De la maison de campagne des Jésuites de Nancy
aux hôpitaux Maringer, Villemin, Fournier
par A. BEAU
PS : On trouvera des notes complémentaires et
d’autres photos dans le texte paru (Revue « Le Pays Lorrain » No 2 – 1980).
Pour voir des photos des hôpitaux M-V-F (cartes postales) : cliquez ici
Le groupe des hôpitaux Maringer, Villemin et Fournier forme, aux confins Sud du
territoire de Nancy, un ensemble important qui s'étend sur une superficie de
près de cinq hectares.
Le plus ancien de ces
bâtiments est l'hôpital Maringer : quand on
considère, en effet, son portail d'entrée principale, on est surpris de voir
inscrite à son fronton la date de 1743 et de constater la présence de
sculptures en forme de cœur. Ces deux marques rappellent essentiellement deux
étapes de son histoire, sa fondation par les pères Jésuites au XVIIIème siècle, puis sa destination comme maison
d'éducation des Dames du Sacré-Cœur au XIXème siècle.
Il nous a paru intéressant
de rappeler cette longue histoire et d'en raconter les vicissitudes : d'abord
maison de campagne du noviciat des pères Jésuites, ensuite domaine particulier
ayant appartenu à différentes familles de la bourgeoisie nancéienne, devenu
plus tard pensionnat de jeunes filles, acquis enfin par les hôpitaux de Nancy
pour en faire trois établissements de soins.
Ce groupement hospitalier
est implanté sur un lieu historique, puisque c'est là, exactement, que s'est
déroulée le 5 janvier 1477, la bataille de Nancy où le grand duc d'Occident,
Charles de Bourgogne dit le Téméraire, subit une grave défaite qui devait se
terminer par sa mort.
Situé alors bien au-delà
des fortifications de la ville, ce lieu dit Nabécor
formait un petit monticule, dominant d'une vingtaine de mètres le cours du
ruisseau dit de la Madeleine, ou de Nabécor, au nord et celui de Brichambeau
ou de Jarville au sud. De cette colline, on jouissait
d'un panorama étendu sur tous les environs, ce qui lui avait valu le nom de
Bellevue. C'est pourquoi, en disposant son corps de bataille, le duc de
Bourgogne y avait placé son aile droite, et en particulier sa cavalerie,
commandée par Josse de Lalaing, pour mieux surveiller
la progression des troupes venant par la route de Saint-Nicolas sous le
commandement du duc René II.
Mais celles-ci
s'infiltrèrent par le bois de Saurupt voisin et
vinrent prendre à revers les Bourguignons, provoquant ainsi leur déroute.
Pendant fort longtemps, le
canton de Nabécor garda un caractère purement rural,
couvert de jardins cultivés par des maraîchers dont les produits servaient à
ravitailler la ville voisine. Il était ainsi divisé en un très grand nombre de
parcelles de faible superficie.
Puis petit à petit les
communautés religieuses de Nancy devinrent propriétaires, soit par donation
soit par acquisition de domaines plus importants : on trouve ainsi un vaste
terrain appartenant aux Dames précheresses
(dominicaines) s'étendant de l'actuel quai René II à la route de Saint-Nicolas,
les Sœurs de Saint-Charles et les Missions Royales au nord de l'actuelle rue de
Nabécor, à Bellevue même la communauté des prêtres de
Saint-Sébastien (à l'angle de l'avenue Paul Doumer) et ensuite le jardin des
Pères Carmes.
Tout cet ensemble garda
fort longtemps son caractère agreste de pleine campagne. La construction de la
ligne de chemin de fer, puis celle de tout un quartier d'habitations a fait
entrer cet ensemble dans le tissu urbain de
Nancy.
I —
LA MAISON DE CAMPAGNE DU NOVICIAT DES PÈRES JÉSUITES
Les Jésuites avaient trouvé
d'ardents protecteurs parmi les princes de la maison de Lorraine et c'est
ainsi que Nancy va être doté, dès le début du XVII ème
siècle, de deux maisons de l'ordre : un noviciat et un collège.
Vers 1593, alors qu'il
était évêque de Verdun, Erric de Lorraine établit un
noviciat à Saint-Nicolas de Port. Quelques années après, un grand seigneur
lorrain, Antoine de Lenoncourt, recevait la prêtrise
dans la grande église de Saint-Nicolas, le 3 mars 1002. Après cette cérémonie,
la nombreuse assistance visita le nouveau noviciat dont les inconvénients
apparurent manifestes. Aussi, quelques jours après, le 30 mars 1002, Antoine
de Lenoncourt faisait don aux Jésuites d'une « place
à bâtir joignant le clos des Capucins de Nancy », qui lui avait été offerte par
le duc de Lorraine par lettres patentes du 15 mars 1599 et sur laquelle il
avait fait construire une « maison de récréation ».
Dès juillet suivant, les
Jésuites s'installent dans leur nouvelle propriété de Nancy où le duc de
Lorraine leur donna la permission de bâtir (lettres patentes du 28 juillet
1603) ; par un bref du 13 mai 1604, le pape Clément VIII ratifia la translation
à Nancy du noviciat de Saint-Nicolas-de-Port.
Sur l'emplacement qui avait
été concédé par Antoine de Lenoncourt se trouve
aujourd'hui l'hospice Saint-Stanislas. Les Jésuites y
firent construire une église, dont il ne persiste plus que la façade sur la rue
Saint-Dizier, et de vastes bâtiments destinés à recevoir les nombreux novices
de la Compagnie recrutés dans toute leur province de Champagne qui
comportait alors : la Champagne, la
Bourgogne (avec Auxerre et Sens), la Lorraine, les Trois-Évêchés et l'Alsace.
Quelques années après, les
Jésuites créaient à Nancy un important collège situé au Point central, qui
ouvrit ses portes en octobre 1616. Dans les
règlements d'éducation des pères Jésuites, il était prévu une place importante
aux exercices physiques, ce qui supposait une assez vaste étendue de terrain
que ni le noviciat, ni le collège ne possédaient dans Nancy même. Il fallait
donc trouver dans les environs immédiats de la ville une « maison de campagne
» qui non seulement devait servir aux ébats des élèves, mais encore pouvoir, au
moins en partie, leur fournir fruits et légumes.
Très rapidement le collège
disposa d'un très grand domaine qui lui fut donné par le duc Henri II dès le 6
octobre 1620. Augmentée progressivement par des donations et des acquisitions,
cette propriété atteignit une surface de 9 hectares et demi.
Après bien dos vicissitudes, et être passée entre de nombreuses mains, elle est
devenue pour une large part, l'actuel parc Sainte-Marie, dont la ville de Nancy
a fait l'acquisition en 1902. Cette maison de
campagne devait servir ultérieurement au collège et au noviciat des Jésuites.
Ainsi le 29 août 1714, un accord était passé entre le R.P.
François de Laubrussel, recteur du collège, et le R.P. Edme Charon, recteur du
noviciat, aux termes duquel le noviciat s'engageait à verser une somme de mille
livres pour aider à la construction d'un nouveau bâtiment, moyennant quoi les
novices pourraient bénéficier de l'usage de la maison Sainte-Marie.
Mais les pères du noviciat
ne se contentèrent pas de cette solution mixte et ils décidèrent d'avoir une
maison de campagne à eux. C'est ainsi qu'ils jetèrent leur dévolu sur Nabécor où par des acquisitions successives ils purent
constituer une propriété assez vaste et bâtir une résidence.
Comme nous l'avons rappelé,
Nabécor à cette époque était divisé en de nombreuses
parcelles de faible étendue, appartenant à divers propriétaires, et il fallut
beaucoup de persévérance de la part des Jésuites pour en acquérir un nombre
suffisant pour former un domaine valable.
La première acquisition eut
lieu le 7 avril 1735. Par acte passé par devant M Renaudin,
notaire à Nancy, le R.P. Louis Robinet, recteur du
noviciat, se portait acheteur sur noble Nicole François Vaultrin,
avocat et greffier à la Cour souveraine de Lorraine et Barrois, d'une propriété
sise à Nabécor, ban de Nancy, comportant une maison
avec les potagers et vergers, entourés de haies vives, plus un clos sur le ban
de Vandœuvre, moyennant la somme de 6000 livres
tournois de principal, plus 100 livres tournois pour « coieffe
à l'épouse du vendeur ».
Les Jésuites prirent
possession de ce domaine dès le 18 avril suivant, mais il se trouvait qu'il
était grevé d'un cens annuel de sept francs onze gros, monnaie de Lorraine,
envers l'Hôtel de Ville de Nancy, résultant d'un contrat d'accensement consenti
le 24 février 1605 par les officiers de la ville de Nancy en faveur de François
Louis, bourgeois de Nancy. Cependant, par lettres patentes d'amortissement,
données à Lunéville le 18 mai 1736, le duc François III fait octroi et
remise de tous droits du fait que les Jésuites ont en despot en leur église les cœurs de feus nos père et ayeul, les ducs Léopold et Charles V, de glorieuse mémoire.
Cette propriété était
d'ailleurs très modeste, puisqu'elle ne comportait que la surface de 1 jour, 5
hommées, 21 toises, soit environ 31 ares. La deuxième
acquisition eut lieu le 30 juillet 1738; elle portait sur un terrain voisin,
appartenant à Antoine Leclerc, chaufournier à Nancy, Nicolas Humbert perruquier
et Barbe Leclerc sa femme. Il s'agissait d'un jardin contenant 1 jour, 4 hommées, 18 toises (soit environ 30 ares) sur lequel il y
avait une maison. Le prix d'achat était de 1200 livres, mais à charge d'un cens
annuel de 17 francs 6 gros en faveur de l'hôpital Saint-Julien.
La troisième acquisition
fut réalisée le 6 novembre 1738 par le R.P. Charles
Gauthier, recteur de la maison du noviciat, sur messire François Joseph Hurault,
chevalier, seigneur d'Audun-le-Tiche, doyen des conseillers de la Cour
souveraine de Lorraine et Barrois, moyennant la somme de 1800 livres, par
devant Boulanger, notaire à Nancy. Cette propriété, dont la contenance n'est
pas précisée, se composait d'un jardin avec la maison construite dedans
et située entre le sentier de ville (actuellement quai de la
Bataille) et la propriété Vaultrin, récemment acquise
par les Jésuites.
Un quatrième achat eut lieu
le 16 mars 1739 sur Henri Maudidier, avocat à la
Cour, résidant à Rosières-aux-Salines ; il s'agissait
d'un jardin sur lequel il y a une maison bâtie, contenant deux jours ou
environ (approximativement 40 ares) pour la somme de 2142 livres.
La cinquième acquisition,
réalisée le 15 avril 1739, se fit sur Charles Richier procureur à la Chambre
des Comptes, et Laurence Contai son épouse. Il s'agissait d'un jardin à
arbres à fruits avec la loge, entourée de hayes, moyennant
le prix de 900 livres.
Enfin, le sixième et
dernier achat des Jésuites fut fait le 12 décembre 1753. Il s'agissait d'un
jardin potager et verger, contenant un demi-jour environ (10 ares) possédé par Anne-Agnès Morel, veuve d'Antoine
Delattre, ancien tabellion à Nancy, pour la somme de 1000 livres.
Grâce à leur persévérance,
les Jésuites parvinrent finalement à constituer un beau domaine qui est décrit
comme suit en 1768 : « L'enclos de Nabécor, entouré
de murs, contenant en toute superficie, tant en jardins, potagers, vergers
qu'autres parties, douze jours, cinq hommées, douze
toises, cinquante pieds ou environ (soit approximativement 2 hectares 60 ares)
». Ces achats successifs supposaient des ressources financières assez
importantes de la part des pères Jésuites.
Lionnois, dans son histoire de Nancy, prétend que c'était le frère
Guyot qui, avec le produit de son eau d'anis, la meilleure des liqueurs connues
alors à Nancy, avait fait l'acquisition de la propriété de Bellevue et
l'entretenait. Cette assertion nous paraît justifiée par un long dossier de
plaintes adressées directement au général des Jésuites à Rome, par les maîtres
apothicaires de la ville de Nancy. Dès le 26 janvier 1749, les apothicaires se
plaignent, en effet, « qu'il y a plusieurs années que les pères Jésuites du
noviciat de cette ville établirent une pharmacie dans leurs maisons; le frère
Guyot qui en avoit soing,
faisait un commerce si considérable de drogues composées que les boutiques des
apothicaires devenaient désertes. Ils furent forcés de se plaindre. Il y eut
un arrêt de règlement du Conseil souverain, qui permit jusqu'à bon plaisir au
dit frère Guyot de vendre et distribuer toutes sortes de remèdes simples, soit
composés ou préparés hors de la maison, aux pauvres seulement et gratuitement....
Au mépris de cet arrêt le dit frère Guyot a continué à vendre toutes sortes de
médicaments.... Le frère Guyot étant décédé, on luy
a substitué un autre frère qui a continué... ».
« En outre, il a fait un
commerce si considérable de liqueurs que les distillateurs de Nancy en ont fait
leurs remontrances à votre Grandeur (le général des Jésuites). Elle a eu la
bonté de faire transférer le dit frère à Pont-à-Mousson et de faire cesser son
commerce de liqueurs ».
Le père général chargea le
provincial de Strasbourg de s'occuper de cette question. Mais les Jésuites de
Nancy, furieux de cette intervention directe des apothicaires auprès de leur
préposé général, ne furent nullement inquiétés dans leur commerce ; aussi les
apothicaires adressèrent-ils une autre plainte sans plus de succès auprès du
général, le 11 septembre 1752. Nouvelle plainte le 27 février 1761 ; cette fois
ils signalent au général que le commerce de la pharmacie du noviciat de Nancy
est parvenu au point que la plus grande partie de leurs pharmacies sont
désertes et que le frère Willemet n'a rien épargné
pour faire fleurir ce commerce. Le 5 avril 1701, le général leur donna
satisfaction en interdisant ces pratiques. Le supérieur, blessé par cette
décision ferme la pharmacie pendant trois jours, mais ne tarde pas à la rouvrir
sur l'autorisation, avec quelques restrictions, des magistrats de Nancy.
Quoi qu'il en soit, c'est
sur ce vaste terrain que les Jésuites bâtirent leur maison de campagne du
noviciat. Ils choisirent comme emplacement la partie la plus élevée de leur
domaine. La façade ancienne, située au nord de l'actuel hôpital Maringer, rappelle, avec bien
des modifications, l'aspect primitif, daté de 1743 sur le fronton de l'entrée
principale.
Un état descriptif très
détaillé, établi en 1768, nous donne des précisions sur sa disposition
originelle. « II y a un grand corps de bâtiment, fait en pavillon isolé,
couvert de tuiles creuses, composé au rez-de-chaussée d'un corridor d'entrée,
d'une grande salle à droite ; en face, d'un bel escalier en taille; à côté du
dit corridor une autre grande salle ensuite qui prend jour sur la face au Midy, d'une grande salle à droite, d'une cuisine et d'un
garde manger et un réduit au-dessus pour y mettre des fruits ou du bois. Le
premier étage est composé d'un beau vestibule, d'une chambre de part et
d'autre, d'une grande salle ensuite, qui règne le long du dit corps de bâtiment
et, au retour à l'occident, est une chapelle fort vaste ; ensuite sont les faux
greniers au-dessus des susdits appartements... Un autre petit corps de bâtiment, aussi isolé, sis près du
dernier bâtiment, composé d'une chambre, d'un petit vestibule, avec un
escalier, pour communiquer au premier étage, lequel est composé d'une chambre
et d'un petit cabinet, et au-dessus est un faux grenier. A côté dudit corps de
bâtiment sont construites les laterines, divisées en
quatre sièges. Un troisième corps de bâtiment, sur le chemin au nord, lequel
est composé au rez-de-chaussée d'une cuisine, d'un poêle, du derrière de deux
écuries, ensuite du même côté d'une chambre à four, d'une chambre ensuite qui
prend jour sur le dit jardin, avec des greniers et faux greniers au-dessus. Il
y a aussi dans l'enclos plusieurs terrasses avec plusieurs allées de charmilles
garnies de six puits, une citerne remplie d'eau, deux fontaines, enfin deux
gloriettes à chaque angle ».
Nous possédons aussi un
inventaire détaillé du mobilier (27 août 1768), qu'il serait fastidieux de
rapporter. Notons simplement dans le réfectoire, à droite en entrant, outre six
tables, six grands tableaux sur toile représentant les saints Jésuites : les
trois martyrs du Japon, saint François Borgia, saint Louis de Gonzague, saint
Stanislas Kotska et des scènes religieuses : Notre
Seigneur au désert, les Noces de Cana, Notre Seigneur et ses Apôtres.
Dans la salle devant le
réfectoire, un tableau représentant la Sainte Vierge, et un tableau peint sur
toile représentant Antoine de Lenoncourt, fondateur
du noviciat. Tous ces tableaux ont disparu.
Pour entretenir et
exploiter leur domaine campagnard, les Jésuites l'affermaient à des
particuliers. Nous savons ainsi qu'il avait été loué le 8 octobre 1763 pour six
ans à Claude Boucher, moyennant un cens annuel de 250 francs de Lorraine. Il
devait en plus fournir la moitié des fruits, deux bichets de fèves sèches, et
trente deux pots de pois verts. Il était en outre chargé de faire les lessives
du noviciat.
Les Jésuites ne devaient
pas profiter pendant longtemps du domaine champêtre qu'ils avaient constitué
avec tant de patience et de persévérance. Vingt cinq années s'étaient à peine
écoulées depuis la construction de leur maison de campagne qu'ils étaient
expulsés de Lorraine, et leurs biens séquestrés et en partie vendus.
Cette mesure, qui a marqué
profondément l'histoire religieuse de la Lorraine, vers le milieu du XVIII ème siècle, fut une des conséquences du rattachement
définitif de la Lorraine à la France.
La Société de Jésus
comptait en effet de très nombreux adversaires dans le royaume, parmi les
philosophes, les autres instituts religieux, les Jansénistes, et surtout
dans les parlements et cours de justice.
Une faillite financière
importante survenue en 1752 et dont le responsable était le R.P. La Valette permit au Parlement de Paris de s'emparer
de cette affaire et de profiter de ce prétexte pour s'attaquer à la Compagnie
de Jésus en dénonçant le caractère illégal de ses statuts (17 avril 1761). Le
roi Louis XV, dont l'entourage familial était favorable aux Jésuites, prend
personnellement cette affaire en mains, et par une déclaration du 2 août 1761
interdit au Parlement de statuer avant un an. Mais le Parlement de Paris s'obstine
(6 août 1761) en interdisant aux Jésuites de recevoir des novices et en
prononçant la fermeture de leurs collèges pour le 1er octobre suivant. Louis XV
suspend l'arrêt du parlement et provoque (3 novembre 1761) une réunion extraordinaire
du clergé de France qui, dans sa séance finale du 30 décembre 1761, se déclare
entièrement favorable à la Compagnie, par 45 voix contre 5.
Cependant, le Parlement ne
se considère pas comme vaincu et le 6 août 1762 il décrète que la Société de
Jésus obéit à des principes inconciliables avec le bien de l'État, qu'elle doit
être immédiatement supprimée et ses membres expulsés du pays.
Louis XV refuse pendant
plus de deux ans l'application de cet édit du Parlement : il était personnellement
très favorable aux Jésuites comme d'ailleurs tout son entourage familial, en
particulier sa femme et son beau-père le roi Stanislas, qui intervint directement
auprès de lui en faveur de la Compagnie.
Néanmoins il céda aux
instances de sa favorite et de sa cabale et aussi à celles de son ministre, le
duc de Choiseul, tous gagnés à la cause de la persécution.
Aussi, finalement, Louis XV
signait le 26 novembre 1764 un édit prononçant la dissolution de la Société de
Jésus, mais adoucissant un peu les mesures contraignantes de l'arrêt du
Parlement.
En Lorraine, Stanislas
refusa énergiquement d'appliquer l'Edit de son gendre; bien au contraire,
il recueillit et secourut de nombreux Jésuites
expulsés de France. Mais cet état des choses ne pouvait être de longue durée,
étant donné le grand âge du vieux Roi.
Le 23 février 1766,
Stanislas succombait à un accident de feu et dès lors la Lorraine faisait
partie intégrante du royaume.
Le tout puissant ministre
d'alors, Etienne-François, duc de Choiseul était un
ennemi déclaré des Jésuites, bien que s'en étant défendu dans ses Mémoires.
Nancéien d'origine, il s'occupait directement des affaires de Lorraine sans
prendre avis de l'intendant de la province, Chaumont de la Galaizière.
Il décide donc d'appliquer
très rapidement en Lorraine les mesures prises en France contre les Jésuites.
Mais son but était difficile à atteindre car la Compagnie jouissait d'une
grande popularité en Lorraine, et surtout les parlementaires de Nancy ne partageaient
pas les mêmes idées que leurs collègues du Royaume et il était assuré qu'ils
refuseraient d'enregistrer les mesures prises contre les Jésuites. A la tête
de leur assemblée se trouvait un premier président, Jean-Charles Labbé du Rouvrois qui jouissait
d'une grande influence et s'était prononcé contre le bannissement de la
Compagnie.
Le gouvernement parvint,
peut-être à l'aide d'un « pont d'or », à convaincre du Rouvrois
de donner sa démission : le 2 juillet 1767 il était nommé président honoraire.
Pour le remplacer, le
ministre avait désigné un fidèle serviteur, sur lequel il pouvait compter.
Contre toute règle, puisqu'il n'avait pas l'âge requis, Michel-Joseph
de Cœurderoy, conseiller au parlement de Bourgogne,
fut nommé président de la Cour souveraine de Lorraine le 2 mai 1767 et reçu le
23 juin suivant. Un dernier obstacle persistait, plus moral qu'efficace
d'ailleurs, en la personne de la reine Marie Leszczynska,
entièrement dévouée à la Compagnie de Jésus, et très fidèle au souvenir de son
père. Mais la malheureuse reine devait bientôt finir ses jours, le 24 juin
1768.
Dès lors, il n'existait
plus aucune difficulté à la suppression de la Société de Jésus en Lorraine. Un
édit du roi Louis XV, donné à Versailles au mois de juillet 1768, prescrivit
cette décision.
La Cour souveraine de
Lorraine l'enregistra fidèlement le 8 août suivant, en décidant que les Jésuites
seraient tenus d'évacuer au 1er septembre prochain les collèges,
maisons, séminaires, missions et autres habitations.
Des lettres patentes du
roi, données à Compiègne le 5 août 1768, précisèrent le détail d'application
de l'édit précédent, en particulier en ce qui concernait la règle et
l'administration des biens et des revenus confisqués des « cy
devant Jésuites » de Lorraine et Barrois. Ces lettres nomment un économe-séquestre en la personne de Claude-Louis
Formeron, compatriote et collaborateur dévoué du
président Cœurderoy ; elles furent enregistrées par
la Cour souveraine le 11 août 1768, qui, dès le lendemain ordonna l'exécution
de l'édit et des lettres patentes et l'apposition des scellés sur tous les
biens des Jésuites.
Sous la direction de Formeron, des inventaires très détaillés furent établis dès
le 27 août 1768; c'est ainsi que nous possédons de nombreux détails sur l'état
de la maison de Nabécor.
Un nouvel édit royal donné
à Marly au mois de juin 1769 prescrit en son article I, § XIII : ...
« Les maisons de campagne
situées près de Nancy (il s'agit en l'occurence de Nabécor, et de
Sainte-Marie), seront vendues dans les formes ci-après prescrites... § XVIII :
La vente des biens sera à la diligence du même économe-séquestre
par-devant la commission ou tels autres juges, par elle délégués, soit par
adjudication, soit par adjudication sur trois publications... ». La Cour
souveraine enregistra ce nouvel édit le 24 août 1769 et nomma le conseiller
Millet de Chevers président de la commission
d'adjudications. Celle-ci prit immédiatement, le 6 septembre 1769, un arrêt
prescrivant la mise en vente des deux propriétés de Nancy, pour le samedi 13
janvier 1770 à deux heures de relevée.
Trois affichages
réglementaires par ministère d'huissier eurent lieu en octobre et novembre
1769.
La maison de campagne,
jardin et un clos en dépendant dite Nabécor, proche
Bellevue, était mise à prix à huit mille livres cours de France. Elle fut
adjugée à Jean-Jacques Beaulieu, avocat au parlement à Nancy, conseiller du
Roi, échevin de l'Hôtel de Ville de Nancy, demeurant place de la Carrière.
Cette décision mettait fin
à la propriété des Jésuites expulsés de Lorraine; leur Société ne devait pas
tarder à être complètement abolie par le bref Dominus
ac Redemptor, promulgué
le 21 juillet 1773 par le pape Clément IV.
II — PROPRIETE
PARTICULIERE
Pendant une période de
soixante et onze ans, de 1770 à 1841, la maison de campagne des Jésuites de Nabécor va appartenir à des particuliers.
Jean-Jacques Beaulieu, qui
s'en était porté acquéreur à la liquidation des biens de la Société de Jésus,
appartenait à une famille d'apothicaires nancéiens.
Il était le fils de Jean
Beaulieu, doyen des maîtres apothicaires, qui s'était plaint, comme nous
l'avons vu, auprès du général des Jésuites, de l'activité d'un frère du
noviciat qui tenait un important commerce de drogues.
Jean Beaulieu avait épousé
Anne Marie Tourtel,
fille elle-même d'un maître apothicaire.
Jean-Jacques Beaulieu
suivit la carrière familiale et fut reçu maître en novembre 1751, mais il
n'exerça pas. En février 1754, il fait un mariage avantageux en épousant
Marguerite Laugier, fille de Jean-François Laugier, lui aussi maître
apothicaire, et membre de la Société Royale littéraire de Nancy. Ses cousins :
Charles Bagard, le célèbre médecin, et Joseph Bagard, prêtre, furent les témoins de son contrat de
mariage.
Jean-Jacques Beaulieu ne
devait pas persévérer dans la carrière familiale de pharmacie, qu'il abandonna
pour faire ses études de droit (1759) ; il devient par la suite avocat, puis
conseiller du Roi, référendaire en la Chancellerie. Il quitte ensuite ce poste
pour devenir premier juge-garde du Siège des monnaies
de Lorraine et Barrois. Il entre à l'Hôtel de Ville de Nancy en 1773 avec le
titre de conseiller du Roi et échevin de la ville. Il conserve ce poste jusqu'à
la Révolution et lors de la création de la nouvelle municipalité, en 1790, il
est élu notable en 1791, puis officier municipal. Il est mort à Nancy le 11
août 1807.
Il est curieux de noter que
lors de la Révolution, quand les biens des communautés religieuses furent mis
en adjudication comme propriété nationale, Jean-Jacques Beaulieu se porta
acquéreur le 25 fructidor an IV (11 septembre 1796) de la maison de retraite
des Jésuites, jouxtant le noviciat, pour la somme de 11780 F. Ce bien se
trouvait à côté de la porte Saint-Nicolas, le long du mur d'enceinte de la
ville, derrière le ci-devant collège (actuel hospice Saint-Stanislas).
Une fois encore, Beaulieu achetait des biens des Jésuites du noviciat.
Beaulieu ne devait pas
conserver longtemps la propriété de Nabécor car, dès
le 5 mai 1788, il la revendait moyennant la somme de 24000 livres argent au
cours de France, à Jean-Pons Vidil,
négociant à Nancy. La désignation, de ce bien porte qu'il est constitué de
bâtiment, jardins et fermes clos de murs, terrain et allée de peupliers hors
des murs, chapelle, aisances et dépendances, situé entre la propriété de la
comtesse de Raigecourt et les sœurs de Saint-Charles.
Le nouveau propriétaire, Jean-Pons Vidil, possédait à Nancy
un très important commerce de soieries où il avait réalisé une grande fortune.
Lors de la Révolution, il fut d'abord inscrit sur une des deux listes
d'individus à arrêter comme auteurs ou instigateurs de la persécution exercée
contre les patriotes. Il est cependant considéré comme l'un des vingt moins
dangereux ; aussi fait-il aussitôt partie de la Société populaire, comportant
essentiellement des modérés ou opportunistes notoires, créée au moment de
l'épuration; enfin il est désigné (1799) comme commissaire des guerres à Nancy
en même temps que Guerrier de Dumast, fils.
Jean-Pons Vidil agrandira la propriété de Nabécor par des acquisitions de terrains voisins. A sa
mort, elle passera entre les mains de son fils Pierre-Romain
Vidil, dit l'aîné, par renonciation de ses frères et
sœurs (30 décembre 1818) ; à son tour, il la revendra à sa sœur Marie-Catherine
Vidil, veuve de Mathieu-François
Fntier, négociant à Nancy, moyennant la somme de
26500 francs, le 28 janvier 1819.
La maison de campagne de Nabécor deviendra ainsi la résidence de sa fille Marie-Louise-Claire Entier épouse de Jean-François Villatte, colonel chef d'État-Major,
officier de la Légion d'Honneur.
III — LA MAISON D’EDUCATION DU SACRE-CŒUR
Lors de la révolution de
1830, la diocèse de Nancy était gouverné par Mgrde Forbin-Janson, qui appartenait à une des plus anciennes familles de
l'aristocratie et qui manifestait ardemment des opinions ultra-royalistes.
Dès le 3 juillet, des émeutes se produisaient à Nancy, dirigées contre l'évêque
qui préféra partir immédiatement dans un exil dont il ne devait pas revenir.
L'administration du diocèse
ne tarda pas à être confiée à un prêtre beaucoup moins engagé et qui avait déjà
fait ses preuves. Originaire du Gard, Alexis-Basile Menjaud s'était plus particulièrement intéressé aux
questions d'enseignement et d'éducation : d'abord aumônier de la maison des
Loges, pensionnat pour les filles des officiers de la Légion d'Honneur, il
avait été appelé à Nancy en qualité de proviseur du Collège Royal et jouissait
de l'entière confiance de Mgr de Forbin-Janson, avec lequel il était
parti en exil. Revenu à Nancy au bout de peu de temps, il est nommé supérieur
général des communautés religieuses.
Mgr de
Forbin-Janson restant en exil, l'abbé Menjaud est
nommé coadjuteur de Nancy le 19 juillet 1838, puis évêque in partibus de
Joppé (Jaffa), le 18 février 1839 et sacré à Paris le
2 juin 1839. Il administrera le diocèse de Nancy, jusqu'à la mort de Mgr de Forbin-Janson (1844), date à laquelle il deviendra évêque titulaire.
Nancy ne possédait pas à
cette époque de maison d'éducation pour les jeunes filles, aussi l'une des
préoccupations du nouvel évêque fut de réaliser une fondation pour combler
cette lacune. Un ordre assez récent, la Société du Sacré-Cœur
de Jésus, plus communément appelé Dames du Sacré-Cœur,
avait justement été créé dans ce but et connaissait un grand succès. Le nouvel
ordre avait été fondé en 1800 par la mère Madeleine-Sophie
Barat qui sera canonisée en 1925 ; ses
constitutions avaient été approuvées par Napoléon 1er le 5 avril
1815, et par le Pape, les 5 août 1815 et 22
décembre 1826. Une ordonnance du 22 avril 1827 avait ratifié son existence
légale. Son attirance fut telle qu'en peu d'années le nombre des religieuses
s'éleva à 3500, s'occupant de 86 établissements répartis en France et à
l'étranger.
Une nièce de Monseigneur Menjaud,
Félicie, était supérieure du couvent du Sacré-Cœur de
Troyes, et c'est par son intermédiaire que son oncle put
obtenir la fondation à Nancy d'une maison de l'ordre, avec mission d'éducation
des jeunes filles de la région.
Cependant, il s'agissait de
trouver un endroit convenable pour implanter cette nouvelle fondation ; le
choix se porta sur la maison de campagne de Nabécor,
dont la propriétaire consentit à se dessaisir. L'acte d'acquisition fut passé
devant Me Perrot, notaire à Nancy, le 2 septembre 1841 ; par précaution
il était établi au nom de madame Marie-Jeanne-Augustine
Desmarquest, religieuse du Sacré-Cœur
demeurant à Bourges, agissant en son nom personnel, mais implicitement pour la
Société à laquelle elle appartenait. Marie-Catherine Vidil,
propriétaire demeurant à Nancy, veuve de Mathieu-François
Entier, ancien négociant vendit l'ensemble de sa propriété, bâtiments, jardins et
terrains pour la somme de 60000 francs.
Les bâtiments dont les
Dames du Sacré-Cœur devenaient ainsi propriétaires
étaient sensiblement demeurés dans l'état où les Jésuites avaient abandonné
leur maison de campagne quand ils en avaient été expulsés. Ils étaient
manifestement insuffisants pour loger une maison d'éducation, avec des salles
de cours, des dortoirs et des réfectoires pour les pensionnaires, enfin des
locaux pour abriter la communauté religieuse.
Aussi, les sœurs
entreprirent-elles immédiatement de vastes constructions. La façade de
l'ancienne maison des Jésuites fut conservée avec sa porte d'entrée et son
fronton, mais elle fut considérablement élargie de chaque côté et exhaussée
avec goût de deux frontons latéraux portant le cœur enflammé, insigne de la
congrégation, rappelant encore cette rénovation. De vastes bâtiments en aile
de retour furent édifiés à l'ouest, ménageant une cour intérieure avec un préau
couvert en forme de cloître. Tous ces aménagements subsistent, dans leurs
grandes lignes, dans l'hôpital Maringer actuel. Un
appendice fut construit près de la porte d'entrée pour le logement du
concierge.
La construction la plus
importante fut celle de la chapelle : une première pierre, encastrée dans le
mur ouest de cet édifice, nous en précise la date : « Cette pierre a été
bénite par Mgr Alexis, Basile Menjaud, évêque
de Joppé, coadjuteur de Nancy et de Toul, le X août
MDCCCXLIII : » Réalisée dans le style néogothique romantique, avec
d'assez vastes proportions, cette chapelle qui a été intégralement conservée
dans son état primitif, est un très bon exemple, peu connu, des édifices
religieux de cette époque. Elle a été très admirée en son temps. Comme a écrit
l'abbé Marchai, curé de Saint-Pierre : « cette
chapelle gothique est un petit bijoux (sic) placé sur la même colline
que Bellevue; on y jouit d'un riche horizon, il est entouré de verts bocages
qu'avaient plantés, pour leur maison de campagne, les pères Jésuites du
noviciat de Nancy ».
Les Dames du Sacré-Cœur disposaient désormais d'un établissement de
très belle allure, parfaitement adapté à la mission pour laquelle il avait été
réalisé. Si les anciens bâtiments des Jésuites étaient manifestement
insuffisants, les terres qui l'entouraient parurent elles aussi trop exiguës
aux Dames du Sacré-Cœur qui, avec beaucoup de
persévérance, en agrandirent progressivement l'étendue par des acquisitions
successives, reprenant ainsi la politique menée près d'un siècle auparavant par
leurs prédécesseurs Jésuites. Le principal achat réalisé fut celui de la propriété
de Bellevue; elle était constituée par une très longue et assez étroite bande de terrain, longeant au sud le domaine
du Sacre-Cœur; en façade, sur le chemin de Bellevue
(quai de la Bataille) une jolie petite maison avait été édifiée à la fin du
XVIII ème siècle par Catherine-Diane
de Raigecourt, chanoinesse de Remiremont, où elle
s'était retirée, « pour y passer les dernières années de sa vieillesse
maladive, dans les exercices de la plus haute piété et de la charité la plus
généreuse ».
A la mort de la chanoinesse
(1792), la maison de Bellevue était devenue la propriété de son neveu, le
marquis de Raigecourt-Gournay qui avait émigré. Comme
on était en pleine Révolution, ce domaine fut confisqué comme bien national et
mis en adjudication comme appartenant à la République. Un état des lieux
dressé le 1er pluviôse, an II nous donne de très grandes précisions
sur ce domaine qui comportait un « corps de logis, cour, bâtiment en aile de
part et d'autre sur le chemin de Brichambeau », avec
un jardin de 101 toises 6 pieds de longueur (937 m) sur 9 toises (5 pieds de
largeur) (79 m environ). « L'élégance de Bellevue, l'agrément de sa position,
la beauté du jardin, des plantations et des eaux qui en font l'ornement »,
firent monter l'estimation à 25000 livres. Finalement, elle fut adjugée le 21
ventôse, an II à François-Antoine Perrin,
entrepreneur de bâtiments à Nancy moyennant la somme de 38200 livres par le
Directoire du district de Nancy. Elle devait passer ensuite successivement
entre les mains des six propriétaires différents, en particulier des frères Roquin qui y avaient établi une maison d'éducation et
l'avaient laissée dans un état de complet délabrement. Finalement, elle avait
été acquise le 6 mars 1837, pour la somme de 8500 F, par Georges-Charles-Camille
Laflize, avocat à la Cour d'appel, ancien
représentant du peuple à l'Assemblée constituante, époux de Clarisse-Eléonore Hugget (acte Glaudel, notaire à Nancy). Grâce aux soins de cet « avocat
distingué, Bellevue restaurée et embellie, devint une des charmantes villas du
faubourg Saint-Pierre ».
Le 28 janvier 1852,
Mesdames Jeanne-Françoise-Antoinette Thibaut de Ménonville et Henriette-Catherine
d'Olimart, religieuses du Sacré-Cœur,
achetaient au M. Laflize cette propriété dite de
Bellevue, comportant la maison d'habitation, cour, bosquet, potager, bois,
second potager, verger et vigne, l'ensemble d'une contenance de un hectare, 41
ares, 27 centiares pour la somme de 36700 F.
La maison d'habitation
devint l'aumônerie du couvent, sa façade, bien que très défigurée, se reconnaît
encore sur le quai de la Bataille ; deux colonnes encastrées, du XVIIIe siècle, sont les seuls témoins de
l'ancienne résidence de la chanoinesse de Raigecourt.
Une nouvelle acquisition
devait porter le domaine du Sacré-Cœur jusqu'à l'actuelle avenue Paul-Doumer.
Il s'agissait de la terre de Préchamp, comportant un
jardin clos de murs et une maison vendue par Jean-Baptiste-Eugène
Pechoin, fabricant de savons à la Chapelle-Saint-Denis,
à Mmes Françoise-Pétronille-Clotilde et Joséphine-Ferdinande-Alix Vaultrin,
sœurs, toutes deux religieuses du Sacré-Cœur,
moyennant la somme de 5000 F (Acte Blaise, notaire à Nancy, du 1er
septembre 1856).
Enfin par contrat du 5 mars
1860, Mme Cécile du Mans de Chalais, achetait sur les consorts
Nicolas, dits Antoine, un assez vaste terrain qui était destiné à servir de
potager pour le couvent.
Cependant, l'aspect de Nabécor fut considérablement modifié par la construction de
la ligne de chemin de fer de Paris à Strasbourg Le domaine du Sacré-Cœur fut notablement amputé le 14 juin 1847, tout le
long de la voie. L'ancien chemin de Bellevue fit place à l'actuel quai de la
Bataille et les bâtiments du couvent furent désormais placés au droit de ce
nouveau quai.
Finalement, le couvent du Sacré-Cœur parvint à disposer d'un très bel ensemble de
bâtiments et d'un vaste parc d'agrément, capables de recevoir un grand nombre
de jeunes filles désireuses d'y parfaire leur éducation. Celles-ci se recrutaient
presque exclusivement parmi l'aristocratie et la haute bourgeoisie nancéienne
et lorraine. Ce fut là d'ailleurs un reproche
souvent adressé aux dames du Sacré-Cœur, de
n'admettre que des pensionnaires dont la fortune valait aux religieuses une
réputation de grandeur mondaine. Parmi elles, on compta une petite fille,
appelée plus tard à une certaine notoriété littéraire : Sybille
de Riquetti de Mirabeau, future comtesse de Martel
de Janville, que son nom de plume, Gyp, rendra
célèbre. Sybille de Mirabeau fut pendant plusieurs
années, à partir de 1861, élève du Sacré-Cœur, et
elle l'a évoqué avec beaucoup de verve dans ses Souvenirs d'une petite
fille. Arrière petite-nièce du célèbre marquis de Mirabeau, président de
l'Assemblée Nationale de 1791, Gyp était, au dire
d'Anatole France, une terrible railleuse et ses traits parfois un peu vifs
n'ont pas épargné ses anciennes maîtresses. I1 n'est que de rappeler le tableau
qu'elle en trace : « La supérieure, Madame de Chalais, une grosse petite femme
plus large que haute, couperosée, qui avait un gros ventre, des bras trop
courts et, malgré tout une assez bonne façon. Je la trouvai très femme du
monde. La maîtresse générale, Madame Garabis, une
très grande femme, pâle et d'une invraisemblable maigreur, avec des traits
étonnement heurtés, un nez immense, des yeux profonds et lumineux, et un menton
de galoche. Elle faisait penser à la fois à Don Quichotte, à Henri IV et à
Pierrot. Au premier abord, elle semblait caricaturale, mais on était bien vite frappé par la beauté de ses gestes et par son
grand air ».
Ses maîtresses sont, elles
aussi, l'objet de ses railleries; ainsi « Madame Toussaint, petite et rageuse,
était inégale, injuste et criarde. Madame de Morel,
assez grande, avait une tête de marron sculpté. Elle était distante et jaunâtre;
ce devait être la religieuse la plus intelligente du couvent, après Madame Garabis, qui, elle, était hors ligne ».
Gyp n'est donc pas entièrement partiale et injuste envers ses
anciennes maîtresses, et le récit qu'elle fait de son séjour au Sacré-Cœur nous donne un tableau très exact et très vivant
de l'activité de cette maison. Elle connaissait d'ailleurs un grand succès, à
tel point qu'au mois de juin 1865, Mgr Lavigerie, évêque de Nancy,
prescrivait aux dames du Sacré-Cœur de tenir un
externat dans l'intérieur même de la ville. Celui-ci fut ouvert en 1867, rue de
la Ravinelle. Ses succès devaient faire penser à l'ordre que leur
activité se maintiendrait pendant de longues années. Mais la politique
antireligieuse du gouvernement de la troisième République, s'attaquant plus
spécialement aux congrégations, amena les dames du Sacré-Cœur
à abandonner leur maison.
Conformément aux
dépositions de la loi du ler juillet
1901, les sœurs du Sacré-Cœur de Jésus présentèrent
une demande d'autorisation pour leur maison du 34 quai de la Bataille et de
leur externat du 31 de la rue de la Ravinelle. A
cette époque, on dénombrait 36 religieuses, dont 20 religieuses de chœur et 16
tourières. Il n'y avait plus que 54 élèves. Les sœurs accueillaient, en plus,
des orphelines occupées à des travaux jusqu'à l'âge de 21 ans. Les menaces
s'aggravaient sur les biens des communautés religieuses. Les dames du Sacré-Cœur avaient pris la précaution de mettre la
propriété de tous leurs biens au nom personnel de l'une d'entre elles, Mme de Angellis, mais elles craignaient que ce subterfuge ne
permit point de protéger leur patrimoine et que leur couvent ne subisse le même
sort que celui qui avait été autrefois réservé à la maison de campagne des
Jésuites : confiscation et vente.
Aussi, très rapidement, les
religieuses quittaient définitivement leur maison, et le 14 novembre 1903, Mme
de Angellis, propriétaire du domaine, passait un bail
avec la Société anonyme de l'école préparatoire des Arts et Métiers, qui
s'engageait par ailleurs à l'acheter dans les meilleurs délais.
IV — LE GROUPE HOSPITALIER : MARINGER –
VILLEMIN – FOURNIER
Sur ces entrefaits,
la commission des hospices de Nancy recevait une circulaire ministérielle du 15
janvier 1904, prise dans le cadre de la lutte contre la tuberculose, maladie
qui constituait alors un véritable fléau social, lui enjoignant de créer un
hôpital spécial et isolé, pour traiter les malades atteints de cette affection.
La Commission des hospices, réunie le 22 mars 1904, constata alors qu'elle ne
disposait pas de locaux capables d'être transformés suivant les prescriptions
ministérielles et que de plus, pour créer un hôpital spécial, elle ne possédait
ni le terrain pour l'édifier, ni les fonds nécessaires pour le construire. La
municipalité de Nancy avait alors à sa tête un homme actif et entreprenant,
Hippolyte Maringer qui prit à cœur de résoudre ce
problème dont il avait compris l'urgence en sa qualité de président-né
de la Commission des hospices.
Maringer estima à très juste titre que la mise en vente du couvent
du Sacré-Cœur était une occasion inespérée pour les
hospices d'agrandir leur domaine foncier et de profiter de bâtiments existants
pour réaliser un hôpital de tuberculeux.
Dès le 13 avril 1904, Maringer réunit le conseil municipal et lui expose que la
Commission des hospices a en vue l'acquisition de l'ancien couvent du Sacré-Cœur pour y installer l'hôpital spécial qu'elle est
tenue de créer pour le traitement des tuberculeux. Le prix de vente de ce
domaine est fixé à 200000 F payables immédiatement, condition impérative mise
par le vendeur, et que ni la ville, ni les hospices ne pouvaient remplir, vu la
longueur des formalités administratives à effectuer.
Étant donné l'urgence et le
très bref délai accordé par les religieuses pour vendre leur domaine, il
fallait trouver une solution immédiate. Maringer la
trouva grâce au dévouement d'un de ses concitoyens, Charles-Achille
Giron, qui avait été son collaborateur à la
mairie de Nancy comme conseiller municipal (1888) puis comme adjoint (1892).
Entrepreneur de travaux publics, disposant d'une très belle fortune, Giron
acceptait de servir d'intermédiaire en achetant immédiatement le couvent du Sacré-Cœur et en s'engageant à le revendre à la ville de
Nancy dans le délai d'un an.
Dès le 22 mars 1904 une promesse
de vente était signée valable pour un délai de 15 jours, et le 7 avril 1904 Mme
de Angellis, résidant alors à Ostende, vendait à Charles-Achille Giron, propriétaire, ancien adjoint au
maire de Nancy, l'immeuble dit le Grand Sacré-Cœur et
le domaine sur lequel il était implanté, d'une surface d'environ 47000 m2,
moyennant la somme de 200000 F que l'acquéreur réglait sur le champ (Acte reçu
par Maître Vergne et Baudot, notaires à Nancy).
Peu de temps après, un changement
de municipalité intervint. Le 15 mai 1904, un nouveau conseil élisait comme
maire Ludovic Beauchet, qui remplaçait Hippolyte Maringer. La nouvelle municipalité continua avec persévérance
l'œuvre de la précédente.
Dès le 29 juin 1904, le
conseiller Xardel présentait un rapport sur l'achat
éventuel du Sacré-Cœur, dans lequel il conclut qu'il
s'agit « d'un magnifique domaine, clos de murs élevés, donnant sur trois
rues, d'une superficie de 5 hectares, contenant de
vastes bâtiments solidement construits, admirablement aérés, avec des arbres
séculaires. On ne peut rêver un site plus hospitalier pour abriter les
souffrances humaines. Quant au prix, c'est d'après l'avis de la commission des
hospices, un prix inespéré : il ne paie pas les constructions. »
Mais le temps pressait,
puisque M. Giron n'avait accordé qu'un délai d'un an à la ville pour racheter
ce domaine. Aussi, le 1er février 1905 le conseil municipal de
Nancy prenait-il une délibération d'urgence, accordant une subvention de 242000
F aux hospices civils pour acquérir l'ancien couvent du Sacré-Cœur,
afin d'y créer un hôpital spécial pour le traitement des tuberculeux. Cette
délibération spécifie, par un grand esprit de libéralité, que l'acte d'achat
sera fait au nom des hospices civils, ceux-ci s'engageant seulement à céder gratuitement à la ville le terrain
nécessaire à l'élargissement à 12 mètres de la rue de Nabécor,
dès que le conseil municipal décidera cet élargissement. Quelques jours après,
le 28 février 1905, le conseil complétait sa délibération en donnant son
accord pour l'aménagement d'un hôpital de tuberculeux à l'ancien Sacré-Cœur.
Les formalités
administratives furent remplies avec rapidité. Aussi, dès le 1er
mars 1905 un décret ministériel autorisait la ville à acquérir de M. Giron la propriété
du Sacré-Cœur. Dès le 26 avril 1905, les hospices civils de Nancy ont été
amenés à acquérir sur les consorts Giron l'immeuble du Grand Sacré-Cœur, comportant au centre d'un vaste domaine de
47000 m2 environ, un bâtiment avec deux ailes, logement de concierge
attenant sur le quai de la Bataille, maison de l'aumônerie et orphelinat, plus
divers bâtiments à usage agricole, le tout clos de murs, pour le prix de
222706 F (acte reçu par Mes Droit et Baudot, notaires à Nancy).
Grâce à la compréhension et
au dynamisme de leur président-né, le maire de Nancy,
les hospices civils devenaient ainsi propriétaires d'un magnifique ensemble,
sur le territoire même de la ville. C'est donc à juste titre que la commission
décida de donner à l'ancien Sacré-Cœur le nom du
maire Hippolyte Maringer.
Il fallait désormais
envisager la transformation de cet ancien pensionnat de jeunes filles en un
hôpital pour tuberculeux.
Le 23 janvier 1906, le
conseil municipal fait un nouvel effort financier en votant une subvention de 265000
F pour cet aménagement, décision qui fut reconnue d'utilité publique le 5
décembre 1905.
Différents avant-projets
furent établis pour réaliser cette transformation, mais ils soulevèrent de
nombreuses discussions entre la commission administrative, les services
d'hygiène et l'autorité supérieure, qui durèrent pendant plus de trois années.
Finalement, elles
aboutirent à constater que les anciens bâtiments pouvaient être simplement
transformés en locaux d'hospitalisation courante et qu'il était par ailleurs
nécessaire de construire sur les terrains disponibles un hôpital-sanatorium
neuf pour les tuberculeux (décision de la commission administrative du 9
novembre 1911).
Entre temps, les locaux
inoccupés étaient prêtés à l'armée par la commission des hospices, d'abord
pour y loger des soldats de la garnison en surnombre
(29 octobre 1906), puis pour un hôpital temporaire du service de santé (janvier-avril 1909) enfin pour y héberger les élèves de
Saint-Cyr venus à Nancy à l'occasion de l'exposition (juin 1909). Nous nous bornerons à rappeler brièvement la destinée de ce
qu'allait désormais devenir le groupement Maringer-Villemin-Fournier,
car elle a déjà fait l'objet de publications détaillées que nous ne pouvons que
résumer.
L’HOPITAL MARINGER
Dès 1908, l'administration
préfectorale de Meurthe-et-Moselle avait invité la municipalité de Nancy à se
mettre d'accord avec les hospices civils pour créer un nouvel établissement
destiné au traitement des malades atteints d'affection cutanées et vénériennes.
Jusqu'alors en effet, ces malades étaient soignés dans une aile de la vieille Maison de secours : les conditions d'hébergement
et de traitement y étaient déplorables.
Les anciens bâtiments du Sacré-Cœur pouvaient être facilement adaptés à cette
mission, alors qu'il était impossible de les transformer en hôpital de
tuberculeux, mais ils paraissaient néanmoins trop vastes pour abriter la seule
clinique de dermato-syphiligraphie.
On décida donc, pour
obtenir une occupation totale, d'installer dans le nouvel établissement une
clinique médicale et une clinique chirurgicale complémentaires pour dégager les
grands services de l'hôpital central, surchargés de malades.
Les deux services complémentaires
devaient être installés dans le corps de bâtiment principal, tandis que la
clinique de dermato-syphiligraphie devait trouver sa
place dans une aile latérale et un pavillon indépendant. Dès l'automne 1912,
les travaux d'organisation de ces cliniques pouvaient débuter grâce à un
financement assuré par des subventions de la ville, des ressources propres de
l'hôpital et une subvention de l'État prélevée sur les fonds du Pari mutuel.
Placés sous la direction de
M. Georges Biet, architecte des hospices, les travaux
étaient terminés au printemps 1914 et le 1er avril de cette année
les malades de la Maison de secours étaient transférés à ce nouvel hôpital Maringer. Il est piquant de constater que ce furent les
prostituées de Nancy qui vinrent prendre la place occupée auparavant par les
jeunes filles de la maison d'éducation du Sacré-Cœur.
Les services de
dermato-vénérologie devaient rapidement se trouver à l'étroit dans ces locaux
et comme nous le verrons, une clinique particulière fut
bientôt bâtie dans ce but.
En ce qui concerne les
cliniques complémentaires, celle de médecine fut confiée au professeur agrégé Zilgien, mort préamturément le 12
novembre 1914, et celle de chirurgie au professeur agrégé Gaston Michel, qui
deviendra plus tard titulaire de la clinique chirurgicale A, à l'hôpital
central.
Durant la guerre de 1914-18,
ces services complémentaires reçurent 5539 blessés militaires. Puis ils furent
réouverts à la population civile : l'un comme service
de chirurgie générale, l'autre comme service d'urologie à titre temporaire.
Après l'armistice, les deux
cliniques furent affectées à des services de chirurgie confiés à des
chirurgiens des hôpitaux. Lors de la seconde guerre mondiale, l'hôpital Maringer fut temporairement occupé par l'armée allemande.
Rendu aux hospices, il servit à abriter les malades tuberculeux, l'hôpital
Villemin étant occupé en totalité.
Depuis lors, cet hôpital
est revenu à sa destination civile, occupé par différents services et en
particulier par celui des explorations fonctionnelles respiratoires. Il a été
libéré depuis la construction du C.H.U. de Brabois et
des travaux importants y sont en cours pour permettre un meilleur
fonctionnement de la clinique de dermatologie.
Au cours de la première
guerre, un important bâtiment fut adjoint à l'hôpital Maringer
; accolé en partie au côté ouest de la façade principale, il en rompt malheureusement
l'harmonie architecturale. Construit en 1915 sur une initiative privée pour
venir en aide aux mutilés de guerre, cet immeuble abrita une école de
rééducation par le travail des invalides. Elle rendit de grands services
jusqu'en juillet 1925, époque à laquelle sa mission terminée, elle fut fermée
et ses locaux donnés aux hospices. Ils permirent, après d'importantes
transformations, d'installer un service des maladies contagieuses, placé
d'abord sous la direction du professeur de Vezeaux de
Lavergne, puis sous celle du docteur Gerbaut ; il a émigré actuellement dans des locaux beaucoup
mieux adaptés au C.H.U. de Brabois. Il a néanmoins
rempli un rôle très important lors des épidémies de poliomyélite de 1957 et
1961, où de nombreux malades y ont été soignés.
Dans son ensemble,
l'hôpital Maringer a gardé l'aspect architectural
primitif du Grand Sacré-Cœur, en particulier sa
chapelle néo-gothique. Des transformations intérieures nombreuses l'ont heureusement
rendu plus apte à sa mission hospitalière.
L’HOPITAL
VILLEMIN
Comme nous l'avons rappelé,
une circulaire ministérielle de 1904 avait prescrit de façon impérative aux
hospices civils de Nancy de posséder un hôpital spécial pour tuberculeux. C'est
dans ce but que l'ancien couvent du Sacré-Cœur avait
été acquis.
Dès le 23 janvier 1906, le
conseil municipal de Nancy accordait une subvention de 265000 F pour
l'aménagement des anciens locaux. De longues études préalables ayant prouvé
qu'il n'était pas possible de réaliser ces transformations dans des conditions
satisfaisantes.
Le 9 novembre 1909, la
commission décidait la construction d'un vaste « hôpital-sanatorium
» en y affectant le produit d'un legs (Mme Lejeune) et de la vente
à la ville de Nancy d'un grand jardin (jardin Sauvaget).
D'autres legs vinrent compléter cette dotation. Le 4 octobre 1910, la
commission administrative confirmait sa décision et sollicitait une aide de
l'État sur les fonds du Pari mutuel, qui lui fut ultérieurement accordée.
Il fut décidé que ce futur hôpital-sanatorium porterait le nom de Villemin en souvenir
du célèbre médecin militaire lorrain, qui avait démontré, dès 1865, avant même
la découverte par Koch du bacille responsable, la notion de contagion de la
tuberculose.
La disposition
architecturale de ce nouvel hôpital s'inspirait des directives qui avaient
cours à cette époque en ce qui concernait le traitement de la tuberculose :
isolement des hospitalisés d'une part, et
possibilité de cure d'air en aménageant de vastes terrasses, comme dans les
sanatoriums d'altitude.
Confiés à M. Albert Jasson, architecte de la ville, et à M. Georges Biet, architecte des hospices, les travaux étaient mis en
adjudication le 12 septembre 1911. Ils étaient suffisamment avancés en 1914
pour permettre l'hospitalisation des malades militaires contagieux. Grâce à
quelques aménagements, 4964 malades y furent traités sous la direction du
professeur Paul Haushalter.
Dès le printemps 1919, les
travaux furent repris et un an après l'hôpital Villemin pouvait ouvrir ses
portes. Il comportait essentiellement deux pavillons de 100 lits chacun, l'un
destiné aux hommes et l'autre aux femmes, placés sous la direction d'un
professeur de la faculté de Médecine.
Un petit service de
chirurgie thoracique y fonctionna durant plusieurs années sous la responsabilité
du professeur Guillemin, puis du professeur Lochard.
Depuis la création de
l'hôpital Villemin, de nombreuses découvertes sont venues transformer
radicalement le traitement de la tuberculose. La mise en œuvre systématique de
la vaccination préventive par le B.C.G. a provoqué
une diminution spectaculaire du nombre des personnes atteintes de ce mal.
Par ailleurs, des
thérapeutiques efficaces, antibiotiques et chimiques, ont été découvertes qui
ont permis de soigner avec succès les différentes atteintes de la tuberculose.
De telle sorte que la vocation de l'hôpital Villemin s'est orientée
essentiellement vers le traitement de toutes les diverses maladies atteignant
l'appareil respiratoire.
Un dispensaire de soins
externes et une consultation lui sont annexés depuis 1920, le long de la rue
de Nabécor, et fonctionnent sous la direction de
l'Office d'hygiène sociale de Meurthe-et-Moselle.
Enfin, une chapelle a été
édifiée à l'angle du quai de la Bataille pour servir aux offices religieux de
l'ensemble du groupe hospitalier.
Les chefs du service des
Hommes ont été successivement : les professeurs Jacques Parisot
(1920), Pierre Simonin (1930) et Pierre Lamy (depuis
1962) ; ceux du service des femmes : les professeurs Maurice Perrin (1920),
Emile Abel (1936), Jean Girard (1943) et Gérard de Ren
(depuis 1956).
L’HOPITAL FOURNIER
Comme nous l'avons vu précédemment,
le service des maladies cutanées et syphilitiques avait été le premier à
s'installer dans les anciens locaux du Sacré-Cœur. Mais ceux-ci s'avérèrent
très rapidement insuffisants et mal adaptés.
Aussi, sous l'impulsion du
doyen Louis Spillmann, la commission des hospices
envisagea dès 1922 la construction d'un hôpital distinct placé au sud du
bâtiment principal.
Grâce à des subventions de
la ville, du Pari mutuel et à différents legs (M. Gérardin)
les travaux de construction purent être commencés en juillet 1923 et
terminés en septembre 1925. Le nouvel hôpital reçut, à la demande du doyen Spillmann, le nom du grand syphiligraphe français, Alfred
Fournier dont il avait été l'élève à Paris.
Cette clinique fut
complétée par un dispensaire, en relation avec l'Office d'hygiène sociale et
par un pavillon d'hospitalisation et de soins (dispensaire Ricord) installé
dans l'ancienne maison de Bellevue.
Doté de 126 lits (dont 12
en clinique ouverte) cet hôpital Fournier s'avéra insuffisant au cours des
années. Il est maintenant en voie de totale réfection et a récupéré des
anciennes salles de l'hôpital Maringer depuis le
transfert de ses services au nouvel hôpital de Brabois. La clinique a été
successivement dirigée par le doyen Louis Spillmann
(mort en 1940), puis par le professeur Jules Watrin
(mort en 1955) ; elle est actuellement placée sous la responsabilité du
professeur Jean Beurey.
Le Centre hospitalier
régional de Nancy possède ainsi un vaste domaine
foncier de cinq hectares, héritier de l'ancienne maison de campagne des
Jésuites, puis de la maison d'éducation du Sacré-Cœur.
Cette réserve foncière
importante située sur le territoire même de Nancy a permis la réalisation d'un
groupement hospitalier qui n'a fait que s'accroître et se perfectionner depuis
soixante dix ans (un don de 170962 F fait à l'hôpital en 1933 a permis
d'acheter des terrains limitrophes à l'hôpital Villemin).
La construction récente
d'une école de massokinésithérapie, et de locaux
administratifs d'habitation est venue compléter ce groupement. Il reste encore
heureusement de vastes espaces verts : l'ancienne ferme et les jardins potagers
qui maintiennent un caractère agreste à cet ensemble.
Les Jésuites de Nancy ont
possédé, dans ce qui était alors les faubourgs de la ville deux très belles
propriétés : leurs maisons de campagne, l'une destinée au noviciat : Nabécor, l'autre au collège : Sainte-Marie.
Elles ont connu une
destinée tout à fait semblable : confisquées en 1768 et vendues à des particuliers
en 1770. Nabécor racheté par les Dames du Sacré-Cœur en 1841 est devenue une maison d'éducation, Sainte-Marie est restée un domaine privé.
Finalement, la ville de
Nancy en est devenue propriétaire (7 avril 1904) par l'intermédiaire de M. Giron,
et l'a donné aux hospices qui y ont créé le groupement hospitalier Maringer- Villemin-Fournier.
C'est cette même année 1904 que la ville de Nancy est aussi devenue
propriétaire du magnifique domaine de Sainte-Marie, d'une superficie de près
de dix hectares (actes Baudot, notaire, des 29 et 30 novembre 1904), acheté sur
ses derniers propriétaires, les consorts de Gail. C'est maintenant une belle
promenade publique : le parc Sainte-Marie.
Portrait
de Maringer par E. Friant
MARINGER Jean-Hippolyte-Alexandre, né à Hollerich
(Luxembourg) le 17 juillet 1833, naturalisé français le 29 avril 1872,
représentant de commerce, conseiller municipal le 22 novembre 1874, conseiller
général de Nancy-Est (1889-1901), élu maire de Nancy
le 15 mai 1892, réélu le 17 mai 1896 et le 20 mai 1900, en fonctions jusqu'au
15 mai 1904, mort à Nancy le 18 juin 1909.
VILLEMIN Jean-Antoine, né à Prey (Vosges) en 1827, mort à Paris en
1892. Chirurgien élève à l'hôpital militaire d'instruction de Strasbourg
(1849), répétiteur à l'école impériale du service de santé de cette ville
(1860), agrégé (1862), puis professeur (1867) au Val-de-Grâce,
médecin inspecteur de l'Armée (1885). Son œuvre principale s'intitule Études
sur la tuberculose, preuves rationnelles et expérimentales de sa spécificité
et de son inoculabilité. (Paris, J-B. Baillière, 1868). Sa
biographie a fait l'objet d'une importante publication du professeur Percebois, parue dans les Annales médicales de Nancy, 1979,
pp. 685 à 698.
FOURNIER Jean-Alfred (Paris
1832-1914). Médecin des hôpitaux, premier titulaire de la chaire de clinique
des maladies cutanées et syphilitiques (1880), membre de l'Académie de médecine
; est surtout connu pour ses nombreux et importants travaux sur la syphilis à
laquelle il a eu le mérite de rattacher l'ataxie locomotrice et la paralysie
générale.
La famille de M. Hippolyte Maringer avait demandé que le nom de l'ancien maire de
Nancy, ne couvrît pas les services des maladies vénériennes et surtout celui
des filles prostituées.