L'ophtalmologie

par C. THOMAS

Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)

Annales Médicales de Nancy

(édité en avril 1975)

Dès 1872, c'est-à-dire dès le transfert à Nancy de la Faculté de Médecine de Strasbourg, une Charge de Cours complémentaire d'Ophtalmologie fut créée à la Faculté de Médecine de Nancy, succédant à l'Ecole Préparatoire de Médecine qui existait depuis 1843. Si cet enseignement ophtalmologique est apparu de suite nécessaire dans la nouvelle Faculté, c'est que depuis 1829 la charge de cet enseignement avait été donnée à Victor Stoeber à la Faculté de Strasbourg, qui fut la première à individualiser un enseignement des maladies des yeux.

C'est d'ailleurs à un agrégé venu de Strasbourg que la Faculté de Médecine de Nancy confia cette charge de Cours d'Ophtalmologie. Son nom est resté célèbre : Ferdinand Monnoyer. Né à Lyon le 9 mai 1836, il avait été institué Agrégé de Physique à la Faculté de Médecine de Strasbourg le 30 mai 1863, avant d'être nommé, le 14 octobre 1872 à la Faculté de Médecine de Nancy. C'est un arrêté du 12 décembre 1873 qui a officialisé l'enseignement d'Ophtalmologie à Nancy, sous la forme d'une « charge de Cours Complémentaire et de Clinique Ophtalmologique ».

Si le nom de Monnoyer est célèbre au point d'être, encore aujourd'hui, connu des Ophtalmologistes du monde entier, c'est qu'il est l'auteur de la définition de l'unité de valeur de réfraction, la dioptrie, universellement adoptée en Optique Médicale depuis le Congrès d'Ophtalmologie de Bruxelles en 1875. Dans la bibliographie, on cite parfois comme père de la dioptrie « Monnoyer de Lyon». On ne peut nier que, le 24 avril 1877, Monnoyer quitta la Faculté de Médecine de Nancy pour être nommé Professeur de Physique Médicale à la Faculté de Médecine de Lyon, sa ville natale. Mais c'est avant d'être à Lyon, et alors qu'il enseignait à Nancy, qu'il a écrit dans les Annales d'Oculistique un article paru en octobre 1872 « Sur l'introduction du système métrique dans le numérotage des verres de lunettes et sur le choix d'une unité de réfraction ». Dans cet article, apparaissait pour la première fois le nom de « dioptrie », valeur exprimant la puissance d'une lentille par l'inverse de sa distance focale exprimée en mètre. Dans la Revue Médicale de l'Est en 1876 (t v. page 223), il est revenu sur le sujet à propos de «Verres de lunettes fabriqués et numérotés conformément au système métrique et à la nouvelle notation en dioptries métriques ». « C'est également durant son séjour à Nancy qu'il a publié (dans la Revue Médicale de l'Est 1874, page 346 à 392) une nouvelle échelle optométrique décimale ». L échelle de Monnoyer existe toujours et se trouve être encore la plus répandue dans le monde sauf dans les pays anglo-saxons qui n'ont pas suivi, pour les tests d'acuité, la normalisation décimale. Mais ces pays anglo-saxons avaient déjà fait l'effort méritoire d'abandonner l'ancienne numérotation en pouces des verres d'optique médicale, pour se rattacher à la définition décimale de la dioptrie de Monnoyer et permettre un emploi véritablement universel.

Il est à remarquer qu'à cette époque, la Chaire de Physique Médicale de Nancy s'intéressait à l'Ophtalmologie non seulement en la personne de l'Agrégé mais aussi dans celle du Titulaire. C'est ainsi que le Pr. Charpentier publia chez Doin en 1881 un livre intitulé : « L'examen de la vision au point de vue de la Médecine Générale ». Ce petit livre de 137 pages, écrit dans une langue très dépouillée et fraîche, contient en particulier la description d'une technique qui est restée dans les ouvrages classiques sous le nom de « Méthode de Charpentier» : c'est la mesure par réflexion sur la cornée de l'angle que fait la ligne visuelle avec la perpendiculaire au centre de la cornée, c'est-à-dire ce que nous appelons aujourd'hui l'angle Kappa, angle dont les variations sont susceptibles de créer un aspect de strabisme alors que pourtant la vision binoculaire est normale, donc qu'il n'y a pas de strabisme au sens physio-pathologique du terme.

Si Monnoyer, Agrégé de Physique Médicale, a continué à publier des travaux d'Optique durant son séjour à Nancy (et bien souvent à la Société de Médecine de Nancy), il n'a pas oublié qu'il avait été chargé, en Ophtalmologie, non seulement d'un Cours théorique, mais aussi d'un Cours de Clinique. C'est pourquoi nous trouvons dans la Revue Médicale de l'Est des titres de publications sur des sujets qui étonneraient aujourd'hui de la part d'un physicien : tatouage de la cornée, différents procédés d'opération de cataracte, luxation complète et spontanée de cristallin transparent, zona ophtalmique, rétinite pigmen-taire, ectropion, angiome traité par galvanocaustiques, etc.

Cette activité clinique de Monnoyer avait été permise par la création dans un ancien Dépôt de Mendicité, devenu Hôpital Saint-Léon, annexe du vieil Hôpital Saint-Charles, d'une Clinique des Maladies des Yeux, à côté de deux cliniques médicales.

Le transfert de Monnoyer à Lyon n'a fait disparaître ni l'activité de cette Clinique de Maladies des Yeux, ni l'Enseignement Ophtalmologique. Furent successivement en charge de ces deux activités des Agrégés qui se sont appelés : Gross, Heydenreich, Weiss. Mais ces Agrégés n'ont fait qu'un intérim, leur vocation les appelant dans d'autres domaines où ils sont devenus des Maîtres, véritables Chefs d'Ecole illustrant la Faculté de Médecine de Nancy. Leur passage en Ophtalmologie bien que court, a été cependant marqué par un accroissement très net des cas traités : les malades hospitalisés sont passés, entre 1872 et 1882, de 75 à 300 et les consultations externes de 800 à 3000.

C'est en 1883 qu'un Agrégé de Chirurgie, Joseph Rohmer, remplaça Théodore Weiss.

J. Rohmer fut chargé de transférer le Service d'Ophtalmologie du vieil Hôpital Saint-Léon à ce qu'on appelait alors l'Hôpital Civil (devenu en 1931 Hôpital Central) qui, en 1883, venait d'être terminé. Un pavillon pour les maladies des yeux avait été prévu dans la construction de cet Hôpital Civil, commencé en 1879. Mais les disponibilités financières avaient manqué pour l'Ophtalmologie (déjà !) et la réalisation du projet avait été remise. C'est pourquoi Rohmer s'installa dans le Pavillon Roger de Videlange sous les tuiles, ce qui fit appeler le Service d'Ophtalmologie « le Pigeonnier ». Il fallut attendre 1897 avec le legs de la veuve Déodor, née Balbâtre, pour que soit construit le bâtiment dans lequel se trouve actuellement la Clinique Ophtalmologique. Ce bâtiment a été agrandi à l'une de ses extrémités pour installer à partir de 1910 un Service de Consultations Dentaires : à partir de 1920, le sous-sol, à l'autre extrémité, a été affecté à un service de buanderie pour la Clinique Ouverte (Pension Bon-Secours, commencée en 1904). Mais l'Ophtalmologie devait surtout partager la place dans le bâtiment Balbâtre avec le Service de Radiologie nouvellement créé. Tout le sous-sol, sauf le local de buanderie de la Pension Bon-Secours, était attribué à la Radiologie ainsi qu'une salle du rez-de-chaussée qui servait alternativement, un jour sur deux, soit de salle d'opérations oculaires, soit de salle d'électrothérapie, dont les appareils restaient constamment en place autour de la table d'opérations chirurgicales ; une seule paroi devait être libre dans cette salle : c'était pour accès à une chambre mortuaire de la Pension Bon-Secours qui jouxtait cette curieuse salle d'opérations oculaires.

En dépit de ces conditions matérielles défavorables, l'activité du Service Ophtalmologique et son rayonnement prirent un développement considérable sous l'impulsion de Rohmer.

Joseph Rohmer, né le 2 avril 1856 à Lorentzen (Bas-Rhin), était, de formation, un chirurgien : Chef de Clinique Chirurgicale (1879-1882), Agrégé de Chirurgie (novembre 1883 - octobre 1892), il fut chargé officiellement du Cours annexe de Clinique Ophtalmologique en novembre 1892 et devint Directeur de la Clinique Ophtalmologique individualisée dans le Pavillon Balbâtre. Opérateur renommé pour sa très grande virtuosité, auteur respecté, Enseignant de grande classe, Chef d'Ecole de fort caractère, véritable fondateur à Nancy de l'Ophtalmologie en tant que Spécialité autonome, il a bénéficié le 29 juillet 1899 d'une transformation de la Chaire de Pathologie Externe en Chaire de Clinique Ophtalmologique. Il est mort le 11 février 1921, ayant consacré toute son activité de Professeur et de Chef de Service à l'Ophtalmologie, avec une exception toutefois : pendant la guerre de 1914-1918, période tragique des Hôpitaux de Nancy, fonctionnant près du front des combats, le Pr Rohmer utilisant sa formation de chirurgien général, opéra dans son Service d'Ophtalmologie, bien des blessés urgents qui n'étaient pas seulement oculaires.

L'œuvre scientifique du Pr Rohmer est attachée à des sujets très divers de pathologie oculaire : l'anesthésie par la cocaïne, l'antisepsie en oculistique, l'hémorragie expulsive, l'extraction du cristallin transparent dans la myopie forte, la suture conjonctivale en bourse dans les plaies de cornée, les granulations conjonctivales, l'ophtalmie sympathique, la craniectomie dans les névrites optiques, l'angiomégalie symétrique des paupières supérieures, affection rare qu'il a individualisée et qui mériterait de porter son nom. D'esprit très ouvert, il a imaginé des techniques d'avant-garde telles que la sympathectomie ciliaire dans le glaucome, et aussi, expérience restée historique, l'injection d'air dans le vitré pour le traitement du décollement de rétine ; cette dernière technique (Thèse Lysette Kottler), insuffisante depuis qu'on connaît la vraie pathogénie du décollement, est cependant encore pratiquée de nos jours, après coagulation de la déchirure causale, et à titre de manœuvre complémentaire dans les cas à très grosse poche.

Le savoir et l’expérience du Pr Rohmer se sont concrétisés dans des ouvrages de valeur pédagogique notamment dans de gros articles parus dans l'Encyclopédie Française d'Ophtalmologie de 1910 : sur le corps vitré, sur la sclérotique et sur les affections générales du globe oculaire, avec un important chapitre sur les blessures de guerre. Dans un livre de 584 pages, intitulé « Eléments d'Ophtalmologie », se trouvent condensées toutes les notions pratiques de l'époque qu'il estimait « à peu près indispensables de posséder pour le Médecin-praticien ». A signaler aussi l'intérêt du Pr Rohmer pour la Médecine Sociale : l'inspection oculistique dans les écoles qu'il parvenait à établir à Nancy, ainsi que l'importance accordée à l'évaluation des incapacités professionnelles, objet d'un ouvrage en 1902. Beaucoup de publications du Pr Rohmer ont été faites à la Société de Médecine de Nancy dont il était un membre assidu et dont il fut président. C'est pourquoi la Revue Médicale de l'Est qui avait en particulier bénéficié de la publication de toute une série de « leçons des maladies oculaires» en 1895, véritable enseignement ophtalmologique du Médecin-praticien, a fait paraître le 15 octobre 1921 un article nécrologique qui montrait combien le Pr Rohmer avait marqué sa place, et la place de l'Ophtalmologie, dans l'Ecole de Nancy. « Ce Maître au regard profond, à la main habile, à l'allure alerte et droite, à la pensée claire, rapide et juste, au sentiment toujours empreint d'une franche et exquise simplicité, restera pour nous un modèle d'activité, d'intelligence, de finesse d'esprit, d'aménité, de bonté, d'énergie et de probité. Ce fut une remarquable intelligence servie par des doigts de fée ! ».

Au décès du Pr Rohmer, le 11 février 1921, la Chaire d'Ophtalmologie a été transformée en Chaire de Médecine Opératoire en faveur du Pr Gaston Michel. Mais l'Ophtalmologie n'était pas démunie d'Enseignant, car elle possédait depuis novembre 1920 un Agrégé d'Ophtalmologie, P. Jeandelize, qui prit immédiatement la charge de l'Enseignement et la direction de la Clinique Ophtalmologique. La Commission des Hospices décida aussitôt une certaine réorganisation de la Clinique, en particulier la permutation des locaux de consultations et d'opérations, afin de permettre l'établissement d'une salle d'opérations plus aseptique. Mais elle n'agrandissait pas la Clinique Ophtalmologique, le' 3e étage du bâtiment étant affecté le 1er avril 1922 à un Service de Maternité pour parturientes privées qui fonctionnera jusqu'en 1929, date à laquelle ces locaux furent transformés en logements d'Infirmières de différents services hospitaliers. Alors que le Chef de Service d'Ophtalmologie avait pensé en 1929 pouvoir agrandir son Service non seulement par l'occupation du 3e étage, mais également au dépens du sous-sol, libéré par le départ en 1929 du Service de Radiologie dans le Pavillon Alfred Krug, la Commission des Hospices décida d'agrandir au sous-sol la buanderie de la Clinique Privée ; ceci en raison des besoins de blanchisserie accrus du fait de la construction du « Nouveau Bon-Secours» terminé en 1924 sous forme d'un bâtiment venant rejoindre perpendiculairement le bâtiment d'Ophtalmologie. La déconvenue réitérée du Pr Jeandelize fut surtout accusée au départ, pour un Institut Moderne de Stomatologie, du Service de Consultations Dentaires : l'Ophtalmologie comptait beaucoup sur les locaux ainsi libérés et le Président Krug avait plusieurs fois donné, et encore la semaine précédant 'la décision, l'assurance formelle qu'ils reviendraient à l'Ophtalmologie ; mais, dans les tractations pour obtenir ces locaux, le Pr Jeandelize avait oublié de mettre dans son jeu une personnalité de la Commission des Hospices qui était Supérieure en influence au Président. Cette personne s'est déplacée en Ophtalmologie la veille du jour des délibérations de la Commission pour déclarer triomphalement : « le Service Dentaire, vous ne l'aurez pas ! ». De fait, furent installés, dans les locaux laissés libres par le Service Dentaire et par le Service de Radiologie, des Laboratoires qui furent l'ébauche de ce qui plus tard deviendrait, en construction autonome, le Laboratoire Central des Cliniques. Outre la perte d'une dernière possibilité d'extension dans le Bâtiment Balbâtre, c'était pour le Service d'Ophtalmologie le retour à des conditions d'asepsie douteuse pour la Salle d'opérations, dans un temps où le bloc opératoire n'était pas clos en conditionnement d'air ; car l'animalerie du Laboratoire avait été installée immédiatement au-dessous ; heureusement, Sœur André, Infirmière hautement appréciée de trois chefs de Service successifs pour la grande expérience que lui conférait 50 ans de présence en Ophtalmologie, avait acquis aussi une grande virtuosité dans le maniement de la tapette à mouches...

Paul Jeandelize était né le 29 septembre 1872 à Metz. Il aimait à signaler qu'il avait été le dernier inscrit comme Français sur les registres de l'Etat Civil de Metz qui aussitôt après passaient sous l'autorité allemande.

Si la formation des précédents enseignants de l'Ophtalmologie fut celle des Sciences physiques pour Monnoyer et celle de la Chirurgie pour Rohmer, l'origine scientifique de Jeandelize fut physiologique. Chef de Travaux de Physiologie de 1907 à 1910, non sans avoir cntretemps acquis des titres hospitaliers (Externe en 1895, Interne en 1899), P. Jeandelize multiplia à cette époque toute une série de recherches publiées notamment à la Société de Biologie de Nancy et qui devaient être réunies dans une thèse de Doctorat de Médecine soutenue en 1902 sur « l'insuffisance Thyroïdienne et para-thyroïdienne (à début dans le jeune âge). Etude expérimentale et clinique ». C’était un ouvrage considérable de 824 pages, qui est resté très longtemps le travail de référence dans ce domaine endocrinologique. Ce travail mémorable fut la pièce principale d'une épreuve de Titres et Travaux qui permit à P. Jeandelize d'être admissible à l'Agrégation de Physiologie en 1910. Mais conjointement à ces recherches expérimentales et cliniques, P. Jeandelize s'était intéressé à la pratique ophtalmologique ; il y avait pénétré par la voie de la physiologie, s'occupant de vision binoculaire comme en témoignent des notes à la Société de Biologie en 1912 et en 1924. La grande guerre vit partir P. Jeandelize comme Médecin-Chef d'un Régiment d'Infanterie. Par la suite, il devint Ophtalmologiste d'Armée puis à la fin de la guerre, Ophtalmologiste du Centre de Région à Orléans où il exerça de grandes responsabilités opératoires. Remarqué à l'occasion de ces fonctions par le Pr de Lapersonne, Grand Maître de l'Ophtalmologie française de l’époque, il fut incité par lui à ne pas poursuivre dans la Physiologie pour s'orienter vers l'Ophtalmologie. Ce qui le fit admettre à l'Agrégation d'Ophtalmologie en 1920. Sa réussite comme enseignant et comme clinicien obligea en 1928 à reconstituer en sa faveur la Chaire d'Ophtalmologie par transfert de la Chaire de Pathologie Interne. Atteint en 1939 par une limite d'âge alors officialisée à 67 ans, le Pr Jeandelize quitta la Clinique Ophtalmologique dès le début de la guerre 1939-1940. La Chaire de Clinique Ophtalmologique fut, à son départ, transformée en Chaire de Clinique Chirurgicale pour le Pr Marc Barthélémy.

L'œuvre scientifique du Pr Jeandelize manifeste dans le domaine Ophtalmologique les grandes valeurs de recherche qui s'étaient fait jour initialement dans son œuvre physiologique. Même rigueur d'observation, même souci de détail, même sérieux des conclusions, peuvent se retrouver dans les innombrables publications de cas cliniques ayant trait à peu près à tous les domaines de la Spécialité, dont la pathologie a été largement explorée par lui. Il serait fastidieux de dresser le catalogue de toutes ces publications. Disons du moins les grandes orientations de recherche groupant des travaux sur un même sujet. D'abord, et probablement en réminiscence de son orientation physiologique première, de très importants travaux sur l'œil et l'hypophyse, notamment à propos des hémorragies récidivantes du corps vitré ou à propos du glaucome, recherches qui ont abouti en 1937 à un Rapport au Congrès International d'Ophtalmologie du Caire, en association avec le Pr Drouet. Puis toute une série de recherches sur les déficiences vitaminiques de la cataracte sénile ainsi que sur le trachome à propos d'une épidémie en Lorraine qui fut grave dans le milieu scolaire. Au point de vue chirurgical, le rétablissement de la perméabilité lacrymale dans les grands désordres maxillo-faciaux a été élaboré dans une technique d'autoplastie lacrymale par greffe dermo-épidermique, technique qui est encore complètement décrite dans les ouvrages actuels. Mais ce sont surtout les différentes techniques du tout nouveau traitement du décollement de rétine qui, de 1930 à 1939, ont fourni dans les différents Congrès, en particulier au Congrès de Madrid, une ample moisson d'expérience clinique et chirurgicale, établissant fermement la valeur de la conception de Gonin sur le rôle de la déchirure dans le décollement. Le premier en France (ou peut-être en même temps que Genêt à Lyon), le Pr Jeandelize a pu recoller des rétines par cautérisations diathermiques et le cas était si étonnant au début que de nombreux collègues sont venus à Nancy contrôler les résultats obtenus.

Comme Enseignant, le Pr Jeandelize eut le mérite d'organiser un Cours de biomicroscopie oculaire, permettant à de nombreux ophtalmologistes français de venir à Nancy s'initier à cette méthode d'examen du segment antérieur de l'œil qui était toute nouvelle dans les année 1927. Pour les Etudiants en Médecine, pour les Etudiants de la Spécialité, l'Enseignement du Pr Jeandelize était clair, vivant et très largement iconographie. Mais le Pr Jeandelize avait aussi le souci de ce que nous appelons aujourd'hui l'Enseignement Post-Universitaire. Il l'avait réalisé en fondant la Société Lorraine d'Ophtalmologie qui, selon ses propres paroles à la séance d'inauguration le 28 juin 1925, avait pour but, à titre de première filiale de la Société d'Ophtalmologie de Paris, de grouper les chercheurs et les Ophtalmologistes de la région ; ceci afin de constituer un mode d'enseignement mutuel, chacun étant susceptible, même le confrère le plus éloigné d'un centre scientifique, d'apporter un bon document clinique qui, repris en discussion générale, devenait un enseignement pour tous. Le succès fut tel que les Ophtalmologistes alsaciens s'associèrent dès l'année suivante à ce groupement pour devenir la «  Société d'Ophtalmologie de l'Est », Société qui se réunit plusieurs fois par an, alternativement à Nancy et à Strasbourg.

La Revue Médicale de l'Est a reproduit bien des conférences données à cette Société par d'éminents collègues car leur sujet intéressait un large public : par exemple, pathogénie de la stase papillaire (Dupuy Dutemps) ; tension artérielle et tension oculaire (Bailliart) ; botulisme et œil (Teulières) ; compression du chiasma et du nerf optique (Cl. Vincent), etc.

C'est aussi en raison de l'intérêt médical général que la Revue Médicale de Nancy a reproduit en 1954 le Rapport présenté devant la Société d'Ophtalmologie de l'Est par deux de ses membres nancéiens, J. Cordier et B. Algan, sur le « Syndrome de granulations conjonctivales avec adénopathie pré-auriculaire », travail de longue haleine entrepris en association avec la Clinique des Maladies infectieuses du Pr De Lavergne.

Le Pr Jeandelize a profité d'une longue retraite, décédant le 29 mars 1969, ayant gardé à 97 ans dans un corps fortement voûté une mémoire et une intelligence absolument intactes qu'il utilisait à rédiger d'intéressantes notes historiques pour les Académies dont il était membre.

Les traits dominants de sa personnalité étaient la conscience et la bonté, une bonté quasi-évangélique qui s'exerçait vis-à-vis des patients, vis-à-vis des confrères et même vis-à-vis des étudiants, notamment aux examens qu'en véritable novateur il considérait essentiellement comme « un contrôle des connaissances ». A l'Etudiant qui ânonnait à l'oral, il disait : « vous n'avez pas compris le sujet de ma question, je vais vous l'exposer, mais promettez-moi de bien retenir ces explications ». Et il mettait la moyenne à l'Etudiant car jamais aucun d'eux n'a refusé de promettre...

A sa disparition, de nombreux témoignages français et étrangers sont venus affirmer l'estime dans laquelle était tenu le Pr Jeandelize. Parmi ces témoignages et pour les résumer, on peut retenir quelques phrases d'un article que Paul Bailliart, son ami et contemporain, écrivit peu de temps avant de disparaître lui-même : « Quelle bonté, quelle patience indulgente il mettait dans son enseignement. C'est parce que je l'ai bien et longtemps connu, simple et dévoué à ses malades, que je me reconnais le droit de le juger. Sa vie fut un bel exemple de droiture scientifique et morale. Sur tous les points, il a bien servi : que les plus jeunes s'efforcent de l'imiter ; il honore la pensée et la science française ».

La Chaire d'Ophtalmologie étant transférée en Chaire de Clinique Chirurgicale au départ en retraite du Pr Jeandelize, l'enseignement d'Ophtalmologie échut à Thomas, ancien Chef de Clinique Ophtalmologique, devenu Agrégé d'Ophtalmologie au Concours de mai 1939 et institué Chef de Service d'Ophtalmologie le 1er novembre 1939, avec prise de fonction repoussée par la guerre au 1er novembre 1940.

En 1942 est apparue une loi de Réforme Hospitalière dont les modalités furent exprimées en 1943 dans un Règlement d'Administration Publique. Au regard de ces textes, les titulaires de Service devaient être pourvus du titre de Spécialiste des Hôpitaux. Or, à Nancy, comme dans toutes les villes de Faculté de Province, il n'avait jamais existé d'Ophtalmologiste des Hôpitaux, le recrutement habituel du Directeur de la Clinique Ophtalmologique se faisant par la Faculté et grâce à l'Agrégation. Le poste d'Ophtalmologiste des Hôpitaux de Nancy fut donc créé et Thomas, qui exerçait les fonctions depuis 4 ans, y a été nommé par homologation le 8 avril 1943. Par la suite, un second poste d'Ophtalmologiste des Hôpitaux de Nancy fut créé et Jacques Cordier qui fut Chef de Clinique Ophtalmologique de novembre 1941 à février 1946 y a été nommé sur concours en 1949.

En 1948, la Faculté de Médecine de Nancy put bénéficier d'une création de Chaire pour l'Ophtalmologie et Thomas a été nommé le 1er octobre 1948 titulaire de cette Chaire d'Ophtalmologie recréée. Cette création de Chaire permettait de garder le poste d'Agrégé d'Ophtalmologie et Cordier, reçu au Concours d'Agrégation en 1949, resta dans cette fonction jusque son terme en septembre 1958. Il fut remplacé par B. Algan, qui lui-même assuma les fonctions d'Agrégé durant les 9 ans de durée normale d'Agrégation; le 30 septembre 1967, B. Algan abandonnait la Faculté et les Hôpitaux pour créer à Vandœuvre une très belle clinique privée d'Ophtalmologie et d'Oto-rhino-laryngologie. J. Cordier, quant à lui, poursuivait dans la carrière hospitalo-universitaire devenant successivement Agrégé chargé de cours complémentaire sans limite de temps du 1er janvier 1962 au 30 septembre 1966, puis Professeur sans Chaire du 1er octobre 1966 au 30 septembre 1968 et enfin, ayant demandé l'intégration, Professeur titulaire à titre personnel le 1e' octobre 1968. La place d'Agrégé d'Ophtalmologie laissée vacante au départ d'Algan revint à A. Reny, nommé, sur Liste d'Aptitude, Maître de Conférences Agrégé d'Ophtalmologie avec intégration le 1er mai 1970.

Sur le plan de la recherche scientifique, il est trop tôt pour porter un jugement sur la valeur des travaux présentés durant cette période contemporaine. Signalons seulement qu'ils se sont dirigés avec J. Cordier sur l'exploration fonctionnelle en Ophtalmologie ainsi que sur les maladies héréditaires en Ophtalmologie et avec C. Thomas sur le strabisme et l'amblyopie. La récupération, grâce à l'intervention du Pr J. Parisot, de tous les locaux du bâtiment d'Ophtalmologie (sauf le dernier étage affecté à un Service annexe de Cardiologie) a permis enfin de développer les techniques, en particulier de créer un grand Service plé-orthoptique qui, financé par la Banque Française des Yeux pour la confection des prototypes expérimentaux, a constitué le centre pilote en France où de nombreux Ophtalmologistes français et étrangers sont venus s'initier aux procédés tout nouveaux d'éducation visuelle permettant de donner la vision à des yeux non voyants (en particulier lors du Congrès du 23 au 25 mars 1962).

Ces dernières années, avec la vocation de Reny, Agrégé, pour la pathologie orbito-palpébrale, la Clinique Ophtalmologique a produit tout une série de travaux en liaison avec la Chaire de Chirurgie Maxillo-faciale.

Pour les locaux, une importante modification s'est produite en 1964 sous forme de la construction, sur le jardin derrière le Bâtiment Balbâtre, et par financement de l'Education Nationale, d'une Salle de Réunion de 80 places, bien pourvue en moyens audio-visuels y compris un équipement de télévision en circuit fermé, complété par la suite par un magnétoscope. Cette construction, libérant le petit local de réunion qui existait antérieurement au voisinage de la salle d'opérations, a permis de remodeler celle-ci avec des annexes de stérilisation et de salle d'anesthésie en constituant deux blocs opératoires avec air conditionné.

Sur le plan administratif hospitalier, en 1967, une subdivision des 70 lits de la Clinique Ophtalmologique de l'Hôpital Central s'est produite avec différenciation en Service d'Ophtalmologie « A » d'activité plus spécialement clinique, avec le Pr Thomas comme Directeur, et en Service d'Ophtalmologie « B » orienté vers les examens fonctionnels appropriés aux consultations demandées pat les Services de Médecine et de Chirurgie, avec le Pr Cordier comme Chef de Service. Cette scission, purement théorique jusqu'à novembre 1973, préparait l'équipe qui, sous la direction du Pr Cordier, aurait à prendre la charge du Service d'Ophtalmologie du nouvel Hôpital de Brabois, Service très moderne (malheureusement avec seulement 30 lits d'hospitalisation) qui devait devenir opérationnel au début de 1974.

Sur le plan universitaire, la division de la Faculté de Médecine en deux Unités d'Enseignement et de Recherches imposait naturellement l'affectation d'un Professeur d'Ophtalmologie à chacune des deux Unités, ce qui fut fait avec Thomas pour l'Unité « A ». Cordier pour l'Unité « B ». Les deux Professeurs ont organisé leur enseignement aux Etudiants de chacune de ces Unités selon un programme complémentaire l'un de l'autre ; la direction des études pour le Certificat Spécial d'Ophtalmologie et pour le Certificat de Capacité d'Orthoptiste est resté affectée à l'Unité A, sous la responsabilité du Pr Thomas, aidé de A. Reny, Maître de Conférences Agrégé d'Ophtalmologie.

Tel est le pénible cheminement de la mise en place des structures ophtalmologiques hospitalo-universitaires à Nancy. En référence au début et à l'installation de la Clinique Ophtalmologique dans un ancien dépôt de Mendicité, on peut constater que tous les responsables d'Ophtalmologie ont mendié toute leur vie des améliorations de conditions de travail et que celles-ci ne sont apparues que très lentement et très partiellement. Force est donc d'admirer ces anciens Maîtres de l'Ophtalmologie nancéienne qui, avec des moyens aussi modestes, sont parvenus au rayonnement qu'ont donné leurs travaux au prestige de la Faculté de Médecine de Nancy.

Dans l'état d'aujourd'hui, avec les promesses d'un très prochain remodelage de la Clinique Ophtalmologique de l'Hôpital Central (en contact immédiat avec les Services d'Oto-rhino-laryngologie, de Neurologie, de Neuro-radiologie et de Chirurgie maxillo-faciale, ainsi que les Services de Pédiatrie) et avec le complément ophtalmologique du nouvel Hôpital de Brabois, on peut considérer que la situation, tant en personnel médical et technique qu'en locaux fonctionnellement adaptés, représentera un ensemble valable pour les besoins ophtalmologiques de la période actuelle. Mais les études de Prospective du Ministère de la Santé ont retenu pour l'avenir, et pour chaque Région de 2 millions à 2 millions 1/2 d'habitants, la création d'un Institut d'Ophtalmologie de 150 lits regroupant 5 à 10 Chefs de Service, 25 Médecins-Ophtalmologistes, 40 Infirmières, 8 auxiliaires médicaux, 12 techniciens, 8 anesthésistes-réanimateurs. Quand et où un tel Institut verra-t-il le jour ? C'est un rêve qui, avec l'expérience du passé et dans l'assombrissement présent, peut durer encore pas mal de temps avant de devenir réalité.