par P. LOUYOT
Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)
Annales Médicales de Nancy (édité en avril 1975)
« Dans la recherche de la vérité, les hommes font deux pas en avant et un en arrière. Les souffrances, les erreurs et l'ennui les font reculer, mais la soif de la vérité et une bonne volonté tenace les poussent toujours à l'avant. » Anton TCHEKHOV (Récits 1891)
La spécialité Rhumatologique a un demi-siècle d'existence.
Les maladies Rhumatismales ont cependant précédé l'apparition de l'homme sur la terre.
Longtemps rangées sous la bannière de la goutte, puis considérées comme le fruit d'humeurs peccantes « coulant au travers du corps jusqu'aux articulations », elles ne forment, pendant des siècles, qu'un groupe informe. Landré Beauvais, en 1800, dégage les prémices de ce qui deviendra plus tard les polyarthrites inflammatoires et les formes périphériques dégénératives.
A la naissance de la nouvelle Faculté, les choses en sont là. La goutte apparaît comme une entité dont quelques frontières (mais non pas toutes) se précisent : la découverte de l'acide urique dans les urines par Scheele (1776) et dans les tophus par Wollaston et Tenant (1797), les travaux cliniques appuyés par les études anatomo-pathologiques au milieu du XIXe siècle, la description du rein goutteux par Rayer, contribuent à l'authentifier. En revanche, quoique banale et fort répandue, l'« arthritis » est en stagnation, réputée de mal irréversible lié aux conditions défectueuses de vie et au triste destin de l'homme de vieillir et de mourir.
C'est pourquoi seules défrayent la chronique médicale les arthrites infectieuses ou suppurées, quelques malformations, quelques tentatives de chirurgie orthopédique. Ce n'est cependant qu'un silence relatif et momentané qui sera suivi d'une littérature plus diserte lorsque recherches biologiques, avènement de la radiologie, liés aux immenses progrès de la physique et de la chimie, autoriseront une connaissance plus approfondie de la nature des maladies, de leur diagnostic, de leur pronostic, et, partiellement, de leur thérapeutique. Jamais, dans l'histoire, la médecine n'a connu un bond aussi prodigieux dans le domaine de la connaissance que durant le siècle écoulé.
En conséquence, la rhumatologie 1874-1974 se déroule en deux demi-siècles, en deux phases assez bien tranchées, mais passant de l'une à l'autre sans brusquerie. Et ce changement se fait parallèlement dans les bâtiments qui l'abritent, dans les hommes qui la découvrent, dans les travaux et recherches qui en dévoilent les secrets.
1872 - A cette date, le découpage de la Médecine interne en spécialités serait impensable ; seule l'ophtalmologie fait exception. Il ne peut en être autrement en un temps où n'existe que l'observation clinique pure. Les rhumatisants tombent sous la loi commune, et s'ils sont plus nombreux dans les hospices, c'est en raison de leur incapacité physique souvent irrémédiable et de leur âge. Aussi la part faite à l'enseignement des maladies rhumatismales est tout naturellement plus grande dans les hospices que dans les cliniques de Médecine Interne.
C'est pourquoi l'Hospice Saint-Julien tient une place spéciale dans ce rappel historique ; il abrite les rhumatisants, et plus particulièrement au cours de ce dernier quart du XIXe siècle.
La fondation de l'Abbé Vernier était vouée primitivement « pour nourrir à perpétuité toute sorte de pauvres, malades en danger, infirmes et passants », de tout sexe, de tout âge, et gardera cette polyvalence jusqu'à la Révolution ; elle est ensuite réservée aux vieillards, ne recueillant plus que quelques enfants orphelins. Après 1870, l'accroissement de la population retentit sur le nombre des vieillards pauvres recueillis : 275 lits sont occupés au moment où, devant la vétusté et le manque de confort, E. Démange, dans un rapport alarmant (1887), réclame de nouveaux bâtiments. Cette proposition est sans doute inspirée par la construction somptueuse récente de l'hôpital civil. Venant appuyer l'avertissement, deux commencements d'incendie se produisent en décembre de la même année. Avec quelque retard, l'appel du médecin chef de l'Hospice est entendu et, grâce à de nombreuses donations faites en faveur des vieillards, la prise de possession du « Troisième Saint Julien » a lieu en 1900. A cette occasion, « souhaitons », dit Pfister, « que le troisième Saint Julien, pendant un long laps de temps, console les vieillards, embellisse leurs derniers jours, remplisse son office de paix... »
Le nouvel édifice répond aux désirs de ceux qui en ont la charge. Il offre des garanties de confort, de sécurité et d'espace. Le nombre des lits réservés aux vieillards pauvres atteint 394, auquel s'ajoutent la place pour 90 pensionnaires payants, 21 religieuses et 18 employés. Y sont accueillis les vieillards bien portants, une partie des bâtiments étant réservée aux malades, les deux sections étant désignées sous les noms de « chauffoir » et « infirmerie ». Tel est le dispositif qui durera pendant un demi-siècle.
Après la deuxième guerre mondiale, en 1947, une décision de M. le Ministre de la Santé, sous l'impulsion de la Ligue Sociale contre le Rhumatisme, prescrit aux Hôpitaux de certaines villes universitaires d'ouvrir un centre de consultations et de soins spécialisés pour les Rhumatisants. Décision prise, la Consultation de Rhumatologie ouvre ses portes le 1er avril 1948. Une «opération porte ouverte » décevrait alors les visiteurs : grâce aux subventions de fonctionnement et d'équipement accordées par les pouvoirs publics, ce service comprend essentiellement le bureau du Médecin Chef de l'Hospice de vieillards, où sont données les consultations, et quelques bancs en. bois blanc le long du couloir en guise de salle d'attente ! A quelques temps de là, plusieurs réclamations aboutissent à l'affectation d'une infirmière (restée fidèlement à son poste à la consultation jusqu'au 1er octobre 1974), puis en 1949, à l'attribution d'un local aux dimensions encore réduites, mais plus décentes.
Les premières publications de Hench sur les vertus de la cortisone découverte par Kendall, donnent une impulsion nouvelle à la Rhumatologie en 1949. Le Ministère de la Santé se procure la nouvelle hormone, alors très coûteuse, et sur les désignations proposées par Florent Coste, la distribue aux Chefs des Services de Rhumatologie de Paris et de province. « Presque à regret », avec l'arrière pensée d'une situation sans doute éphémère, quelques lits d'hospitalisation sont octroyés aux rhumatisants dans les salles de la Clinique médicale B. Mais l'afflux des malades, attirés par les articles de la presse d'information, oblige à prendre une décision moins précaire, et en 1951, les rhumatisants sont définitivement transférés à l'Hospice Saint Julien, avec une installation de 38 lits (18 hommes et 20 femmes). Pour la première fois, un service hospitalier prenait pied dans l'établissement.
Bien vite, il apparaît insuffisant ; ne disposant que d'une surface restreinte, enserré dans le corset rigide de ses murs, il parvient cependant à doubler le nombre de ses lits en quelques années, mais ceci dans l'inconfort et sans le secours sur place des moyens les plus élémentaires d'investigation.
L'adversité suscite l'ingéniosité : l'aide précieuse du Docteur et de Madame Hahn permet de réaliser un secteur de mécanothérapie, suffisant dans sa simplicité pour les besoins des malades ; un secrétariat est organisé, dans les combles du bâtiment, avec personnel et matériel, et ceci sans le moindre secours de l'administration ni des subventions que celle-ci perçoit. Enfin, en 1964, deux nouvelles sections sont créées, l'une de Podologie dans le cadre de la section Consultation, l'autre d'aide sociale, toutes deux confiées à la compétence et à l'efficacité du Docteur Ch. Gaunel.
Les Maîtres auxquels incombe le soin d'enseigner la Rhumatologie sont les Chefs de Service qui se succèdent à la tête du Service des vieillards à l'Hospice Saint-Julien. Rappelons brièvement leur mémoire.
Charles Démange (1815-1890), Professeur de Pathologie interne à l'Ecole préparatoire en 1856, devient Professeur adjoint dans cette même discipline en 1872, lors du transfèrement. Membre fondateur de la Société de Médecine (1842), il devient Chef de l'Hospice de vieillards, assurant un cours complémentaire clinique dans ce cadre durant les premières années de la Faculté de Nancy. Il n'a pratiquement pas fait de publications à sens rhumatologique.
Emile Démange (1846-1904), fils du précédent, ancien Interne des Hôpitaux de Paris, ancien élève du Laboratoire de Ranvier au Collège de France, est nommé agrégé au concours de 1878. D'abord Médecin adjoint, il succède à son père au poste de Médecin Chef de l'Hospice Saint-Julien, et reçoit, en novembre 1886, la première charge de cours officielle de maladies des vieillards. Ce poste oriente partiellement son œuvre vers les maladies du système locomoteur. En 1889, il est nommé Professeur de Médecine légale.
Pierre Parisot, déjà cité dans le rapport concernant la Médecine Interne, succède à E. Démange en 1889, aux titres de Médecin Chef de l'Hospice et de chargé de cours, mais, de bonne heure, témoigne dans ses écrits d'un goût prononcé pour les problèmes d'hygiène, puis de Médecine légale. Il conserve néanmoins ses deux premiers postes durant 14 ans, remplaçant ensuite Démange en Médecine légale au moment de la mort prématurée de celui-ci en 1904.
Georges Etienne reçoit à son tour le poste et les prérogatives de Médecin Chef de l'Hospice en 1904, et ceci pour une décennie qui sera féconde, durant laquelle apparaîtra son attirance pour la Rhumatologie. En 1914, il accède à la Chaire de Clinique médicale libérée par la retraite de Paul Spillmann.
Le 28 mars 1928, date historique, Georges Etienne prend part à la première réunion à la Salpétrière où est décidée la création de la Ligue française contre le Rhumatisme, suivant l'exemple donné 3 ans plus tôt par la Ligue internationale contre le Rhumatisme ; il accepte le poste de vice-Président. Maurice Perrin entre en même temps dans le Conseil.
Noblesse oblige : G. Etienne accroît son activité scientifique, déjà remarquable, dans le cadre de la nouvelle spécialité et ouvre la voie à ses élèves.
C'était encore l'époque où, comme l'écrit J. Forestier, « faute de reconnaître cliniquement les diverses formes de rhumatismes, la plupart des rhumatisants étaient renvoyés avec de bonnes paroles ou, dans les cas sévères étaient hospitalisés avec les « pilons » d'hôpital ou rangés parmi les incurables ».
Louis Richon est nommé en remplacement de Georges Etienne, en 1914, au poste de Chef de Service des maladies des vieillards, et suit la même voie scientifique à son retour de la première guerre mondiale, mais pour peu de temps puisque, en 1923, il devient titulaire de la Chaire de Pathologie Interne.
Au cours des années suivantes, la place de Médecin Chef de l'Hospice est tenue successivement par Lucien Cornil (1927), Pierre Simonin (1929), Paul Louis Drouet (1936), et enfin Paul Michon (1941) dont les préoccupations portent surtout sur l'Hématologie et ses projets de Centre de Transfusion sanguine. Le poste clinique de Saint Julien, habituellement attribué à un agrégé, était considéré comme une position provisoire dans l'attente d'une Chaire.
En 1951, le nouveau titulaire du poste devient Chef du Service de Rhumatologie, ce dernier recevant peu à peu le personnel indispensable : un, deux, puis trois Externes, un Interne, et quelques années plus tard, un deuxième. En 1956, un poste de Chef de Clinique est donné par la Faculté ; un deuxième le sera dix ans plus tard. Le rendement du Service justifie pleinement ces créations, autant par le nombre des malades que par la vitesse de « rotation » indispensable à la satisfaction du plus grand nombre de malades. Les quartiers de noblesse du Service comprennent enfin l'autorisation de dispenser l'enseignement du Certificat d'Etudes spéciales en 1958, la création d'une chaire de Clinique Rhumatologique au 1er novembre 1961, l'attribution d'un Agrégé de Médecine en 1963, la constitution, en 1970, de la Société de Rhumatologie du Nord-Est, groupant les Rhumatologues de trois provinces, Lorraine, Alsace et Champagne, et enfin, pour la première fois, la vacance d'un poste d'Agrégé de Rhumatologie en 1974.
L'œuvre scientifique du premier demi-siècle, de 1874 à 1925, comporte d'abord des publications rares et espacées, relatant des faits isolés.
Est-ce ironie ou humour ? Les premières allusions à la Rhumatologie dans la Revue médicale de l'Est sont d'essence publicitaire (la revue doit vivre). Ainsi voit-on vanter « la flanelle végétale et autres produits hygiéniques du pin sylvestre de forêt (sic), employés avec la plus grande efficacité contre les douleurs de goutte, de rhumatisme et de névralgie », ou encore le remède alléchant du Dr Cocheux : « La colchicine, dit celui-ci, est à la goutte ce que la quinine est à la fièvre (Fiévée)... Je me suis guéri, j'ai guéri mes amis, je veux guérir tous les goutteux ». Candeur ou présomption ? ou les deux tout ensemble ?
Parmi les premiers travaux parus, il faut citer celui du jeune agrégé Emile Démange concernant l'ostéomalacie sénile. Rappelant le premier cas décrit par Trousseau, et la thèse de Bouley en 1874, l'auteur a le mérite de montrer, à propos de deux observations (1881), que l'ostéomalacie peut se développer chez le vieillard comme chez l'adulte, et que, différente de l'ostéoporose sénile, elle doit en être distinguée. A l'appui de son opinion, Démange présente une pièce convaincante, c'est-à-dire le bassin de l'une de ses malades, préparé par Baraban, bassin « tricorne » porteur de fissures et fractures spontanées des branches pubiennes, insistant sur ces lésions bien avant la description radiologique de Looser (1908). Il décrit également les lésions histologiques rencontrées, reprises par Pommer en 1885. Plus tard, le même sujet fit l'objet d'études de P. Spillmann et Perrin (1906), puis d'Etienne (1910), puis de la thèse de Dauplais (Nancy, 1911).
Parmi les thèses analysées dans les premiers tomes de la revue, citons « La congestion pulmonaire au cours du R.A.A. » (Moreau), « Etude sur les modes de traitement du R.A.A. (Haemmerlin), étude expérimentale et clinique sur les accidents causés par le salicylate» (Lahalle). Ces thèmes répondent à l'une des préoccupations de l'époque, malgré l'ancienneté des premiers travaux de J.B. Bouillaud (1825), à la recherche de l'étiologie et de la pathogénie de la maladie.
Citons les publications de Paul Simon sur le rhumatisme noueux (1893), de Paul Haushalter sur la polyarthrite chronique progressive de l'enfant (1893), sujet de la thèse soutenue l'année précédente par Cery ; de P. Parisot et L. Hoche sur l'endocardite aiguë rhumatismale chez le vieillard ; du même Haushalter sur le rhumatisme blennorrhagique du nouveau-né, alors que neuf ans plus tôt, Bernheim avait décrit les formes monoarticulaires relevant de cette infection diplococcique, rappelant à cette occasion l'iritis qui, selon lui, est une « généralisation de la maladie répondant au vieux terme de lues gonorrheica ».
La production de Georges Etienne, plus que d'autres, s'attache aux maladies ostéoarticulaires concernant les arthropathies nerveuses (plus de 20 publications entre 1898 et 1913), principalement d'origine tabétique, l'ostéoarthropathie hypertrophiante de Pierre Marie, la spondylose rhizomélique. En revanche, aucun travail sur la goutte ne paraît, et, apparemment, seul Guilloz porte intérêt à cette diathèse en proposant à son égard l'emploi de l'électrothérapie (1899). Bien entendu, le rhumatisme chronique déformant n'est pas oublié, étudié par G. Etienne, puis plus tard par P. Haushalter, par M. Perrin et J. Parisot (1906).
Les lésions ostéoarticulaires bactériennes, notamment les ostéoarthrites tuberculeuses intéressent les chirurgiens. Les malformations font l'objet de travaux également nombreux, parmi lesquels la maladie exostosante est la plus connue, soit sous sa forme généralisée, soit sous une forme localisée lorsqu'elle entraîne une complication de compression vasculaire ou nerveuse. Tels sont les cas de G. Michel, de G. Gross et M. Barthélémy, de T. Weiss, et surtout de René Froelich qui en recueille un certain nombre de cas dans son service de chirurgie infantile. La spina bifida est étudiée dans quelques travaux, notamment dans la très bonne thèse de Charles Clément (1888).
En 1912, Louis Sencert publie une observation de myostéome du carré des lombes, développé entre la première et la quatrième année après un traumatisme violent. La radiographie n'a pas été reproduite (ce n'était pas la coutume à l'époque, d'autant plus que les clichés sur grandes plaques de verre étaient peu maniables), mais décrite avec précision. Ce cas est le premier connu des anomalies développées au niveau des apophyses transverses lombaires.
Un événement d'un autre ordre a marqué le début du XXe siècle. Reprenant une notion géologique ancienne, un architecte nancéien, M. Lanternier, procédant à un forage de 800 m et 32 cm de profondeur au Parc Sainte-Marie (1908), amène au jour l'eau d'une source chaude (36°), chlorurée sodique et sulfatée calcique, lithinée et radioactive, dont Charles Thiry fait la présentation devant la Société de Médecine en 1909. En 1911, Ch. Barachon consacre sa thèse à cette source, précisant son efficacité dans les cas d'arthralgies, de rhumatisme chronique, de goutte, de lithiase urique et oxalique. L'étude pharmacodynamique montre que son ingestion accroit la diurèse, l'uricurie, l'azoturie et l'élimination des déchets chlorurés et phosphatés (Revue médicale de l'Est, 1914).
Enfin, cette période d'avant-guerre est marquée par la publication très originale des « Cliniques médicales iconographiques », parue en 1901, sous la signature de P. Haushalter, G. Etienne, L. Spillmann, Ch. Thiry, volume dans lequel paraissent des observations d'acromégalie, de rachitisme, de rhumatisme chronique déformant, d'ostéomalacie.
Durant la guerre, quoique mises en bonne place dans l'actualité par le froid, l'humidité, la nourriture défectueuse, l'alcool, les insomnies, la boue des tranchées, les maladies rhumatismales sont presque absentes dans les Comptes Rendus de la Société de Médecine (la Revue médicale de l'Est ne parait pas entre 1914 et 1919), les programmes étant remplis d'autres sujets. Le rhumatisme articulaire aigu sévit pourtant dans l'armée (Costedoat et Jeannest) ; sa transmission d'homme à homme, plus que par l'habitat, est mise en valeur par Grenet en 1916 ; d'ailleurs, sa nature infectieuse était reconnue en France depuis 1913 déjà.
Le retour de la paix apporte un regain d'intérêt aux problèmes rhumatologiques. Dix ans plus tôt, les premiers travaux étrangers, anglo-saxons et allemands surtout avaient dissocié les syndromes inflammatoires et dégénératifs, notion universellement admise depuis lors. Pour la première fois, ce concept apparaît devant la Société de Médecine de Nancy dans la communication de M. Mutel, intitulée « Mal de Pott et lombarthrie » (1919) à propos de 17 observations cliniques et radiologiques.
Le rhumatisme articulaire aigu reparaît encore. G. Etienne donne successivement des études sur l'infection rhumatismale (1930, avec Gerbaut), sur les formes abarticulaires, sur les péricardites rhumatismales, un numéro de la Revue du Rhumatisme de 1934 étant réservé aux travaux de l'école nancéienne. Parallèlement, A. Hamant, A. Bodart et P. Chalnot rapportent un cas de syndrome abdominal au début d'un RAA, et Folly fait connaître ses premiers résultats thérapeutiques obtenus avec le vaccin de Bertrand (1931).
A cette même époque, L. Richon et G. Girard s'intéressent à la polyarthrite de l'enfance (1929) et R. Froelich aux polyarthrites déformantes progressives juvéniles (1931). Le travail de M. Perrin et A. Cuénot sur le traitement des rhumatismes chroniques par le venin d'abeilles (1933) suscite un grand intérêt, intra et extramuros, en un temps où l'emploi des venins est de mode, traitement utilisé ensuite pendant plus de 30 ans. Le sens clinique prédominant de tous ces travaux est à souligner.
Parmi les analyses de laboratoire, la vitesse de sédimentation globulaire fait l'objet d'une première publication à Nancy devant la Société de Biologie le 8 juin 1926, par les soins de M. Perrin, M. Mosinger et R. Grimaud, ces auteurs ayant suivi les variations de l'épreuve sous crénothérapie à Bussang et à Nancy Thermal. Parmi leurs malades se trouvent 36 sujets porteurs d'une atteinte du système locomoteur.
Les années d'après-guerre marquent le renouveau d'une évolution plus féconde, d'un approfondissement des connaissances : tout y contribue, la radiographie, devient peu à peu un auxiliaire de routine, le laboratoire s'impose par la valeur de ses renseignements, l'anatomie pathologique est volontiers consultée, non seulement post-mortem, mais aussi in vivo.
Les échanges intellectuels sont plus fréquents et facilités par les déplacements faciles et rapides ; les spécialistes s'organisent en sociétés. La pensée s'enrichit à la source des revues spécialisées, des contacts directs dans les congrès, et surtout par le travail en commun, en équipe, où chacun apporte le meilleur de lui-même et le fruit de ses recherches. Il n'y a pas de commune mesure entre le rendement de 1880 et celui de 1930, début du deuxième demi-siècle.
La date 1925-1928, consécration des Ligues contre le Rhumatisme naissantes, coïncide avec l'écartèlement de la Médecine interne. Les premières spécialités se sont constituées sous la poussée des règles d'hygiène ; tuberculose, maladies vénériennes sont les premières. La cardiologie et la rhumatologie viennent ensuite ; elles ne sont pas encore complètement détachées, mais risquent de l'être, portées vers la scissiparité, par la découverte de techniques spéciales.
Un premier danger, un moment redouté, de voir tarir l'apport scientifique aux revues de médecine générale au profit des publications spécialisées, semble écarté par la réservation de certaines réunions de la Société de Médecine aux diverses spécialités, chacune d'elles alimentant ainsi les Annales de Médecine de Nancy pour fournir au praticien son « recyclage » mensuel, base de son effort personnel de synthèse. Un deuxième danger, qui n'est pas moindre, est le cloisonnement excessif et le découpage de l'homme en tranches.
Sur ces deux points, la rhumatologie a gardé jusqu'alors une ligne de conduite rationnelle.
Successivement, les multiples aspects des affections ostéo-articulaires sont abordés : la polyarthrite chronique évolutive (ou rhumatoïde), ses signes digestifs, la spondylarthrite ankylosante, ses manifestations cutanées, thoraciques, radiologiques, les arthroses, de la hanche surtout, les désordres métaboliques et enzymatiques, chondrocalcinose, goutte, déminéralisations osseuses. Les modifications trophiques réflexes, régionales et plurifocales sont également étudiées, de même que ce syndrome particulier qui est, non pas un phénomène réflexe comme on l'a prétendu, mais un dysmétabolisme d'origine médicamenteuse et pour lequel nous avons proposé le terme de capsuloligamentite iatrogène, plus spécifique. On peut citer encore les travaux portant sur les localisations osseuses des hémopathies, de la maladie exostosante familiale, l'ostéopoecilie, les formes rares de spina-bifida, la maladie de Jaffé-Lichtenstein. Evidemment, la maladie de Paget n'est pas oubliée.
Dans le domaine de la biologie, il est question aussi de l'équilibre ionique, de divers tests, et en particulier de l'hypersensibilisation cutanée aux allergènes microbiens.
Les Annales médicales de Nancy ont consacré de nombreuses pages à tous ces problèmes, tandis que, se refusant à un isolement stérile, la Rhumatologie a tiré profit de la collaboration avec d'autres disciplines sur différents sujets : tels par exemple les problèmes immunologiques (avec le Service de Médecine D), l'intolérance digestive aux anti-inflammatoires, sur le plan expérimental (avec le laboratoire de Pharmacologie), et en clinique (avec le service de Médecine C), les indications chirurgicales des affections vertébro-médullaires (avec le service de Neuro-chirurgie), les aspects architecturaux de la hanche (avec le laboratoire d'Anatomie), etc... En médecine, la liaison entre les disciplines diverses est condition de vie et de progrès ; leur séparation par des cloisons étanches constitue une menace d'asphyxie.
Les travaux de recherche en Rhumatologie seraient incomplets s'ils se désintéressaient de la thérapeutique, but final de l'action médicale.
Les corticoïdes (auxquels, comme on l'a vu plus haut, est due la création de la section hospitalisation) ont fait l'objet de nombreuses publications entre 1950 et 1960, ayant pour but de préciser les effets bénéfiques quasi-miraculeux, malheureusement avec la contre-partie d'inconvénients majeurs et d'accidents sévères.
Les anti-inflammatoires ont été expérimentés les uns après les autres ; dans le domaine des immunodépresseurs, le premier essai a été effectué en 1951 avec la moutarde à l'azote.
La liste des travaux à visée thérapeutique est longue, allant des inclusions cristallines sous-cutanées, du sérum de Bogomoletz, des méthodes de Filatov, de Lewin et Wassen, des boues radio-actives, jusqu'à l'emploi du Ra 224 par voie générale et intra-articulaire, les enzymes (hyaluronidase, hépatocatalase, uricase), la chrysothérapie et les impératifs de ses succès, la thyrocalcitonine...
Ce n'est pas tout. Comme l'implique la première appellation de la société spécialisée, les maladies rhumatismales, auxquelles on n'oppose encore que des traitements incomplets et imparfaits, induisent l'obligation d'aider les malades frappés d'incapacité, de tendre vers l'amélioration des conditions de vie autant pour le patient que pour la collectivité, de rechercher aussi la solution équitable aux problèmes médico-légaux, quotidiennement posés. C'est là tout un programme, curatif et préventif, qui s'échaffaude lentement.
Dans cet esprit, plusieurs métiers, pris comme types, ont fait l'objet d'études systématiques au regard de leurs incidences avec le rhumatisme dégénératif du rachis. Les publications successives, échelonnées sur 20 ans, débouchent sur un tableau d'ensemble, dressé en 1972 pour définir l'aspect social du rhumatisme en Lorraine ; en cela la section sociale du service, en recherche depuis 1964, est rejointe par l'impulsion rénovée de l'Association Française de Lutte anti-Rhumatismale.
L'activité scientifique de l'école nancéienne tire aussi profit de ses contacts avec les autres centres universitaires auxquels elle a eu l'honneur d'offrir l'hospitalité lors des réunions provinciales de la spécialité en 1952, 1964, 1974. De tels échanges fécondent la pensée rhumatologique, affinent les concepts d'écoles, créent l'émulation vers le progrès.
La Revue médicale de l'Est porte les traces des premiers pas de la spécialité rhumatologique, de ses hésitations comme de ses premiers succès. Les maîtres de la première heure, sûrs de la bonne voie où ils se sont engagés, l'ont montrée à leurs disciples ; leurs écrits ont marqué le début d'une saine adolescence, aujourd'hui en plein épanouissement ; ils marquent les jalons du chemin parcouru. Mais la route qui s'ouvre sera longue.
La Rhumatologie est faite d'hypothèses plus que de certitudes. En bien des chapitres, la thérapeutique, par le nombre des moyens proposés et leur vogue éphémère, est souvent peu encourageante. L'aide sociale au rhumatisant rencontre plus d'un obstacle.
Nombreux pourtant sont ceux qui s'engagent dans la voie d'une spécialité, moins spectaculaire que d'autres, mais prometteuse de satisfactions réelles à ceux qui consentent à lui consacrer le meilleur de leur labeur.