` sommaire

Neurochirurgie

 

par J-C. MARCHAL et J. AUQUE

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les activités hospitalo-universitaires à Nancy (1975-2005)

 

L’histoire de la Neurochirurgie à Nancy ne peut-être dissociée de celle de la Neurochirurgie française. La spécialité en tant que telle date des débuts du XXème siècle. D’obédience strictement anglo-saxonne lors de ses premiers développements, elle doit à des chirurgiens  tels que Harvey CUSHING et Walter DANDY ses premiers pas aux Etats Unis. Les premiers pionniers français seront tout d’abord des chirurgiens puis des neurologues parisiens. L’originalité de son implantation à Nancy tient dans la quasi-simultanéité avec laquelle elle s’est développée parallèlement avec les grands services parisiens de l’époque. Alors que dans de nombreuses villes de province la Neurochirurgie se créait grâce à une greffe parisienne on doit aux fondateurs de la spécialité à Nancy de l’avoir enracinée dans le terreau local en lui conférant par là sa propre spécificité. Ce n’est donc pas sans raison que la Chaire de Neurochirurgie à Nancy fut la deuxième créée en France (1947). C’est pourquoi, écrire l’histoire de la Neurochirurgie à Nancy au travers des hommes qui en ont défriché la voie, c’est non seulement écrire l’histoire d’une Ecole mais aussi d’une Tradition.

 

LA SPECIALITE : RENE ROUSSEAUX (1902-1955)

 

Comme la plupart des domaines de la chirurgie devenus, de nos jours, des spécialités à part entière, la Neurochirurgie a, pendant longtemps, constitué une branche de la chirurgie générale. Le traitement des abcès du cerveau ayant, toutefois, été l’affaire des ORL, c’est sans doute la raison pour laquelle le Pr. JACQUES, titulaire de la chaire d’ORL à Nancy, a encouragé le Pr. René ROUSSEAUX à s’orienter vers la Neurochirurgie.

Le Pr. ROUSSEAUX avait parcouru une longue traversée du désert après la mort de son maître le Pr. MICHEL. Un concours de circonstance « défavorable » le laissait, en effet, en fâcheuse posture après l’échec au concours d’agrégation en 1935. Bien que reçu au Chirurgicat des Hôpitaux, le décès de son patron le laissait sans service hospitalier. C’est alors qu’il fut amené à fréquenter le service de Clovis VINCENT, pionnier à Paris de la spécialité.

Une parenthèse s’impose ici pour comprendre ce qu’était, à l’époque, la situation de la Neurochirurgie en France. Thierry de MARTEL avait inauguré à Paris l’orientation de son service vers la Neurochirurgie ; Clovis VINCENT était alors Neurologue, sans expérience chirurgicale. Considérant les mauvais résultats obtenus par la chirurgie dans le traitement des lésions encéphaliques, il pensait que les gestes traditionnels des chirurgiens ne convenaient pas aux interventions sur le tissu nerveux. Il s’était donc astreint à une formation manuelle faite de douceur et de lenteur (progression très lente dans le refoulement et la rétraction cérébrale, anesthésie locale permettant la surveillance constante de l’opéré dont il fallait contrôler la moindre tendance à l’endormissement et avec lequel il fallait entretenir un dialogue constant). Et toutes ces précautions n’empêchaient pas la survenue brutale et imprévisible de ce que l’on appelait à l’époque, mystérieusement faute d’en identifier les causes réelles, l’ « œdème cérébral ».

A Paris, ROUSSEAUX devait se lier d’amitié avec les Pr. DAVID et PUECH (ce dernier, fumeur invétéré, devait décéder d’un accident cardio-vasculaire ; c’est à cette très triste circonstance que ROUSSEAUX décida de ne plus fumer, trop tard malheureusement pour échapper lui-même à un cancer du poumon en 1955).

Après cette formation parisienne, il devait retrouver à Nancy le service du Pr. JACQUES qui lui concédait une partie de ses lits dans le pavillon Krug. Ce bâtiment était alors très occupé : ORL, Neurochirurgie et Urologie. Un service de Neurochirurgie indépendant va alors prendre naissance (pour l’hospitalisation tout au moins) au dernier étage du pavillon Krug où il coexiste avec le service de Neurologie du Pr. KISSEL, neurologue de réputation internationale connu pour ses travaux sur les phakomatoses. Cette disposition particulière de deux services cliniques va représenter un avantage considérable en favorisant une collaboration médico-chirurgicale inappréciable et originale pour l’époque. L’activité du service ne se limite pas la chirurgie encéphalique : d’une part les années d’après guerre n’ont pas encore vu l’essor de l’Anesthésie Réanimation, des thérapeutiques anti-coagulantes, d’autre part le Pr. ROUSSEAUX (titularisé en 1947 dans la Chaire de Neurochirurgie) n’a pas oublié sa formation de généraliste et peut-être a-t-il déjà le projet d’un grand service de chirurgie regroupant, par départements, différentes spécialités. C’est d’ailleurs ce dont le Pr. CHALNOT avait entrepris la réalisation de la Clinique Chirurgicale A.

C’était l’époque où les idées de René LERICHE (avec qui ROUSSEAUX avait travaillé dans une ambulance militaire pendant la guerre) connaissaient une grande attraction : initiateur avec JABOULAY de la sympathectomie lombaire, il avait étendu très loin le rôle du système sympathique dans différentes pathologies et suscité un enthousiasme sans doute excessif. Qu’on en juge : traitement des syndromes vasomoteurs, des causalgies et des hypertensions malignes par les sympathectomies thoraco-lombaires… : toutes ces interventions étaient  réalisées dans le service de Neurochirurgie du Pr. ROUSSEAUX qui sut très rapidement faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Simultanément s’était ouverte la chirurgie des sciatiques pour laquelle ce service obtenait déjà un certain succès.

 

L’ECOLE : JEAN LEPOIRE (1923-1997)

 

Le Pr. ROUSSEAUX était alors entouré de deux assistants prestigieux : le Pr. Antoine BEAU, alors titulaire de la chaire d’Anatomie et Chirurgien des Hôpitaux, le Dr. Jacques MIDON qui restera à ses côtés jusqu’à sa mort. A côté de ces hommes qui n’épouseraient pas la spécialité neurochirurgicale il y avait « le blé en germe » : Jean LEPOIRE  est présenté dès son concours d’Internat (1946) comme un futur neurochirurgien. Il est un des premiers et rares nancéens à solliciter et obtenir une bourse d’étude pour les Etats-Unis (1951). Il passera une année au Massachusetts General Hospital à Boston dans le service de William SWEET. Cette formation lui permet de devenir Chef de Clinique puis Assistant de ROUSSEAUX : ce dernier préparait son transfert dans la Clinique Chirurgicale B devenant vacante au départ à la retraite du Pr. HAMANT en 1954. Dans ce service que ROUSSEAUX  aurait souhaité poly-disciplinaire, Jean LEPOIRE devait donner à la Neurochirurgie ses lettres de noblesse laissant au Dr. MIDON et au Pr. Jean SOMMELET les domaines respectifs de la Chirurgie Viscérale et de l’Orthopédie. ROUSSEAUX décède en 1955, cette même année LEPOIRE devient Chirurgien des Hôpitaux et quelques mois plus tard, il est reçu au concours d’Agrégation de Neurochirurgie. Le Pr. BODART, nommé à la tête du service de Chirurgie B héberge alors LEPOIRE et la neurochirurgie.

Nous sommes dans les années 1960, le Pr. KISSEL quitte le service de Neurologie pour prendre la chaire de Clinique Médicale B. Le Pr. Georges ARNOULD lui succède dans le Service de Neurologie. En Neurochirurgie, la psychochirurgie, à laquelle s’intéressait le Dr. MIDON tombe dans un heureux oubli. Jean LEPOIRE est titularisé dans la Chaire de Neurochirurgie en 1962, Jacques MONTAUT (1929-1985) est nommé Chef de Clinique.

Si les spécialités neurologiques et neurochirurgicales coexistent toujours d’une façon organique, l’essor de cette dernière reste bridée par l’absence de moyens d’exploration fiables et inoffensifs : la Neuroradiologie est encore en gestation. Les actes de la neuroradiologie se limitent aux radiographies standard du crâne et de la colonne, à l’encéphalographie gazeuse fractionnée et à l’artériographie qui est aux mains des chirurgiens : ponction carotidienne directe sur un malade éveillé, injection de produit de contraste sous les rayons, après avoir crié « feu » pendant qu’un aide retire, à la main, 4 cassettes munies de poignées de longueur décroissante pour les jeter sur un coussin… Malgré la précarité des informations fournies par ces quelques images l’inflation des indications finit par empiéter sur l’activité proprement opératoire. Les temps seront bientôt mûrs pour l’accouchement.

L’évolution hospitalière fait que les services de Neurologie et de Neurochirurgie seront transférés en 1968 à l’Hôpital Saint Julien. Transfert prévu pour quelques courtes années avant retour à l’Hôpital Central : l’exil va durer…30 ans ! Que cela permette de réfléchir à ceux qui élaborent les projets médicaux ! LEPOIRE va s’ériger en tuteur de la Neuroradiologie et de son fondateur à Nancy, Luc PICARD. Ce dernier, partagé entre sa formation première de Neurologue et celle à venir de Radiologue, va progressivement prendre en charge l’ensemble des actes neuroradiologiques. Grâce à la compréhension de Mme le Pr. TREHEUX, L. PICARD est nommé agrégé en 1970, Chef de Service de Neuroradiologie en 1976. Le soutien inconditionnel et visionnaire de LEPOIRE à toutes les innovations dans les domaines de la technique et technologie chirurgicales, sa foi intuitive dans les progrès diagnostiques à venir grâce aux technologies nées du traitement informatique de l’image vont créer à Nancy la synergie nécessaire pour placer les Neurosciences à un niveau international, original et envié.

Dans les années 1970 et grâce à la loi Debré, LEPOIRE va faire nommer successivement trois agrégés : Jacques MONTAUT, Michel RENARD en Anatomie et Henri HEPNER. Le premier va fonder les linéaments de la Neurochirurgie Pédiatrique à Nancy. En 1977, il publie à La Société de Neurochirurgie de Langue Française, avec son complice le Pr. STRICKER, un rapport consacré aux Craniosténoses dont la portée est séminale. Le second va s’orienter vers la chirurgie du rachis, le troisième apporter à Nancy la technique de la chirurgie hypophysaire par voie trans-sphénoïdale. Cette décennie est riche de progrès : le microscope opératoire bouleverse l’approche chirurgicale de pratiquement toutes les pathologies intra crâniennes et spinales et l’on parle désormais d’approche micro neurochirurgicale. En 1975 l’installation du scanner dans le service de Luc PICARD révolutionne le diagnostic d’une immense partie de la pathologie neurologique et neurochirurgicale.

C’est dans la décennie des années 1980 que, grâce à l’imagerie en résonance magnétique, la neurochirurgie traditionnelle va connaître le meilleur de ses possibilités. Si les surenchères chirurgicales confinent parfois au maniérisme elles auront eu pour mérite de fixer les limites de ce qui est raisonnable. Parallèlement, Jacques MONTAUT, dans un service créé en 1979, continue à développer la partie pédiatrique de la spécialité en en faisant une spécialité dans la spécialité. Il meurt en 1985, il n’est âgé que de 56 ans, il a formé un élève : Alain CZORNY qui va maintenir la tradition de la Neurochirurgie Pédiatrique jusqu’en 1990 où il est nommé à Besançon. C’est LEPOIRE qui va également soutenir Luc PICARD dans le défrichement de la neuroradiologie interventionnelle, il en sera l’un des pionniers donnant à ces techniques de plus en plus sophistiquées un savoir-faire et une « french touch » internationalement reconnue.

Depuis ROUSSEAUX, la Règle des Trois préside au transfert de compétences et de responsabilités. De la même façon, avant son départ à la retraite en 1989, Jean LEPOIRE aura fait nommer ses trois élèves à l’agrégation : Jean Claude MARCHAL en 1986, en 1989 il est Président de la section de neurochirurgie au Conseil National des Universités et fait nommer Jean AUQUE et Alain CZORNY pour l’année 1990. Il laisse un Service de 121 lits. C’est la troisième structure neurochirurgicale de France. Henri HEPNER lui succède à son départ.

 

LA DIVERSIFICATION : HENRI HEPNER (1934-2003)

 

Les années 1990 voient les techniques endo-vasculaires du traitement des anévrismes et des malformations artério-veineuses grignoter progressivement l’activité neurochirurgicale traditionnelle. Certaines pathologies comme les neurinomes de l’acoustique sont prises en charge dans leur milieu ORL d’origine. La pathologie cranio-encéphalique traumatique a vu ses indications chirurgicales heureusement et spectaculairement diminuées avec le diagnostic scannographique d’une part, les progrès des Soins Intensifs d’autre part et le durcissement des lois de prévention routière enfin. Dans le domaine pédiatrique en dernier lieu, la loi Weill de 1975 et les progrès de l’échographie renvoient un large chapitre de la pathologie malformative du système nerveux central dans le domaine de l’histoire de la Médecine.

Parallèlement d’autres secteurs d’activités se sont déployés : stimulation cérébrale profonde pour le traitement de la maladie de Parkinson, chirurgie de l’épilepsie, chirurgie de la spasticité et radio chirurgie. L’organisation de la prise en charge des malades transforme également les façons de penser, en cela les mentalités sont prêtes car la coexistence organique des trois services va, petit à petit permettre l’organisation horizontale du traitement de certaines pathologies comme la pathologie tumorale, l’épilepsie et les mouvements anormaux. Tout en maintenant une activité neurochirurgicale traditionnelle chacun va s’orienter vers une sous-spécialité qu’il affectionne particulièrement : Jean AUQUE fait la promotion de la neurochirurgie dite fonctionnelle (terme impropre qui servira à désigner tout ce qui n’est pas neurochirurgie traditionnelle et dans lequel on range indifféremment la chirurgie de l’épilepsie, la chirurgie des mouvements anormaux etc.) ; Jean Claude MARCHAL a repris les activités de Neurochirurgie Pédiatrique ; Thierry CIVIT, qui sera nommé Professeur au départ d’HEPNER en 1999 s’oriente vers la chirurgie de l’hypophyse et de la base du crâne.

 

LE RETOUR D’EXIL : JANVIER 1999

 

Les techniques ont évolué, les hommes les ont apprises, développées et appliquées mais les sites d’hospitalisation et les blocs techniques sont d’une telle vétusté que la construction d’un hôpital neurologique est décidée dans des surfaces disponibles de l’Hôpital Central. La construction est finalisée en 1999.  En janvier de cette année 1999, la Neurochirurgie, la Neurologie et la Neuroradiologie déménagent dans ce « magnifique bâtiment neurologique » qui par sa conception en fait une référence nationale et internationale. Trente et un ans se seront passés depuis l’installation « provisoire » à l’Hôpital Saint Julien. La même année, Henri HEPNER prend sa retraite hospitalière.

Il est créé un Département de Neurochirurgie dont Jean AUQUE prend la tête. Cette structure originale comporte trois unités dont une de Neurochirurgie Adulte qui accueille la neuroradiologie interventionnelle, une de Neurochirurgie Pédiatrique qui accueille également les enfants du service de Chirurgie Maxillo-faciale et une de Neuro-Réanimation. Pour faire bonne mesure et pour des raisons peu pertinentes, le Département est amputé de 20 lits. D’un grand Service vétuste, la Neurochirurgie est logée dans un magnifique Département où chaque lit fait l’objet d’une âpre et étroite surveillance.

En 2003, le Département est équipé d’un système de positionnement peropératoire assisté par ordinateur appelé neuronavigateur. Ce véritable GPS neurochirurgical permet aux opérateurs des repérages en temps réel d’une extrême précision.

Actuellement, le Département de Neurochirurgie compte 300 personnes gérant 104 lits qui sont pratiquement toujours occupés (94 % de temps d’occupation). Plus de 3500 interventions sont réalisées chaque année par six neurochirurgiens titulaires : 3 Professeurs des Universités précédemment cités, 3 PH : Mme le Dr. PINELLI ainsi que Mme le Dr. COLNAT-COULBOIS et le Dr. KLEIN récemment nommés. Deux assistants chefs de clinique seront prochainement recrutés, un troisième poste sera également pourvu. Les plus anciens pourront, dans une dizaine d’années, achever leur carrière l’esprit libre : la relève en neurochirurgie est assurée. Ce n’est pas le cas de toutes les spécialités chirurgicales.

La Règle des Trois se maintient comme une tradition secrète, garante de la qualité des activités et de la certitude de la transmission du savoir.