Les grands et petits chemins de la gynecologie
LEÇON INAUGURALE
Faite à
la Faculté de Médecine de Nancy le 17 Juin 1977
Monsieur le Recteur de
l'Académie, Monsieur le Président de l'Université Nancy I, Messieurs les Doyens
des Facultés de Médecine, Mes Chers Collègues, Mesdames, Messieurs,
La continuité est une loi
de nature et vous venez d'évoquer, Monsieur le Doyen, la puissance des
traditions.
Aucun
mot ne peut mieux caractériser l'Université, communauté des Maîtres et des
Elèves, fleuve de vie intellectuelle assurant la « tradition », c'est-à-dire
la transmission ininterrompue du savoir.
Au sens large, la tradition
témoigne de la pérennité des institutions ; les coutumes universitaires ont
bien résisté à huit siècles de mutations et de crises périodiques parmi
lesquelles les événements de 1968 ne furent qu'un ébranlement de moyenne
amplitude. Au début du XIIIe siècle, les étudiants de Bologne
élisent eux-mêmes leur recteur. A Paris, l'Aima Mater est en grève durant 2 ans
; la Magna Charta de 1231 lui octroie la
personnalité juridique et le droit de grève. L'Université de Paris est dirigée
par un recteur, responsable des enseignements, et par un chancelier qui décerne
les grades et accorde les licences.
« Ne vous divisez pas -
concentrez vous toujours », conseillait un chancelier à son auditoire
vers 1250.
La cohésion des Universités
ne peut que gagner au maintien des coutumes et au respect de la tradition.
Monsieur le Recteur, en
honorant de votre présence l'installation solennelle d'un professeur de cette
Université, dont vous êtes le chancelier, vous nous apportez à tous un
témoignage de solidarité communautaire, et un précieux encouragement.
Jadis à Pont-à-Mousson,
puis à Nancy, le professeur jurait : « de remplir avec exactitude et zèle
les fonctions qui lui étaient confiées, de n'enseigner sciemment aucune
hérésie, de n'introduire aucune discorde dans la Faculté, de vivre en paix,
amitié et fraternité, autant qu'il le pourrait, avec ses collègues, de tout
faire pour le bien de l'Académie, de ne jamais lui causer de préjudice ».
Les
prestations de serment ont vécu, mais l'essentiel, aujourd'hui, n'est-il pas
de réaliser plutôt que de promettre ?
Monsieur le Président de
l'Université, Messieurs les Doyens,
Trente et une années, jour
pour jour, séparent mon entrée dans les fonctions de chef de clinique de la
Maternité, le ler avril 1946 (il n'y avait
qu'un seul poste à l'époque), et la parution au Journal officiel de ma
nomination à la chaire de Gynécologie-Obstétrique, le ler
avril dernier.
La première qualité de
l'accoucheur est certes la patience, mais je suis d'autant plus sensible à vos
aimables paroles, cher Doyen et Ami grignon,
que la marche inexorable du temps, après m'avoir fait perdre quelques illusions
de jeunesse, commençait à ébranler mes espérances.
Voici une excellente leçon
pour ceux qui s'engagent dans le cursus honorum universitaire
; comme la violette dont la couleur est celle de l'Université, ils doivent
accepter de croître lentement dans une ombre discrète, avant d'offrir l'éclat
de quelques fleurs.
Depuis huit siècles,
l'accroissement des effectifs du Corps enseignant a toujours résulté de
gestations rares et prolongées.
L'histoire de l'Université
de Pont-à-Mousson est édifiante à ce sujet. En 1637, la Faculté de Médecine ne
compte qu'un professeur titulaire. Un second est bien prévu, réservé même
malgré son jeune âge, car il est le fils de Pierre barot mort en 1630. Le jeune Marc barot mettra onze ans pour obtenir ses grades et ne sera
nommé qu'en 1641 !
Dans une lettre du 3 juin
1661, patin, doyen de la
Faculté de Paris, annonce à son ami falconet
qu'il fût sollicité par le Duc de Lorraine pour venir à Pont-à-Mousson -
en qualité de doyen avec bons gages et lettres de noblesse -, mais qu'il a
décliné cet honneur.
En 1679, la Faculté n'est
représentée que par un professeur, son doyen, Christophe pillement. Ce pillement, doyen pendant 36 ans, devint célèbre en publiant
l'observation du Fœtus Mussipontanus découvert
en 1659 à l'occasion de l'autopsie d'une femme de 60 ans, porteuse d'une
grossesse abdominale, arrêtée au sixième mois, et en rétention depuis une
trentaine d'années.
L'occupation française
allait introduire le mode de nomination sur concours, disposition que confirma
le Duc Léopold par édit de 1699.
Au
total, l'ancienne Faculté de Médecine Lorraine ne compta que trente professeurs
en deux siècles : 23 à Pont-à-Mousson entre 1592 et 1768, et 7 à Nancy de 1768
à 1793.
Ne nous plaignons donc pas
trop de ces temps que nous vivons.
Pour un
homme, il ne peut être mission plus agréable que de témoigner sa gratitude à
tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont contribué au succès de ses
entreprises.
C'est en premier lieu à mon
Epouse, à mes Parents, à mes Amis, que j'exprime mes sentiments d'affectueuse
et profonde reconnaissance.
Honorer ses Maîtres est un
devoir rappelé dans le Serment de Genève, proposé en 1948 par
l'Association Médicale Mondiale et dont voici le deuxième alinéa :
« Je garderai à mes
Maîtres le respect et la reconnaissance qui leur sont dus. »
C'est en 1942, comme
externe du Professeur fruhinsholz, que
je fus initié à l'art des accouchements.
Le Professeur vermelin lui succéda dans la chaire de
clinique obstétricale qu'il occupa de 1943 à 1961. Pendant ces dix-huit années,
je fus son élève et son collaborateur : six ans comme chef de clinique, neuf
ans en qualité de chef de travaux, enfin trois ans comme agrégé du concours de
1958.
La forte personnalité de
mon regretté Maître cachait, derrière un aspect sévère, une nature
bienveillante empreinte de bon sens.
Transposant le langage
héraldique, il se définissait à ses amis comme cœur d'or sur fond de
gueules.
Ecartant tout dogmatisme,
étranger aux spéculations hasardeuses de l'esprit, il fut homme d'action et de
devoir, respectueux d'une éthique aristotélicienne, à la recherche d'un bonheur
simple, résultat de l'exercice normal de facultés traditionnelles judicieusement
employées ; ces dispositions expliquent son attirance vers les aspects sociaux
de l'obstétrique.
Convaincu de l'importance
croissante de l'endocrinologie sexuelle, il m'expliqua très simplement, après
l'échec au concours d'agrégation de 1949, que j'avais ainsi la chance de
disposer de neuf ans avant qu'un nouveau poste d'agrégé fût mis au concours,
pour Nancy.
Licencié es Sciences en
1953, je fus accueilli avec bienveillance par le Professeur André veillet, titulaire de la chaire de
biologie générale de la Faculté des Sciences. Grâce à son aide, je pus soutenir
une thèse de doctorat es Sciences d'Etat en avril 1958, deux mois avant
l'ouverture du concours d'agrégation.
C'est à ces deux Maîtres
que je dois mon orientation vers la biologie génitale, connaissance nécessaire,
selon moi, à l'approche rationnelle de la gynécologie et de l'obstétrique modernes,
ces deux parties complémentaires d'une même discipline, enfin réunifiée.
Entre
1961 et 1968, ce fut le Professeur Jean hartemannqui présida aux destinées de la Clinique obstétricale. Il me confia la
responsabilité du Centre de prématurés et ne cessa, à aucun moment, d'aider à
la réalisation de mes espérances. Esprit humaniste et libéral, il sut
percevoir les voies nouvelles vers lesquelles il convenait d'orienter notre
discipline.
Deux
nouveaux services sont créés en 1966, de gynécologie d'une part, prénatal
d'autre part.
Cette division, sans
cloisons étanches, a permis le développement d'une haute technicité et d'un
enseignement mieux adapté à la formation complète des gynécologues-accoucheurs.
Je reviendrai
ultérieurement sur la signification de cette évolution.
Lui ayant succédé en 1968,
le Professeur Jean richon, dont
le père, le Professeur Louis richon, avait
illustré la clinique médicale nancéienne de 1928 à 1942, a poursuivi cette
politique de décentralisation interne, par la création de deux autres services
: biologie sexuelle, médecine néonatale.
Homme bienveillant et
scrupuleux, très conscient de la nécessité d'intégrer les progrès techniques à
l'Art traditionnel des accouchements, le Professeur richon, mû par une conviction profonde que partagent ses
collaborateurs de la Maternité, a su résister aux chants des Sirènes qui
exposent les embryons, dans leur poche des eaux, au même sort funeste que les
navigateurs de l'Odyssée lorsqu'ils approchaient du détroit de Messine.
Votre modestie dut-elle en
souffrir, je vous demande d'accepter, mes chers Maîtres, l'assurance de ma
très sincère reconnaissance.
Avant de quitter le domaine
protégé de Junon, déesse des épouses et des mères, et que les sages-femmes
romaines invoquaient sous le nom de Lucine, je tiens
à dire la joie que me procure la présence de mes amis, les Professeurs colette, de Besançon, et delecour, de Lille.
Mon cher colette, vous êtes Nancéien de cœur et
d'esprit et comptez bien des amis, tant à la Faculté qu'à la Maternité où vous venez
régulièrement participer à nos réunions de travail.
Mon cher delecour, nous avons préparé ensemble
l'agrégation à Paris, il y a vingt ans, et mon attachement aux Flandres a
renforcé notre amitié ; vous avez soutenu ma candidature, devant le Comité consultatif,
avec un talent dont cette cérémonie fait la preuve.
Les Professeurs agrégés landes, schweitzer, vert, complètent
le Corpus Lucinae Nanceianum
au sein de cet aréopage.
Je remercie les collègues
et amis qui m'entourent et, parmi eux, trois autres membres d'une petite
académie, inconnue parce qu'innominée, et dont la mission consistait, il y a
vingt-cinq ans, à se partager équitablement la présence aux cours de la Faculté
des Sciences !
Avant
d'aborder le thème principal de cette Leçon, je tiens à respecter la coutume
voulant que le nouveau titulaire prononçât l'éloge de son prédécesseur.
Or, cette chaire qui vient
de m'être confiée résulte de la transformation de celle de clinique
ophtalmologique, créée en 1948 pour le Professeur Charles thomas, et qu'il illustra durant
vingt-huit années, jusqu'à l'époque inexorable de la retraite en 1976.
Mon cher Maître, je
sollicite votre bienveillance car la mission est délicate pour un non initié
aux secrets de votre Art.
L'histoire des chaires
périodiques d'ophtalmologie révèle une instabilité mutato
nomme dont le déterminisme secret appartient aux Conseils.
- La première, créée en
1899 pour le Professeur rohmer, devient
« Médecine opératoire » en 1921 ;
- Reconstituée en 1928 pour
votre Maître, le Professeur jeandelize, elle
devient « chirurgicale » en 1939 ;
- Voici donc la troisième
éclipse, cette fois en faveur de notre discipline.
Mais pourrions-nous
discerner une prédestination ? Vous m'avez signalé deux faits que certains
pourraient interpréter comme d'heureux auspices :
- La première revue
d'ophtalmologie de langue française fut imprimée à Charleroi, en 1838, et
portait un titre assez inattendu* : « Annales
d'oculistique et de gynécologie » ;
- Vous avez, d'autre part,
obtenu, lors de votre internat, le prix Alexis-Vautrin
de gynécologie.
La vue est, assurément,
celui de nos sens dont la grande portée fournit à la fonction sexuelle les
informations les plus précoces et les plus aisément renouvelables. On peut
aussi considérer notre spéculum comme le moyen optique d'une vision approfondie
de la Femme.
Mais je ne chercherai pas à
tirer argument de ces faits pour évoquer une certaine affinité secrète entre la
gynécologie et l'ophtalmologie.
Votre carrière hospitalière
et universitaire, vos qualités d'Homme et de Chef d'Ecole, la notoriété
nationale et internationale que vous a valu l'ensemble de votre œuvre médicale,
forment un tout impressionnant qu'une sobre esquisse ne peut révéler qu'imparfaitement.
Les études fonctionnelles
de la vision, les greffes de cornée conduisant à la fondation de la Banque des
Yeux, la lutte contre l'amblyopie et le strabisme dans le cadre d'un Centre
d'éducation de la vue, les responsabilités que
vous assumez dans les associations et instances internationales, vous ont valu
de nombreuses distinctions françaises et étrangères.
Permettez-moi d'en évoquer
deux, que je crois être les plus récentes :
- le Grand Prix de
l'Académie de Stanislas remis solennellement au Salon carré de l'Hôtel de
Ville, le 21 janvier 1973 ;
- l'attribution, à la
promotion de Noël 1976, de la cravate de Commandeur de l'Ordre national du
Mérite.
Mon Cher Maître, votre
promotion à l'honorariat n'est pas de nature à réduire votre dynamisme et votre
activité.
Votre
vie est un exemple de courage, de dévouement, et d'énergie créatrice
bienfaisante.
*
Monsieur le Professeur
thomas pense que
le gonocoque fut
une des raisons de ce choix, de
par son affinité, à la fois génitale et oculaire.
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Mesdames, Messieurs.
Quand Hérodote visita
l'Egypte, au milieu du Ve siècle avant notre ère, il fut étonné du
morcellement de l'Art médical entre une foule de spécialistes. Il écrivait ceci
:
« Tout est plein de
médecins, les uns sont médecins pour les yeux, d'autres pour la tête, pour les
dents, pour l'abdomen, pour les maladies de localisation incertaine. »
Ceci semblait dû à une
grande spécificité des agents thérapeutiques, en l'occurrence les vertus des
plantes et les formules conjuratoires ; à chaque maladie correspondait une
plante et une formule spéciales, que, seul, le spécialiste initié connaissait,
et dont il se réservait jalousement l'usage.
Mais n'en est-il pas de
même aujourd'hui, dans notre XXe siècle
finissant ?
Nos disciplines médicales
classiques s'émiettent progressivement, conséquence d'une technicité de plus
en plus poussée et spécialisée.
Le grand principe
hippocratique « d'Individuation », qui fait de l'homme un « TOUT » au centre de
l'univers, tend à céder progressivement la place à une certaine forme de
matérialisme médical. L'homme tend à devenir un objet pour la science, un
simple assemblage d'organes différents ; à chacun d'eux correspond une panoplie
thérapeutique, certainement efficace, mais qui risque de faire prendre la
partie pour le tout, en oubliant la finalité interne de la Vie.
En exprimant cette crainte,
je songe naturellement à la fonction de reproduction, finalité dernière de
l'appareil génital et de sa physiologie.
Ces quelques considérations
liminaires permettent de mieux comprendre l'évolution de la discipline
gynécologique dont j'ai choisi de vous entretenir.
Conformément au sens
étymologique, la gynécologie englobe l'étude de la physiologie et des maladies
qui sont particulières à la Femme ; il ne viendrait à l'idée de personne de
soigner un appareil malade sans en connaître avec précision la finalité, et
l'activité normale qui la réalise.
Chacun sait que l'appareil
génital de la Femme fonctionne sans discontinuer entre la puberté et la
post-ménopause, la gravido-puerpéralité ne faisant
que modifier temporairement les dispositions anatomiques et physiologiques de
base. Or, cet état gravido-puerpéral intermittent est
si conséquent, de par son importance et sa signification, qu'il représente à
lui seul au moins les trois quarts de la physiologie génitale.
Tous
les gynécologues-accoucheurs admettent que l'obstétrique est à la gynécologie,
ce que la physiologie est à la médecine.
Il ne s'agit pas là d'une
opinion « que je suis seul à partager », selon une expression plaisante ; au
XVIIIe congrès de gynécologie et d'obstétrique de langue française,
tenu à Paris en 1959, le Professeur lantuEjoul déclarait :
« L'intimité des liens
qui unissent l'obstétrique et la gynécologie ne sera plus discutée ; le terme
général de gynécologie doit comprendre l'étude de la Femme, soit non enceinte,
soit enceinte. »
L'unanimité des chefs
d'Ecole français d'une part, la prise en considération de ce que la France
restait un des rares pays où l'appareil génital était partagé « à l'égyptienne »,
d'autre part, ont conduit l'Education nationale et la Santé publique à décider
l'intégration totale des deux titres, et la fusion des activités qui en
découlent.
Contrairement à la tendance
générale au morcellement que je signalais, voici un exemple rare du phénomène
inverse.
L'histoire de la
gynécologie et de l'obstétrique éclaire les raisons de cette évolution.
Cette histoire vaut la
peine d'être contée, et je lui ai donné pour titre :
LES
GRANDS ET PETITS CHEMINS DE LA GYNECOLOGIE
Notre Hippocrate de Cos,
car il y en eut d'autres, vivait à l'époque d'Hérodote et avait assimilé, en un
remarquable syncrétisme, les apports philosophiques et médicaux transmis à la
Grèce par les civilisations antérieures, circum-méditerranéennes
et orientales.
Après avoir dépoussiéré
tout ce fatras, pour n'en garder que le meilleur, il sécularisa la Médecine et
développa une nouvelle doctrine, naturiste et empirique, qui écarte
toute spéculation hasardeuse de l'esprit, analyse minutieusement les
caractères et le terrain des maladies, en recherche enfin les causes naturelles,
établissant ainsi les bases d'une « méthode générale des Sciences »,
dont la Physiologie expérimentale de Claude bernard
demeure le fidèle reflet, vint-trois siècles plus tard.
La doctrine hippocratique
est imprégnée d'une philosophie discrète, sceptique plus que dogmatique, qui
transparaît dès le premier des aphorismes :
« La vie est brève,
l'art est long, l'occasion fugitive, l'expérience incertaine, le jugement
difficile. »
L'œuvre
et la pensée d'Hippocrate ont brillé sans éclipses pendant deux millénaires, et
leur éclat n'est pas encore terni.
Les célèbres Ecoles de
Salerne, d'influence gréco-arabe, de Cordoue et Montpellier, d'influence judéo-arabe et hispanique, n'ont fait que propager, en particulier
en France, la doctrine médicale d'Hippocrate, remaniée en fonction des progrès
des connaissances, mais souvent déformée par ceux-là mêmes qui ne cessaient
de l'invoquer.
La rigidité de la
philosophie scholastique a dénaturé la doctrine hippocratique jusqu'au XVIIe siècle, parce qu'elle niait qu'il fût
possible de connaître la nature des choses. Les femmes étaient considérées
comme l'image démoniaque du péché ; on les brûlait d'ailleurs assez facilement.
Seul
reste vraiment hippocratique, l'Art des accouchements, seulement parce que la
nature imposait ses lois.
La gynécologie proprement
dite sombre dans le ridicule quand paracelse,
ce cagliostro du XVIe siècle, nous explique le caractère
monstrueux du sang menstruel :
« ... Le diable en
produit les araignées, les puces, les chenilles, et tous les autres insectes
dont l'air et la terre sont peuplés... »
Un siècle plus tard, mauriceau fait finement remarquer que :
« Si tout cela était vrai, les hommes fuiraient assurément, plus qu'ils
ne le font, la compagnie des femmes. »
Devant de telles
divagations, fruits d'un intellectualisme délirant, l'Obstétricie
va représenter, à elle seule, l'ensemble des Sciences de la Femme.
Au XVIe
siècle Ambroise parE, chirurgien
militaire sans grade universitaire parce qu'il ignore le latin, va rétablir le
bon sens hippocratique en préférant l'expérience à la théorie.
Publiées dès 1564, les
Œuvres d'Ambroise parE représentent
une somme d'observations répondant, écrit-il, « au désir des pauvres
écoliers très instruits en théorie, mais n'ayant aucun moyen de pratiquer la
science avec les préceptes qu'ils ont appris à l'école. »
L'Etape
scientifique, annoncée par vEsale et
son élève fallope, s'épanouit dès
le XVIIe siècle avec l'invention du microscope
et la découverte, par Régnier de graaf en
1671, des follicules et des corps jaunes de l'ovaire.
La Renaissance, qui fut
l'âge du Baroque, s'intéresse aux formes changeantes et aux mouvements, d'où
l'engouement naissant pour la Physiologie.
François
mauriceau, dont tous les
étudiants en Médecine apprennent la « manœuvre », fut le plus célèbre des
gynécologues-accoucheurs du XVIIe siècle.
Son Traité des Maladies
des Femmes grosses et de celles qui sont accouchées connut plusieurs
éditions, dont la seconde, imprimée en 1675 - un siècle après parE - offre l'avantage de révéler
l'esprit critique de l'auteur.
mauriceau
réfute la découverte de de graaf, avec des arguments qui s'écartent de l'empirisme
hippocratique. Il est scandalisé à l'idée : « que les femmes ont des œufs
aussi bien que les animaux volatils, et que l'enfant en est engendré de la même
manière que l'est un poulet de l'œuf dont il est formé ».
En gynécologie, mauriceau a décrit la dysménorrhée membraneuse
et a établi la présomption d'un cancer génital en cas d'hémorragies
post-ménopausiques.
Il a montré l'importance de
la surveillance prénatale conduisant au « bon gouvernement de la femme
grosse, laquelle doit penser pour deux : elle-même, mais aussi son enfant ».
Le XVIIIe
siècle voit naître l'anatomie pathologique, avec morgagni, mais il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour entrevoir la bifurcation entre
les chemins que suivront, séparément, l'obstétrique et la gynécologie non
gravidique.
L'étape technique débute
alors, avec le développement de la chirurgie abdominale. Parallèlement à
l'obstétrique confrontée à de redoutables problèmes - opération césarienne et
infection puerpérale - mais qui ne se modifie pas radicalement, la gynécologie
non gravidique étend régulièrement le champ de ses activités et la diversité de
ses moyens.
L'articulation reste
toutefois étroite, puisque nous voyons une sage-femme, élève de Mme lachapelle, Mme boivin, publier en 1833, avec Antoine dugès, neveu de la première et professeur à Montpellier, un Traité
pratique des maladies de l'utérus et de ses annexes.
A l'inverse, nous voyons velpeau, professeur de clinique
chirurgicale à Paris, publier en 1835 un Traité complet de l'Art des
Accouchements. Citons également le traité des Travaux d'obstétrique et
de gynécologie édité en 1882 par pajot,
inventeur de la « loi d'accommodation » qui porte son nom.
Mais les querelles éclatent
et le divorce se dessine. L'Académie de Médecine retentit, en 1850, des éclats
de la dispute lisfranc-velpeau, au sujet des déviations utérines
fixées et douloureuses.
Au premier, qui invoque la
congestion et l'engorgement pelviens comme primum
movens des troubles, le second oppose la notion
de lésion organique primitive, que seule la chirurgie est en mesure de guérir.
Or, cette chirurgie se
développe rapidement : Spencer wells pratique
l'ovariotomie dès 1857 ; kOEberlE, à
Strasbourg, en réalise douze entre 1862 et 1864, et propose, en 1863, une
technique d'hystérectomie ; il imagine la ventrofixation
de l'utérus en 1869.
Pionnier français de la
chirurgie gynécologique, tout en enseignant et cultivant l'art des
accouchements, kOEberlEne connut
pas la notoriété qu'il méritait, parce qu'il refusa de quitter l'Alsace annexée
pour suivre la Faculté de Strasbourg transférée à Nancy en 1872.
Après velpeau, il fut de mode d'opérer toute rétrodéviation, et la chirurgie allait s'emparer de la
gynécologie pour trois quarts de siècle.
On entendra, plus tard,
Jean-Louis faure célébrer en
termes lyriques l'apogée de la chirurgie gynécologique - terme impropre,
auquel il convient de substituer celui de « Gynécologie opératoire » -
réclamer plus de moyens matériels, encourager la spécialisation vers les
grandes opérations gynécologiques.
L'excellent gynécologue que
fut siredey, clinicien scrupuleux
et respectueux de la fonction, déclarait au Congrès de Paris de1925 :
« Quand je prenais part
timidement aux Congrès de la Société d'Obstétrique, de Gynécologie et de
Pédiatrie de Paris, j'étais à peu près le seul représentant de la Médecine ; et
ma présence à ces réunions me donnait l'impression d'un véritable anachronisme.
»
Mais la Roche Tarpéienne
est proche du Capitole ; une mutation se préparait, annoncée au seuil de ce XXe siècle par les travaux nancéiens de prenant, bouin et ancel, accélérée après la Première
Guerre mondiale grâce aux découvertes en endocrinologie sexuelle, aux moyens
de dépistage des lésions organiques et des troubles fonctionnels, grâce enfin à
l'acquisition de moyens thérapeutiques nouveaux dont l'efficacité devait
réduire la place tenue par la chirurgie dans notre domaine.
Cette étape moderne est
essentiellement dominée par la connaissance approfondie de la physiopathologie
gynécologique.
Le chemin suivi par la
gynécologie non gravidique s'infléchit nettement à partir de 1925, année où forgue reconnût que la gynécologie,
pendant trente ans surtout chirurgicale, s'oriente désormais vers la biologie.
Dès 1930, à Nancy, le
professeur Hamant et ses élèves attirent l'attention
sur l'importance de la gynécologie préventive ; ils utilisent le colposcope d'HINSELMANN pour le dépistage précoce du cancer du col. Au
Congrès de Bordeaux, en 1931, hamant et
kOEnig définissent cette « gynécologie
préventive » qui exige :
« Une formation particulière des médecins
et des étudiants. une participation consciente des sages-femmes auxquelles ces
notions doivent être enseignées, afin qu'elles puissent déceler, chez les
millions de femmes qu'elles examinent chaque année, tous les cas suspects
devant faire l'objet de recherches complémentaires. »
Gynécologie et obstétricie françaises vont-elles se rejoindre et fusionner
comme jadis ?
De plus en plus
fréquemment, la gynécologie opératoire isolée fait l'objet de critiques.
laffont
déclare au Congrès d'Alger, en 1935 : « La
chirurgie ne constitue plus qu'un chapitre très important, mais limité, de la
thérapeutique gynécologique » ; mocquot,
au Xe Congrès de Paris en 1937, muret, au XIe Congrès de
Lausanne en 1939, expriment des opinions identiques.
Inaugurant la chaire de
clinique d'Accouchement et de Gynécologie de Paris en 1942, Louis portes, futur premier président de
l'Ordre national des Médecins, s'élevait avec vigueur contre : « l'abus des
stérilisations, des castrations et des hystérectomies injustifiées, pratiquées
souvent pour des troubles fugaces parce que fonctionnels et qui, depuis
l'épanouissement de la chirurgie opératoire, firent la honte d'une certaine
pratique gynécologique ».
La fusion de la gynécologie
et de l'obstétrique était réalisée depuis longtemps à l'étranger ; au début de
sa préface à la première édition de son important Text-book
of gynecology, parue à Baltimore en 1941, Edmund Novak écrivait : « Autrefois
la gynécologie était une partie de la chirurgie, et cela n'existe plus
aujourd'hui. »
Je vous
ai rappelé que la fusion est désormais officiellement accomplie en France (Nous devons à Louis portes la transformation des maternités en Services de gynécologie-obstétrique, confiés à des gynécologues-accoucheurs
des hôpitaux. De même, la gynécologie-obstétrique
constitue une discipline nouvelle dans l'Université, seule voie de recrutement
des Maîtres de conférences agrégés correspondants).
Nous reconnaissons
volontiers que le domaine commun est vaste et que l'homme, le mieux doué, ne
peut affirmer simultanément sa parfaite maîtrise des différentes parties dont
nous avons à connaître.
Mais ces différentes
parties s'articulent harmonieusement entre elles, ce qui permet la mise en
commun des divers moyens d'investigation et de traitement.
Le ministère de la Santé a
récemment attiré l'attention des chefs de Service hospitaliers sur les
problèmes d'Economie médicale, conseillant le rapprochement entre Services à finalité identique et susceptibles de bénéficier
d'équipements communs. Un tel regroupement s'avère, par ailleurs, très
favorable aux intérêts généraux des malades qui bénéficieraient de l'unité de lieu,
de temps, et d'une conception commune des schémas thérapeutiques.
La gynécologie-obstétrique
se prête parfaitement à cette concentration ; la cœlioscopie dépiste
pareillement une tumeur ovarienne ou une grossesse ectopique ; l'opération
césarienne et l'hystérectomie de nécessité procèdent toutes deux d'un même
dispositif opératoire ; la microchirurgie de la stérilité exige un contexte
d'investigations et d'épreuves fonctionnelles de contrôle ; pour cela il faut
souder une équipe cohérente, dotée de moyens efficaces, et ne pas amenuiser son
efficacité par une dispersion en des lieux d'action différents.
On ne peut évidemment tout
connaître, mais je crois qu'il s'agit moins de tout savoir, que de savoir
suffisamment de tout.
Nous devons former des
gynécologues-accoucheurs complets, car on ne peut faire de la bonne gynécologie
en ignorant l'obstétrique, ni l'inverse non plus. Même la néonatologie
d'urgence vient compléter cette trilogie de base, puisqu'un accoucheur doit
être capable de réanimer d'urgence un nouveau-né en état de mort apparente.
Ainsi doté des connaissances fondamentales, indispensables et suffisantes,
chacun pourra les développer en orientant ses activités vers un secteur
restreint, ceci afin de mieux en exercer la maîtrise. Cette orientation
préférentielle est enrichissante pour l'équipe tout entière ; même fractionné
en différents secteurs, l'enseignement de notre discipline n'exposera plus,
comme je l'ai dit, à faire prendre la partie pour le Tout.
Après avoir parcouru ces
grands chemins, nous allons en emprunter de plus modestes qui nous feront
découvrir l'évolution historique de la gynécologie à Nancy. Vous ne serez pas
surpris de constater une évolution parallèle à celle qui s'est déroulée
ailleurs.
La Faculté de Médecine de
Nancy ayant résulté du transfert de celle de Strasbourg, il est intéressant de
rappeler que Pierre-René flamant, premier
professeur de Clinique d'Accouchement de Strasbourg en 1817, avait fait ses
études médicales à Nancy peu avant la Révolution ; il dut sans doute être élève
de lamoureux, « Professeur Royal
de l'Art des Accouchements » de 1786 à 1789. flamant
devait maintenir des relations avec Nancy, venant y présider des Jurys
de Médecine, et appartenant à l'Académie de Stanislas, jusqu'à sa mort en
1833.
Son
élève, Joseph-Alexis stoltz, lui succéda en 1834 et fut le dernier Doyen de la
Faculté de Médecine de Strasbourg avant de devenir, en 1872, le premier doyen
de celle de Nancy.
La gynécologie-obstétrique
nancéienne était représentée par deux chaires qui se complétaient, avec stoltz comme professeur de clinique
obstétricale et gynécologique, et François-Joseph herrgott comme professeur d'accouchement et de maladies des
enfants.
Le triptyque : « gynécologie-accouchement-nouveau-nés » se voyait donc
réalisé.
Mais, comme ailleurs en
France, la séparation allait se produire ; on ne retrouve plus, dès 1880,
qu'une seule chaire de clinique obstétricale ! L'autre a disparu, au profit
semble-t-il de l'histologie. Séparée de l'obstétrique, la gynécologie
nancéienne dérive à l'image d'un vaisseau fantôme qui, échappant au tourbillon
de Charybde, va se perdre contre l'écueil de Scylla.
Fort opportunément, le
somptueux legs boulanger, de
775000 F en 1910, impose le maintien d'une entité gynécologique confiée au
Professeur vautrin.
Une chaire de clinique
gynécologique est créée pour lui en 1924, pour s'évanouir à sa mort en 1927.
Le Professeur binet lui succède au Service, mais la
chaire de gynécologie ne lui revient qu'en 1937.
Elle ne s'éclipse pas, lors
de sa retraite en 1954 ; elle est occupée par le Professeur bertrand jusqu'en 1966.
Son transfert dans la
chaire de clinique chirurgicale « B », en 1966, sera suivi de la disparition
pure et simple de la clinique gynécologique ; chaire et service correspondants
sont transformés en clinique chirurgicale « C », à orientation digestive.
Ainsi pendant 86 ans, de
1880 à 1966, l'obstétrique et la gynécologie nancéiennes ont suivi des chemins
séparés, matériellement et spirituellement, jusqu'au sacrifice final de la
Gynécologie sur les autels de la chirurgie.
Mais ce fut un sacrifice
propitiatoire puisqu'il allait favoriser le retour de l'enfant perdu vers la
maison-mère qui l'attendait.
Disposant de locaux
suffisants, d'un laboratoire adapté à ses besoins de dépistage et de
traitement, enfin de gynécologues-accoucheurs désireux d'obtenir l'intégralité
des responsabilités en correspondance avec le double intitulé de leur titre,
la Maternité demanda et obtint la création du Service de gynécologie.
Il faut ajouter que le «
vide gynécologique » intervenait à une époque où les demandes augmentaient par
suite du développement de la gynécologie sociale.
Le
consensus général étant alors en faveur de la réunification de notre
discipline, la Faculté et le Centre hospitalier estimèrent que le transport de
la gynécologie à la Maternité n'appelait aucune objection.
Eu
égard à ces diverses raisons, le ministère de la Santé me nomma chef de Service
de gynécologie au C.H.U. en juin 1966, puis me détacha dans le service créé à
la Maternité en novembre suivant. En 1968, la Faculté me confiait
l'enseignement de la gynécologie et la direction du Certificat d'études
spéciales.
Je dois enfin à la
bienveillance de mes Collègues l'attribution de cette chaire de
gynécologie-obstétrique ; qu'ils daignent accepter le témoignage solennel de ma
reconnaissance.
La gynécologie-obstétrique
Nancéienne a retrouvé son unité après un siècle de séparation.
Les chemins furent longs
avant de se rejoindre, mais n'est-ce point un gage de durée ? Comme l'a dit un
poète :
« Le temps n'épargne pas
ce que l'on fait sans lui. »
Quittons désormais ces
grands ou petits chemins de l'histoire.
Je ne voudrais pas conclure
avant de m'être livré à un petit exercice d'analyse didactique, puisque telle
est la mission d'un Enseignant.
J'ai choisi, pour thème,
cette partie liminaire de la physiologie génitale qu'on peut appeler : l'Art
d'aimer.
ovide
avait de l'esprit mais peu de tendresse, de
l'élégance dans l'élégie mais peu de science infuse. Mais avait-il besoin de
ce qui lui manquait pour évoquer cet instinct si simple qui prélude avec
harmonie à l'art d'engendrer ?
L'art d'aimer et
d'engendrer est si naturel qu'on a tendance à oublier qu'il est le sixième
sens, et qu'il appartient plus au domaine de la médecine qu'à celui de la
philosophie.
Nous n'entendons plus
parler que de sexologie ; or ce terme est étymologiquement synonyme de gynécologie,
puisque sexus veut dire « ce qui
est fendu », et que la littérature amoureuse a largement utilisé
le mot « sexe » pour désigner la femme seulement. Si la « sexologie » renferme
donc la totalité de ce qui se rapporte à la reproduction, il nous faut inventer
un autre nom pour désigner l'art d'aimer, fonction partielle représentant une
fin en soi.
Je suis tenté par Cupidologie, ou Cupidolatrie,
la composition gréco-latine du mot n'offrant pas plus de dissonance que
pour le mot sexologie. Mais ne perdons pas de vue l'aspect scientifique du
problème.
Alors que
les fonctions végétatives sont
incontrôlables, parce que nécessaires, les deux fonctions de locomotion
et de reproduction sont gouvernables parce que facultatives, c'est-à-dire
soumises à l'action de la volonté ; on peut refuser de se déplacer ou de se
reproduire.
Cette analyse ne concerne
évidemment que la reproduction, seule fonction essentiellement au service de
l'espèce. bergson a écrit que
chez l'homme, autour de l'intelligence, il y a une frange d'instinct et, mêlées
aux prévisions raisonnées, des divinations intuitives. Cet instinct animal est
générateur d'impulsions permettant à l'homme de résoudre les problèmes vitaux
les plus compliqués tout en ignorant la raison d'être des moyens qu'il emploie.
— L'activité génitale, fin
rationnelle ou instinctive, se décompose en deux fonctions :
— la fonction érotique, de
conditionnement,
— la fonction génésique, d'engendrement.
La première est subjective
: Etat préparatoire ;
La seconde est objective
: Acte de concevoir.
La « frange d'instinct »
permet cette double performance aux plus incultes des Béotiens, sans nécessiter
aucun effort intellectuel. Les races primitives les moins évoluées adoraient
la puissance génésique, parce que facilement mesurable ; ils considéraient
l'objet plutôt que le moyen. Mais oser écrire que « l'heure de l'homo eroticus est venue », me semble risible.
Certes, l'intellectualisme,
privilège des individus évolués, peut dominer l'instinct et séparer
volontairement ces deux fonctions l'une de l'autre ; le mot sexologie
retrouverait alors son vrai sens étymologique. Comme l'a écrit récemment un Cupidologue de talent : « Tout, dans l'amour, qui n'est
pas génésique est érotique ! » Argument spécieux s'appuyant sur une
dichotomie trop simpliste ; imaginez un philosophe affirmant : qui n'est pas
stoïcien est épicurien !
Il est bien certain que la
physiologie génitale réalise aisément cette séparation arbitraire ; le risque
n'est pas de la réaliser, mais de l'exploiter. On peut observer les
conséquences néfastes de cette volonté, quasi liturgique, de sublimer les
spectacles érotiques ; les moyens audiovisuels conduisent à un cercle vicieux :
érotisme, érotomanie, prostitution, sadisme, etc. Il en est comme pour les
vomissements de la grossesse qui s'aggravent d'eux-mêmes jusqu'à entraîner une
situation périlleuse.
Voici le problème posé ;
comment le résoudre ?
La maieutique
des Cupidologues se traduit en des milliers de pages
destinées à expliquer, aux foules ignares, les mécanismes complexes et subtils
grâce auxquels elles pratiquent l'érotisme sans le savoir, comme monsieur jourdain faisait de la prose.
Ces
ouvrages contiennent des faits exacts qui méritent d'être enseignés ; il vaut
mieux ne pas les conseiller comme livres de chevet parce qu'ils favoriseraient
le sommeil du lecteur bien avant qu'il ait pu découvrir et comprendre le « mode
d'emploi » qu'il recherche !
Les gynécologues de jadis,
à la fois naturistes et intelligents, écrivaient en formules très simples ce
que la prose érotique moderne complique à plaisir.
Permettez-moi de vous lire
un paragraphe extrait des Œuvres d'Ambroise Paré écrites voici quatre
siècles :
« La manière d'habiter
et faire génération »
« L'homme étant couché
avec sa compagne et épouse, la doit mignarder, chatouiller, caresser et
émouvoir s'il trouvait qu'elle fut dure à l'éperon ; et le cultivateur
n'entrera dans le Champ de Nature humaine à l'étourdi, sans que premièrement n'aye fait ses approches qui se feront en la baisant, et lui
parlant du jeu des Dames rabatues : aussi en maniant
ses parties génitales et petits mamelons, afin qu'elle soit aiguillonnée et
titillée jusqu'à ce qu'elle soit éprise des désirs du mâle, etc. »
Voici un « mode d'emploi »
simple et de bon goût.
A l'opposé, les
romans-fleuves actuels traitant de l'érotisme se livrent à des jeux d'esprit
fort éloignés de la doctrine d'Hippocrate.
Que viennent faire ces
élucubrations assimilant, par exemple, les obélisques à des emblèmes
phalliques, et glosant sur la présence de l'un d'eux au Vatican, au centre de
la place Saint-Pierre !
Que viennent faire les ragots
d'alcôve se rapportant à chEops, tibEre,
et bien d'autres !
Pourquoi dire que le fameux
rapport kinsey, publié il y a 20
ans, a fait l'effet d'une bombe quand il annonçait que 86 % des
Américains vivent en rupture avec le code moral ?
Toute cette littérature a
un relent de faux intellectualisme et me semble indigne de faire l'objet d'un
quelconque enseignement. Que l'activité génitale soit le fait de l'instinct ou
de l'intelligence, que la fonction érotique soit isolée, ou bien, qu'à
l'inverse, la fonction génésique le soit - comme pour l'insémination
artificielle - tous ces faits appartiennent à la physiologie, science de la
vie, et leur analyse exige de la rigueur scientifique, comme l'a voulu Claude bernard.
L'enseignement médical
doit énoncer les faits et s'abstenir d'hypothèses fantaisistes.
La physiologie génitale est
le support de la Gynécologie clinique. Son enseignement doit s'étager selon
trois niveaux et selon une progression logique :
1. Enseignement de
la biologie génitale : anatomie et physiologie ; il doit être intégré aux
programmes scolaires, à tous les degrés.
2. Education conseillant
des comportements, options, précautions, en faisant toujours référence aux
lois de l'Espèce, mais en les adaptant aux conditions particulières de l'individu,
du couple, de la famille, de la société.
3. Information médicale
précise concernant les préventions, le dépistage, la surveillance, enfin
la prescription de méthodes et de moyens qui n'enfreignent pas les règles de
l'éthique ; même ce qui est légal, résultat de la loi du nombre, n'en
acquiert pas pour autant un caractère moral, et l'arbitrage médical doit
s'appuyer sur des certitudes.
Mesdames, Messieurs,
Rester dans le réel et le
possible, c'est suivre le conseil donné il y a deux mille ans par hErophile, le célèbre anatomiste
d'Alexandrie :
« Par-dessus tout, le
médecin devra connaître les limites de son pouvoir ; car celui-là seul qui sait
distinguer le possible de l'impossible est un médecin parfait. »