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Formations hospitalières du service de santé des armées à Nancy de 1633 à 1691

 

par A. LARCAN

 

Médecine et armées – 1994 – 22 – 8 – pp 627-634

 

INTRODUCTION

A l'heure où viennent d'être abaissées les couleurs, symbole douloureux de l'inéluctable fermeture de l'hôpital des armées Sédillot, il revenait à un universitaire nancéien médecin et officier de réserve du Service de santé des armées, d'évoquer devant les plus hautes autorités du Service de santé trois siècles d'histoire. La vie d'un hôpital est directement liée à la cité qui l'héberge ; celle d'un hôpital militaire reflète plus particulièrement celle de l'armée du temps de paix et du temps de guerre, mais aussi celle de la population (familles, ayants droit), de l'université avec laquelle se sont tissés des liens multiples, surtout depuis 1872 dont on ne s'aperçoit bien, avec stupeur, que le jour où ils sont rompus.

La documentation sur les hôpitaux militaires de Nancy ne manque pas depuis le travail de La Flize, les monographies de Badel, Boppe et surtout Georges. Deux articles synthétisaient ces diverses recherches.

 

PREMIERS ETABLISSEMENTS HOSPITALIERS MILITAIRES

Pendant les « occupations françaises » (1633-1666, 1670-1697 et 1702-1714), Nancy place de guerre, est occupée le 24 septembre 1633 et le restera durant 30 années. Les troupes françaises sont à la citadelle. En 1633, blessés et malades sont hospitalisés dans les hospices civils (l'hôpital Saint-Julien fondé en 1335 en ville vieille et transféré en 1587 en ville neuve, l'hôpital Saint-Charles fondé en 1626, l'hôpital Saint-Joseph fondé en 1632 pour les réfugiés à Nancy de l’épidémie de peste et l'hôpital Sainte-Anne).

La même année, un sieur Bitault expose au conseil souverain de Lorraine, qu'il sert en qualité de médecin la garnison et l'hôpital Saint-Charles et qu'il supplie de le recevoir médecin. Il fut exaucé... et il ne fut pas oublié dans le partage des dépouilles... (gratification sous forme de biens et propriétés...).

En 1637, on réquisitionna pour les soldats français, la maison du sieur Barrois (échevin) pendant que l'hôpital Saint-Charles était infecté par la contagion. Puis cet hôpital fut réquisitionné tout entier sous le nom d'hôpital royal de la garnison (de 1655 à 1663). Les dépenses et réparations y furent faites et ordonnancées au nom du roi Louis XIV. Ces deux hôpitaux disparurent en 1663 et furent peut être réactivés lors de la deuxième occupation de 1670 à 1697.

 

PREMIER HOPITAL MILITAIRE SAINT-JEAN (1702-1714).

Le duc régnant est le duc Léopold, gendre de la célèbre Palatine et neveu de Louis XIV. La France est en guerre (succession d'Espagne : 1701-1714). Le 30 novembre 1702, M. de Callières prévient le duc de la nécessité, dans laquelle était son oncle, d'occuper la ville de Nancy « pour la protéger contre les incursions des impériaux ».

On décide une nouvelle réquisition, celle d'une maison de la porte Saint-Jean (mention dans une lettre de la  Galaizière au prévôt Hanus). Sur le plan de la Ruelle et sur celui de 1749 (Monluisant), cette maison est située au coin du cul-de-sac des Minimes et de la rue Saint-Georges (actuellement angle des rues Bénit et Saint-Jean, emplacement actuel d'un cinéma). La maison est alors occupée par une manufacture de soie. Il s'agissait d'un immeuble à deux étages et à 28 croisées. Après le traité de Ryswick (1697), cet hôpital revient à la ville et est abandonné aux frères de l'institut des écoles chrétiennes qui y établissent une école. L'hôpital Saint-Jean (aussi Saint-Jean-de-Dieu) aurait servi aux troupes françaises lors de la guerre de succession d'Autriche.

 

PREMIER HOPITAL MILITAIRE SAINT-LOUIS (1734-1768).

 Les Français évacuent Nancy en 1714. Le duc ne garde que quelques troupes de parade.

La guerre de succession d'Autriche est déclarée en 1733. Les troupes françaises occupent à nouveau Nancy, cette fois de façon définitive.

Monsieur de Verneuil, secrétaire du cabinet du roi et le sieur Godefroy, commissaire des guerres, décident de créer un hôpital militaire (il en existait 50 depuis l'édit du 17 janvier 1708 qui avait mis en place, aux frontières, une ceinture hospitalière doublant celle de Vauban, parmi lesquels Metz, Verdun, Thionville, Sarrelouis, Toul, Longwy, Phalsbourg).

Utiliserait-on la Renfermerie ? La manufacture royale Saint-Jean ? On se décide en fait pour des maisons particulières avec leurs dépendances. L'acquisition est faite le 24 mars 1734 sur l’emplacement du fossé des remparts de la ville vieille (terrain pillement de Russanges, maisons Defosses, Rouot, Poirot, Chanot sur l'esplanade ou place de Grève, en cul-de-sac devant les Minimes, actuellement rue Stanislas n° 64-68, rue des Michottes). L'hôpital prend le nom de Saint-Louis. Il comprend deux étages avec une grande salle au premier disposant de trois rangées de lits (58) pour vénériens, « vénériens baignants », fiévreux, varioliques, galeux, blessés, de latrines à l'étage (à sept places), et des locaux habituels (pharmacie, vestiaire, lingerie, locaux pour infirmiers...). On y soigne les blessés de la guerre de sept ans et de la succession d'Autriche.

Le médecin-chef est Charles Bagard, premier médecin du roi Stanislas de Pologne (beau-père de Louis XV et duc de Lorraine).

Les chirurgiens portent l'habit de couleur grise à parements, avec veste et culotte rouge, boutonnières dorées et boutons en fil d'or (au dessin limace). On y signale le séjour de Vauvenargues (en mars 1743), lieutenant au régiment d'infanterie du roi. Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues avait eu les pieds gelés lors de la retraite de Prague. C'est un entrepreneur civil qui fournit literie, médicaments, pansements, nourriture. Lui et les apothicaires sont surveillés par les commissaires des guerres, en vertu de l’ordonnance de 1747 (qui durera jusqu'en 1882).

Cet hôpital était mal situé, peu étendu, mal distribué, peu aéré. Un arrêt du conseil royal en date du 3 juin 1768, après la mort de Stanislas (la Lorraine étant devenue définitivement française), décide de la construction d 'un nouvel hôpital sur le terrain de la brasserie Hoffman en échange de l'immeuble de l'hôpital Saint-Louis.

 

DEUXIEME HOPITAL MILITAIRE SAINT-JEAN.

Il est situé près du bastion Saint-Jean (1768-1909) à droite de la porte du même nom et domine l'étang Saint-Jean où fut trouvé le corps du Téméraire en janvier 1477. On décide la transformation du bâtiment de la brasserie Hoffman (6 novembre 1768).

L'hôpital est sous le régime de la régie du roi confiée à la congrégation des sœurs de Saint-Charles. On louera la supérieure Clotilde Varoquier de sa gestion entreprenante et économe, modèle admiré par Joseph II venu en avril 1777 visiter incognito Nancy et l'hôpital. La surface est de 6000 m2 (plus un verger de six hectares et un jardin botanique). On trouve un corps de garde, une cour avec fontaine, le pavillon du chirurgien major, une salle des morts, puis le bâtiment principal relié à une aile ; sur le talus du rempart, un jardin botanique, enfin des locaux de servitude (cuisine, boulangerie, lingerie et buanderie).

L’essai topographique de Poma donne l’énumération des salles réparties sur deux étages :

— rez-de-chaussée : salle Saint-Louis pour les blessés (27 lits), pour les vénériens, salle Saint-Antoine (22 lits doubles...) et salle Sainte-Colombe (20 lits doubles) et pour les convalescents, salle Saint-Corne (27 lits doubles) et Saint-Damien (27 lits doubles),

- premier étage : pour les fiévreux, salle Saint-Roch (47 lits ), salle Saint-Henri (29 lits), salle Sainte Clotilde (30 lits), salle Saint-Joseph (28 lits), salle Saint-Nicolas (28 lits), salle Saint-Charles (27 lits), salle Saint-Martin (26 lits), salle Saint-Hubert (37 lits), pour l'isolement des malades atteints de varioles, rougeoles ainsi que les détenus et les fous, salle Saint-Luc,

- deuxième étage : la salle Saint-François (50 lits) pour les galeux et les salles de réserve Saint-Claude (50 lits ), Saint-André (46 lits), Saint-Sigisbert (44 lits) et Saint-Jacques (40 lits).

Le nombre habituel d'hospitalisés est de 200-250, il peut atteindre 500 (703 possibles).

Il existe une salle de garde de chirurgie, un amphithéâtre, mais pas de salle d'opérations.

Les malades disposent d'une vaste promenade ; de plus, l'hôpital fonctionne comme une entreprise agricole avec hallier, écuries, verger, potager, basse-cour, colombier, étables, laiterie...

Entre 1777 et 1786, on décide d'une nouvelle construction, celle d'une aile de 100 lits, sur un plan de Poma (1786). Le personnel comprend un chirurgien major, un chirurgien aide-major (plus quatre élèves chirurgiens et quatre surnuméraires), un médecin en chef, un médecin en second qui se partage avec un médecin surnuméraire entre Nancy et Marsal, un économe, quatorze sœurs, un capucin aumônier, des domestiques, un officier planton et un sergent de garde.

Les visites ont lieu deux fois par jour à 8 h et 17 h. On tient un cahier de visite (numéro du lit, nom, alimentation, remèdes).

Les repas sont pris à 10 h et 16 h. La nourriture est bonne, le linge blanc pour tous...

Parmi les médecins chefs, on relève les noms de Bagard, Coste et Poma.

L'hôpital passe pour « un des meilleurs du royaume » (Lionnois). Il est classé en 1781 n° 1 des seize hôpitaux de deuxième classe mais souffre du voisinage de Metz et de Strasbourg qui avec Lille, Brest, Toulon appartiennent à la première classe... Le nouveau règlement de 1788 classe les hôpitaux en hôpitaux régimentaires, hôpitaux auxiliaires ou d'instruction dont Metz et Strasbourg.

Nancy n'est plus qu'un hôpital régimentaire, un accord est passé avec les conseils d'administration des régiments de la garnison (la garnison comprend trois régiments dont deux d'infanterie et un de cavalerie, soit 4420 hommes répartis en six bataillons et deux escadrons). L'hôpital est alors « l'un des plus vastes, des plus complets, des mieux administrés du royaume » (Foissac). Lors de la Révolution, les blessés de « l’affaire de Nancy » seront surtout soignés à l'hôpital de Boudonville. Le désordre gagne l'hôpital. Les malades s'emparent des armes et les volontaires de la Meurthe font feu sur les soldats de l'hôpital...

Les sœurs de Saint-Charles, dont la congrégation est supprimée en 1792, quittent l'hôpital en 1793. L’hôpital Saint-Jean est alors classé hôpital militaire dentaire.

Suit alors une période obscure de 1794 à 1801. On ne s'intéresse qu'aux hôpitaux à supprimer « absolument inutiles où officiers de santé et commissaires des guerres reçoivent des salaires immérités... » Laurent du Bas-Rhin au conseil des 500, le 13 messidor an VI, ajoute : « je dirai plus, il y a des hôpitaux supprimés par ordre du ministre de la Guerre et qui subsistent encore »

Les règlements du 24 thermidor an VIII (1800) et du 16 frimaire an IX (1801) constituent l'acte de disparition de l'hôpital de Nancy (on ne conserve que seize hôpitaux).

Un rapport de juillet 1793 fait état d'une curieuse hécatombe, d'origine mystérieuse, faisant huit morts parmi les médecins.

Depuis le décret du 3 germinal an IX (1801), la charge des blessés et malades militaires est transférée aux hospices civils. Ce fut une charge écrasante pour l'hôpital Saint-Charles qui réduisit ses lits civils de 111 à 81 ; seul un dépôt de 50 lits subsistait à l'hôpital Saint-Jean. La commission des hospices proposa la reprise et la remise en état des bâtiments projetant d'y établir un hôpital de vieillards (transfert de l'hôpital Saint-Julien). En contrepartie, elle mettait à la disposition de l'armée 500 lits et fixait le prix de la journée à un franc. Cette situation est sanctionnée par le décret impérial de Bayonne (17 juillet 1808). L'état des lieux, remis à la commission des hospices (26 août 1808), est établi par Rameau. Les dépenses sont engagées pour 55000 F mais le ministère de la Guerre qui devait plus de 100000 F ne tiendra pas ses engagements. Une discussion interminable s'engage concernant le prix de régie. La commission déclare ne pouvoir continuer ses engagements mais entre-temps, en octobre 1814, le ministre a dénoncé le décret de Bayonne et a décidé de reprendre l'hôpital Saint-Jean. Ceci sera à l'origine du contentieux et de l'action judiciaire qui opposera en 1834 la commission des hospices et le ministère de la Guerre. L'ordonnance royale du 24 novembre 1814 rétablit les hôpitaux militaires dans les grandes villes de garnison et les places frontières. Curieusement les blessés de 1813-1814 et 1815 ont surtout été soignés dans d'autres établissements (ambulance de Bosserville). Les salles de l'hôpital Saint-Jean portent des noms de batailles : Austerlitz, Bouvines, Eylau, Friedland, Givonne, Héliopolis, Pyramides, Le Quesnoy, Alger, Blidah, Chercheil, El Arroux, Foudouk et Ghelma. L'hôpital est doté en 1852 d'une buanderie à vapeur et aussi d'une salle d'opérations. Les services administratifs se trouvent au rez-de-chaussée. Les malades sont uniquement dans les étages. On installe des lits pour moribonds (quatre lits) et on réclame, avec insistance mais sans succès, des latrines à l'anglaise... En 1868, on y affecte les frères de Saint-Jean-de-Dieu qui, infirmiers de visite, gardes-malades, cuisiniers et aides de pharmacie y resteront jusqu'en 1879.

L'hôpital reçoit des hôtes illustres : les rois Charles X (1828) et Louis Philippe (1831), des visites d'intendants (Feraud) ou de médecin inspecteur (Sédillot, 1868).

 

AMBULANCES DE NANCY EN 1870.

La garde impériale est à Tomblaine (voltigeurs et zouaves) et à Malzéville (artillerie). Les dragons de l'impératrice sont au cours Léopold. Ces troupes quittent Nancy le 26 juillet 1870 pour le combat de Sarrebruck. On pavoise, mais le 5 août c'est Wissembourg et le 6 août Reischoffen... Le dimanche 7 août, arrivent les premiers blessés de Wissembourg (turcos). L'armée de Mac Mahon est en retraite vers le camp de Châlons. L'évacuation de Nancy (11 août) s'effectue dans le plus grand désordre (matériel, vivres, poudres). On décide l'évacuation de l'hôpital militaire (sauf les intransportables...). Le 12 août un escadron de hussards, le 14 août une division de cavalerie prussienne, puis l'armée bavaroise entrent dans Nancy. Le docteur Boeger prend possession de l'hôpital militaire et des ambulances de guerre (grand séminaire, école Saint-Léon, cour d'appel). On y soigne des cas de dysenterie, de typhus, de typhoïde, des blessés allemands et français.

Nancy accueille un nouveau contingent de blessés venu de Metz (Bazaine avait capitulé le 27 octobre, livrant 173000 hommes).

En décembre 1870, les blessés de Metz arrivent à Nancy. On installe une ambulance par les «jeunes aveugles » (médecin major de première classe Tassard), mis à la disposition, par le fondateur-directeur l'abbé Gridel. « C'est un site charmant, à la campagne... » Tous les hôpitaux civils et militaires étant déjà encombrés, c'est un hôpital de 130 lits où se retrouvent les sœurs de Saint-Charles.

Il y a aussi une ambulance près du dépôt de mendicité, une à l’école Saint-Léon.

 

HOPITAL SAINT-JEAN (1875-1909).

Après 1870, c'est la reconstitution de l'armée et la période de paix armée...

En septembre 1873, Nancy fête le retour de l’armée française (arrivée du 26e régiment d'infanterie (RI)). Le médecin chef de l'hôpital est le médecin principal de première classe Ladureau. On installe une salle d'hydrothérapie avec baignoires en fonte émaillée (à la place des baignoires en cuivre). La propreté est minutieuse, il y a des lavabos et enfin des toilettes à l'anglaise... On distribue des mouchoirs à tous les malades (et non aux seuls grands malades...).

En 1879, des infirmiers militaires remplacent les frères de Saint-Jean-de-Dieu et... l'eau de la Moselle remplace celle du ruisseau Saint-Jean. La loi du 16 mars 1882 donne l'autonomie du service (article 16), heureusement car les critiques se faisaient de plus en plus vives et l’intendant faisait chorus...

En 1883, des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul (congrégation des Filles de la Charité) arrivent à l'hôpital. Elles y resteront jusqu'en 1904.

Les élèves du Service de santé, inscrits à la faculté de Nancy (Lyon n'ouvra ses portes qu'en 1889 après une sérieuse compétition de villes, Nancy notamment), devaient se présenter à un médecin militaire avec cahiers de cours et carnets de notes tous les matins à 7 h 30, dimanche compris...

L'hôpital est jugé parfaitement tenu mais vieux, mal aéré et à remplacer. En 1899, on refait toitures, fenêtres et on recrépit...

Le 20e corps d'armée (CA) est créé à Nancy, « il faut construire » (médecin-inspecteur Doineau. Mais de 1895 à 1909, on ne fait rien. Faut-il incriminer la construction secrète du canon de « 75 » avec les crédits prévus? L'hôpital Saint-Jean sera finalement remis aux domaines le 10 août 1912, les terrains sont vendus à la compagnie de l'Est, puis à la ville de Nancy (aujourd'hui boulevard Joffre...).

 

HOPITAL SEDILLOT

La création du nouvel hôpital est envisagée en 1884 par une lettre du ministre au général commandant le 6e corps d'armée. La commission d'études a pour charge de choisir un emplacement spacieux, de déterminer la dépense, d'indiquer le produit de vente de l'hôpital actuel. Mais il faudra attendre encore dix ans.

Le 17 avril 1895, le général Hervé commandant le 6e corps d'armée attire l'attention du ministère sur l'opportunité d'acquérir au lieu-dit « le bon coin » (à proximité des casernements de la 22e brigade) un terrain particulièrement favorable.

Dans la dépêche du 25 mai 1895 (quatrième direction, deuxième bureau), le ministre prescrit « l'examen en conférence régulière par les Services du génie et de santé ». On visite la propriété Gomien d'une surface de dix hectares, 33, 67 ares dont une partie est offerte à l'Etat. C'est une occasion unique, le prix n'est que de 2,80 F le mètre carré (le quartier n'était pas bâti, seules existaient les casernes rue Blandan). La commission, où siégeait le médecin-principal Flament et le chef de bataillon Petitbon, recommande l'achat au prix de 173000 F (1896) et 6,17 ha sont offerts à l'Etat. La propriété comporte encore 4 ha (un splendide jardin) qui ne seront pas achetés.

Un décret présidentiel, daté du 22 août 1895, au Havre, déclare l'achat d'utilité publique. Une réponse devrait être donnée rapidement pour éviter les marchands de biens et les spéculateurs... Par dépêche du 5 février 1886, une somme de 175000 F est affectée à l'achat du terrain. Le 20 août 1898, le médecin principal Biaise et le lieutenant-colonel Petitbon établissent un avant-projet de 528 lits, huit bâtiments et quinze pavillons avec au rez-de-chaussée une longue allée centrale. Il y eut ensuite six pavillons et un étage.

La dépense prévue était de 2100000 F. Le projet est approuvé le 31 août 1898 par le médecin principal Guillemin, directeur du Service de santé du 20e corps d'armée et le projet d'ensemble le 15 juin 1900 par dépêche ministérielle (29 juin).

La construction débute en 1901, pavillon par pavillon. Une lettre du général Joffre, alors directeur du génie, prescrit la mise en service. Le ler juin 1909, sous l'impulsion singulièrement vigilante et active du médecin chef Boppe, l'hôpital est mis en service et il est occupé définitivement en mars 1910. On construisit ensuite les pavillons de contagieux, les locaux des infirmiers.

La dépense totale fut de 3435720,61 F ! Des travaux divers (chauffage) entraînèrent finalement une dépense

Le « nouvel hôpital » devient en 1913 l'hôpital Sédillot *. L'hôpital comporte une façade, un pavillon central avec vestibule servant de « place d'armes », la galerie axiale est longue de 215 m avec ses corridors (administration, salle d'honneur, pharmacie). Le premier étage donne sur le parc Sainte-Marie. On y trouve le service des officiers. Puis c'est le pavillon opératoire, radiologie et art dentaire, le bâtiment des blessés (salles Larrey-Sédillot, A. Paré, Legouest), le « bâtiment des fiévreux » (salles Maillot, Bégin), le bâtiment des typhoïques et tuberculeux (salles Broussais et Colin). On trouve encore le pavillon des détenus et aliénés, le laboratoire de bactériologie et les locaux annexes : hangar à charbon, remise de voitures, auto, lingerie, locaux disciplinaires, casernement des infirmiers et ateliers. Il y a également des écuries (génisses vaccinantes), un centre de vaccination, une buanderie, une matelasserie et une désinfection.

Le total des lits est de 465 (dont 88 puis 180 pour les contagieux).

Les planchers en chêne sont remplacés par des carrelages. L'hôpital est bien chauffé, bien éclairé. Les locaux d'hygiène sont convenables. On y trouve l'eau de source de Moselle (ozonisation possible). On achève pendant la guerre les pavillons D5, W5 et W6. Lors de la Première Guerre mondiale, la garnison de Nancy est de 2000 hommes entre 1909 et 1913. L'hôpital est particulièrement adapté à ses missions. Lors des batailles d'août et de septembre 1914, il reçoit 3609 soldats blessés. Dirigé par le médecin-principal Guillemin, il compte parmi son personnel de nombreux professeurs à la faculté (Weiss, Gross, Michel, Spillmann, Bouin...). Mais le premier soldat traité est un territorial, victime d'un factionnaire du palais du gouvernement devenu subitement fou...

Dans la ville il y a 3700 lits disponibles, 2550 pour les blessés, 810 pour les malades, 640 pour les contagieux. Ce sera insuffisant.

L'hôpital reçoit, début août, la visite du médecin principal de première classe Sieur, directeur du Service de santé du 20e corps d'armée.

Nancy « ville ouverte », à proximité des combats subit l'évacuation des gares et dépôts dans la nuit du 22 au 23 août 1914. Contre l'avis du médecin principal Guillemin, on évacue dans le désordre l'hôpital Sédillot. Une enquête est demandée par le préfet Mirman. La décision dépendait de la responsabilité du Service de santé de la 20e région replié à Troyes. Le médecin inspecteur Mareschal est désaisi de l'enquête qui est confiée au médecin inspecteur général Delorme. Le médecin principal Guillemin offre sa démission. Delorme la refuse. Le 29 août, c'est le retour du personnel sanitaire. Mais il y a, désormais, plus de malades surtout typhoïdiques que de blessés.

L'hôpital reçoit environ 250 entrants par mois. Les services sont ceux des blessés (Weiss), des contagieux (Hecquin), des fiévreux (Spillmann). Curieusement, l'hôpital est dissous en mars 1916.

Il est vrai que Nancy compte beaucoup d'établissements : Lycée Jeanne d'Arc, grand Séminaire, Landremont, Sainte-Enfance, maison Marin, La Malgrange, et le médecin chef (médecin-principal Vilmain) vient de mourir. Cet hôpital comportait cependant un centre orthopédique (Frœlich) et un centre médico-légal (Chavigny).

Nancy est au troisième rang des villes bombardées, en particulier le 16 octobre 1917 (après Dunkerque et Paris).

En 1918, c'est l'épidémie de grippe qui entraîne la remise en activité de Sédillot (1er octobre 1918) sous la direction du médecin principal Hoche. Il accueille des ambulances chirurgicales, mais on déplore des difficultés de personnel dues aux mutations incessantes. Après la guerre, la garnison passe de 6000 à 7000, puis 9000 hommes. On crée des services d’ORL, de radiologie et un centre médical aéronautique. En 1929, l'hôpital accueille le service départemental des pensions (centre de réforme et d'appareillage), puis la direction inter-départementale des anciens combattants et victimes de guerre.

De 1930 à 1940, il héberge au premier étage du pavillon central la direction du Service de santé du 20e corps d'armée.

La triste période d'occupation (à partir du 14 juin 1940) sera marquée en fait par l'emploi tardif de l'hôpital militaire à l'usage du Service de santé allemand. En effet, le Feldlazarett (réserve Lazaret) était installé dans les locaux, aux trois quarts occupés, de la maternité A. Pinard et ce n'est qu'en juin 1943, après une menace d'occupation totale de la maternité (que les Allemands voulaient transférer à Sédillot), que les efforts conjugués du préfet et du professeur Fruhinsholz permirent l'achèvement des travaux jugés nécessaires par les Allemands et le transfert des formations sanitaires allemandes. Le retour des troupes françaises sera précédé par une occupation temporaire des locaux par les Américains et un document photographique atteste la visite des généraux Eisenhower et Patton.

Depuis, il fonctionna sans interruption... jusqu'en 1991. On y créa une maternité et une maison maternelle (1946) qui seront ensuite fermées (1955), puis trois services à vocation régionale : neurologie ( 1951 ), pneumologie et psychiatrie (1955) avec secteur protégé ; ainsi les services d'ophtalmologie et d'ORL (1964 et 65). Le service des contagieux fut fermé en 1971 et celui de pneumologie en 1973. On modernisa le service des entrées (1957), le bloc opératoire avec quatre salles et un service de réanimation en 1968, la chaufferie en 1976 (centrale thermique à gaz), la cuisine... La capacité hospitalière était cependant en constante diminution passant de 450 lits en 1973 à 405 en 1976, 328 en 1980 et 290 en 1986. Mais l'ensemble restait homogène avec ses huit bâtiments à deux niveaux (compromis entre le monobloc et le système pavillonnaire) permettant adaptation et restructuration avec généralisation des chambres bien équipées à un et deux lits, rendant cet hôpital clinique un des plus modernes de Nancy.

Il nous faut évoquer les médecins chefs qui se sont succédés à la tête de cette formation, plus particulièrement Boppe qui veilla avec soin à l'ouverture aux premières années de fonctionnement. Il fut un chirurgien de talent qui laissa son nom à des attelles : Spick qui eut par la suite de grandes responsabilités ; De Lavergne, agrégé du Val-de-Grâce et professeur de bactériologie à la faculté de médecine, élève de Dopter et de Vincent, auteur d'un ouvrage classique d'épidémiologie et de travaux sur la fièvre typhoïde ; Bonnet, agrégé du Val-de-Grâce, le meilleur élève de Paire dont Sarroste aurait pillé, dit-on, le cours du Val-de-Grâce pour son traité... ; Mimaret à qui l'on doit la réorganisation de l'accueil et les plans du bloc chirurgical.

Il nous faut également rappeler les gestionnaires ; les aumôniers (beaucoup ont connu le chanoine Pol Rousselot) ; les médecins : Debenedetti qui quitta l'hôpital Sédillot pour passer le concours d'agrégation du Val-de-Grâce, Melnotte, célèbre épidémiologiste qui déploya son activité au service des contagieux alors qu'il était en deuxième section et professeur à la faculté. Plus près de nous : Cantegril, Laurens, Harmand, Bertharion, Lesbre, Maillard ; des pneumo-phtisiologues : Chambatte, Simonel, Bloch ; des neurologues : Rouquier (spécialiste du syndrome préfrontal ) ; des neuropsychiatres : Juillet, Guibert, Clément : des chirurgiens : outre ceux déjà nommés, comme médecins chefs, nous rappellerons la mémoire de Mabille, mort en service commandé, victime de l'OAS à Oran, comme médecin chef de Baudens ; des radiologues : Nivière, Didier ; des biologistes : Welfringer ; des pharmaciens chimistes : Cael...

Les liens avec la faculté ont toujours été très vivants, après 1872 et avant la création de l'école de Lyon en 1879, comme après en raison de l'existence d'un fort détachement de santards parmi lesquels : Lahaussois qui fut directeur du service, Carillon qui fut agrégé du Val-de-Grâce, plus près de nous Thomas et Anthoine qui furent l'un et l'autre inspecteurs généraux de notre corps. Plusieurs médecins militaires affectés à Sédillot furent professeurs à la faculté de médecine (Février, De Lavergne, Melnotte, Thomas, Beau) et pendant la guerre 1914-1918 des médecins du « cadre complémentaire », professeurs à la faculté, exercèrent à Sédillot ou furent médecins-chefs ( Weiss, Froelich, Spillmann, Jacques, Hoche).

 

CONCLUSION

Honneur et gloire à l'hôpital des armées Sédillot qui a fermé ses portes, aux malades et blessés qui y furent soignés, à tous ceux qui souffrirent ou moururent, aux médecins, pharmaciens, officiers d'administration, infirmiers et infirmières, aumôniers, sous-officiers et hommes du rang, personnels civils qui se sont succédés de 1909 à 1991 et en particulier aux 40 membres du personnel du Service de santé morts victimes du devoir depuis 1860 dans les hôpitaux militaires de Nancy. Tous ceux qui depuis tant d'années ont vu vivre, fonctionner, se moderniser l'hôpital Sédillot lié à la garnison, au centre de sélection, aux garnisons et bases des environs, ont eu le cœur brisé d'émotion. Jamais ils n'avaient imaginé sa disparition si rapide.

Les officiers de réserve résidant à Nancy ou dans les environs, qui représentent la continuité en face d'un personnel d'activé changeant, ont ressenti vivement pour Nancy cette nouvelle diminutio capitis et se sentent aujourd'hui un peu orphelins. Ils regrettent que n'aient pu être trouvées des solutions de rechange pour le Service de santé et pour les armées ou la santé en général. Ils s'inclinent cependant avec abnégation et discipline devant ces décisions.

Ils souhaitent que le fanion soit gardé précieusement comme le sont les drapeaux des formations dissoutes (le fanion, actuellement dans le bureau du directeur central, sera placé au musée du Val-de-Grâce), que le nom du médecin général inspecteur Sédillot soit donné à une formation active du service, hôpital, dépôt, école, formation sanitaire ou à défaut salle ou amphithéâtre.

 

* Charles Emmanuel Sédillot (1804-1883), affecté au Val-de-Grâce en 1824. Sous-aide major à l'hôpital d'instruction de Metz. Démonstrateur de médecine opératoire au Val-de-Grâce. Séjour en Pologne en 1830. Agrégé du Val-de-Grâce en 1835. Séjour en Algérie (opération de Constantine). Professeur de clinique chirurgicale à Strasbourg. Chirurgien de l'hôpital militaire. Directeur de l'école impériale du Service de santé. Médecin inspecteur en 1869. Professeur honoraire à la faculté de médecine de Nancy en 1872. Membre de l'Académie nationale de médecine et de l'Académie des sciences par dépêche ministérielle du 19 octobre 1913.