bons opérateurs, enthousiastes et très dévoués. METAIZEAU m’avait été confié par le Pr. MONTAUT qui voulait en faire son Assistant. Il n’a pu mener son projet à son terme ce qui fait que J.P. METAIZEAU qui devait faire de la neuro-chirurgie est devenu finalement un orthopédiste pédiatre de renom, installé maintenant à Metz à la suite d’une démarche personnelle que je lui devais car présenté à l’agrégation à la succession du Pr. BEAU, l’Assemblée de Faculté lui avait préféré M. MERLE à la suite d’un ardent plaidoyer du Pr. SOMMELET relayant le Pr. MICHON. Il faut dire que J.P.  METAIZEAU avait très mauvais caractère et n’envoyait pas dire ce qu’il pensait.

METAIZEAU étant par le fait exclu du jeu, j’ai fait nommer l’année suivante mon 2ème élève : Michel SCHMITT qui envoyé au Canada (avec le titre de résident chef pour un an) ne pouvait concourir car il n’avait pas assez d’ancienneté comme assistant quand la succession de Monsieur BEAU s’est ouverte.

Je me suis donc orienté sur l’orthopédie pédiatrique et ce ne fut pas facile, d’abord parce que j’avais une certaine hostilité des collègues, ensuite et surtout parce que le Dr. LESURE qui s’était retiré de la compétition en 1961 à la suite de son échec à l’agrégation (en annonçant au Pr. NEIMANN que la chirurgie infantile disparaissait avec son départ alors que c’était le contraire) se maintenait candidat à la succession de Monsieur BEAU. Il a fallu des subterfuges et le soutien sans faille de tout l’Internat et en particulier de son Président le Pr. ANTHOINE et la complicité du Président de la CMC le Pr. HERBEUVAL et celle de mon protecteur le très apprécié Pr. NEIMANN pour l’éloigner de cette ambition.

J’ai commencé par introniser le Pr. SCHMITT devenu chef de Service au 4ème étage de l’hôpital d’enfants ; puis je l’ai présenté aux collègues du G.E.U.P. (groupe d’études en urologie pédiatrique) en même temps que je donnais ma démission.

Puis j’ai réveillé, non sans mal, mon adhésion  au groupe d’études de la scoliose  et j’ai finalement contribué à la constitution du G.E.O.P. (groupe d’études en orthopédie pédiatrique).

Pendant ce temps, j’entamais avec J.N. LIGIER la réalisation d’un film sur l’Embrochage centromédullaire élastique stable, procédé nouveau et révolutionnaire que nous avions mis au point au Service et auquel METAIZEAU devait apporter sa contribution par sa fougue et un livre sur la technique. Ce procédé a d’abord conquis la Suisse puis l’Allemagne (favorisée par mes modestes compétences en allemand) et enfin les USA. Elle est actuellement reconnue et connue universellement sous le nom de « NANCY NAILING ».

Entre-temps, l’Hôpital d’Enfants avait ouvert ses portes ; c’était une longue histoire qui avait commencé avec le Pr. CAUSSADE et avait abouti à la construction à l’emplacement de l’Ecole des mines actuelles d’un  bâtiment  qui n’avait jamais été achevé, la guerre ayant été déclarée. De plus il y avait une certaine hostilité  à ce projet émanant du Pr. BODART, titulaire à cette époque de la chaire d’orthopédie et qui voyait assez difficilement le rôle qu’il allait  y jouer.

Le projet fut repris et se proposait d’édifier un Hôpital d’Enfants à côté de l’Hôpital d’Adultes sur le plateau de Brabois. Il avait cette fois le vent en poupe  car le Pr. BEAU n’était plus titulaire de la chaire d’orthopédie mais de la chaire de chirurgie infantile. D’autre part il y avait l’influence du Pr.  NEIMANN  et au Ministère celle du Pr. DEBRE. Et puis il y avait le Maire, Mr. COULAIS  qui avait ménagé une entrevue avec Mme Simone. WEIL, réunissant  en plus de lui-même les Pr. M. PIERSON  et  J. PREVOT qui s’est exprimé avec vigueur face au ministre.

Finalement la première pierre fut posée en 1979 et la construction achevée en 1982. L’inauguration fut faite en janvier 1983 par le Ministre de la santé, Mr. RALITE, un communiste que les collègues avaient décidé de boycotter ce que je ne pouvais faire car le Ministre devait visiter mon étage et que j’avais décidé de l’y accueillir.

Entre temps j’avais installé M. SCHMITT à la direction du Service de chirurgie infantile viscérale au 4ème étage de l’hôpital d’enfants et je l’avais intronisé au sein du groupe d’études en urologie pédiatrique, me réservant le 5ème étage pour la chirurgie infantile orthopédique .

En 1983, une conférence à Strasbourg chez le Pr. KEMPF, prononcée par des chirurgiens italiens, devait me sensibiliser à la technique d’un chirurgien soviétique, le Pr. G.A. ILIZAROV, qui utilisait  un système de fixation  osseuse symétrique donc équilibré, utilisant des broches fines et peu traumatisantes à la différence des appareils allemands d’HOFFMANN qui employaient des fiches unilatérales qui se courbaient toujours dès qu’on voulait allonger l’os de façon appréciable. Le système Orthofix a exactement le même type d’inconvénients mais jouit toujours d’un sérieux avantage car soutenu par une propagande financière très active.

Quoiqu’il en soit, je me suis inscrit à un cours sur la technique d’Ilizarov à Dorga en Italie, et j’ai eu, je l’avoue, une grande admiration pour cet homme qui était sortir de rien et dirigeait présentement un Institut totalement ignoré en Occident quoique comportant plus de 1000 lits, et animé par plus de 300 médecins.

J’en suis revenu emballé. J’ai immédiatement commandé le matériel et mis en œuvre les principes et la technique qui s’est révélée plus ardue et comportait de nombreux pièges. Aussi j’ai décidé de m’associer à un groupe de chirurgiens italiens qui se rendait à KURGAN en pleine Sibérie, à l’époque d’ANDROPOV. C’est dire que le séjour de 15 jours que j’ai accompli là-bas a été agrémenté de nombreux interrogatoires et s’est accompli dans un hôtel minable, unique dans la ville, l’hôtel Moskva. Il y avait une beuglante chaque soir, et à part les panneaux d’affichage relatant la photo et les mérites des dirigeants locaux, il n ‘y avait rien pour me distraire à part les défilés de motos-tand-sad qui déboulaient dans un atmosphère empestée et enfumée le dimanche matin, et c’était très pittoresque.

De retour à Nancy, j’étais beaucoup plus armé  pour réussir cette technique. La demande que j’avais faite auprès du Gouvernement français ayant enfin abouti, je suis retourné à Kurgan chaperonné cette fois par une duègne d’âge respectable qui s’appelait Ivguenia et qui était la fille d’un officier. Ivguenia avait été missionnée par le Ministère de la santé de l’URSS qui était en relation avec l’Intourist ce qui fait que sur les 15 jours de la mission, je n’en ai passé que 8 à Kurgan et que le reste du temps je l’ai passé à visiter Moscou qui est une grande ville où les distances sont énormes mais le spectacle permanent.

Je m’étais fait des amis à Kurgan et en particulier le Dr. A. POPKOV qui m’avait suggéré d’inviter le Pr. ILIZAROV à Nancy. La mise en pied de ce voyage fut épique car je ne disposais d’aucun subside à part l’appui de la maison parisienne qui fabriquait le matériel (la maison LUER) mais cette fabrique se faisait sous licence italienne, c’est-à-dire que les subsides étaient très limités. J’ai dû aller en voiture jusque dans la région de Florence pour  chercher ma Vedette (avec  son interprète et un autre chirurgien de Kurgan) car il se trouvait justement en Italie à ce moment ; Je suis revenu le lendemain avec une voiture  chargée à bloc des cadeaux que les Italiens avaient acheté pour leur Idole.

 Le passage de la douane suisse a été une belle aventure car le douanier français très complaisant s’apprêtait à nous autoriser à passer quand il a remarqué le passeport que lui passait l’interprète par la portière. Enfin tout s’est arrangé (le Pr. ILIZAROV avait un passeport diplomatique) et nous sommes arrivés à Nancy à l’heure dite.

A Nancy, le Pr. ILIZAROV devait enchanter tout le Service par deux conférences traduites d’avance et lues par mon assistant le Dr. Pierre LASCOMBES. Il est ensuite allé au Centre de Réadaptation de l’Enfance de Flavigny sur Moselle, puis à la mairie de Nancy où le premier adjoint devait lui remettre la médaille de la ville. Bref son passage a été un succès avec une affluence record venant de tous les coins de France. Ce n’est qu’après que j’ai reçu une énorme facture de l’Hôtel de la Reine concernant le contenu du minibar des chambres qui était pillé chaque jour,  la femme de chambre le regarnissant  « nous n’avons pas retrouvé les emballages » m’a expliqué le directeur de l’hôtel à qui j’avais fait part de mon étonnement. Lorsque le Pr. ILIZAROV a quitté Nancy par le train, j’ai pu alors comprendre pourquoi il avait fallu transporter ses valises à ciel ouvert à travers les voies plutôt que par le souterrain de la gare.

Je suis retourné à Kurgan deux fois par la suite : une première fois pour assister au jubilé du Pr. ILIZAROV, une deuxième fois à l’invitation de Dimitri POPKOV qui venait de séjourner un an dans le Service de Chirurgie Orthopédique de l’Hôpital d’Enfants, invité par moi avec la complicité du Pr. LASCOMBES nouvellement nommé.

Pendant ce temps, j’acquérrais une expérience nationale pour les grands allongements squelettiques notamment chez les achondroplases ce qui m’a valu un recrutement flatteur en France et à l’étranger.

 

Bénéficiant de trois ans de consultanat, j’ai quitté le Service à regrets à 69 ans et demi. Ces regrets étaient partagés par de nombreuses familles que j’avais déçues ne pouvant plus m’occuper de leurs enfants, un allongement squelettique durant trois ans et je partais en  retraite l’année suivante. Je n’avais pas de successeur pour cette activité terriblement astreignante et dangereuse sur le plan médico-légal.

Dans cette époque de vaches maigres, j’ai pu obtenir trois agrégés pour le Service que j’avais du faire fonctionner seul pendant un an. Ainsi donc je pense avoir bien rempli ma tâche, ce qui a été reconnu par le Pr. SCHMITT à l'occasion de sa décoration comme Chevalier de l'Ordre du Mérite.