FRANCK Claude

1910-1996

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ELOGE FUNEBRE

Le Professeur Claude FRANCK fut un grand Maître de notre Faculté. Il y avait fait ses études de médecine, brillantes et couronnées par le premier prix de thèse en 1935. Partagé entre des fonctions hospitalières l'ayant conduit au clinicat en Pneumo-phtisiologie auprès du Professeur Pierre SIMONIN, et un assistanat en Hydrologie au côté du Professeur Daniel SANTENOISE, il devait opter pour une carrière essentiellement universitaire après une réussite à 29 ans, en 1939, au concours d'agrégation de Physiologie, dans la même promotion que son collègue et ami de longue date le Professeur Robert GRANDPIERRE. Si ce dernier fut immédiatement affecté à l'enseignement de la discipline physiologique dans notre Faculté, il n'en fut pas de même pour Claude FRANCK qui, après une nomination comme agrégé auprès de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux dut, victime des lois d'exception suivant la défaite de 1940, être mis à la disposition des Facultés d'Aix puis de Lyon avant d'aborder une des périodes les plus sombres de son existence, dans un repli à Toulouse où il continua cependant à fréquenter les laboratoires amis, en particulier celui de Pharmacologie du Professeur CAUJOLLE, au côté du Professeur BAISSET avec lequel il avait depuis noué une longue amitié. Les angoisses du présent et du lendemain, dans cette situation d'exilé dans son propre pays, se trouvaient alors à la fois accrues et tempérées par le bonheur de son jeune foyer.

Fidèle à sa Lorraine natale et après un peu plus d'un an d'activités militaires succédant à la Libération, il reprenait des fonctions d'agrégé dès sa démobilisation en décembre 1945 au laboratoire de Physiologie de notre Faculté alors placé sous l'autorité du Professeur CHAILLEY-BERT, qui venait dans ces mêmes temps d'assumer en Préfecture les fonctions de Commissaire de la République. Malgré le départ de Nancy de cet éminent collègue, Claude FRANCK dut attendre jusqu'en 1952 avant de pouvoir prétendre à la Chaire de Physiologie à laquelle il devait donner un particulier éclat.

Ayant vécu à ses côtés cette décennie des années 1950 durant laquelle il sut exprimer tous ses talents de pédagogue, de chercheur et de gestionnaire, il me revient aujourd'hui de rappeler quelques-uns des événements forts que put vivre l'équipe qu'il avait su constituer rue Lionnois en fidèle collaboration et amitié avec Robert GRANDPIERRE, toujours enseignant à Nancy mais poursuivant une carrière militaire exceptionnelle au sein du service de santé de l'Armée de l'Air où il fut amené à créer les principales structures toujours existantes de la Médecine Aéronautique puis à fonder la Médecine Spatiale Française. Nombreuses furent les publications de cette période conjointement signées de ces deux Maîtres, la physiologie respiratoire et les problèmes posés dans ses applications lors des vols civils ou militaires constituant l'essentiel de leur thématique. Parmi les sujets traités, les effets de l'hypoxie tenaient une place particulière, travaux auxquels se trouvaient associés les plus jeunes chercheurs bénévoles du laboratoire. Les réalisations expérimentales correspondantes étaient pratiquées aussi bien chez le chien, considéré comme l'animal d'expérience le plus noble, que chez le cobaye, plus disponible et du fait de sa taille adaptable à un petit caisson à dépression aujourd'hui toujours en fonctionnement après plus d'un demi-siècle de bons et loyaux services. Y étaient aussi associées des études de pharmacologie, discipline à laquelle Claude FRANCK s'était consacré durant son séjour toulousain et qui devait le conduire à orienter l'un, sinon plusieurs de ses élèves, vers cet autre champ d'investigations proche de la physiologie : notre regretté collègue Maurice LAMARCHE tout d'abord, qui devait avec talent et énergie développer une grande structure de recherches à partir des très modestes moyens que lui avait confiés le Professeur Pierre LOUYOT ; puis le Professeur René ROYER, dont les débuts dans la recherche se sont également faits au laboratoire de Physiologie à la fin de la présence nancéienne du Professeur FRANCK.

Bien d'autres sujets de recherches furent alors abordés, dont le souvenir se trouve rattaché aux travaux menés par l'ensemble de l'équipe mais souvent rassemblés dans les thèses successives des chefs de travaux ou assistants, voire préparateurs, qui concouraient à la bonne marche des fonctions pédagogiques du laboratoire. Il faut dire que certains facteurs favorables facilitaient le déroulement de ces différentes missions. L'hôpital était un lieu de prolongement et d'application des techniques initiées et mises au point à la faculté dans les domaines des fonctions respiratoire, cardio-vasculaire ou métabolique hydrominérale, mais sans qu'une officialisation en soit réalisée avant la réforme hospitalo-universitaire découlant des ordonnances de 1958. D'autre part, les charges pédagogiques, très étroitement surveillées et conduites par le Maître des lieux, étaient concentrées sur un seul semestre pour les étudiants du cursus médical, de sorte que l'autre moitié de l'année universitaire pouvait être presque intégralement consacrée aux activités de recherche.

C'est ainsi que je garde le souvenir des journées souvent longues d'expérimentations animales, de chiens anesthésiés au chloralose et reliés par nombre de capteurs mécaniques à des enregistreurs au noir de fumée traditionnel sur lesquels, à main levée, Claude FRANCK portait d'une fine écriture parfaitement déliée les annotations fixées ensuite, comme les tracés des paramètres physiologiques, dans une gomme laque odorante. Puis vinrent les capteurs et enregistreurs électriques retirant une partie du caractère artisanal de toute expérimentation physiologique qui demandait par ailleurs un savoir-faire talentueux et une compétence gestuelle chirurgicale. Claude FRANCK portait alors, souvenir de son passé de pneumo-phtisiologue, en sus des blouses opératoires, la calotte coiffant le chef de tous les infectiologues de l'époque, de l'Hôpital Maringer à l'Hôpital Villemin.

Pierre ARNOULD, Chef de Travaux puis Maître de Conférences agrégé après une remarquable thèse sur la mesure du débit cardiaque qui ouvrait le laboratoire vers de nouveaux champs d'investigations, devenait progressivement le conducteur des démarches expérimentales. Les thèses de Pierre LAMY sur le nerf phrénique et ses fibres végétatives, d'André SIMON puis de Jacques PETIT sur les conséquences respiratoires d'une occlusion vasculaire pulmonaire en furent notamment l'expression. Passant du contenant au contenu, une orientation nouvelle se fit jour vers la physiologie métabolique et l'exploration des compartiments liquidiens et de la masse sanguine. Maurice LAMARCHE puis moi-même en fûmes les bénéficiaires, et ma présence en 1958 comme interne dans le service alors dirigé par le Professeur NEIMANN fut à l'origine d'un travail dont l'ampleur me permit très peu de temps plus tard de me présenter à un concours d'agrégation du fait de la vacance engendrée par la promotion rectorale de Claude FRANCK.

L'évocation de ces années déjà lointaines, qui furent en particulier grâce au Professeur FRANCK et à son équipe amicale des plus heureuses de ma vie professionnelle, me paraissait essentielle pour, à travers la liste des noms déjà cités, rappeler l'efficacité de la démarche formatrice du patron du laboratoire. D'autres noms peuvent également être prononcés, qui sont ceux des élèves plus directs du Professeur GRANDPIERRE, issus du cadre militaire mais dont l'orientation ultérieure traduit le rôle national très important joué par l'association de ces deux grands maîtres de la physiologie française.

Le Professeur Pierre BOUVEROT fut l'un d'entre eux, que notre collègue le Professeur Jean-Pierre CRANCE considère à juste titre comme son Maître le plus direct. La passion de Pierre BOUVEROT pour la recherche fondamentale, qui l'avait conduit à quitter l'Armée pour l'Université, lui fit renoncer à une carrière hospitalo-universitaire pour rejoindre à Strasbourg l'un des laboratoires les plus en vue du CNRS en matière de physiologie respiratoire, et cela malgré les talents pédagogiques qui lui avaient notamment été inculqués lors de la préparation aux leçons d'agrégation par Claude FRANCK lui-même.

C'était effectivement une noria de jeunes médecins militaires qui fréquentaient alors le laboratoire, soit pour y participer à une expérimentation, soit pour se voir confier quelque exposé de physiologie, y compris devant cet auditoire de formation post-universitaire que constituaient alors, réuni dans les locaux de l'Institut d'Hydrologie placé sous la houlette du Doyen Louis MERKLEN, les médecins réservistes jeunes et moins jeunes du service de santé de l'Armée de l'Air de notre région. C'est ainsi que je fis la connaissance de futurs professeurs de physiologie et de biologie cellulaire conduits à exercer dans de multiples universités de l'hexagone : Roland FLANDROIS à Lyon, Yvon HOUDAS à Lille, Charles JACQUEMIN à Paris, Jean FABRE à Caen, Jean GINET à Nantes, Robert LOUBIERE à Abidjan puis à Nice , Pierre VARENE à Bordeaux, parmi beaucoup d'autres qui poursuivirent jusqu'à leur terme leur carrière militaire et gardèrent d'étroites relations avec notre Faculté. Fréquentaient également le laboratoire nancéien des collègues d'une génération antérieure mais issus de la même école physiologique tels que le Professeur Robert LEMAIRE, successivement enseignant à Dakar, Caen puis Paris, et le Professeur Pierre-Louis BIGET, enseignant à la Faculté de Pharmacie de Rennes.

Claude FRANCK avait des talents d'organisateur et d'administrateur qui transparaissaient dans la vie quotidienne du laboratoire. Sa vision lucide d'une situation et de l'avenir qui pouvait en découler lui permit ainsi de guider dans le meilleur choix les carrières de ceux qui avaient eu la chance de gagner sa confiance en travaillant à ses côtés. La Faculté elle-même en fut l'immédiate bénéficiaire puisqu' assesseur du Doyen Pierre SIMONIN auquel il exprimait par cette démarche une totale fidélité, il assura la restructuration d'un service financier à l'époque quelque peu mis à mal. Citons pour l'anecdote l'achat au laboratoire de sa première machine à calculer qui devait, avant d'être utilisée pour réaliser les statistiques succédant aux travaux expérimentaux, voir consacrer pleinement ses premières heures de fonctionnement à la totale reprise des comptes de la Faculté. Le départ en 1960 de Claude FRANCK pour accéder à de prestigieuses fonctions rectorales à Dakar tout d'abord, puis à Poitiers, enfin à Aix-Marseille, fut la conséquence de ses talents d'administrateur alors parfaitement reconnus, et notamment par le Directeur des Enseignement Supérieurs de l'époque, Laurent CAPDECOMME. Une autre raison sans doute qui devait faciliter son départ furent les difficultés, dont il eut rapidement conscience, de l'intégration hospitalière des physiologistes à la suite de la réforme de 1958, et cela malgré les investissements du laboratoire et sa prescience de l'évolution des carrières et des activités hospitalo-universitaires. Je tiens en ce domaine à rappeler le souvenir de l'une de nos dernières conversations avant son départ pour Dakar où, en raison même des collaborations de recherche appliquée qui s'étaient établies avec le service de Pédiatrie du Professeur NEIMANN, il m'avait décrit à l'avance la nécessité de création et les objectifs d'un service d'explorations fonctionnelles pédiatriques dont on sait aujourd'hui la place qu'il tient dans les missions hospitalières des enseignants de physiologie.

Le caractère réservé de Claude FRANCK, allié au sens aigu des charges et devoirs de la mission administrative rectorale, conduiront à évoquer d'une manière trop brève, eu égard à son importance dans sa carrière, les quinze années dévolues à la conduite successive de trois académies, et cela autour de la période particulièrement mouvementée de 1968. Les échos de son rôle perçus à travers les propos des collègues universitaires marseillais ont toujours été unanimement favorables, et il était à leurs yeux le grand Recteur dont leur Académie avait pu bénéficier pendant ces dernières décennies. Les quelques souvenirs que je garde de l'évocation par ses soins de ce métier particulier sont des relations d'ordre anecdotique : ainsi de son entrevue en seul à seul avec le Général de Gaulle qui avait tenu à l'entendre sur la situation académique et universitaire du Sénégal, de la rencontre et de l'accueil dans le cadre de cette même charge de souverains tels que la Reine Elisabeth II ou le Roi Hassan II, ses relations avec le Président Léopold Senghor ressortissant évidemment aux habitudes. Les multiples décorations et distinctions françaises ou étrangères, dont il ne se prévalait nullement, traduisent cependant l'estime dont à la fois le gouvernement de son pays ou ses hôtes étrangers furent à même de lui témoigner.

Nos plus jeunes collègues, dans le quotidien de leur vie universitaire ou hospitalière, ignorent peut-être ce qu'ils doivent encore aujourd'hui à la présence et aux initiatives de Claude FRANCK voilà maintenant plus de trente ans. Si l'administration porte encore sa marque, d'autres structures bénéficièrent de tout son intérêt : le service audiovisuel constitue le prolongement de ses préoccupations pédagogiques qui lui avaient fait doter le laboratoire de physiologie au moment de son départ d'une installation et de circuits internes de télévision propres à des démonstrations expérimentales et pour la mise en oeuvre desquelles notre collègue Jean-Pierre CRANCE, alors jeune assistant du laboratoire, devait particulièrement s'investir. Les soucis du Professeur FRANCK en matière d'environnement, d'hygiène et d'efficacité dans le travail expérimental l'avaient aussi conduit à faire construire une animalerie centrale, rue Lionnois, qui devait trouver son prolongement lors de l'élaboration du plan pédagogique de la Faculté de Brabois.

Sa lecture des publications scientifiques l'avait conduit à reconnaître l'extrême importance dans l'exploitation des résultats expérimentaux des analyses statistiques et il fut le premier - y compris par l'achat de la machine précitée - à introduire l'indispensable connaissance des méthodes aujourd'hui employées dans toute expérimentation, fondamentale ou clinique. Un autre impératif par lui reconnu était celui de l'établissement d'une bonne bibliographie, préalable à l'établissement de tout protocole de recherche. Il fut, avec Geneviève KOEST alors responsable de la bibliothèque de Médecine, le réalisateur du premier catalogue des périodiques répertoriés aussi bien dans la bibliothèque centrale que dans les laboratoires et services hospitaliers, outil particulièrement précieux pour tout candidat à la recherche. Par ailleurs, un petit ouvrage, de dimensions modestes mais d'une précision rédactionnelle à l'image de ses auteurs, conseillait et peut toujours utilement conseiller les étudiants lors de la préparation et de la rédaction d'une thèse de doctorat en médecine, pour en assurer d'une manière systématique et convenablement exprimée les références bibliographiques.

Un service inter-universitaire important s'est trouvé profondément marqué lors de sa prise de direction par le Professeur Claude FRANCK. Il s'agit du service inter-universitaire de médecine préventive, alors simple dispensaire jouxtant la Faculté de Médecine rue de Bitche, mais ouvert à l'ensemble estudiantin nancéien. L'ancien pneumo-phtisiologue y exerçait là avec toute la connaissance et la rigueur de son art l'éradication de la tuberculose qui, avant les antibiotiques et la pratique bien tardive en France de la vaccination BCG, atteignait plus d'un étudiant, et surtout en médecine, durant ses premières années d'études. Y ayant pendant 13 ans exercé ces fonctions directoriales, il a profondément marqué cette structure de prévention de sa personnalité et laissé entre les mains de ses successeurs, les Professeurs Alain LARCAN et Daniel ANTHOINE en particulier, un outil efficace travaillant en étroite liaison avec l'autorité rectorale, mais ayant aussi permis depuis quelques années l'amorce d'une nécessaire médecine du travail dans nos établissements universitaires.

Ce rappel des principales étapes de la vie universitaire de Claude FRANCK, des missions et des réalisations qui ont été les siennes durant cette longue et brillante carrière ne traduit peut-être pas avec suffisamment de fidélité les profondes qualités de l'homme et de sa personnalité, faite de rigueur et d'engagement total au service de l'Etat, dans une austérité voire sévérité apparente qui contrastait avec une sensibilité que seuls pouvaient ressentir ceux qui partagaient son intimité. Il était extrêmement fidèle en amitié, et ses liens avec Nancy continuèrent après son départ avec ceux, en dehors ou dans la Faculté, dont il avait été proche. Ses venues en Lorraine furent néanmoins très espacées, certainement en raison de ses charges, mais aussi parce qu'il y avait perdu la présence du principal lien familial qui nous rattache habituellement à notre terre natale, après la disparition de nos parents. Les siens avaient en effet été déportés sans retour et le souvenir de son père, praticien dévoué à sa clientèle de Champigneulles dont il n'avait pas voulu s'éloigner malgré les menaces, est aujourd'hui simplement rappelé par l'attribution du nom de Julien FRANCK au Collège de sa localité d'exercice.

Il avait cependant répondu favorablement en 1972 à l'invitation des Doyens DUREUX et DUPREZ pour participer à l'imposante manifestation marquant le centenaire de la Faculté et le quadricentenaire de l'Université lorraine. Il y revint également en 1981, à l'occasion du Congrès International de Médecine Aérospatiale qui fut sans doute la circonstance d'une dernière rencontre avec le Professeur Robert GRANDPIERRE.

Atteint par la limite d'âge des fonctions rectorales puis hospitalo-universitaires exercées dans l'académie d'Aix-Marseille, il s'était retiré dans la métropole méditerranéenne à proximité de ses deux fils ayant tous deux embrassé la carrière médicale, affectueusement entouré de son épouse et de sa famille. Je lui avais rendu visite au mois d'avril dernier : malgré quelques incidents de santé préoccupant son entourage, il avait gardé une intégrité physique apparente, une lucidité et une pertinence des propos, une chaleur d'accueil qui permettent de garder de lui l'image d'homme de bien et de responsabilité qu'il avait su être durant toute sa vie.

Professeur M. BOULANGE