Leçon d'ouverture du Professeur G. Michel
Le 8
novembre 1922
(Texte
publié dans la Revue Médicale de l’Est – 1922,
745-772)
Ma première parole dans
celte salle doit être une parole de remerciements et de reconnaissance à mes
collègues qui, avec une unanimité dont je suis profondément touché, m'ont
appelé à cette distinction suprême de succéder dans la chaire de clinique
chirurgicale au maître éminent, toujours si actif, qu'une retraite que nous
regardons tous comme prématurée, force à quitter un service où pendant de si
nombreuses années il s'est tant dépensé,
Ma reconnaissance, je la
dois à M. le Doyen, pour la bienveillance, la sympathie qu'il m'a toujours
témoignées, pour les bons conseils qu'il m'a toujours donnés.
Il me permettra de rappeler
les années de guerre, où vivant avec lui dans la même formation sanitaire, j'ai
pu apprécier sa grande bonté, son esprit de dévouement, qui fait qu'il se donne
à tous.
Je ne puis oublier que
c'est lui qui avec la plupart de mes collègues a obtenu que la chaire
d'ophtalmologie de mon si regretté maître Rohmer, fut transformée en chaire de
médecine opératoire. Favorisant ma titularisation, ils m'ont permis d'arriver à
cette chaire de clinique chirurgicale, but si désiré de toute ma vie.
Je remercie M. le Recteur
du grand honneur qu'il me fait en assistant à cette leçon, je le prie de croire
à mon respectueux dévouement.
J'adresse aussi mes
remerciements aux membres de la section permanente qui ont bien voulu ratifier,
en 1921 et en juillet dernier, les vœux du Conseil de Faculté.
Mais ce n'est pas sans une
profonde émotion que je prends la parole ici. Cette émotion est faite de ma
joie d'avoir réalisé un idéal, mais surtout des souvenirs qui me sont chers !
Vous la comprendrez quand
vous saurez que c'est dans cette salle d'opération que j'ai fait ma première
entrée comme étudiant en médecine, c'est ici que j'ai vu ma première opération,
c'est dans ce service que j'ai fait mes premières armes comme externe bénévole.
C'est déjà bien lointain.
Mais si je retrouve la
bonne et vénérable sœur Cécile que j'ai toujours vue et à qui je suis heureux
de rendre un public hommage d'estime et de respect ; Caroline, la brave et
digne infirmière au dévouement absolu-, par contre combien de disparus, que de
maîtres qui ne sont plus, que de camarades morts. Lors d'une leçon inaugurale,
où bien malgré soi on est obligé de se mettre en avant, ce sont les figures de
ces disparus qui vous apparaissent et l'on ne peut oublier que c'est à eux que
l'on doit d'être devenu ce que l'on est.
Je ne puis que dire que
grâce à des guides bienveillants, j'ai pu parvenir au but si désiré.
Quand on n'a jamais quitté
la Faculté où l'on arrive professeur, on se voit entouré de collègues qui ont
été vos maîtres, d'amis, avec lesquels on a parcouru les différentes étapes de
sa vie.
Je ne puis que les assurer
de mon entier dévouement, de ma reconnaissance. Merci au professeur Pierre Parisot, le conseiller si sûr et si dévoué ; à mon maître Haushalter, dont j'ai été il y a bien longtemps l'externe,
et qui veut bien m'accorder son amitié si précieuse. Merci au professeur
Etienne qui a bien voulu me préparer à l'internat avec le docteur Raoult ; à Frœlich que j'ai connu comme chef de clinique ; à Jacques,
mon ancien chef de travaux, alors que j'étais au Laboratoire d'Anatomie, et qui
m'a toujours, témoigné une inaltérable amitié, remontant à notre jeunesse ; à
André, mon chef de clinique chez M. le professeur Gross, qui a toujours été
pour moi l'ami dévoué et sûr ; à Louis Spillmann,
avec qui j'ai passé de bien bonnes heures, lors de notre préparation au
concours d'agrégation.
Un contact journalier avec
eux vous laisse entrevoir ce que je leur dois.
Mes maîtres directs ont été
le professeur Nicolas ; j'ai passé dans son laboratoire d'anatomie plusieurs
années comme aide d'anatomie et prosecteur ; années de travail bien régulier et
d'entraînement : années dont je me rappelle avec grand plaisir.
Mon premier maître en
chirurgie a été le professeur Heydenreich. Tous ceux
qui l'ont connu ne peuvent oublier cette belle figure de chirurgien qui pour
nous tous doit être un modèle.
C'était un cœur bon et
généreux, une âme droite et franche, un maître juste et bienveillant, un
travailleur infatigable.
Chirurgien méthodique et
consciencieux, il est mort à 49 ans, victime du devoir professionnel ; il a
montré un courage stoïque, en poursuivant malgré ses occupations intimes,
jusqu'au bout ses multiples devoirs professionnels.
Il a été professeur de
clinique chirurgicale dans ce service de 1885 à 1898.
Il avait une érudition
d'une rare étendue, un sens critique très sûr qui étaient le trait le plus
marquant de son enseignement et de ses travaux scientifiques. Il attirait
toutes les sympathies. Un tel maître ne peut être oublié, il a fait la gloire
de sa Faculté, Je suis heureux de pouvoir lui rendre un dernier hommage dans
cet amphithéâtre, où je le vois comme si c'était hier, faire sa conférence
clinique; je suis d'autant plus heureux de le faire que nous avons parmi nous
deux collègues, ses parents, qui continuent à être les gardiens des belles
traditions médicales.
Messieurs, j'ai eu le
bonheur d'être l'interne et le chef de clinique de M. le Professeur Gross.
C'est à lui que je dois ma formation chirurgicale.
J'ai la grande joie de
pouvoir lui dire aujourd'hui toute ma reconnaissance.
Chirurgien ayant connu la
période pré-antiseplique avec des maîtres comme Sédillot et Eugène Bœckel, des
collègues comme Kœberlé, c'est lui qui fit connaître
la méthode Listérienne en Lorraine.
Nous avons tous connu son
activité, sa grande notoriété, son grand talent chirurgical.
Etre l'assistant d'un tel
chirurgien, était le seul moyen de devenir chirurgien à son tour.
Nous nous
rappelons tous sa haute valeur morale, sa conscience professionnelle, sa
probité scientifique.
Je puis rappeler, sans
blesser sa modestie, avoir entendu un maître parisien dire à l'Association
française de Chirurgie, dont il a été un jour le président, à l'occasion d'une
statistique d'hystérectomies : « Voilà une statistique honnête ». Quel plus bel
éloge faire d'un chirurgien ?
C'est en vivant auprès de
M. Gross, pendant de longues années, que j'ai compris ce que devait être la
chirurgie élevée à la hauteur d'une véritable science exercée avec le respect
de son prochain, c'est-à-dire une chirurgie qui ne néglige aucune des méthodes
les plus précises et qui ne recourt à un acte opératoire, que lorsque celui-ci
est rendu légitime par une étude préalable et approfondie du malade.
Grâce à M. le Professeur
Weiss, j'ai pu continuer chez lui mon éducation chirurgicale.
Les circonstances de ma vie
ont fait qu'à un moment donné, alors que j'étais un peu désemparé, un peu
découragé, vous m'avez, mon cher Maître, recueilli dans votre service, vous
m'avez donné l'hospitalité, vous m'avez permis d'opérer quelques-uns de mes
malade ?., vous m'avez fait opérer, vous m'avez soutenu, encouragé. J'ai appris
près de vous à poser des indications opératoires bien précises, j'ai profité de
votre grand sens clinique.
Votre exactitude
si scrupuleuse, votre grand
dévouement vous faisant revenir trois ou quatre fois dans la même journée près
de vos opérés ; tout cela doit être un exemple, et je suis fier de pouvoir le
dire aux jeunes qui m'écoutent.
Et votre rôle pendant la
guerre, que vous aviez si bien prévue, il faut bien en parler ; vous avez été
un exemple pour tous, alors qu'elle vous avait été si cruelle.
Si votre belle activité,
mon cher Maître, va être diminuée au point de vue chirurgical, elle pourra,
nous l'espérons, se traduire de bien d'autres façons, et je suis convaincu que
vous n'oublierez pas ce service, que vous avez tant aimé, où vous vous êtes
fait si aimer.
Soyez assuré que toujours
il restera le vôtre et que vous vous y retrouverez comme il y a quelques années
alors que j'étais votre assistant.
Je ne puis oublier M. le Professeur
Chrétien, c'est à cause de lui que j'ai pu garder un contact avec la Faculté, à
ma sortie d'exercice de l'agrégation ; grâce à sa bienveillance, j'ai pu être
nommé chargé de cours complémentaire de médecine opératoire. Dans sa retraite
tunisienne, où il continue à déployer malgré son âge une grande activité et une
grande énergie, je lui envoie un souvenir ému et reconnaissant.
Je n'ai pas été l'élève
direct de M. le Professeur Vautrin, les exigences d'un statut absurde ont fait
qu'il a été obligé d'abandonner un enseignement clinique, alors que j'aurais pu
en profiter.
Mais souvent il m'a
accueilli dans sa belle installation de la rue Sainte-Marie, où j'ai pu admirer
sa virtuosité opératoire, et en somme je lui suis redevable de beaucoup de
points de technique.
Il me permettra dans ce
service, voisin du sien, d'avoir recours aux conseils de sa longue expérience.
Je ne puis oublier mes bons
camarades du concours d'agrégation, je n'en citerai qu'un, le professeur agrégé
Marion; je lui garde un reconnaissant souvenir.
Mes maîtres en médecine ont
été les professeurs Bernheim, Spillmann et Schmitt,
ces noms vous rappellent ceux de médecins vénérés, grands enseigneurs, qui ont
laissé une forte empreinte sur les générations qui les ont écoulées. Un chirurgien
doit avoir une formation médicale très importante ; ce sont ces maîtres qui me
l'ont donnée.
Je remercie
Mr le Président
de la Commission
des Hospices d'avoir bien voulu
malgré ses multiples occupations, assister à cette leçon.
Nous nous
inclinons tous devant la haute compréhension qu'il a de l'esprit de solidarité,
esprit qui doit nous réunir, administrateurs et médecins, pour le plus grand
bien des malades; qu'il soit assuré de mon entier dévouement. Il sera avec M. Jambois, dont je m'honore d'être un bien ancien ami, mon
interprète auprès de la Commission administrative des Hospices.
Je prie Madame la
Supérieure de cet Hôpital de recevoir l'hommage bien respectueux de celui qui
dans la mesure de ses moyens, collaborera avec elle pour faire le plus de bien
possible ; il n'aura qu'à suivre son exemple. Elle me permettra d'adresser un
souvenir ému, à celle que ma génération a connu sous le nom de sœur Eugène,
cette femme si bienveillante et si bonne et en même temps si énergique, Les jeunes
doivent savoir que la Lorraine doit beaucoup aux Filles de la Charité qui sont
devenues les sœurs de Saint-Charles et que leur
histoire est absolument indissoluble de l'histoire de nos hôpitaux.
Vous voyez, Messieurs,
qu'en somme, un individu n'est rien si on ne l'entoure des gens à qui il doit
sa formation.
C'est pour cela que la
tradition veut qu'un nouveau titulaire fasse une leçon d'ouverture.
Cette tradition est à
maintenir pour montrer aux jeunes qu'ils doivent continuer la bonne tradition française,
en se rappelant que s'ils travaillent, leurs maîtres deviennent surtout des
amis.
Je viens de rappeler les
noms de ceux à qui nous devons tous quelque chose du peu que nous savons, à qui
notre reconnaissance; doit aller à tout jamais. Mais eux-mêmes étaient les
élèves de quelqu'un. Il y a une chaîne ininterrompue entre nous et nos
ancêtres. Je crois qu'il est intéressant de savoir ce qu'a été la Chirurgie en
Lorraine. Je voudrais vous montrer que cet art a toujours été très favorisé
dans notre région.
Il a été réglementé sous
les ducs, sous le règne de Stanislas, et après le retour de la Lorraine à la
France, même pendant la période qui se termine à la Révolution, les décrets qui
régissaient la chirurgie avaient chez nous des caractères spéciaux.
Cette
étude a déjà été faite surtout pour l'enseignement médical en entier, les travaux de Tourdes, de René,
les plus récents de Pillement, les publications du
Professeur Pfîster, de l'abbé Martin, sont
excessivement importantes. Après eux, il n'y a plus guère à glaner. Mais pour
1'enseignement de la chirurgie, il a été surtout étudié par Simonin
; son travail est déjà bien ancien. Je crois donc que ce n'est pas faire
seulement acte de copiste, que de reprendre cette étude.
Mon but est de montrer
quelle a été l'évolution chirurgicale de notre école lorraine, de tracer les
grandes périodes de celte école, surtout celle de l'Université de
Pont-à-Mousson. Nancy n'a pas la célébrité des Universités de Montpellier et
Lyon ; mais on oublie un peu trop son passé, et l'on a trop tendance à faire
dater l'enseignement chirurgical de notre Faculté de nos désastres de 1870 ;
avant, il y a eu un long passé bien intéressant à connaître. Ce passé est
méritoire. La Lorraine constitue les Marches de l'Est, et l'histoire nous
apprend les vicissitudes de ce duché. On est même étonné de l'influence
intellectuelle qu'il a pu avoir au cours des siècles.
Nancy est toujours restée
la capitale de la Lorraine et doit le rester.
Selon la mesure de nos
moyens, tous nous devons contribuer à son renom, à son éclat, nous devons
pouvoir être fiers de notre petite patrie et lui faire jouer un beau rôle dans
la grande.
Vous, me permettrez de
remercier tous ceux qui m'ont aidé dans mes recherches : le docteur Finement,
si documenté et à la bibliothèque si garnie ; le docteur Donnadieu
; M. Denis, l'archiviste municipal si obligeant. Mais celui à qui je
dois les meilleures .directives est le regretté docteur Briquel,
de Lunéville. Amoureux de sa Lorraine, Briquel m'a
poussé et m'a encouragé par ses précieux conseils à faire ces recherches, il
m'a confié des documents précieux, m'a passé ses notes ; je ne puis oublier
les dernières heures passées avec lui, il y a quelques semaines, dans sa
bibliothèque, où déjà bien malade, il se passionnait encore pour la vieille
médecine et la vieille chirurgie lorraine.
Messieurs,
pendant la période du Moyen Age, je ne trouve rien de précis à signaler au
point de vue chirurgie. Les moines exerçaient l'art de guérir d'après les
principes de l'Ecole de Salerne. Les ducs avaient des médecins italiens.
En 1160, le concile de
Tours défend aux ecclésiastiques toute opération sanglante. Dès lors, toute la
chirurgie fut exercée par des laïques illettrés, barbiers qui ne trouvaient
dans le duché aucune école, où ils auraient pu apprendre les connaissances
nécessaires.
A cette époque, je vois
signalé qu'un nommé Bailly fut envoyé à Paris par le souverain pour y apprendre
le métier de barbier et de chirurgien.
Le duc Raoul promulgua un
édit ayant pour but de punir les charlatans qui se mêlaient de faire de la
chirurgie.
Il institua un titre
d'office des barbiers et chirurgiens jurés, qu'il chargea vraisemblablement de
veiller à l'exécution de ses ordonnances.
René II envoie une lettre
patente datant de 1484 : « Le Vème jour d'octobre,
l'an quatorze cent quatre-ving-quatre, Monseigneur le
Duc, estant à Bar a créé, constitué, ordonné et estably maistre chirurgien-juré, en ses duchez
de Lorraine et Barroys, Jehan Vincent, natif de Allonne. »
Dans les trois évêchés, que
je ne puis séparer de la Lorraine, les chirurgiens étaient obligés d'avoir
l'approbation de l’Official de l’Evêché.
En 1507, Vary de Dommartin, évêque de
Verdun, fait rédiger des statuts synodaux qui prescrivent les formalités et
conditions imposées à ceux qui veuillent exercer la chirurgie.
Et dans les statuts
synodaux de Hugues des Hazards, évêque de Toul, qui
datent dé 1515, on trouve :
« Nous statuons en
défendant que dosrénavant telles gens qui se disent
médecins ou chirurgiens, ne soient sy hardies d'entreprendre
charge de médiciner ou faire acte de cirurgie en nos citez et éveschés,
sous peine d'excommuniement et d'autre amende
arbitraire jusque à temps qu'ils seront examinés ou approuvez et admis par nous
ou par notre Officiai estre idoynes
et suffisans pour faire leur entreprise ».
Actuellement, sommes-nous toujours
sûrs malgré toute notre organisation moderne, que tous les chirurgiens « soient
idoynes et suffisans » ? Je
laisse cela à vos méditations.
Le 10 février 1596, sous le
règne de Charles II, un édit accordait aux maîtres et barbiers « une chambre et
lieu publicque en l'hostel
de ville propre pour s'assembler et ou se feront les dissections, anatomies et leçons en l'art de chirurgie ».
Ce qui prouve donc une
réglementation précise et un enseignement organisé.
Dans un article récent, Dorveaux nous dit qu'à Metz, en 1602, un corps de
chirurgiens fut créé non par ordonnance du roi, mais par le maître échevin et
son conseil.
On ne pouvait être maître
chirurgien sans avoir subi un examen. Il est donc évident qu'en Lorraine et
dans les trois évèchés, il y avait une organisation
au point de vue chirurgie à la fin du XVIe
et au commencement du XVIIe siècle.
Il faut se rappeler le cas
qu'Ambroise Paré, dans Metz assiégée par Charles-Quint, fit de « maistre Doublet », barbier, qui au dire de Brantôme,
faisait toutes ses cures « par simple linge blanc et belle eau claire. »
Ambroise Paré, en plus du
siège de Metz, fit un assez long séjour en Lorraine. Vers 1597, 1604, au moment
où Riolan et Malezieu discutaient
sur les privilèges des chirurgiens, Paré reçut des éclaboussures et se tint à
l'écart de ces querelles.
Il vint à Nancy pour la
maladie de la duchesse de Lorraine, et nous dit Malgaigne,
il en rapporta la figure d'un nouvel instrument imaginé par Nicolas Picard,
barbier nancéien.
On peut admettre que Paré a
eu une influence sur les chirurgiens-barbiers
lorrains avec lesquels il fut en relation.
Certains barbiers-chirurgiens devaient rendre des services importants,
puisque plusieurs furent anoblis par le duc Charles IV.
L'un d'eux, Jean Courlot, « porte de gueule à trois urinaux d'argent posés
deux sur un, le tout supporté d'un armet marin orné de son bourrelet ». Un
nommé Voillot a les mêmes armes, mais en 1571, sa
veuve obtint la faveur de susbtituer à ces vases
équivoques trois fusées d'azur.
Savez-vous combien touchait
en 1592, le barbier des pestiférés ? Cent francs. C'est la somme que je trouve
portée, au chapitre « compte des receveurs de ville ».
C'est vers cette époque que
la corporation des barbiers et des chirurgiens s'est divisée en deux groupes :
les barbiers-chirurgiens de robe courte, et la
Confrérie de Sainte-Corne, chirurgiens de robe
longue.
Le chirurgien de robe
longue avait comme ambition d'imiter les médecins, de savoir comme eux le latin
et de s'abstenir comme eux de l'action manuelle.
Il faut bien le dire, ce
sont les barbiers-chirurgiens qui ont créé la
chirurgie française.
Les barbiers eux, entraînés
à l'œuvre manuelle, n'avaient pas de peine de passer de la saignée aux opérations,
du rasoir au bistouri.
Au-dessous des barbiers, il
y avait les inciseurs, les opérateurs errants « sans
peur sinon sans reproche », suivant le mot de Verneuil, qui opéraient hernies,
pierres et cataractes.
Dans les comptes de la
Ville de Nancy, du 5 mars 1665, vous trouverez indiqué : retenue de Charles Bernouin, dit Lafleur, comme opérateur de la ville aux
gages de 700 francs par année avec logement.
Ce Lafleur « opérateur,
distillateur, oculiste », originaire de Grenoble, était le type des inciseurs. Les considérants de la ville à son sujet sont à
signaler, ils vous permettront de vous rendre compte de ce qu'était un inciseur exerçant à Nancy au XVIIe
siècle.
« Que ledit Lafleur, qui
sans répugnance a pris jusqu'à six à vingt grammes, tant d'arsenic sublimé, réagale qu'orpiment et autres poisons préparés par maistres apothicaires, d'ordonnances des médecins en publicque et hautement mangé les entrailles et but le fiel,
la bave et le sang de crapaux ; mangé des vipères en publicque, s'en faire mordre et se garantir de tout par la
seule vertu de son atavan, remède contre toutes
sortes de venins, morsures, blessures, ulcères, ruptures ; fort expert à tirer
les pierres de la vessie, à tailler les descentes de boyaux, à abattre les
cataractes, guérir les ulcères putrides, taigne,
loupes, escrouelles, paralisies,
fait des preuves publicquement de la vertu de sa
pierre médicinale, nommée Crolius, contre la brûlure
avec des lames de fer ardent, avec huile, térébenthine, poix noir, soufre,
lard, suc et plomb fondu, guéri les blessures une heure après. »
On comprend sans peine,
après une énumération semblable, que ledit Lafleur ait été attaché comme
opérateur municipal à la ville de Nancy ; heureusement que pour nos collègues
municipaux, l'épreuve « publicque » de manger les
entrailles, de boire le fiel, la bave et le sang des crapauds n'ait pas été
maintenue.
La
fondation de l'Université de Pont-à-Mousson date de 1572.
Le cardinal de Lorraine,
frère du duc de Guise, et le duc Charles III, obtinrent du pape Grégoire XII,
une bulle portant que les Facultés de droit civil et canonique, et la Faculté
de Médecine, seront dirigées par leurs doyens, professeurs et docteurs,
d'après leurs statuts et usages à l'instar de celles de Paris et de Bologne,
dont elles obtenaient tous les privilèges.
L'Université
de Paris datait de 1206 ; celle de Montpellier, de 1220 ; celle de Strasbourg
ne datait que de 1566.
Dès 1580, l'Université
lorraine fut très prospère, et en 1594, on y comptait 900 étudiants.
Le premier professeur de
médecine fut Toussaint Fournier, qui comme Barclay pour le Droit ouvrit des
cours dans sa maison.
C'est Pierre Barot, qui le 3 janvier 1602, fait sa profession de foi,
comme démonstrateur d'anatomie et de chirurgie.
Je ne veux pas refaire
l'histoire de l'Université de Pont-à-Mousson. Je vous rappelle le nom de
Charles Le Pois, dont la renommée était très grande, il était médecin, mais fit
paraître, en 1625, une traduction d'un ouvrage espagnol sur le traitement des
luxations.
Les professeurs de
chirurgie qui succédèrent à Pierre Barot, furent Marc
Barot, qui trop jeune, ne fut installé professeur que
le 22 octobre 1641, onze ans après la mort de son père, Nicolas Guébin, en 1680.
Cette période est très
troublée à cause des guerres, des épidémies. Pillement,
doyen du 1er juin 1655, lettres patentes du duc régent Nicolas François, datées
de Bruxelles, nomination confirmée par Louis XIII, signe avec Nicolas Guébin, un procès-verbal où ils avouent que depuis les
guerres continuelles, ils se sont contentés d'examiner les candidats sans leur
faire soutenir d'actes publics.
Aussi, après le traité de Riswick, le duc Léopold rendu à la liberté s'occupe de son
« université ». Le 18 février 1707, paraissait un édit portant création d'une
chaire de professeur de chirurgie à l'Université de Pont-à-Mousson. « Chaire »,
dit-il, « destinée à un professeur qui y enseignant la chirurgie élève dans cet
art des sujets qui puissent servir d'autant plus utilement le public, que
joignant une bonne pratique à une parfaite théorie, ils se rendront plus sûrs
et plus certains dans leurs opérations. »
Avouez
que l'on ne peut mieux montrer les avantages d'une double formation pratique et
théorique. La théorique ayant tendance à être un peu trop abandonnée de nos
jours.
Léopold ne laissa pas à la
Faculté, le soin de recruter son nouveau collègue. Il nomma à cette chaire son
premier chirurgien, Eustache Malissain. Celui-ci
n'était pas docteur, cela ne gêna pas Léopold. Au commencement de 1707, il
avait adressé une lettre de cachet à la Faculté pour lui signifier d'avoir à
conférer le doctorat à Malissain.
Cet abus de pouvoir fut le
point de départ d'une lutte entre la Faculté et les chirurgiens de Nancy.
Malissain ne fit son cours qu'un an, il démissionna et sa charge fut
achetée par Pacquotte, qui avait été nommé professeur
à la place de Pillement, en 1697.
A propos de Malissain, il est intéressant de rappeler un détail qui ne
manque pas de charme.
Les démonstrateurs et
professeurs de chirurgie, à Pont-à-Mousson, jouissaient de l'usufruit d'un
terrain consacré au Jardin botanique de la Faculté et du terrain du vieux
château ; ils faisaient tous de la botanique. Heureux mortels !
Malissain, lui, avait un autre office : François-Eustache
Malissain, premier chirurgien de Léopold, professeur
à la Faculté de Pont-à-Mousson, était « grand maître des châtreux
de Lorraine et du Barrois ».
Je dis tout de suite que
l'office n'était pas exercé par les titulaires, ils en déléguaient les
fonctions. L'office de maître des châtreux était
donc simplement un privilège, sinon très honorifique, du moins pécuniaire.
Ce titre devait bien faire
sur les cartes de visite d'alors. S'il avait vécu à notre époque, quel matériel
il aurait pu avoir pour la chirurgie du rajeunissement.
Guillaume Pacquotte, mort en 1723, a comme successeur Maurice Grandclas et Joseph Jadelot qui
fut doyen.
Un médecin de cette époque
eut une certaine renommée, il était originaire de Bar-le-Duc.
Il avait inventé une poudre
spécifique contre le cancer, il se nommait Pierre Alliot.
Il fut appelé à donner ses soins à Anne d'Autriche qui le nomma son premier
médecin.
Le topique de Pierre Alliot longtemps secret était une préparation arsenicale
sous forme pulvérulente.
Guy
Patin eut la dent bien dure pour le médecin lorrain ; il le traita de charlatan
et de médicastre.
Après la première invasion
française, on offrit à Guy Patin, d'être doyen à Pont-à-Mousson, il ne répondit
même pas ; il n'aimait pas l'Université lorraine, ni les Lorrains.
C'est à Pillement
que l'on doit l'histoire de la grossesse extra-utérine, bien connue sous le
nom de « Historia fœtus Mussipontani extra uterum, in abdomine, reperti et lapidescentis (1653).
» Le brave Guy Patîn, consulté à ce sujet, aurait
mieux fait de se taire ; il estime que tout cela n'est qu'une fable d'Esope,
car, dit-il, « aucune conception ne peut se faire en dehors de l'utérus, ou
c'est un produit de l'utérus, ou ce n'est pas un fœtus. »
Bartholin, consulté lui
aussi, avait nettement vu qu'il s'agissait d'une grossesse extra-utérine.
J'ouvre une parenthèse qui
n'a rien à faire avec la chirurgie, mais partout, à propos de l'Université de
Pont-à-Mousson et de sa valeur, on voit signalée la condamnation de certaines
de ses formules.
Voici la, chose remise au
point : En 1758, la Faculté de Paris censura sévèrement une trentaine de
formules émanées de la Faculté de Pont-à-Mousson ; son doyen Boyer fut très
acerbe.
Ces formules émanaient d'un
médecin nommé Bailly. Elles avaient été saisies chez les apothicaires de la
ville à la demande de la Faculté qui les avait soumises elle-même au jugement
des diverses Facultés : Paris, Strasbourg, Montpellier (manuscrit n° 770 de la
Bibliothèque publique de Nancy). Il ne faut donc pas se servir de ce fait pour
dire que l'enseignement de la Faculté laissait à désirer.
L'Université
de Pont-à-Mousson, dont nous devons être tous fiers, a eu une grande influence
; ses progrès allèrent, dit l'abbé Martin, jusqu'à donner des inquiétudes
sérieuses à la vieille Université de Paris.
La peste a été la première
cause de sa ruine : de 1631 à 1635, la peste enleva trois professeurs, dont
Charles Le Pois. 1634 fut la fin de sa splendeur ; en 1635, tout le poids de la
guerre tomba sur la Lorraine. La rentrée fut tardive. De 1000 « escholiers », il en revint à peine 150.
L'Université refleurit sous Léopold, mais nous allons voir
les luttes entre chirurgiens et médecins, amenant le transfert de la Faculté de
Médecine en 1768.
Quels grades conférait la
Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson ? Comme dans les autres branches de
l'enseignement universitaire, les trois grades ordinaires : le baccalauréat,
la licence et le doctorat.
Pour exercer la chirurgie,
il fallait le certificat du professeur de chirurgie, constatant que l'on avait
suivi son enseignement un an, puis l'on faisait un apprentissage de deux ans
chez un maître chirurgien ou deux ans dans les hôpitaux, puis
l'on passait trois examens de chirurgie au choix des
maîtres de la Communauté des Chirurgiens, devant ces maîtres et un professeur
de chirurgie. L'enseignement à la Faculté était donc très théorique. Cependant Bagard, d'après l'abbé Hyver,
laisse entrevoir qu'il y avait à Pont-à-Mousson, un médecin stipendié de
l'hôpital qui conduisait ses élèves à ses opérations. « Parisot
a occupé cette place, dit-il ; il conviendrait que Jadelot
la reprît afin de continuer la clinique. »
En somme, on apprenait la
chirurgie chez un maître en chirurgie.
Le 27 août 1661, Charles IV
reconnaissait que les chirurgiens formaient dans les duchés de Lorraine et de
Bar, un corps centralisé. A sa tête, il y avait un premier chirurgien ; pour
obtenir le titre de chirurgien, il fallait avoir été apprenti un certain temps
et avoir fait son chef-d'œuvre devant le premier chirurgien et un de ses
lieutenants, assistés de un ou plusieurs docteurs en médecine.
Le premier chirurgien de
Charles IV était François Sellier. Après lui on voit les noms de Nicolas Rouvroy, de Jean Laurent, de Henri Cornuet,
de Belleville. Mais cette charge de premier chirurgien était un office, elle
fut supprimée pour être rétablie en 1711, par Léopold.
Or, une ordonnance de 1708
obligeait les chirurgiens de se faire recevoir par le nouveau professeur de
chirurgie, ce qui établissait la suprématie de la Faculté.
D'où conflit d'abord avec Levoyer, le premier chirurgien de Léopold, avec lequel Pacquotte dut s'arranger ; puis
la cabale continuant, elle réussit à enlever à la Faculté de Médecine, le
privilège d'examiner tous les chirurgiens du pays.
Le conflit devint très aigu
avec Guillaume Desfarges, nommé premier chirurgien
en 1737 ; il exigeait que l'on ne puisse exercer la chirurgie sans son
autorisation. Il y eut procès, et le Conseil d'Etat dut
s'occuper de la question en 1762.
C'est en 1768 que la
Faculté de Médecine est transportée de Pont-à-Mousson à Nancy.
Le Conseil d'Etat règle de
nouveau la réception des chirurgiens et rétablit la chaire de chirurgie.
Après la mort de Pacquotte, Maurice Grandclas et
Joseph Jadelot font des démonstrations de chirurgie.
Le nom de Jadelot doit être retenu comme doyen, il a
toujours défendu les prérogatives de la Faculté.
C'est de cette époque que
date le titre de docteur en chirurgie délivré
par la Faculté de Nancy.
Dans les dernières années
si troublées de la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson, émerge un nom, celui
de Denis Rivard. Denis Rivard
reçut son brevet de démonstrateur d'anatomie et de chirurgie, le 13 décembre
1720.
Rivard naquit à Neufchâteau, en 1683 ; à 16 ans, il part à Paris
apprendre la chirurgie ; élève à l'Hôtel-Dieu, il
acquit assez de réputation pour être, comme le dit un auteur de l'époque, de
Chevrier, « chargé en chef de la partie de la taille ».
C'est à cette époque que
Frère Jacques opérait en Hollande où il était pour échapper à ses persécuteurs,
d'après sa méthode qui est devenue la taille latéralisée.
Rivard était si habile dans ce genre « que de cent opérations
faites sur les gens qui étoient attaquées de la
pierre, il n'en manquoit pas quatre ».
« Léopold instruit par la
renommée des connaissances supérieures de ce chirurgien, ne voulut point que la
France se parât d'un bien qui lui était étranger. Rivard
fut rappelé dans sa patrie avec une pension et revêtu de la charge de
démonstrateur royal de chirurgie dans l'Université de Pont-à-Mousson. »
En 1706, Léopold fonda un
hôpital à Lunéville qui devait devenir le refuge de tous les calculeux de la
Lorraine et du Barrois.
L'opération
de la taille se faisait en deux saisons, au printemps et à l'automne. De 1721 à
1737, Rivard opéra plus de 600 calculeux ; de 1738 à
1740, on relève 104 opérés dans les archives de l'hôpital de Lunéville.
Saucerotte, dont nous reparlerons, et qui succéda à Rivard, parle de 1629 calculeux opérés, dont 683 pendant
les 35 ans que Saucerotte a opéré.
1435 ont été opérés par la
taille latéralisée, 137 sont morts.
Sur 194 opérés par la
méthode de Hawkins, avec les corrections de Louis et Desault, il y eut 10
morts.
Les opérés étaient
entretenus aux frais du duc. A la mort de Léopold, Stanislas abandonna pour
soutenir la fondation des ducs 1200 livres de France, et dans son testament, il
ordonna que cette fondation continue.
Dans le premier volume de
l'Encyclopédie française d'Urologie, Rivard est
considéré comme un inciseur errant. Rivard était bel et bien un officiel, bien établi à
Pont-à-Mousson, allant deux fois par an à Lunéville.
Il mourut en 1749. Il
avait, comme le dit Dom Calmet, « beaucoup de
probité, de religion, de délicatesse et de conscience, qualités assez peu
communes entre gens de sa profession ».
Dom Calmet
ne semble pas tendre pour les chirurgiens de l'époque.
Malgré tout ce qu'il
faisait pour la chirurgie et les chirurgiens à Pont-à-Mousson et à Nancy,
Léopold n'a pas eu confiance dans les chirurgiens lorrains.
Souffrant comme son oncle
Louis XIV d'une fistule à l'anus en 1722, il fit venir le chirurgien parisien
La Peyronnie qui pratiqua l'opération avec succès, le
21 décembre 1722.
D'après Dom Calmet, le duc donna « 50000 francs à Lapeyronnie,
la duchesse un diamant qui en vaut la moitié, la ville de Nancy une bourse
remplie de florins d'or ».
Un détail à signaler dans
les ordonnances de 1708 : Léopold enjoint aux professeurs d'être assidus à
leurs leçons et exercices sans qu'ils puissent s'en dispenser sans cause
légitime qui sera approuvée par le doyen de la Faculté, et si « aucuns d'eux y
manquent voulons qu'il leur soit retenu sur leurs appointements pour chaque
leçon deux francs barrois ».
Léopold ne badinait pas.
Messieurs,
il faut vous dire un mot des chirurgiens jurés et des chirurgiens stipendiés.
Les chirurgiens et médecins
stipendiés datent de 1626, ils dépendaient de la ville où ils étaient
stipendiés. Leurs rôles étaient multiples. Je trouve dans Lepage,
à l'article « Comptes de la ville en 1737 et 1741 » le relevé d'une somme
donnée au sieur Petitdidier, chirugien
stipendié, pour remèdes et aliments fournis par lui à deux pauvres personnes
attaquées de la maladie vénérienne, et que la ville a jugé à propos de faire
soulager pour empêcher que cette maladie ne se communique. Même attribution à
Lalande, chirurgien stipendié, pour la même raison. Ce fait est, je crois,
intéressant à relever au point de vue de la prophylaxie.
Les chirurgiens jurés
furent créés vers 1692 ; ils étaient, d'après Simonin
père, chargés de la rédaction des rapports juridiques propres à éclairer les
magistrats sur la gravité et l'issue probable des lésions physiques causées par
des mains imprudentes ou criminelles.
Les chirurgiens jurés ont
donc été les ancêtres des médecins légistes actuels. M. le Professeur Parisot, dans un discours prononcé le 13 novembre 1913 à
la séance de rentrée de l'Université de Nancy, a étudié d'une façon complète et
fort intéressante, le rôle du chirurgien juré qui assistait aux séances de
torture et soignait ensuite le malheureux inculpé.
Au point de vue exercice de
la chirurgie, l'ordonnance de 1708 avait un paragraphe ainsi conçu : «
Défendons à tous chirurgiens qui ne sont point maîtres, de faire aucune
opération de conséquence, comme trépan, amputation, etc., sans le secours et
assistance d'un maître chirurgien. »
Messieurs, nous avons vu
comment on était reçu maître en chirurgie, que l'on passât ou non à la Faculté
de Médecine de Pont-à-Mousson.
Nous avons vu les rivalités
existant entre la Faculté, le premier chirurgien et la Communauté des
Chirurgiens.
Il y
avait à Nancy depuis le milieu du XVIIe siècle, un
collège de médecine, dont le fondateur avait été Charles Bagard
en 1752. Bagard et Harmant
ont été les médecins les plus connus de ce collège de médecine.
Une mauvaise langue de
cette époque, plus que probablement un médecin, a écrit ceci : « Je ne dirai,
rien des Bagard et des Harmant,
on les connaît peu, leurs pratiques ne se plaignent plus, ils ont soin de les
empêcher de parler. »•
Phrase d'un jaloux, car Bagard a laissé derrière lui un certain renom. Bagard a soigné Voltaire, quand il était à Commercy.
Bagard et le collège de médecine étaient en lutte avec la
Faculté.
Un nouveau rival allait
surgir. La Faculté de Pont-à-Mousson est transférée à Nancy en 1708.
Les lettres patentes du 5
août 1768, ordonnent le transfert pour le 1er octobre 1768.
La Faculté s'installe dans
les bâtiments du Collège royal des Médecins, pavillon de la place Stanislas,
ancien théâtre et cercle militaire.
Le professeur de chirurgie
et le prosecteur d'anatomie ne quittèrent pas Pont-à-Mousson, à la translation
de la Faculté.
Le Collège de Chirurgie est
créé en 1770 ; le 27 juin, le premier chirurgien du duc, lors de la réunion du
duché à la France, voit son office supprimé par lettres patentes du mois de
février 1770.
Les chirurgiens de
Lorraine, vont être réglementés par le roi de France et son premier chirurgien,
La Martinière.
Pour exercer la chirurgie,
il faut se faire admettre par les maîtres chirurgiens du Collège ; une école
royale de chirurgie à l’instar de celles établies dans les autres grandes
villes est créée dans le Collège de Chirurgie.
Cette école est composée de
cinq professeurs, dans les lettres patentes du roi données à Versailles, le 20
novembre 1771, enregistrées à la cour souveraine, le 1er février 1772 ; la
composition de cette école est la suivante :
La Martinière,
premier chirurgien du roi ; professeurs, les sieurs Garosse,
Louis Bruant, J.-B. Laffïte fils, Dominique La Flize,
Richard Pierrot.
Bruant faisait le cours
d'ostéologie et de maladies des os ; Laffite, le
cours d'anatomie ; La Flize, le cours des maladies chirurgicales ; Richard
Pierrot, le cours des accouchements.
Les cours étaient suivis
par les candidats à la maîtrise en chirurgie.
Pour être admis, il fallait
avoir suivi le cours au moins un an. Il fallait avoir exercé avec application
et assiduité pendant trois ans, chez des maîtres en chirurgie, dans les
hôpitaux des villes frontières ou dans les armées, ou au moins deux ans dans
les hôpitaux de Paris.
Il y avait trois examens,
tous en plusieurs séances. Puis l'on était agrégé au collège de Nancy après un
examen de trois heures, sur les principales parties de la chirurgie ;
l'interrogation était faite par le lieutenant du premier chirurgien, les
prévôts, le doyen de la Faculté, en présence de tous les maîtres du collège.
Tel est bien résumé, le
programme des études, au Collège royal de Chirurgie.
Les spécialistes
herniaires, dentistes et oculistes, pour le bailliage de Nancy, avaient des
examens spéciaux.
La police de la chirurgie
était faite par les prévôts qui avaient droit de visite dans les maisons
particulières, les hôpitaux, les enclos, les collèges.
Tous les ans, le lieutenant
du premier chirurgien allait chez tous les maîtres- chirurgiens.
Je note dans ces
ordonnances sur la police de la chirurgie, que je ne fais qu'esquisser, ce
paragraphe :
« Aucuns chirurgiens,
maîtres ou autres, généralement quelconques, ne pourront lever aucun appareil
posé par un autre, hors le cas d'un péril évident qu'en sa présence ou après
une sommation bien et dûment faite après interdiction. »
Cet autre encore : « La
démonstration des opérations en cas qu'elle ne puisse se faire sur un sujet
humain, se fera sur des animaux pour des opérations du bas-ventre et de la
poitrine et sur la tête d'un veau pour le trépan. »
C'est de 1770 que date la
séparation des chirurgiens et des barbiers (29 juin 1770).
Les barbiers, perruquiers,
baigneurs, clavistes des duchés de Lorraine et de Bar, forment alors une
communauté.
Ils avaient le droit
d'avoir « des boutiques peintes en bleu, fermées de châssis à grands carreaux
de verre, sans aucune ressemblance aux montres des 0maîtres chirurgiens et de
mettre à leurs enseignes, des bassins blancs pour marque de leur profession et
pour faire différence de ceux des maîtres chirurgiens qui en ont des jaunes ».
Dans la lettre patente du
20 novembre 1771, enregistrée en la cour souveraine, le 1er février 1772, il
était défendu à toute personne d'exercer conjointement ou séparément
quelques-unes des parties, même à tous ecclésiastiques séculiers ou réguliers
ou autres, de faire au'cuae incision, opération, ni
pansements, à peine de cinq cents livres d'amendes.
Cet article VIII ne
comprenait pas les Frères de la Charité, fondés par le roi de Pologne, et ceux
établis à Gondreville.
La fondation datait de
1748, le contrat de 1750. Les Frères de la Charité avaient un hôpital rue
Sainte-Catherine, qui devint sous la Révolution l'Hôpital Marat ; ils firent
des opérations imprudentes ; le Collège de Chirurgie se plaignit souvent d'eux.
Seront aussi exemptés de
l'article VIII : « pour le fait du rétablissement des membres disloqués,
cassés ou froissés, Jean-Joseph Fleurot et ses quatre
fils, demeurant au hameau de la Broche, connus sous la dénomination des gens du
Val-d'Ajol, ensemble et leurs descendans ».
Cette dynastie des Fleurot a été célèbre jusqu'en ces dernières années en
Lorraine. Le baron de Percy, dans ses Mémoir
Les Fleurot
avaient certainement une grande compétence. Ils méritaient certainement plus la
reconnaissance officielle que le nommé Durafort,
marchand à Lunéville, nommé par Léopold, le 30 mars 1713, « renoueur
ou remboiteur à la suite de la Cour ». Il peut
continuer son négoce, mais reste à la disposition de la Cour pour « rhabiller
et renouer les os rompus et luxés, de même que pour la guérison des extensions
des nerfs, des nerfs tressaillis, contusions et autres incommodités causées par
des chutes. » (Archives de Lunéville)
Messieurs, pardonnez-moi
ces digressions que j'ai regardées comme intéressantes, d'autant plus qu'elles
se trouvent dans ces ordonnances royales de 1770 à 1772, qui régissent la
chirurgie en Lorraine jusqu'à la Révolution.
J'en reviens au Collège
royal de Chirurgie. La Cour en enregistrant les lettres le créant, avait mis
comme condition qu'il ne serait apporté aucun changement à la chaire de
chirurgie attachée à la Faculté.
La chaire de chirurgie ne
fut cependant pas rétablie faute d'émoluments autres qu'un droit de 25 francs
barrois payable par chaque étudiant en chirurgie.
Le premier chirurgien du
roi se serait certainement opposé à son rétablissement pour garantir les droits
du Collège de Chirurgie qui faisait des cours très complets.
La Faculté n'osa engager un
procès.
Elle se borna à de vagues
protestations. Son ressentiment contre les chirurgiens fit qu'elle empêcha le
Collège de Chirurgie de trouver un local, qu'il chercha de 1770 à 1793.
Sur les dix-huit Facultés
qui existaient en France, la Faculté de Nancy était encore une des neuf qui
conservaient de l'activité.
En 1789, comme professeurs
au Collège de Chirurgie, on trouve : J.-B. Simonin,
Dominique La Flize, qui était devenu lieutenant du premier chirurgien et J.-B.
Lamoureux, professeur d'accouchements ; il est à noter, qu'en 1774, Madame du Coudray fut appelée à Nancy pour former des sages-femmes.
Vers 1790, on commence à
trouver la tutelle du premier chirurgien du roi trop onéreuse. A Nancy, les
examens des candidats à la maîtrise étaient très bons, dans les petites villes,
ils étaient franchement mauvais. On demande qu'on efface la différence entre
la chirurgie et, la médecine, qu'il y ait un art unique.
C'est la Révolution qui va
réaliser cette réforme.
De cette époque plusieurs
noms sont à retenir, mais je ne vous parlerai que de deux chirurgiens : Nicolas
Saucerotte, de Lunéville, et Moreau, de Bar-le-Due, alors Bar-sur-Ornain.
Nicolas Saucerotte
est né à Lunéville en 1741 ; il fit son apprentissage à Epinal, chez Altain, maître en chirurgie, tout en suivant les cours du
collège ; il prend son grade de maître en chirurgie pour Remiremont, après
avoir servi à l'armée pendant la guerre de Sept Ans, de 1758 à 1761.
En
1762, nommé lieutenant du chirurgien du roi et juré aux rapports stipendié pour
Lunéville en 1765 ; maître es arts à la Faculté de Pont-à-Mousson, le 16
septembre 1766 ; correspondant de l'Académie royale de Chirurgie en novembre
1766 ; nommé par La Martinière en 1770, greffier du
premier chirurgien du roi ; chirurgien-juré aux
rapports en 1770 ; correspondant du Collège royal de Chirurgie en 1773 ; en
1776, professeur-d'accouchements à Lunéville sur
présentation de La Martinière ; en 1777, chirurgien
major de la gendarmerie jusqu'au jour de son licenciement en 1788 ; lieutenant
du premier chirurgien du roi en 1785 ; lithotomiste en chef des duchés de
Lorraine et de Bar, par adjonction au sieur Ruette,
1777 ; titulaire en 1785.
Le 28 prairial an II, il
était chirurgien en chef des armées du Nord ; le 27 messidor an II, de l'armée
de Sambre-et-Meuse.
Il représenta au Conseil de
Santé, réorganisé par la loi du 12 pluviôse an III, l'élément chirugical en compagnie de Villars, Heurteloup,
Ruffin ; il prit sa retraite comme inspecteur du Service de Santé, le 17
ventôse an V.
Il mourut à Lunéville, le
15 janvier 1814, le jour de l'entrée de l'armée russe à Lunéville.
Nicolas Saucerotte
eu une grande réputation en Lorraine, il lui fait honneur. Son buste est
parmi ceux que vous voyez autour du palais de l'Académie. Sa formation est
purement lorraine.
Il a laissé une longue
descendance de médecins ; le dernier médecin de ce nom est notre confrère,
Louis Saucerotte, mort pour la Patrie pendant la
guerre de 1914-1918, après avoir vu l'occupation de Lunéville en 1914, par les
Allemands, comme son aïeul avait vu l'occupation de Lunéville par les Russes en
1814.
Nicolas Saucerotte
a laissé des travaux très importants sur les blessures du crâne, sur la taille.
J'ai parcouru ses notes
particulières, que sa famille a bien voulu me confier ; elles sont des plus
intéressantes, et Nicolas Saucerotte représente bien
le type du chirurgien de la fin du XVIII" siècle.
Moreau, de Bar-sur-Ornain, est un des chirurgiens qui firent les
premières résections osseuses. Avant lui, je ne vois guère que Vigaroux, de Montpellier, qui avait fait sa première opération
en 1676, mais son opération n'a été publiée par son fils qu'en 1812.
xxx, de Manchester, fit
sa première résection en 1768 ; son opération est rapportée par Park, de
Liverpool, en 1787 ; la traduction de Park, par Lassus, date de 1784, et sa lettre
à Parcival Pott ne fut connue en France qu'en 1784.
Moreau, originaire de Vitry-le-Francois, maître en chirurgie de Bar-le-Duc, prend
ses titres à la Faculté en 1784 : bachelier, licencié, docteur en chirurgie.
C'est
le 13 août 1782, que Moreau fit sa première résection de l'articulation tibio-tarsienne.
L'observation fut
communiquée la même année à l'Académie royale de Chirurgie. Elle n'en tient pas
compte.
Deuxième mémoire en 1786.
L'Académie n'y accorde pas la moindre attention.
En 1786, à Cousances-aux-Forges, Moreau père fit en présence de Barthazard, chirurgien du lieu, une résection de la tête de
l'humérus et de la cavité glenoïdale correspondante.
Troisième mémoire de Moreau
en 1789, qui rencontre les plus vives contradictions ; on trouve plus commode
de nier que de discuter les faits.
Il faut que Percy rende
justice à Moreau.
Détail à noter : Percy a
été attaché en qualité d'aide-major à la compagnie
écossaise de la petite gendarmerie de Lunéville, de 1776 à 1782-83.
Il avait peut-être entendu parler
de Moreau.
Quoi qu'il en soit, en
1792, lors du passage de l'armée de Kellermann, à Bar-sur-Ornain,
pour aller au camp de la Lune, Percy et Chamerlat,
chirurgien en chef de l'armée, assistèrent à une opération de Moreau.
C'est après que Percy eut recours
avec tant de succès aux résections dans les coups de feu des articulations.
Il ne faut donc pas oublier
que c'est un chirurgien exerçant en Lorraine qui a posé le premier le principe
des résections.
Dans son Mémoire de 1789,
il dit ceci : « Quand la carie affecterait toute l'articulation, dans pareille
circonstance, je l'emporterais, je mettrais les os coupés à même de se toucher
; je tiendrais le membre fixé comme dans une fracture, et y attendrais patiemment
que les pièces osseuses se soudassent. »
Rien de plus précis.
Ce mémoire date de 1789,
alors que la première résection faite par Moreau, date de 1782.
Le nom de Moreau est
actuellement bien peu connu des chirurgiens français.
J'ai regardé comme un
devoir de lui rendre la justice qui lui est due ; car, comme Lorrains, nous
pouvons et nous devons être fiers de lui.
J'aurais
pu vous donner, grâce au regretté Briquel, toutes les
thèses de doctorat en chirurgie de cette époque. Ce serait une étude trop
longue, mais très intéressante et qui devrait être reprise.
Je me borne à vous répéter
que la formation chirurgicale était bonne, en Lorraine, aussi bonne que partout
ailleurs.
Le 18 août 1792, une loi
volée par l'Assemblée législative abolit les Universités, les dix-huit Facultés
de Médecine et les quinze Collèges de Médecine ou de Chirurgie qui existaient
en France.
Un an après, la Convention
acheva cette œuvre de destruction en supprimant toutes les Académies et
Sociétés patentées ou dotées par la nation.
Le décret du 8 août 1793
est rendu, chose à signaler, sur .la proposition d'un Lorrain, le
conventionnel Grégoire, rapporteur du Comité de l'Instruction publique.
Par la loi du 14 frimaire
an III, trois écoles de santé sont fondées, à Paris, Montpellier, Strasbourg.
Un moment Nancy devait être à la place de Strasbourg ; mais comme on voulait
surtout former des officiers de santé pour les armées et les hôpitaux militaires,
Strasbourg l'emporta.
Il n'y avait plus
d'enseignement médical à Nancy.
Le 25 thermidor an IV, une
Société de Santé se fonda, mais n'eut qu'une durée éphémère, et à partir du 2
primaire an XI, la médecine ne fut plus enseignée que d'une manière privée, par
J.-B. Simonin, Alexandre de Haldat,
Serrière et Bonfïls.
De Haldat
et Serrière faisaient un cours d'anatomie et de physiologie
dans l'ancien hôpital militaire.
Cette école libre reçut une
consécration officielle sous la Restauration. Le 27 juin 1822, elle devient
l'Ecole secondaire de Médecine.
En 1837, les trois hôpitaux
: Saint-Charles, Saint-Julien,
Saint-Stanislas réunis sous la même administration,
ne possédaient que deux chefs de service, un médecin en chef et un chirurgien
en chef. Ces deux fonctionnaires se trouvaient chargés, comme professeurs, de
la clinique médicale et de la clinique chirurgicale ; ils étaient assistés d'un
médecin et d'un chirurgien-adjoint.
En 1843, le service médical
de Saint-Charles restait affecté à la clinique
médicale.
Il y
avait un chirurgien-chef des trois hôpitaux, qui
d'abord professeur-adjoint, devient professeur
titulaire : Simonin avec un chirurgien-aide
pour le service de chirurgie, et un chirurgien-aide
pour le service de médecine.
En 1843, après une grande
réforme de renseignement médical, l'école devient l'école préparatoire de
médecine et de pharmacie. En 1854, il y eut une installation solennelle des
Facultés des Sciences et des Lettres et de l'Ecole de Médecine et de Pharmacie
de Nancy.
En séance publique, sous la
présidence de M. Faye, membre de l'Institut, recteur de l'Académie de Nancy ;
Godron, doyen de la Faculté des Sciences, Benoît, doyen de la Faculté des
Lettres, Edmond Simonin, directeur de l'Ecole de
Médecine el de Pharmacie, prononcent les discours de rentrée.
Les décrets réorganisant
l'Ecole de Médecine datent du 6 décembre 1854. Les décrets réorganisant les
Ecoles préparatoires de Médecine et de Pharmacie de Lyon et de Bordeaux,
étaient du 13 août et du 10 octobre 1854.
Pour la chirurgie, les
professeurs sont Edmond Simonin et Hochet.
L'anatomie et la
physiologie .étaient enseignées par Léon Parisot. Le
chef des travaux anatomiques était Poincaré ; le professeur d'accouchements,
Roussel.
Le professeur de clinique
interne était Victor Parisot.
Après 1856, les
inconvénients de la réunion dans les services de fonctionnaires médicaux
provenant d'origines diverses, notamment de l'Instruction publique par leur
nomination, cessa d'exister.
Dès lors, l'unité désirable
dans les services cliniques fut obtenue ; les professeurs titulaires, adjoints
et suppléants étant tous nommés par le ministère de l'Instruction publique.
Par décret du 1er octobre 1872,
la Faculté de Strasbourg est transférée à Nancy avec son doyen Stoltz.
Pendant 50 ans,
Strasbourgeois, Lorrains et Nancéiens, unis dans un même devoir, comme l'a si
bien dit M. le doyen Meyer, « nous avons pieusement conservé le dépôt confié à
notre garde ».
C’est en novembre 1872 que
les maladies des yeux formèrent une clinique spéciale.
A la
fin de 1873, la Faculté de Médecine devant comporter deux cliniques
chirurgicales, le service chirurgical est transporté à l'ancien dépôt de
mendicité, qui reçut le nom d'Hôpital Saint-Léon.
Le service qui de 1822 à
1873 avait constitué une seule clinique est divisé en deux. Ce sont les deux
cliniques actuelles.
Les cliniques médicales
restèrent à Saint-Charles, jusqu'au moment du
transfert de tous les services à l'Hôpital civil actuel.
Messieurs, par cet exposé
peut-être un peu long, vous voyez quelle a été la situation de l'enseignement
chirurgical en Lorraine.
Malgré toutes les
vicissitudes de la Faculté de Médecine de Pont-à-Mousson, de l'ancienne Faculté
de Nancy, un rôle important a été rempli ; à nous tous de nous efforcer de le
continuer et de l'augmenter.
Messieurs, je crois que nos
ancêtres, même avec les moyens réduits qu'ils avaient à leur disposition,
avaient vu juste en maintenant les trois ans d'apprentissage, pour pouvoir
songer à devenir maître en arts ; et alors que la plupart des chirurgiens
faisaient de bien petites opérations comparativement à celles que l'on t'ait
actuellement.
Aujourd'hui, les débuts
d'un chirurgien posent un terrible problème ; il faut qu'il commence un jour
ou l'an Ire à tenir dans ses mains encore inexpertes la vie d'un être humain.
Comme le dit Fiolle, la période d'apprentissage est critique pour tout
chirurgien. L'avenir dépend en grande partie du bonheur des débuts.
Messieurs, le grand
principe de la formation chirurgicale, c'est l'assistance. En aidant,
on observe, on s'instruit sans pouvoir nuire, on participe aux
interventions sans en avoir la responsabilité. On peut s'assimiler les grandes
règles générales de discipline chirurgicale.
Pour les jeunes qui
m'écoutent, ne regardez jamais le rôle d'aide comme un rôle infime, soyez fiers
de le remplir ; si vous êtes un bon aide, vous pourrez devenir bon chirurgien ;
mauvais aide, vous ne le deviendrez jamais.
Pendant
la guerre, j'ai eu l'occasion d'être aidé par beaucoup de monde, soyez
convaincu que l'on pouvait juger de la valeur d'un aide au point de vue
chirurgical, rien que par un détail qui va vous sembler de peu d'importance, la
façon de faire une ligature. Certains ne sauront jamais faire un nœud
chirurgical, qu'ils ne se mêlent pas de faire de chirurgie.
Dites-vous bien que
l'apprentissage de la chirurgie est long, il dure toute la vie.
Il n'est pas une technique qui
ne puisse être améliorée de quelque façon.
Seuls les chirurgiens
médiocres peuvent être satisfaits définitivement quand ils sont arrivés à une
certaine habileté.
L'effort constant est
nécessaire à qui ne veut pas déchoir. Vous avez deux écueils à éviter : l'optimisme excessif et le scepticisme.
L'optimisme excessif
entraîne aux actions déréglées. Le
chirurgien qui croit ne jamais se tromper, qui ne doute jamais de lui, peut
devenir dangereux.
L'exaltation de certains
chirurgiens est assez inquiétante. Quant au scepticisme, qui n'est en l'espèce
qu'une forme de pessimisme, c'est le pire des maux, dans un art où l'action a
une si grande place et tend à annihiler l'effort et à stériliser la volonté.
Ne soyez pas pessimistes,
mais ayez du scepticisme, ou plutôt beaucoup de sens critique, qui à l'occasion
de certaines opérations mal étudiées, vous mettront en garde et vous
empêcheront de commettre des fautes irréparables.
Tous nous avons fait la
réflexion de Montaigne : « Que sais-je ? »
Mais il ne faut pas de
doute à celui qui exerce la chirurgie. Le soulagement
de la misère veut de l'enthousiasme. En présence du malade, laissez de côté toute critique. Un malade que vous
allez opérer ne doit jamais penser que vous
doutez.
Ne parlez de vos doutes au
point de vue du succès opératoire qu'à l'entourage, si vous êtes sûr de sa
discrétion.
Le plus grand faible des
hommes, c'est l'amour qu'ils ont pour la vie.
La plus grande victoire,
c'est celle qui impose une trêve à la douleur et à la mort.
Le médecin, le chirurgien,
doivent toujours laisser derrière eux l'apaisement et l'espoir.
Lisez tous la magnifique
monographie du bon et du grand chirurgien qu'est le professeur J.-Louis Faure, intitulée : « L'Ame
du Chirurgien », vous y verrez que l'exercice de la chirurgie demande une
incontestable solidité morale.
Il
n'est pas un seul acte de notre vie professionnelle qui n'engage des
responsabilités redoutables. Faure, parlant du chirurgien, écrit :
« De chacune de ses
pensées, de chacun de ses actes et parfois de ses gestes peuvent naître les
événements les plus heureux ou découler les conséquences les plus tragiques. »
« La responsabilité du
chirurgien et les angoisses qu'elle entraîne ne commencent pas seulement avec
l'opération. Elles naissent à l'heure même où il prend la résolution de la
faire.»
« C'est dans cette minute
suprême, où face à face» avec sa seule conscience, le chirurgien se décide à
agir, que se joue la grande partie et que se fixe le destin. Et la santé ou la
maladie, la vaillance ou l'infirmité, la vie ou la mort sont suspendues à cette
décision réfléchie, mais irréparable. »
Vous voyez la grandeur de
notre rôle, vous voyez combien vous devez être armés pour le remplir.
La collaboration médico-chirurgicale est de plus en plus intime, il faut
bien vous en pénétrer, pour que vous sachiez poser d'une façon sûre une
indication opératoire.
N'opérez jamais sans que
cette indication opératoire ne soit posée.
Si par malheur, vous avez
un désastre, en faisant votre examen de conscience, vous vous poserez le problème
de votre responsabilité directe.
En face de vous-même, vous
vous demanderez si vous n'avez aucun reproche à vous adresser ; si vous avez
agi comme vous deviez agir ; si vous avez été le bon chirurgien exécutant en
toute conscience ce que vous avez cru être votre devoir.
Disons avec Faure : «
Aimons tous la chirurgie parce qu'elle nous rend meilleur, parce qu'elle nous
pousse au travail, parce qu'elle est la source de l'énergie morale, de la
bonté, parce qu'elle nous permet la pitié pour les faibles et les malheureux. »
Comme l'a dit si
éloquemment Le Double : « Filles de la charité et de la souffrance, la médecine
et la chirurgie, sont nées avec la première plainte de la première douleur. »
Par
votre vie, par vos actes, montrez que vous avez au fond du cœur, autre chose
que la soif de l'or, ou le désir de faire du bruit autour de votre nom. Dans
cette période où nous vivons, à tendance beaucoup trop utilitaire, que les
jeunes écoutent un ancien ; gardez un peu de cet idéal, qui a toujours été la
beauté de notre profession ; la reconnaissance et le sentiment du
devoir accompli, l'estime de ceux pour lesquels on s'est dévoué, sont des
satisfactions qu'il faut toujours savoir désirer et pouvoir obtenir.