Neurochirurgie
par J-C.
MARCHAL et J. AUQUE
L’histoire de la Neurochirurgie à Nancy ne peut-être dissociée de celle de
la Neurochirurgie française. La spécialité en tant que telle date des débuts du
XXème siècle. D’obédience strictement anglo-saxonne lors de ses
premiers développements, elle doit à des chirurgiens tels que Harvey CUSHING et Walter DANDY ses
premiers pas aux Etats Unis. Les premiers pionniers français seront tout
d’abord des chirurgiens puis des neurologues parisiens. L’originalité de son
implantation à Nancy tient dans la quasi-simultanéité avec laquelle elle s’est
développée parallèlement avec les grands services parisiens de l’époque. Alors
que dans de nombreuses villes de province la Neurochirurgie se créait grâce à
une greffe parisienne on doit aux fondateurs de la spécialité à Nancy de
l’avoir enracinée dans le terreau local en lui conférant par là sa propre
spécificité. Ce n’est donc pas sans raison que la Chaire de Neurochirurgie à
Nancy fut la deuxième créée en France (1947). C’est pourquoi, écrire l’histoire
de la Neurochirurgie à Nancy au travers des hommes qui en ont défriché la voie,
c’est non seulement écrire l’histoire d’une Ecole mais aussi d’une Tradition.
LA SPECIALITE : RENE
ROUSSEAUX (1902-1955)
Comme la plupart des domaines de la chirurgie devenus, de nos jours, des
spécialités à part entière, la Neurochirurgie a, pendant longtemps, constitué
une branche de la chirurgie générale. Le traitement des abcès du cerveau ayant,
toutefois, été l’affaire des ORL, c’est sans doute la raison pour laquelle le
Pr. JACQUES, titulaire de la chaire d’ORL à Nancy, a encouragé le Pr. René
ROUSSEAUX à s’orienter vers la Neurochirurgie.
Le Pr. ROUSSEAUX avait parcouru une longue traversée du désert après la
mort de son maître le Pr. MICHEL. Un concours de circonstance
« défavorable » le laissait, en effet, en fâcheuse posture après
l’échec au concours d’agrégation en 1935. Bien que reçu au Chirurgicat des
Hôpitaux, le décès de son patron le laissait sans service hospitalier. C’est
alors qu’il fut amené à fréquenter le service de Clovis VINCENT, pionnier à
Paris de la spécialité.
Une parenthèse s’impose ici pour comprendre ce qu’était, à l’époque, la
situation de la Neurochirurgie en France. Thierry de MARTEL avait inauguré à Paris
l’orientation de son service vers la Neurochirurgie ; Clovis VINCENT était
alors Neurologue, sans expérience chirurgicale. Considérant les mauvais
résultats obtenus par la chirurgie dans le traitement des lésions
encéphaliques, il pensait que les gestes traditionnels des chirurgiens ne
convenaient pas aux interventions sur le tissu nerveux. Il s’était donc
astreint à une formation manuelle faite de douceur et de lenteur (progression
très lente dans le refoulement et la rétraction cérébrale, anesthésie locale
permettant la surveillance constante de l’opéré dont il fallait contrôler la
moindre tendance à l’endormissement et avec lequel il fallait entretenir un
dialogue constant). Et toutes ces précautions n’empêchaient pas la survenue
brutale et imprévisible de ce que l’on appelait à l’époque, mystérieusement
faute d’en identifier les causes réelles, l’ « œdème cérébral ».
A Paris, ROUSSEAUX devait se lier d’amitié avec
les Pr. DAVID et PUECH (ce dernier, fumeur invétéré, devait décéder d’un
accident cardio-vasculaire ; c’est à cette très triste circonstance que
ROUSSEAUX décida de ne plus fumer, trop tard malheureusement pour échapper
lui-même à un cancer du poumon en 1955).
Après cette formation parisienne, il devait retrouver à Nancy le service du
Pr. JACQUES qui lui concédait une partie de ses lits dans le pavillon Krug. Ce
bâtiment était alors très occupé : ORL, Neurochirurgie et Urologie. Un
service de Neurochirurgie indépendant va alors prendre naissance (pour
l’hospitalisation tout au moins) au dernier étage du pavillon Krug où il
coexiste avec le service de Neurologie du Pr. KISSEL, neurologue de réputation
internationale connu pour ses travaux sur les phakomatoses. Cette disposition
particulière de deux services cliniques va représenter un avantage considérable
en favorisant une collaboration médico-chirurgicale inappréciable et originale
pour l’époque. L’activité du service ne se limite pas la chirurgie
encéphalique : d’une part les années d’après guerre n’ont pas encore vu
l’essor de l’Anesthésie Réanimation, des thérapeutiques anti-coagulantes,
d’autre part le Pr. ROUSSEAUX (titularisé en 1947 dans la Chaire de
Neurochirurgie) n’a pas oublié sa formation de généraliste et peut-être a-t-il
déjà le projet d’un grand service de chirurgie regroupant, par départements,
différentes spécialités. C’est d’ailleurs ce dont le Pr. CHALNOT avait
entrepris la réalisation de la Clinique Chirurgicale A.
C’était l’époque où les idées de René LERICHE (avec qui ROUSSEAUX avait
travaillé dans une ambulance militaire pendant la guerre) connaissaient une
grande attraction : initiateur avec JABOULAY de la sympathectomie
lombaire, il avait étendu très loin le rôle du système sympathique dans
différentes pathologies et suscité un enthousiasme sans doute excessif. Qu’on
en juge : traitement des syndromes vasomoteurs, des causalgies et des
hypertensions malignes par les sympathectomies thoraco-lombaires… : toutes
ces interventions étaient réalisées dans
le service de Neurochirurgie du Pr. ROUSSEAUX qui sut très rapidement faire le
tri entre le bon grain et l’ivraie. Simultanément s’était ouverte la chirurgie
des sciatiques pour laquelle ce service obtenait déjà un certain succès.
L’ECOLE : JEAN LEPOIRE (1923-1997)
Le Pr. ROUSSEAUX était alors entouré de deux assistants prestigieux :
le Pr. Antoine BEAU, alors titulaire de la chaire d’Anatomie et Chirurgien des
Hôpitaux, le Dr. Jacques MIDON qui restera à ses côtés jusqu’à sa mort. A côté
de ces hommes qui n’épouseraient pas la spécialité neurochirurgicale il y avait
« le blé en germe » : Jean LEPOIRE est présenté dès son concours d’Internat
(1946) comme un futur neurochirurgien. Il est un des premiers et rares nancéens
à solliciter et obtenir une bourse d’étude pour les Etats-Unis (1951). Il
passera une année au Massachusetts General Hospital à Boston dans le service de
William SWEET. Cette formation lui permet de devenir Chef de Clinique puis
Assistant de ROUSSEAUX : ce dernier préparait son transfert dans la
Clinique Chirurgicale B devenant vacante au départ à la retraite du Pr. HAMANT en 1954. Dans ce service que ROUSSEAUX aurait souhaité
poly-disciplinaire, Jean LEPOIRE devait donner à la Neurochirurgie ses lettres
de noblesse laissant au Dr. MIDON et au Pr. Jean SOMMELET les domaines
respectifs de la Chirurgie Viscérale et de l’Orthopédie. ROUSSEAUX décède en
1955, cette même année LEPOIRE devient Chirurgien des Hôpitaux et quelques mois
plus tard, il est reçu au concours d’Agrégation de Neurochirurgie. Le Pr.
BODART, nommé à la tête du service de Chirurgie B héberge alors LEPOIRE et la
neurochirurgie.
Nous sommes dans les années 1960, le Pr. KISSEL quitte le service de
Neurologie pour prendre la chaire de Clinique Médicale B. Le Pr. Georges
ARNOULD lui succède dans le Service de Neurologie. En Neurochirurgie, la
psychochirurgie, à laquelle s’intéressait le Dr. MIDON tombe dans un heureux
oubli. Jean LEPOIRE est titularisé dans la Chaire de Neurochirurgie en 1962,
Jacques MONTAUT (1929-1985) est nommé Chef de Clinique.
Si les spécialités neurologiques et neurochirurgicales coexistent toujours
d’une façon organique, l’essor de cette dernière reste bridée par l’absence de
moyens d’exploration fiables et inoffensifs : la Neuroradiologie est
encore en gestation. Les actes de la neuroradiologie se limitent aux
radiographies standard du crâne et de la colonne, à l’encéphalographie gazeuse
fractionnée et à l’artériographie qui est aux mains des chirurgiens :
ponction carotidienne directe sur un malade éveillé, injection de produit de
contraste sous les rayons, après avoir crié « feu » pendant qu’un
aide retire, à la main, 4 cassettes munies de poignées de longueur décroissante
pour les jeter sur un coussin… Malgré la précarité des informations fournies
par ces quelques images l’inflation des indications finit par empiéter sur
l’activité proprement opératoire. Les temps seront bientôt mûrs pour
l’accouchement.
L’évolution hospitalière fait que les services de Neurologie et de
Neurochirurgie seront transférés en 1968 à l’Hôpital Saint Julien. Transfert
prévu pour quelques courtes années avant retour à l’Hôpital Central :
l’exil va durer…30 ans ! Que cela permette de réfléchir à ceux qui
élaborent les projets médicaux ! LEPOIRE va s’ériger en tuteur de la
Neuroradiologie et de son fondateur à Nancy, Luc PICARD. Ce dernier, partagé
entre sa formation première de Neurologue et celle à venir de Radiologue, va
progressivement prendre en charge l’ensemble des actes neuroradiologiques.
Grâce à la compréhension de Mme le Pr. TREHEUX, L. PICARD est nommé agrégé en
1970, Chef de Service de Neuroradiologie en 1976. Le soutien inconditionnel et
visionnaire de LEPOIRE à toutes les innovations dans les domaines de la
technique et technologie chirurgicales, sa foi intuitive dans les progrès
diagnostiques à venir grâce aux technologies nées du traitement informatique de
l’image vont créer à Nancy la synergie nécessaire pour placer les Neurosciences
à un niveau international, original et envié.
Dans les années 1970 et grâce à la loi Debré, LEPOIRE va faire nommer
successivement trois agrégés : Jacques MONTAUT, Michel RENARD en Anatomie
et Henri HEPNER. Le premier va fonder les linéaments de la Neurochirurgie
Pédiatrique à Nancy. En 1977, il publie à La Société de Neurochirurgie de
Langue Française, avec son complice le Pr. STRICKER, un rapport consacré aux Craniosténoses
dont la portée est séminale. Le second va s’orienter vers la chirurgie du
rachis, le troisième apporter à Nancy la technique de la chirurgie hypophysaire
par voie trans-sphénoïdale. Cette décennie est riche de progrès : le
microscope opératoire bouleverse l’approche chirurgicale de pratiquement toutes
les pathologies intra crâniennes et spinales et l’on parle désormais d’approche
micro neurochirurgicale. En 1975 l’installation du scanner dans le service de
Luc PICARD révolutionne le diagnostic d’une immense partie de la pathologie
neurologique et neurochirurgicale.
C’est dans la décennie des années 1980 que, grâce à l’imagerie en résonance
magnétique, la neurochirurgie traditionnelle va connaître le meilleur de ses
possibilités. Si les surenchères chirurgicales confinent parfois au maniérisme
elles auront eu pour mérite de fixer les limites de ce qui est raisonnable.
Parallèlement, Jacques MONTAUT, dans un service créé en 1979, continue à
développer la partie pédiatrique de la spécialité en en faisant une spécialité
dans la spécialité. Il meurt en 1985, il n’est âgé que de 56 ans, il a formé un
élève : Alain CZORNY qui va maintenir la tradition de la Neurochirurgie
Pédiatrique jusqu’en 1990 où il est nommé à Besançon. C’est LEPOIRE qui va
également soutenir Luc PICARD dans le défrichement de la neuroradiologie
interventionnelle, il en sera l’un des pionniers donnant à ces techniques de
plus en plus sophistiquées un savoir-faire et une « french touch » internationalement reconnue.
Depuis ROUSSEAUX, la Règle des Trois
préside au transfert de compétences et de responsabilités. De la même façon,
avant son départ à la retraite en 1989, Jean LEPOIRE aura fait nommer ses trois
élèves à l’agrégation : Jean Claude MARCHAL en 1986, en 1989 il est
Président de la section de neurochirurgie au Conseil National des Universités
et fait nommer Jean AUQUE et Alain CZORNY pour l’année 1990. Il laisse un
Service de 121 lits. C’est la troisième structure neurochirurgicale de France. Henri HEPNER lui succède à son départ.
LA DIVERSIFICATION : HENRI
HEPNER (1934-2003)
Les années 1990 voient les techniques endo-vasculaires du traitement des
anévrismes et des malformations artério-veineuses grignoter progressivement
l’activité neurochirurgicale traditionnelle. Certaines pathologies comme les
neurinomes de l’acoustique sont prises en charge dans leur milieu ORL
d’origine. La pathologie cranio-encéphalique traumatique a vu ses indications
chirurgicales heureusement et spectaculairement diminuées avec le diagnostic
scannographique d’une part, les progrès des Soins Intensifs d’autre part et le
durcissement des lois de prévention routière enfin. Dans le domaine pédiatrique
en dernier lieu, la loi Weill de 1975 et les progrès de l’échographie renvoient
un large chapitre de la pathologie malformative du système nerveux central dans
le domaine de l’histoire de la Médecine.
Parallèlement d’autres secteurs d’activités se sont déployés :
stimulation cérébrale profonde pour le traitement de la maladie de Parkinson,
chirurgie de l’épilepsie, chirurgie de la spasticité et radio chirurgie.
L’organisation de la prise en charge des malades transforme également les
façons de penser, en cela les mentalités sont prêtes car la coexistence
organique des trois services va, petit à petit permettre l’organisation
horizontale du traitement de certaines pathologies comme la pathologie
tumorale, l’épilepsie et les mouvements anormaux. Tout en maintenant une
activité neurochirurgicale traditionnelle chacun va s’orienter vers une
sous-spécialité qu’il affectionne particulièrement : Jean AUQUE fait la
promotion de la neurochirurgie dite fonctionnelle (terme impropre qui servira à
désigner tout ce qui n’est pas neurochirurgie traditionnelle et dans lequel on
range indifféremment la chirurgie de l’épilepsie, la chirurgie des mouvements
anormaux etc.) ; Jean Claude MARCHAL a repris les activités de
Neurochirurgie Pédiatrique ; Thierry CIVIT, qui sera nommé Professeur au
départ d’HEPNER en 1999 s’oriente vers la chirurgie de l’hypophyse et de la base
du crâne.
LE RETOUR D’EXIL : JANVIER 1999
Les techniques ont évolué, les hommes les ont apprises, développées et
appliquées mais les sites d’hospitalisation et les blocs techniques sont d’une
telle vétusté que la construction d’un hôpital neurologique est décidée dans
des surfaces disponibles de l’Hôpital Central. La construction est finalisée en
1999. En janvier de cette année 1999, la
Neurochirurgie, la Neurologie et la Neuroradiologie déménagent dans ce «
magnifique bâtiment neurologique » qui par sa conception en fait une
référence nationale et internationale. Trente et un ans se seront passés depuis
l’installation « provisoire » à l’Hôpital Saint Julien. La même
année, Henri HEPNER prend sa retraite hospitalière.
Il est créé un Département de Neurochirurgie dont Jean AUQUE prend la tête.
Cette structure originale comporte trois unités dont une de Neurochirurgie
Adulte qui accueille la neuroradiologie interventionnelle, une de
Neurochirurgie Pédiatrique qui accueille également les enfants du service de
Chirurgie Maxillo-faciale et une de Neuro-Réanimation. Pour faire bonne mesure
et pour des raisons peu pertinentes, le Département est amputé de 20 lits. D’un
grand Service vétuste, la Neurochirurgie est logée dans un magnifique
Département où chaque lit fait l’objet d’une âpre et étroite surveillance.
En 2003, le Département est équipé d’un système de positionnement
peropératoire assisté par ordinateur appelé neuronavigateur. Ce véritable GPS
neurochirurgical permet aux opérateurs des repérages en temps réel d’une
extrême précision.
Actuellement, le Département de Neurochirurgie compte 300 personnes gérant
104 lits qui sont pratiquement toujours occupés (94 % de temps d’occupation).
Plus de 3500 interventions sont réalisées chaque année par six neurochirurgiens
titulaires : 3 Professeurs des Universités précédemment cités, 3 PH :
Mme le Dr. PINELLI ainsi que Mme le Dr. COLNAT-COULBOIS et le Dr. KLEIN
récemment nommés. Deux assistants chefs de clinique seront prochainement
recrutés, un troisième poste sera également pourvu. Les plus anciens pourront,
dans une dizaine d’années, achever leur carrière l’esprit libre : la
relève en neurochirurgie est assurée. Ce n’est pas le cas de toutes les
spécialités chirurgicales.
La Règle des Trois se maintient comme une tradition secrète, garante
de la qualité des activités et de la certitude de la transmission du savoir.