Chirurgie
pédiatrique
par J. PREVOT
A vrai dire mon orientation pour la chirurgie infantile date de 1956, date à laquelle j’ai été nommé chef de clinique par le Pr. BEAU, nouvellement promu dans ce service à la suite du décès du Pr. ROUSSEAUX (novembre 1955) ce qui a entraîné le départ du Pr. BODART vers la Clinique Chirurgicale B. Le Pr. BEAU que rien ne destinait jusqu’alors à la chirurgie infantile s’est très rapidement adapté à cette discipline au point d’y occuper une place de choix parmi les professeurs éminents de cette discipline.
D’autre
part il a été nommé rapidement Doyen de la Faculté de médecine ce qui m’a
laissé beaucoup de liberté. Il s‘occupait essentiellement de représenter la
chirurgie infantile auprès des instances supérieures ce qui a abouti à la
reconnaissance officielle de cette spécialité
dans l’éventail des disciplines chirurgicales (1957).
Toutes mes activités se déroulaient au sein du pavillon Virginie Mauvais que
l’intéressée avait fait construire sur ses deniers. Nous n’avons déménagé pour
l’hôpital d’enfant qu’en 1983. J’étais donc libre de mes mouvements et en plus
j’avais le soutien, non négligeable, de mon maître et ami qui avait compris
très astucieusement qu’il ne pouvait pas en réalité tout gérer.
Mon premier souci fut de réorganiser la
chirurgie néonatale ce qui fut assez aisé car le Pr. BEAU, aidé en cela par ses
collègues, avait décidé de se débarrasser de la pathologie des adultes qui
occupaient la moitié du Service dont l’ambiance était empestée par la fumée des
cigarettes.
Une section de chirurgie néonatale fut
donc crée ; on acheta du matériel
adapté à la chirurgie des tout petits pour l’anesthésie, pour la
réanimation ; des isolettes furent achetées ; on fit préparer par la
pharmacie des solutés adaptés ; bref tout était à faire pour sortir le
service du Moyen-Age et concurrencer le service du Pr. CHALNOT très en pointe à l’époque, et ce fut déjà
exaltant.
J’ai pu ainsi obtenir la première
guérison d’une atrésie de l’œsophage ; l’enfant s’appelait
Schneider ; puis d’une deuxième qui
s’appelait Larnack (1959). A la différence du premier, cet enfant sortait d’un
milieu défavorisé et je lui ai longtemps envoyé de petits cadeaux achetés par
ma femme.
C’étaient les premières guérisons
provinciales qui ont donné lieu à
plusieurs publications et à un livre (PREVOT et RENARD : L’atrésie
congénitale de l’oesophage) alors que les parisiens, très en avance, avaient
obtenu sous la direction de Pierre PETIT une guérison six ans auparavant et
cette guérison était survenue dix huit ans après la première guérison en 1943
aux USA par Cameron HAIGH, pendant qu’en
Europe la guerre faisait rage : on s’amuse comme on peut !
Le reste de la chirurgie néo-natale a
subi la même évolution positive (atrésie du grêle, imperforation anale,
mégacolon congénital etc..).
Je voudrais faire une mention
particulière pour l’Urologie infantile confiée primitivement au Service des
voies urinaires. Mais à la suite du congrès de Bruxelles organisé par le Pr.
GREGOIR (1956) où nous avions publié et sous l’amicale pression des assistants
du Pr. NEIMANN, (les Dr. MANCIAUX et LASCOMBES), l’Urologie Infantile me fut
alors confiée.
Dans ces conditions, le Pr. NEIMANN
devait me proposer un rapport sur les uropathies malformatives, en compagnie du
Dr CENDRON de Paris et du Pr. AUVERT de
Paris également. Ce rapport devait avoir un grand succès et a amené le Dr
LAUSEKER de Colmar à me confier ses petits malades au grand dam des urologues
strasbourgeois.
Nous avions formé le club d’Urologie Pédiatrique
qui se réunissait tous les ans et qui abordait des sujets variés mais toujours
pointus. Après de nombreuses années, j’ai du abandonner le club à regrets au
moment du départ à la retraite de Monsieur BEAU car je voulais sauver
l’orthopédie pédiatrique menacée par des appétits redoutables car des chefs de
Service voisins non orthopédistes pédiatres s’intéressaient de près à cette
chefferie de service.
L’orthopédie pédiatrique était en effet
en déshérence. Mr. BEAU n’avait jamais voulu accepter la partition de son
service en orthopédie et chirurgie viscérale ; il était chef de service total
A la suite d’une démarche pressante du
Pr. NEIMANN, relayée par le Pr. PIERSON, j’avais depuis 1976 une section de chirurgie néo-natale qui ne me
satisfaisait pas pleinement car je ne
pouvais pas y mettre les grands enfants que l’on m’adressait. Or les assistants
du Pr. BEAU, les Dr. LEPELLEY et BAUQUEL quoique dévoués étaient des
collaborateurs temporaires, plus enclins à cultiver leur avenir qu’à entretenir
l’activité du Service.
Enfin bref différentes hypothèses avaient été
échafaudées en prévision de la mise à la retraite du Doyen BEAU.
C’était l’époque où Mr. MARQUET,
Directeur de l’hôpital, trop tôt disparu, ouvrait l’hôpital de Brabois ce qui
libérait les bâtiments préfabriqués notamment l’annexe Prouvé B.
Pressentant le joug que le Pr. BEAU m’imposait dans les faits, Mr. MARQUET m’avait confié l’annexe
Prouvé B ce que Mr. BEAU avait accepté à contre-cœur mais, à son avis, c’était sans
risque car l’annexe Prouvé B était dans un état déplorable.
Avec l’aide et le concours de Madame
Sobac, la meilleure de mes infirmières que j’avais fait nommer surveillante,
j’ai commencé par déplacer la porte d’entrée qui initialement donnait sur une
allée passante de l’hôpital ; avec l’aide du personnel, j’ai fait
repeindre les chambres avec des couleurs jeunes et voyantes et puis j’ai su
imprimer à cette annexe Prouve B un aspect de jeunesse qui cachait avec bonheur
un délabrement réel.
J’ai eu aussi deux brillants assistants
les Dr. METAIZEAU et LIGIER qui étaient à la fois bons opérateurs,
enthousiastes et très dévoués. METAIZEAU m’avait été confié par le Pr. MONTAUT
qui voulait en faire son Assistant. Il n’a pu mener son projet à son terme ce
qui fait que J.P. METAIZEAU qui devait faire de la neuro-chirurgie est devenu finalement
un orthopédiste pédiatre de renom, installé maintenant à Metz à la suite d’une
démarche personnelle que je lui devais car présenté à l’agrégation à la
succession du Pr. BEAU, l’Assemblée de Faculté lui avait préféré M. MERLE à la
suite d’un ardent plaidoyer du Pr. SOMMELET relayant le Pr. MICHON. Il faut
dire que J.P. METAIZEAU avait très
mauvais caractère et n’envoyait pas dire ce qu’il pensait.
METAIZEAU étant par le fait exclu du jeu, j’ai fait nommer l’année suivante mon 2ème élève : Michel SCHMITT qui envoyé au Canada (avec le titre de résident chef pour un an) ne pouvait concourir car il n’avait pas assez d’ancienneté comme assistant quand la succession de Monsieur BEAU s’est ouverte.
Je me suis donc orienté sur l’orthopédie
pédiatrique et ce ne fut pas facile, d’abord parce que j’avais une certaine
hostilité des collègues, ensuite et surtout parce que le Dr. LESURE qui s’était
retiré de la compétition en 1961 à la suite de son échec à l’agrégation (en
annonçant au Pr. NEIMANN que la chirurgie infantile disparaissait avec son
départ alors que c’était le contraire) se maintenait candidat à la succession
de Monsieur BEAU. Il a fallu des subterfuges et le soutien sans faille de tout
l’Internat et en particulier de son Président le Pr. ANTHOINE et la complicité
du Président de la CMC le Pr. HERBEUVAL et celle de mon protecteur le très
apprécié Pr. NEIMANN pour l’éloigner de cette ambition.
J’ai commencé par introniser le Pr.
SCHMITT devenu chef de Service au 4ème étage de l’hôpital d’enfants ; puis
je l’ai présenté aux collègues du G.E.U.P. (groupe d’études en urologie pédiatrique)
en même temps que je donnais ma démission.
Puis j’ai réveillé, non sans mal, mon
adhésion au groupe d’études de la
scoliose et j’ai finalement contribué à
la constitution du G.E.O.P. (groupe d’études en orthopédie pédiatrique).
Pendant ce temps, j’entamais avec J.N.
LIGIER la réalisation d’un film sur l’Embrochage centromédullaire élastique
stable, procédé nouveau et révolutionnaire que nous avions mis au point au
Service et auquel METAIZEAU devait apporter sa contribution par sa fougue et un
livre sur la technique. Ce procédé a d’abord conquis la Suisse puis l’Allemagne
(favorisée par mes modestes compétences en allemand) et enfin les USA. Elle est
actuellement reconnue et connue universellement sous le nom de « NANCY
NAILING »
Entre-temps, l’Hôpital d’Enfants avait
ouvert ses portes ; c’était une longue histoire qui avait commencé avec le
Pr. CAUSSADE et avait abouti à la construction à l’emplacement de l’Ecole des
mines actuelles d’un bâtiment qui n’avait jamais été achevé, la guerre
ayant été déclarée. De plus il y avait une certaine hostilité à ce projet émanant du Pr. BODART, titulaire
à cette époque de la chaire d’orthopédie et qui voyait assez difficilement le
rôle qu’il allait y jouer.
Le projet fut repris et se proposait
d’édifier un Hôpital d’Enfants à côté de l’Hôpital d’Adultes sur le plateau de
Brabois. Il avait cette fois le vent en poupe
car le Pr. BEAU n’était plus titulaire de la chaire d’orthopédie mais de
la chaire de chirurgie infantile. D’autre part il y avait l’influence du Pr.
NEIMANN et au Ministère celle du Pr.
DEBRE. Et puis il y avait le Maire, Mr. COULAIS
qui avait ménagé une entrevue avec Mme Simone. WEIL, réunissant en plus de lui-même les Pr. M. PIERSON et J.
PREVOT qui s’est exprimé avec vigueur face au ministre.
Finalement la première pierre fut posée
en 1979 et la construction achevée en 1982. L’inauguration fut faite en janvier
1983 par le Ministre de la santé, Mr. RALITE, un communiste que les collègues
avaient décidé de boycotter ce que je ne pouvais faire car le Ministre devait
visiter mon étage et que j’avais décidé de l’y accueillir.
Entre temps j’avais installé M. SCHMITT à
la direction du Service de chirurgie infantile viscérale au 4ème étage de
l’hôpital d’enfants et je l’avais intronisé au sein du groupe d’études en
urologie pédiatrique, me réservant le 5ème étage pour la chirurgie infantile
orthopédique .
En 1983, une conférence à Strasbourg chez
le Pr. KEMPF, prononcée par des chirurgiens italiens, devait me sensibiliser à
la technique d’un chirurgien soviétique, le Pr. G.A. ILIZAROV, qui
utilisait un système de fixation osseuse symétrique donc équilibré, utilisant
des broches fines et peu traumatisantes à la différence des appareils allemands
d’HOFFMANN qui employaient des fiches unilatérales qui se courbaient toujours
dès qu’on voulait allonger l’os de façon appréciable. Le système Orthofix a exactement
le même type d’inconvénients mais jouit toujours d’un sérieux avantage car
soutenu par une propagande financière très active.
Quoiqu’il en soit, je me suis inscrit à
un cours sur la technique d’Ilizarov à Dorga en Italie, et j’ai eu, je l’avoue,
une grande admiration pour cet homme qui était sortir de rien et dirigeait
présentement un Institut totalement ignoré en Occident quoique comportant plus
de 1000 lits, et animé par plus de 300 médecins.
J’en suis revenu emballé. J’ai immédiatement
commandé le matériel et mis en œuvre les principes et la technique qui s’est
révélée plus ardue et comportait de nombreux pièges. Aussi j’ai décidé de
m’associer à un groupe de chirurgiens italiens qui se rendait à KURGAN en
pleine Sibérie, à l’époque d’ANDROPOV. C’est dire que le séjour de 15 jours que
j’ai accompli là-bas a été agrémenté de nombreux interrogatoires et s’est
accompli dans un hôtel minable, unique dans la ville, l’hôtel Moskva. Il y
avait une beuglante chaque soir, et à part les panneaux d’affichage relatant la
photo et les mérites des dirigeants locaux, il n ‘y avait rien pour me
distraire à part les défilés de motos-tand-sad qui déboulaient dans un
atmosphère empestée et enfumée le dimanche matin, et c’était très pittoresque.
De retour à Nancy, j’étais beaucoup plus
armé pour réussir cette technique. La
demande que j’avais faite auprès du Gouvernement français ayant enfin abouti,
je suis retourné à Kurgan chaperonné cette fois par une duègne d’âge
respectable qui s’appelait Ivguenia et qui était la fille d’un officier.
Ivguenia avait été missionnée par le Ministère de la santé de l’URSS qui était
en relation avec l’Intourist ce qui fait que sur les 15 jours de la mission, je
n’en ai passé que 8 à Kurgan et que le reste du temps je l’ai passé à visiter
Moscou qui est une grande ville où les distances sont énormes mais le spectacle
permanent.
Je m’étais fait des amis à Kurgan et en
particulier le Dr. A. POPKOV qui m’avait suggéré d’inviter le Pr. ILIZAROV à
Nancy. La mise en pied de ce voyage fut épique car je ne disposais d’aucun
subside à part l’appui de la maison parisienne qui fabriquait le matériel (la
maison LUER) mais cette fabrique se faisait sous licence italienne,
c’est-à-dire que les subsides étaient très limités. J’ai dû aller en voiture jusque
dans la région de Florence pour chercher
ma Vedette (avec son interprète et un
autre chirurgien de Kurgan) car il se trouvait justement en Italie à ce
moment ; Je suis revenu le lendemain avec une voiture chargée à bloc des cadeaux que les Italiens
avaient acheté pour leur Idole.
Le
passage de la douane suisse a été une belle aventure car le douanier français
très complaisant s’apprêtait à nous autoriser à passer quand il a remarqué le
passeport que lui passait l’interprète par la portière. Enfin tout s’est
arrangé (le Pr. ILIZAROV avait un passeport diplomatique) et nous sommes arrivés à Nancy à
l’heure dite.
A Nancy, le Pr. ILIZAROV devait enchanter
tout le Service par deux conférences traduites d’avance et lues par mon
assistant le Dr. Pierre LASCOMBES. Il est ensuite allé au Centre de
Réadaptation de l’Enfance de Flavigny sur Moselle, puis à la mairie de Nancy où
le premier adjoint devait lui remettre la médaille de la ville. Bref
son passage a été un succès avec une affluence record venant de tous les coins
de France. Ce n’est qu’après que j’ai reçu une énorme facture de l’Hôtel de la
Reine concernant le contenu du minibar des chambres qui était pillé chaque
jour, la femme de chambre le
regarnissant « nous n’avons pas retrouvé les emballages » m’a expliqué
le directeur de l’hôtel à qui j’avais fait part de mon étonnement. Lorsque le
Pr. ILIZAROV a quitté Nancy par le train, j’ai pu alors comprendre pourquoi il
avait fallu transporter ses valises à ciel ouvert à travers les voies plutôt
que par le souterrain de la gare.
Je suis retourné à Kurgan deux fois par
la suite : une première fois pour assister au jubilé du Pr. ILIZAROV, une
deuxième fois à l’invitation de Dimitri POPKOV qui venait de séjourner un an
dans le Service de Chirurgie Orthopédique de l’Hôpital d’Enfants, invité par
moi avec la complicité du Pr. LASCOMBES nouvellement nommé.
Pendant ce temps, j’acquérrais une
expérience nationale pour les grands allongements squelettiques notamment chez
les achondroplases ce qui m’a valu un recrutement flatteur en France et à
l’étranger.
Bénéficiant de trois ans de consultanat,
j’ai quitté le Service à regrets à 69 ans et demi. Ces regrets étaient partagés
par de nombreuses familles que j’avais déçues ne pouvant plus m’occuper de
leurs enfants, un allongement squelettique durant trois ans et je partais
en retraite l’année suivante. Je n’avais
pas de successeur pour cette activité terriblement astreignante et dangereuse
sur le plan médico-légal.
Dans cette époque de vaches maigres, j’ai pu obtenir trois agrégés pour le Service que j’avais du faire fonctionner seul pendant un an. Ainsi donc je pense avoir bien rempli ma tâche, ce qui a été reconnu par le Pr. SCHMITT à l'occasion de sa décoration comme Chevalier de l'Ordre du Mérite.