1901-1964
ELOGE
FUNEBRE
Dans la matinée du 25 avril
dernier, le Corps Médical du Centre Hospitalier Régional apprenait, avec autant
d'émotion que de stupeur, la mort subite du Docteur Louis COLLESSON, survenue
la veille au soir. Chacun avait pu le voir les jours précédents, dans l'un des
services ou dans les cours de l'Hôpital, aussi enjoué qu'à l'accoutumée et, le
matin même de sa mort, n'avait-il pas suivi activement la visite de
diabétologie à l'annexe médicale B ! Internes et anciens internes s'apprêtaient
à l'applaudir le lendemain, à leur banquet annuel qu'il devait présider cette
année.
Une telle disparition
brutale, qui plonge dans l'affliction tous ses amis, a également ému la grande
majorité de nos confrères de la région, dont il avait su se faire apprécier, et
même les jeunes générations au contact desquelles il aimait, sans fausse
modestie, rajeunir sa science médicale.
Né à Nancy, le 19 septembre
1901, d'une famille lorraine, Louis COLLESSON débute ses études secondaires à
Saint-Sigisbert, et les poursuit dans l'Ouest, à Quimper, puis à Laval, où sa
famille s'était repliée en 1914. C'est pendant la guerre de 14-18 qu'il perdit
presque simultanément son père et sa sœur, emportés par la typhoïde. Rentré à
Nancy avec sa mère, il s'inscrit au PCB, puis entre à la Faculté de Médecine.
Il aura encore la douleur de perdre sa mère en 1925 après une pénible maladie
En 1926, il est reçu brillamment à l'Internat, Major de sa promotion. Il
s'oriente alors vers la médecine générale, sans doute par tempérament, mais
aussi parce que, lors de son stage au service du Professeur ETIENNE, il fut très séduit par la personnalité
de ce Maître éminent, dont il devint le Chef de Clinique en 1929. Sous
l'influence de son patron, il se passionne rapidement pour la biologie
clinique, alors naissante, et c'est de cette époque que date son amitié pour le
Docteur VERAIN, dont il fréquenta
assidûment le laboratoire jusqu'à la mort de celui-ci.
Malgré son goût naturel
pour la médecine hospitalière, il renonce, à la fin de son clinicat, à
affronter les concours supérieurs où les places étaient alors distribuées
encore plus parcimonieusement qu'à l'heure actuelle, et décida, en 1932, de
s'installer à Vichy, comme médecin consultant, où il restera jusqu'à l'an
dernier.
Cette carrière de médecin-thermal est cependant entrecoupée pendant les
sombres années 1940-1944 où il accepte, pour faire vivre sa famille, des
fonctions médico-administratives au Ministère de la
Santé Publique. A cette époque, il a l'occasion de rendre d'éminents services,
en particulier en détournant des stocks de produits pharmaceutiques dont
l'occupant désirait s'emparer. Puis, alors que la France panse ses blessures
dans l'euphorie de la Libération, s'ouvre pour lui la période sans doute la
plus pénible de son existence : terrassé par la maladie, il passe de longues
semaines dans différents hôpitaux parisiens, à une époque où l'on était encore
dépourvu de toute antibio-chimiothérapie spécifique.
Il narrait par la suite, avec humour, comment il eut connaissance du pronostic
fatal porté unanimement à son sujet, pronostic qu'il déjoue allègrement, ce
qui lui permet de reprendre un peu plus tard son activité médicale à Vichy.
Mais il lui est impossible
de rester inactif pendant la moitié de l'année et, hors saison, il revient
régulièrement à Nancy en qualité d'attaché, longtemps bénévole, à la Clinique
Médicale B, collaborant successivement avec le Professeur ETIENNE, puis, après la guerre, avec son
maître et ami le Professeur DROUET, enfin, après la mort de celui-ci en
1955, avec son ami le Professeur KISSEL.
C'est
seulement en novembre dernier qu'il décide de s'installer à Nancy comme
gastro-entérologue et, la réussite aidant, de ne plus retourner à Vichy, où le
rythme de la médecine thermale actuelle était devenu trop fatigant pour lui :
n'avait-il pas déjà ressenti quelque symptôme prémonitoire du mal qui devait
l'emporter ?
La biologie clinique reste
cependant son terrain préféré et, malgré son inhabileté manuelle qu'il avouait
volontiers, il occupe une bonne partie de son temps libre dans les laboratoires
: avec VERAIN ou avec VARENNE, il étudie au cours de divers états
pathologiques, mais surtout chez les hépatiques, le protéinogramme sérique,
les constituants lipidiques du sérum, les tests de labilité plasmatique. Il
contribue aux travaux de DROUET sur
les variations de la masse sanguine et des liquides interstitiels dans
l'orthostatisme.
Au cours de ses dernières
années, sa compétence particulière en matière de nutrition l'amène à collaborer
étroitement, à la Clinique Médicale B, avec G. DEBRY et son activité s'oriente alors surtout vers la diététique
et la diabétologie, mais il fréquente aussi assidûment le service de J-P. GRILLIAT, dont
l'orientation allergologique le séduit.
Plusieurs sociétés
scientifiques, régionales ou nationales, avaient accueilli Louis COLLESSON en
leur sein : il était membre des Sociétés de Médecine et de Biologie de Nancy ;
il fut Vice-Président de la Société des Sciences
Médicales de Vichy, en 1960, et Trésorier de l'Association d'Etudes Physio-Pathologiques du Foie et de la Nutrition. Membre
titulaire de la Société Nationale Française de Gastro-Entérologie
depuis 1953, il fut enfin, au début de cette année, parmi les membres
fondateurs de la Société de Diététique et de Nutrition de langue française.
Excellent clinicien,
sachant ne pas se confiner étroitement dans le cadre de sa spécialité, Louis
COLLESSON aimait profondément son métier, même celui de médecin thermal qu'il
considérait pourtant parfois, avec une pointe d'ironie nostalgique, comme une
forme mineure de l'art médical, sorte de parente pauvre. Aussi ses préférences
allaient-elles, sans conteste, en raison de sa tournure d'esprit et de sa
formation, à cette médecine hospitalière, où il affectionnait les contacts
quotidiens avec ses collègues des diverses disciplines, et dont il appréciait
la rigueur scientifique, sans négliger pour autant le côté profondément humain
: pour avoir fait lui-même l'expérience des hôpitaux de l'Assistance Publique,
vus sous l'angle du malade, il avait à cœur de se montrer aussi patient et
affable envers les hospitalisés que vis-à-vis de ses malades de clientèle. Les
uns et les autres percevaient très rapidement, sous sa bonhomie parfois un peu
bourrue, sa profonde bonté naturelle et sa serviabilité.
Sa personnalité était
pourtant faite de contrastes. Et peut-être tenait-il de son atavisme de pouvoir
allier une simplicité souriante et affable à des airs de « grand seigneur » qui
lui avaient valu le surnom « du Baron » en usage parmi ses intimes et même sa
famille. Dans les salles d'hôpital, où il en imposait par son physique,
peut-être n'était-il pas fâché de s'entendre appeler de temps à autre «
Monsieur le Professeur » ? Et les jeunes externes, vis-à-vis desquels il ne
mettait aucune distance, le respectaient même s'ils appréhendaient parfois le
surcroît de travail que son goût connu pour telle ou telle épreuve biologique,
allait immanquablement leur imposer.
Pour avoir collaboré avec
lui à maintes reprises, je puis témoigner de sa probité scientifique et du soin
scrupuleux qu'il apportait à la rédaction de ses articles. Mais comme il était
aussi un grand émotif, il appréhendait de devoir prendre la parole en public.
Ce qui ne l'empêchait pas d'être extrêmement sociable. Dans la vie privée, au
contraire, c'était un bavard qui adorait la compagnie d'amis de tous âges et de
toutes provenances : il savait d'ailleurs recevoir avec simplicité, et on le
sentait détendu quand il vous narrait des anecdotes personnelles, puisées le
plus souvent aux sources de sa clientèle cosmopolite, et où il excellait à
imiter tel personnage pittoresque, aussi bien religieux que militaire ou haut
dignitaire musulman.
Au cours de treize années
d'une collaboration clinique quasi-quotidienne, de novembre à mai, se créent
évidemment des liens solides : c'est pourquoi j'éprouve personnellement, d'une
façon très sensible, le vide laissé par la disparition du Docteur COLLESSON. Il m'honorait de son amitié et de sa confiance
et, même pour les malades que nous ne suivions pas en commun, nous nous
faisions part mutuellement de nos satisfactions, et aussi de nos hésitations et
de nos doutes... ce qui nous procurait l'occasion de nous taquiner, en restant,
bien entendu, beaux joueurs.
Cette
amitié, il me l'a témoignée de façon tangible il y à quelques années, en ne ménageant ni son temps, ni sa peine,
pendant plusieurs mois, au chevet d'une de mes proches parentes. C'était l'un
de ses élans charitables comme il en eut tant, pour ses maîtres ou pour ses
amis, aux heures sombres : je pense à Jean GIRARD, à P-L. DROUET, à Marcel VERAIN, et à bien d'autres. D'ailleurs, animé
par une foi sincère et profonde, mais dépouillée de toute ostentation, il a
vécu en chrétien, donnant l'exemple pat son dévouement et sa probité
intellectuelle et morale.
Que Mme COLLESSON, qui a su tenir admirablement son rôle
ingrat de femme de médecin et créer à son foyer, par son humeur égale et son
sourire, le climat psychologique de détente qui convenait au caractère et aux activités
professionnelles de son mari, que Mr Bernard GAUTHIER, Mlles Ghislaine et Bernadette COLLESSON et ses petits-enfants, qui firent la
joie de ses dernières années, auxquels nous nous permettons d'associer les
Docteurs F. HAUSHALTER et J.
LOUYOT, ses amis de toujours,
trouvent ici l'expression de notre sympathie attristée, et sachent le souvenir
profond que garderont du Docteur COLLESSON ses confrères de la Faculté de
Médecine de Nancy.