Souvenirs de mes années 1940
Pierre SCHOUMACHER -
1987
Lorsqu'on évoque les années 1940,
pour la plupart d'entre vous qui n'étaient pas nés, c'est un peu la
préhistoire. Pour moi, c'était hier, tant une carrière médicale et hospitalière
peut sembler brève lorsqu’on arrive au terme du voyage.
Ce rappel de souvenirs ne
pourrait être que l'expression de mes années de jeunesse.
Mais j’ai eu le grand privilège
au cours de ma carrière de vivre une épopée sans précédent
où la médecine a fait d'énormes progrès.
En 1940, dans de nombreux
domaines, la médecine et la vie hospitalière étaient bien plus proches de la
fin du 19 ème siècle qu'elles ne le sont aujourd’hui. Nombre de traitements
jugées actuellement indispensables, non seulement n'existaient pas, mais leurs
découvertes elles-mêmes paraissaient inespérées.
A cet effet, je me revois encore
en 1942, étudiant de 2ème année et assistant à une clinique en service de
médecine. Nous étions tous rassemblés autour de la malade dans un petit box au
fond de la salle commune, et nous écoutions avec attention les commentaires de
notre moniteur, un jeune chef de clinique, qui devint ensuite un grand
professeur que vous avez tous connu.
La patiente était une jeune
fille couchée en chien de fusil sur son lit dans la pénombre.
Notre chef, petit par la taille,
se hissait à la tête du lit et sur la pointe des pieds pour exprimer d'un ton
doctoral des faits importants. Il affirmait que le diagnostic porté, et ceci de
façon formelle, était celui de méningite tuberculeuse, bien que l'on n'ait pas
trouvé de bacille de Koch dans le liquide céphalo-rachidien, ce qui était
habituel à l'époque.
De ce fait, étant donné que nous
ne disposions d’aucun moyen thérapeutique efficace, cette pauvre fille était
condamnée à une mort certaine. Il ajoutait que le bacille de Koch avait une
épaisse capsule de cire qui le rendait acido et alcoolo résistant. On pouvait
le tremper dans l'acide le plus concentré ou dans l'alcool absolu sans le
détruire, et dans ces conditions, il était impensable de découvrir un jour un
traitement efficace.
Vous savez tous ce qu'il est
advenu du traitement et du pronostic de cette affection quelques années plus
tard avec l'avènement de la streptomycine.
Mais je dois également vous
conter l'épilogue de cette histoire. Nous avions tous, jeunes étudiants, été profondément
frappés par le destin tragique de cette jeune fille qui avait notre âge. Aussi,
huit jours plus tard, nous avons été trouver discrètement
la sœur de la salle pour avoir quelques nouvelles sur le sort de la malheureuse.
Elle nous accueillit avec le sourire et nous dit qu'on pouvait la voir et
qu'elle prenait son déjeuner.
L’externe de la salle nous donna
de plus amples explications. En fait le diagnostic de méningite tuberculeuse
avait été porté un peu hâtivement, il s'agissait simplement d'une méningite
lymphocytaire bénigne spontanément curable.
Cet exemple clinique m'est
toujours resté présent et j'en ai tiré deux conclusions :
Tout d'abord l'erreur est
possible en médecine et ensuite l'espoir est toujours permis même dans les cas
jugés désespérés.
J'ajouterai d'ailleurs que j'ai
vu au centre anticancéreux à plusieurs reprises des malades apparemment condamnés
à une mort prochaine, renvoyés dans leurs foyers, se présenter quelques mois
plus tard à la consultation en pleine santé apparente. A nous d'en tirer une leçon
de modestie.
Il faut également garder
confiance dans l'avenir de la médecine, des découvertes inespérées pouvant
toujours démentir les dogmes les mieux établis.
Les études médicales de l'époque
duraient 6 ans et étaient précédées d'une année de préparation : le PCB
(photo de la promo - 1940) qui se déroulait à la faculté des sciences dans le quartier de la Craffe, c’est
à dire à l'Institut de Physique Chimie Biologie. En 1940, le nombre d’étudiants
était limité par les difficultés que beaucoup d'entre nous avaient pour
rejoindre Nancy restée en zone interdite. L'atmosphère était celle d'une
franche camaraderie renforcée par de nombreuses sorties collectives.
1ère année
Après cette année de détente
relative, les choses nous paraissaient plus sérieuses, lorsque nous
franchissions les portes de la faculté de médecine dans le quartier Saint
Pierre.
Les cours et les travaux
pratiques étaient communs aux deux premières années, le programme étant étalé
sur 2 ans, ce qui favorisait les relations entre étudiants d’années
différentes.
Le premier semestre était le
plus important car il était consacré à l'anatomie et à l'histologie, qui
représentaient alors la base de l'enseignement. Celui de l'anatomie était
fondamental et 4 après midi par semaine,
nous nous retrouvions tous de 2 à 4 heures en salle de dissection.(photo de la promo - 1941 )
Inutile de décrire l'impression
désagréable ressentie lorsque nous pénétrions pour la première fois dans cette
immense salle froide où régnait une forte odeur de formol qui nous prenait au
nez et où une dizaine de cadavres étaient alignés sur des tables en pierre. Nous
étions accueillis par le Professeur Beau, alors jeune agrégé, dont la froideur
apparente de maitre de cérémonie complétait admirablement l'atmosphère morbide.
Mais peu à peu le climat se
réchauffait, les conversations engendraient un brouhaha général en même temps
qu'un lourd nuage de fumée emplissait la salle, chacun allumant cigarette ou
pipe pour se donner du courage avant d'entreprendre la dissection.
La dissection se passait par
équipe de 2 ou 3 équipes travaillant sur le même cadavre tout en compulsant le
petit Rouvière.
En salle de dissection
Le professeur et les aides
d’anatomie passaient de tables en tables pour donner des conseils ; ils se
mêlaient volontiers aux discussions qui portaient sur les sujets les plus
variés. La première impression désagréable passée, ces heures étaient des moments
de détente dont nous avons conservé de bons souvenirs.
2ème année
L'histologie nous était
enseignée de façon magistrale par l'un des grands maîtres de l'époque, le Professeur
Remy Collin. Ses cours
essentiellement consacrés à l'histophysiologie de
l'hypophyse, se référaient à des travaux personnels. Il s'exprimait toujours
dans un langage châtié et fascinait son auditoire par la clarté de son exposé.
Personnage qui nous paraissait déjà d'un autre âge, il portait toujours des
binocles et un col dur cassé et amidonné.
Je me souviendrai toujours de
l'épreuve de TP d'histologie où j'avais confondu une coupe de testicule avec
une coupe d'antéhypophyse. Devant ce sacrilège, les binocles en sont tombés sur
la table d'indignation et bien sûr je fus recalé.
Le deuxième semestre était
consacré à l'enseignement de la physique, de la chimie et de la physiologie. La
chimie et la physique occupaient peu de place.
Le Professeur Robert devait
interrompre une fois par semaine son passe temps favori, la pêche, pour venir
de Lunéville faire son cours sur les protides, les glucides et les lipides.
Son sujet favori était le lait,
et, à cette occasion, il nous faisait
l’inventaire de tous les objets insolites que l'on trouvait dans les bidons de
lait à la laiterie Saint Hubert, tels que vieilles chaussures, bottes, chats,
rats, souris crevés et j'en passe.
Il faut dire que l'examen se
passait gentiment. Le candidat était invité à choisir son sujet qui
infailliblement était le lait. Seuls ceux qui s'étaient distingués en chahutant
pendant les cours étaient recalés.
La physique était enseignée dans
une atmosphère houleuse. Le Pr Georges Lamy apparaissait sur son bureau, le
visage congestif, lisait à voix basse son cours sur le fonctionnement du tube
de Crookes en sautant de temps en temps inconsciemment quelques pages au milieu
des piécettes et objets divers qui atterrissaient autour de lui.
Seule la physiologie était prise
plus au sérieux. Elle nous était enseignée par le Professeur Chailley Bert, à
l’allure de lord anglais qui ne manquait pas une occasion de faire référence à
son illustre beau père, Paul Bert, et à son maître Charles Richet.
3ème année
La troisième année (photo de la promo) était
essentiellement consacrée à l'anatomie pathologique et à la bactériologie. Nous
avons eu le privilège de bénéficier de l'enseignement d’un brillant élève du Pr
Remy Collin, le Professeur Pierre Florentin, directeur du Centre anticancéreux.
Ses cours remarquablement illustrés par des schémas simples et clairs, faits au
tableau, séduisaient l'auditoire.
Le Professeur Paulin de Lavergne avait des qualités d'orateur et d'enseignant
exceptionnels. Ses cours étaient de véritables spectacles où l'auditoire était
à la fois captivé par le verbe et amusé par les gestes et les mimiques.
Paulin de Lavergne
On le voyait ainsi certains
jours traverser l'estrade genoux ployés,
les bras tombant ou majestueusement pour indiquer la banalité ou la rareté dune
bactérie ; ou encore pour retenir l’attention, rattraper au dernier moment sa
paire de lunettes qu’il avait malicieusement laissée glisser sur son pupitre.
A partir de la quatrième année,
les cours étaient peu fréquentés. Nos fonctions d'externe et la préparation à
l'internat se substituaient avantageusement
aux cours de pathologie.
5ème année
En 5ème année, l'hygiène et le
traitement des gadoues intéressaient peu de monde.
Seuls les cours de thérapeutique
du Pr Kissel emplissaient l'amphithéâtre.
Pour d'autres raisons, nous
fréquentions le cours de médecine légale du Pr Mutel.
Avec un flegme non simulé, il avait l'art de distiller nombre d'histoires
drôles touchant une discipline qui ne s'y prêtait guère.
Enfin, la 6ème année était
consacrée à la préparation des examens cliniques et à la thèse.
Salle des thèses (1954)
Dans le cursus des études
médicales, les examens ne constituaient au pire qu’un barrage temporaire pour l’étudiant
qui arrivait presque toujours à décrocher son diplôme de médecine, à condition
d'avoir la patience et d'y mettre le temps. La seule sélection était celle des
concours hospitaliers (interrompus de 1943 à 1945). On peut dire qu'un étudiant
sur 3 devenait externe et qu'un externe sur 3 ou 4 devenait interne.
L'externat se passait
habituellement en fin de 2ème année, mais dès le début de la première année,
nous assistions aux conférences faites pas les internes.
L'examen comprenait 3 épreuves: une
d’anatomie et deux épreuves médicales, l’une de médecine dite de pathologie
interne et l’autre de chirurgie dite de pathologie externe. Chaque épreuve
consistait en un exposé oral de 5 minutes devant le jury après tirage au sort
des questions et préparation de 10 minutes.
Le concours d'internat se
passait généralement en 5ème ou 6ème année et nécessitait une préparation
intensive. A cet effet, notre livre de chevet était les « Conférences de
clinique » de Louis Ramond en 13 volumes.
Le concours comportait 3
épreuves: anatomie - pathologie interne- pathologie externe, chacune d’une durée d'une heure.
Après les épreuves, le candidat
lisait sa copie devant le jury sous la surveillance d'un camarade. Mais si
l'écrit était discriminatoire, le résultat final et le classement étaient
essentiellement en rapport avec les résultats de l'épreuve orale, éminemment pratiques,
c'est-à-dire « l'épreuve des malades ».
Le candidat avait 1/4 d'heure
pour examiner le malade tiré au sort et demander les quelques examens
complémentaires nécessaires pour préciser le diagnostic. Après 15 minutes de
réflexion, il devait en 10 minutes présenter le malade devant le jury en
exposant successivement les symptômes, les signes cliniques et biologiques, le
diagnostic différentiel, le diagnostic affirmé ou présumé, le traitement et
éventuellement le pronostic. Enfin, une épreuve d'urgence départageait les ex-æquo.
Il faut dire que quel que soit
le résultat, la préparation au concours, dans un esprit de compétition et plus
particulièrement celle de l'épreuve de malades, constituait un enseignement
fécond et vivant. Pour nous entrainer, nous faisions de nombreuses
présentations de malades aux anciens internes et à quelques agrégés comme les
Pr Chalnot et Kissel. On apprenait ainsi la
discipline et la rigueur de l'examen clinique. On s’entrainait également à
observer, à réfléchir, et à exposer.
Cet enseignement complet
englobait la maladie, c'est à dire la pathologie et également le malade c’est à
dire l’investigation clinique. La proclamation des résultats était suivie du
traditionnel baptême. A cette époque, le nombre total des internes en exercice était
limité à 15 ou 20, ce qui favorisait les réunions amicales et les sorties
communes.
L'enseignement clinique au lit
du malade ayant lieu tous les matins à l'hôpital, dès la première année, les
externes avaient le privilège de participer pleinement à la vie des services et
de faire partie du personnel médical de l'hôpital.
En 1943, au début de mon
externat, les hôpitaux étaient la propriété pleine et entière des sœurs de
Saint Charles qui en assuraient la gestion. L'administration était réduite à sa
plus simple expression, c'est à dire à un économe gestionnaire et à un
trésorier auprès duquel nous allions chercher à la fin de chaque mois notre
maigre pécule.
Le personnage suprême et tout
puissant et pour nous un peu mystérieux était la supérieure des soeurs de Saint
Charles. Son pouvoir absolu pouvait à l'occasion aller jusqu'à faire ou défaire
une carrière médicale.
Elle disposait d’un service de renseignement
parfaitement structuré car la communauté exerçait un contrôle absolu et
permanent sur tous les services. Les responsables des services et des salles
communes étaient des sœurs dont l'autorité
était d'autant plus grande qu'étant donné leur âge canonique, elles
avaient souvent connu le chef de service alors qu'il n'était qu'externe, et il
était courant de désigner un service ou une salle par le nom de la sœur
responsable. Il faut dire toutefois que beaucoup de ces sœurs étaient à l’époque
des femmes remarquables d'une grande intelligence ayant acquis sur le terrain
une expérience considérable. De plus, disponibles 24h sur 24 et dévouées, elles
assuraient auprès des malades un soutien moral irremplaçable.
La population hospitalière à
l'époque était également différente de celle d'aujourd'hui L'hôpital était
essentiellement réservé aux classes sociales les plus défavorisées qui ne bénéficiaient pas souvent de
prestations financières maladie.
La sécurité sociale n'existait
pas avant 1945. Seuls des salariés non cadre étaient obligatoirement inscrits à
une caisse mutuelle d’assurance maladie ce qui représentait en fait une
minorité de la population dans un pays encore à l'époque essentiellement
agricole.
Les médecins peu ou pas
rétribués exerçaient tous à temps partiel. Ceux qui n'avaient pas de fonction
universitaire trouvaient leur revenu dans un exercice en clientèle privée ou
comme consultant. Cet exercice était grandement favorisé par le titre
prestigieux de « chirurgien ou médecin des hôpitaux ».
Ces facteurs socio-économiques
retentissaient également sur les mentalités. Les malades étaient peu ou pas
revendicateurs. Ils acceptaient sans grande explication et avec un certain
fatalisme le verdict et les décisions médicales même lorsqu'elles se
traduisaient par des mutilations importantes.
Le problème de la vérité au
malade ne se posait pas. L'image du médecin qui donnait gratuitement des soins
aux pauvres et aux indigents était grandie. Le pouvoir médical était
considérable.
Au début des années 40, certains
chirurgiens commençaient à s'intéresser à la chirurgie fonctionnelle à la suite
des travaux de Leriche, mais le chirurgien restait encore essentiellement
dirigé vers la technique sur la base de ses connaissances anatomiques.
Nombre de techniques
chirurgicales utilisées couramment aujourd’hui étaient déjà décrites, mais les
conditions de réalisation de ces interventions avaient peu évolué depuis
l'époque pasteurienne c’est à dire de l'asepsie.
L'intervention majeure était
alors la gastrectomie subtotale. Ne disait-on pas qu’elle constituait le brevet
du chirurgien et cette confirmation était acquise à l'interne qui, en fin de
4eme année, avait le privilège de réaliser sous la direction du patron ou du
chef de clinique sa première gastrectomie.
Il faut dire que ses indications
étaient alors très larges. Pratiquement tout ulcère qui ne répondait pas
rapidement favorablement au traitement médical ou qui récidivait était opéré. Et
j'ai vu nombre de jeunes de 20 ans ou même moins subir cette intervention qui
était grevée d'une mortalité opératoire
inacceptable aujourd’hui.
En effet les conditions de
réalisation des interventions étaient précaires. Les techniques d'anesthésie
générale utilisées nous paraissent aujourd'hui d'un autre âge. L’anesthésie
était réalisée au Schleich (chlorure d’éthyle – éther
- chloroforme) au masque d'Ombredanne, ou encore chez
l'enfant au chloroforme en goutte à
goutte sur une compresse.
Les moyens de réanimation se
limitaient à l'inhalation d'oxygène et si nécessaire des transfusions de bras à
bras, en utilisant en cas d'urgence le donneur que l'on avait sous la main,
c'est à dire un brancardier ou l'externe de service.
Inutile d’ajouter que l'on ne
disposait ni d'antibiotiques pour juguler l'infection, ni d’anticoagulant pour
traiter les thromboses.
Dans de telles conditions la
mortalité opératoire était fonction essentiellement de la maitrise du
chirurgien, de la sureté et de la rapidité du geste. La durée d'une intervention
ne devait pas dépasser en principe 60 minutes sans risque d’augmenter de façon
intolérable les risques opératoires.
A cet effet l'adresse et la
célébrité du Pr Hamant étaient légendaire, il était capable de battre des
records. Personnage hors du commun, doué dune personnalité puissante et
colorée, son influence lorsqu’il se trouvait dans un jury d'internat pouvait
être décisive pour le candidat. Ainsi, tout externe soucieux de son avenir se
devait de faire un stage en chirurgie B. La journée du Pr Hamant commençait à
5h30 à la clinique Bonsecours.
Lorsque 8H sonnait à la chapelle
de l'hôpital, il arrivait au service portant sous son bras sa traditionnelle
bicyclette jusqu'à son bureau. Tout le personnel médical l'attendait dans un
alignement parfait.
La visite commençait et entouré de ses gardes du corps, chef de clinique et internes. Il parcourait au pas de course les 4 salles du service, suivi de la
cohorte des externes.
Après cette courte visite
débutaient les séances opératoires. Le Pr Hamant se
réservait les 2 ou 3 interventions jugées les plus importantes, puis le chef de
clinique et les internes prenaient le
relais.
Le tableau opératoire était
toujours très chargé : gastrectomie, colectomie, cholecystectomie se
succédaient.
Les interventions gynécologiques
les plus courantes étaient l'hystérectomie subtotale avec annexectomie
réalisée souvent chez des femmes jeunes de moins de 30 ans pour saignements ou
chez des femmes plus âgées pour fibrome. Les cancers gynécologiques étaient
traités généralement par Wertheim ou Halsted.
Certaines interventions peuvent
paraitre aujourd’hui anachroniques. Ainsi les péritonites tuberculeuses avec
épanchement, très fréquentes à l'époque, étaient traitées et parfois guéries
par simple exposition des lésions après laparotomie. Il s’agissait en l'occurrence
d'une forme d'héliothérapie.
Les hernies et les appendicites
étaient, bien sûr, l'apanage des internes, mais lorsqu'un externe
avait été jugé particulièrement méritant, il avait le privilège à la fin de son
stage de réaliser l'une des interventions sous le contrôle d'un chirurgien
expérimenté.
La traumatologie occupait également
une place importante et une salle au service des hommes était réservée à ces
blessés.
L'enclouage des fractures du
col, la pose de broches étaient des
interventions courantes. La réduction des fractures, de même que la recherche des corps étrangers
se faisaient sous contrôle scopique avec « la boule de Siemens »,
l'externe tenant l'écran. Ces appareils étaient mal protégés et nombre de
chirurgiens de l'époque ont gardé des séquelles sous forme de radiodermites au
niveau des mains.
Enfin, il faut dire que les ostéomyélites
étaient fréquentes et en l'absence
d'antibiotiques, le traitement était essentiellement chirurgical.
Dans les services de chirurgie
le rôle essentiel de l’externe était celui d'anesthésiste. Inutile de décrire
la terreur panique qui pouvait s'emparer de nous lorsque nous étions amenés à donner
dans le service du Pr Hamant la première anesthésie
générale pour le patron.
L'apprentissage était des plus sommaires.
On nous mettait l’appareil d’Ombredanne dans les mains après avoir versé dans
le réservoir une ampoule de Schleich. On nous expliquait qu'il fallait
simplement monter progressivement la
manette au repère 8, jusqu'à ce que le malade dorme, ce qui s’appréciait par
l'abolition du réflexe palpébral, en mettant le doigt sur la cornée. Puis on
devait redescendre progressivement la manette en surveillant la respiration du
malade, c’est à dire le rythme d'expansion de la vessie et l’état de la
pupille.
En fait il fallait beaucoup de
doigté pour naviguer entre les 2 écueils, c’est à dire la syncope qui était
annoncée par une mydriase et le réveil du malade associé parfois à des
vomissements.
Lors des cas de syncope, la
réanimation consistait essentiellement après avoir dégagé les voies
respiratoires à l'administration de grandes tapes sur la joue du patient.
De temps en temps, le silence de
la salle était brutalement rompu par les vociférations de l'opérateur: le sang
est noir, le malade jaune. Quand cela ne se traduisait pas par des actes, le
pauvre externe se retrouvait avec son tabouret au fond de la salle sous l'effet
d'un magistral coup de pied du Pr Hamant.
On racontait également
l'aventure arrivée à un jeune externe au service d'urologie du temps du Pr
André. Elle avait donné lieu à un quiproquo assez comique. Le jeune externe
effrayé par l'ampleur de l'expansion de la vessie de l'appareil s'était écrié :
Parmi les spécialités
chirurgicales, le service de chirurgie infantile du Pr Bodart se trouvait au
pavillon Virginie Mauvais, actuellement détruit. Je n'ai pas fréquenté ce
service mais le seul souvenir que j'en ai gardé est l'aventure qui m'est
arrivée lors de ma première nuit de garde d'interne. A cette occasion, il faut
dire que l'on avait du mal à contenir une certaine angoisse lorsqu'on se
trouvait pour la première fois seul responsable dans cet immense hôpital.
La première partie de la nuit
s'était relativement bien passée. Quelques appels souvent peu justifiés de
veilleuses totalement incompétentes. Tel l'appel pour un malade pris soudainement
de violentes douleurs abdominales et qui à mon arrivée se trouvait tout à fait
bien après être passé aux toilettes.
Vers 1h du matin, je suis amené
à examiner un enfant qui apparemment présentait une hernie étranglée. Je fais
appel au chirurgien de garde qui à cette époque, n'ayant pas de moyen de
locomotion, venait à pied depuis la rue de Metz. Au bout d'une heure, je le vis
apparaitre en salle de garde pour m’informer que je l’avais dérangé
inutilement, la sœur Rosalie, experte en la matière, ayant réduit la hernie
dans un bain d'eau tiède.
Vers 3h du matin, je vois un
autre enfant qui présentait manifestement des symptômes d'invagination
intestinale. Cette fois, avant de déplacer le chirurgien, j’avais pris la
précaution de consulter la sœur Rosalie pour savoir si elle n'avait pas
également une technique pour réduire les invaginations des nourrissons.
J'ai fréquenté le service
d'urologie du Pr André Guillemin lors de mon premier stage d'externe en 1943. Une
des occupations essentielles de l'externe était alors de pratiquer dans une
salle spécialement aménagée les nombreuses dilatations quotidiennes au Béniquet des urètres rétrécis le plus souvent à la suite de
blennorragie.
Le service était sous la haute
protection de la sœur Andrée qui, lorsque le patron apparaissait, se
précipitait sur une petite clochette qu'elle actionnait fébrilement pour
prévenir le personnel médical que la visite allait commencer.
Le service de gynécologie se
trouvait dans le vieil hôpital Marin. Le Pr Binet était très connu pour ses
publications de sexologie que l'on trouvait dans les kiosques à journaux. Elles
faisaient scandale à l'époque alors qu’elles apparaitraient certainement bien
banales aujourd’hui.
L'externe du service était
préposé au traitement par Propidon des salpingites
chroniques, ce qui représentait une forme de thermothérapie.
Enfin, la neurochirurgie
naissante était alors abritée dans les locaux du service d’ORL du Dr Aubriot. Le
Pr Rousseaux, chirurgien habile et orateur brillant trop tôt disparu y opérait
déjà quelques tumeurs cérébrales. Mais les résultats de ces opérations souvent
longues étaient alors décevants, car les malades décédaient habituellement dans
les 24h, l'hypertension cérébrale étant alors mal contrôlée.
Et je l'ai entendu dire un jour
désabusé qu'il n'y avait qu'une bonne intervention, c’était celle de
l'appendicite aigüe. Heureusement il trouvait plus de satisfactions dans les
interventions pour hernie discale ou
dans la chirurgie de la thyroïde qu'il affectionnait.
Le Professeur Kissel intervenait au service comme consultant de
neurologie, et cette brillante association constituait un magnifique tandem
pour le plus grand bénéfice des étudiants.
Dans les services de chirurgie,
l'externe était formé à une rude discipline. L'activité y était intense, le
temps était compté et l’exactitude était de rigueur. Tout autre était l'atmosphère
plus détendue qui régnait dans les services de médecine où la pose matinale
traditionnelle de 11h favorisait les discussions.
On prenait également le temps de
la réflexion pour élaborer des théories pathogéniques souvent ingénieuses et
séduisantes mais rapidement caduques. Certaines conceptions de l'époque nous
paraissent aujourd’hui complètement aberrantes.
On voyait la vérole partout. Certes,
la syphilis était beaucoup plus fréquente qu'elle ne l'est aujourd'hui. A l'hôpital
Fournier, on pouvait observer quotidiennement chancre, roséole, gommes …. De
même, dans les services de médecine, on trouvait toujours quelques malades
atteints de tabes et de paralysie générales
Mais on attribuait également à
la syphilis ou plutôt à l'hérédosyphilis un grand nombre de maladies dont on
ignorait l'étiologie. C'était le cas d'un grand nombre d'affections néonatales
ou congénitales et d'une grande partie des maladies vasculaires ou
neurologiques. Il suffisait de quelques dents malformées, d'une kératite suspecte,
d'une aorte douteuse quelque peu déroulée pour entreprendre un traitement
spécifique.
A la maternité, toute femme qui
avait fait plusieurs avortements spontanés ou accouchements prématurés ou dont
l'enfant était malformé, était suspectée de syphilis et était soumise au
traitement par Novarsenobenzol et Bismuth.
L'interne, comme aujourd'hui,
était une des chevilles ouvrières indispensables à la bonne marche des services
de médecine, assurant le suivi des malades, l'accueil et l'examen des nouveaux
malades, lors des contre visites. De plus, en l'absence de secrétaire médical,
il écrivait le courrier.
L'externe était « le
notaire » et prenait les observations détaillées. Mais de plus, comme les
secrétaires n'étaient pas autorisées à pratiquer les ponctions veineuses, il
était chargé également des prises de sang, injections intra veineuses et des
diverses ponctions d'épanchement pleuraux ou d'ascites.
Mais les services constituaient
avant tout une école de clinique où l'on apprenait à interroger, à palper, à
ausculter. L'examen clinique du malade était fondamental et devait permettre
dans la plupart des cas d'établir le diagnostic.
C'était une application de la
méthode anatomoclinique décrite déjà en 1819 par Laennec. L'auscultation
occupait ainsi une place importante en pneumologie: elle se faisait directement
à l'oreille au travers d'une serviette. Les râles crépitants,
les tintements métalliques et le souffle amphorique du pneumothorax.
Les examens complémentaires
étaient limités, en dehors des examens systématiques traditionnels: NF, BW, urée,
recherche du sucre et de l'albumine dans les urines. On réalisait parfois à la
demande: constante d'Ambard, glycémie, dosage des protides et tests hépatiques.
Les radiographies étaient
demandées en fonction des données de l'examen clinique.
En période de restriction, il
était d'usage de réduire le nombre des clichés qui étaient d'ailleurs souvent
de mauvaise qualité. Le Pr Lamy, responsable du service de radiologie, avait
d'ailleurs décrété qu'il était inutile de faire des radios pulmonaires de
profil, arguant de l'incapacité des médecins pour interpréter correctement un cliché de face.
Dans le domaine de la thérapeutique,
les moyens doués de quelque efficacité étaient peu nombreux en dehors de
quelques diurétiques et tonicardiaques,
- des anti
inflammatoires de type salicylate de sodium (utilisé pour le traitement du rhumatisme
articulaire aigu, pathologie fréquente à l'époque.
- de la quinine utilisée dans le paludisme
et comme anti thermique
- de l'insuline pour traitement du diabète.
L'infection était traitée par
les sulfamides depuis la découverte de Domack en 1935.
Dans certains cas de septicémies
et endocardites malignes, on utilisait couramment l'abcès de fixation provoqué
par l'injection de térébenthine.
Enfin, l'alcool par voie
intraveineuse sous diverses formes avait une place importante dans le
traitement des pneumopathies aigues.
Mais si les médicaments actifs
étaient peu nombreux, la pharmacologie n'en était pas moins riche. Si l’on se réfère
à l'épaisseur du codex, emplis de noms à consonance latine que nous étions
censés connaitre pour l'examen de pharmacologie qui constituait une épreuve
redoutable.
L'examinateur ouvrait au hasard
une page du Codex et le candidat devait donner la propriété, les indications et
la posologie du produit qui y figurait.
Il faut dire également que les
préparations magistrales de certain de nos Maîtres telles que celles du Pr Louyot faisaient notre émerveillement en même temps que la
terreur des pharmaciens.
La pathologie rencontrée dans les
services de médecine différait quelque peu de celle rencontrée aujourd'hui. Je
n'ai pas vu de cirrhose pendant des années de garde du fait du sevrage
alcoolique. Le cancer du poumon était
très rare. Il faut dire que les indications de la bronchoscopie étaient
restreintes et le diagnostic n'était fait qu'à un stade tardif.
Les moyens thérapeutiques étant
limités, nombre d'affections aujourd'hui facilement curables étaient réputées
généralement mortelles.
Il en était ainsi des
endocardites à évolution lente d'Osler.
Il en était de même de la
maladie de Hogkin, bien que quelques rémissions pouvaient
déjà être espérées à la suite de traitement radiothérapique.
Les deux services de médecine
générale A et B se faisaient face de part et d'autre de la cour centrale au 1er
étage des bâtiments Collinet de la Salle et Roger de Videlange.
L'ambiance qui y régnait était
également différente. Au service du Pr Drouet, l'hormonologie occupait une
place importante. La clinique y était brillante et on avait le culte du trait
de génie qui donnait le jour à de nouvelles pathogénies.
En face, le Pr Abel manifestait
une conscience professionnelle poussée jusqu'au scrupule et il régnait dans ce
service une atmosphère de sérieux et de gravité qui se répandait sur tout et
sur tous.
Voisin des deux grands services
de médecine générale, le service de médecine complémentaire du Dr Mathieu était situé sous les combles
dans le pavillon Collinet de la Salle.
Les malades devaient gravir à
pied les deux étages, ce qui constituait une véritable épreuve d'effort, le
nombre et la durée des étages constituant un bon test pour apprécier l'état des
coronaires et témoignant du degré d’insuffisance cardiaque.
Dans le local des consultations,
l'électrocardiogramme à corde était un meuble impressionnant plus proche d'un buffet lorrain par son
volume que des appareils modernes. Il nécessitait pour son maniement la main
experte des demoiselles Hadot qui seules étaient capables d’obtenir un tracé
satisfaisant.
La visite était agrémentée de
longues stations au lit des malades. Le Maître auscultait attentivement dans un
profond silence posant délicatement son stéthoscope dont la longueur
inhabituelle des tuyaux de caoutchouc nous impressionnait. Puis chacun de nous
s'évertuait à percevoir et à localiser le petit souffle diastolique ou le bruit
de galop qu'il avait décrit et que nos oreilles inexpertes ne trouvaient que
rarement.
Entre deux salles, il s'arrêtait
volontiers, et pour détendre l'atmosphère, il nous contait une histoire drôle
vécue, telle que celle du père Garnier, professeur de Chimie dans les années 1920
dont il avait été le préparateur.
C'était l'heureuse époque où les
étudiants passaient les examens individuellement quand ils le désiraient.
Certains étaient plus assidus des brasseries que des salles de cours et l'un
d'eux se rendant au labo de chimie pour fixer la date de son examen tombe sur
un vieil homme à la blouse crasseuse qui farfouillait dans un poêle à charbon
pour en ranimer la flamme. Il lui dit, le prenant pour un garçon de laboratoire
: « Tu sais pas où est le vieux con de père
Garnier » et l'autre se raidissant lui répondit : « le vieux con,
c'est moi ! »
Inutile de décrire la stupeur de
l'étudiant et le résultat de l'examen.
Les malades hospitalisés au
service de cardiologie étaient pour la plupart des cardiaques en état de
décompensation avancée, auxquels on administrait largement les quelques
médicaments diurétiques et tonicardiaques disponibles associés si nécessaire
aux ponctions d'hydrothorax et d'ascite. La saignée était couramment pratiquée
chez les hypertendus et dans les œdèmes aigus du poumon. Les grands œdémateux
étaient soulagés par le drainage lymphatique réalisé par tube de Southey placé
aux chevilles.
Enfin, le Dr Mathieu
affectionnait l'application de sangsues
dans les œdèmes phlébitiques, ce qui réalisait un
traitement heparinique avant l'heure. J'ai d'ailleurs lu récemment dans la littérature
que ce moyen thérapeutique qui nous parait d'un autre âge existe toujours dans
la pharmacopée et connait une nouvelle vogue en microchirurgie pour la
résorption des œdèmes veineux.
Nous gardons du Dr Mathieu
l'image d'un vrai médecin.
Il était doté d'une grande
culture et d'un vaste savoir médical acquis par le travail et d'une longue
pratique en clientèle et à l'hôpital. Fin psychologue, il savait être proche du
malade, et, quelque soit sa condition sociale, trouver le langage le mieux
approprié pour communiquer avec lui. Il savait également à l'occasion se
montrer paternel et bienveillant avec ses collaborateurs.
En 1943, le service des
contagieux du Pr de Lavergne était transféré de Maringer à la maison de sœurs
actuellement Hôpital St Charles.
En l'absence de vaccination
systématique, la fréquence des maladies infectieuses était nettement plus
élevée qu'aujourd'hui et on ne disposait d'aucun traitement spécifique en
dehors de la sérothérapie. On y retrouvait toutes les maladies infectieuses de
l'enfance dont les complications étaient parfois redoutables en l'absence
d'antibiotique.
Chez l'adulte, les cas de tétanos
étaient fréquents. Il en était de même des paratyphoïdes et des typhoïdes dont
il existait un foyer endémique dans la Meuse à Bar Le Duc, et les décès dans
les formes graves n'étaient pas exceptionnelles.
Les cas de fièvre de Malte
paraissaient également de plus en plus fréquents.
L'hôpital Villemin était à
l'époque un hôpital sanatorium où l'on soignait exclusivement la tuberculose
pulmonaire. Cet hôpital avait été construit en 1922 sur le modèle des
sanatoriums. On peut encore voir actuellement les galeries de cures où les malades
passèrent de longues heures allongées pour effectuer leur cure de repos et de
silence.
La tuberculose dans ces années
de guerre et de privation était le grand fléau à l'époque, touchant activement
les jeunes. Les étudiants en médecine étaient plus particulièrement exposés et
payaient un lourd tribu. Près du tiers de l'effectif
de étudiants de chaque année de médecine subissaient plus ou moins sévèrement
l'atteinte du mal et plusieurs de nos camarades l'ont payé de leur vie.
En l'absence de traitement
spécifique, la thérapeutique habituelle dans les formes excavées était la
collapsothérapie, c'est à dire essentiellement le pneumothorax associé le plus
souvent à une section de bride et entretenue plusieurs années. Il se
compliquait fréquemment d'épanchement liquidien ou purulent nécessitant un drainage.
Lorsque la collapsothérapie par
simple pneumothorax s'avérait insuffisante, on préconisait parfois pour les
cavernes du lobe inférieur la phrénicectomie qui entrainait un déficit
ventilatoire important et pour les cavernes
du sommet les plus fréquentes la thoracoplastie.
J'ai assisté à quelques unes de
ces interventions réalisées à l'époque à l'hôpital Maringer par le Pr André
Guillemin. Les opérations étaient redoutées par les malades. Elles étaient très
mutilantes et très pénibles, car réalisées sous anesthésie locale, elles
étaient très douloureuses. J’entends encore d'un jeune malade, qui, au cours de
l'intervention, alors que le Pr Simonin devisait avec le chirurgien de la
situation politique du moment, s'écria excédé : « M'en fous de votre Pétain
et de votre De Gaulle », ce qui contribua instantanément à ramener au
silence absolu.
Pour tous les malades, une cure
de repos en sanatorium, généralement à la montagne, pendant de nombreux mois,
voire plusieurs années, complétait le traitement, mais on ne pouvait
malheureusement le plus souvent espérer
qu'une stabilisation des lésions et les rechutes étaient fréquentes.
Inutile de dire que la mortalité
était importante.
Les malades multi excavés et
cachectiques mouraient habituellement dans un tableau de généralisation
associant granulie, laryngite et parfois
méningite tuberculeuse.
Hautement contagieux, ces
moribonds étaient isolés dans une chambre individuelle ce qui avait souvent un
effet psychologique dramatique.
A l'hôpital Fournier, à coté des
cas de galle qui encombraient les consultations, le diagnostic et le traitement
de la syphilis occupaient une place importante. Fournier, médecin de Saint
Louis, avait consacré sa vie à la syphiligraphie.
L’externe chargé chaque matin de
faire les injections de novarsenobenzol aux longues files de malades atteints ou
présumés y perfectionnait sa technique.
Au pavillon Ricord du Dr Bonnet,
personnage pittoresque au vocabulaire de troupier, traitant énergiquement les blennorragies
par les grands lavages urétraux au permanganate.
Le service de médecine infantile
situé au pavillon Krug était peu hospitalier pour les
externes ou les internes qui n'étaient pas du service. L'Amélie, non
religieuse, factotum du patron et véritable cerbère, refoulait systématiquement tout visiteur importun. Elle était pleine
d'attention pour le Maître, le professeur Caussade qu'elle tirait par la manche
pendant la visite de 11H45 pour lui passer son manteau afin qu'il ne rate pas
son tramway pour rentrer chez lui.
La maternité a toujours été un
service à part. Le Professeur Vermelin enseignait que l'accouchement est et
doit rester un acte physiologique, la nature étant présumée faire les choses au
mieux. Trop souvent, l'intervention médicale crée la dystocie et était à
l'origine des complications.
Cette conception traduisait un certain bon sens à une époque où
l'infection était redoutable en l'absence d'antibiotique.
Toutes les femmes fébriles
étaient transférées immédiatement au pavillon d'isolement. On y rencontrait
également nombre de jeunes femmes qui, à
la suite d'un avortement provoqué dans des conditions précaires, mourraient
généralement de péritonite dans un
tableau de septicémie.
Que dire du pavillon de
Radiothérapie en 1940 ! Le Pavillon des cancéreux, c'était le refuge des
malades atteints de cancers avancés, au teint jaune paille, et qui présentaient
souvent d'énormes tumeurs surinfectées et nécrosées.
Il faut dire que les cancéreux
étaient moins nombreux à l'époque et que le cancer ne constituait pas comme
aujourd'hui un problème de société.
On peut évoquer plusieurs
raisons: l'espérance de vie était plus courte, les moyens de diagnostic étaient
limités.
Enfin, nombre de personnes âgées,
surtout de la campagne, dépourvues de protection sociale et de ressources, refusaient
toute hospitalisation.
Pour beaucoup, la chirurgie
représentait alors le seul traitement à visée curative. Et jusqu'à l'arrivée du
Pr Chalnot en 1945, il n'y avait pas de chirurgien au Centre. Le traitement radiothérapique
n'était souvent perçu que comme un pis aller relevant un peu des médecines
parallèles. Si son efficacité était discutable, ce traitement avait au moins
l'avantage de donner au médecin la possibilité d'expliquer au malade, lorsque
son état s'était aggravé, que c'était l'effet des rayons et que cet effet était
transitoire, et qu’il ne pouvait qu'aller mieux.
De 1940 à 1945, on a donc assisté
en France et à Nancy, à une certaine stagnation des sciences médicales. Pendant
les années de guerre, les moyens de communication étaient pratiquement
inexistants et de plus, la plupart des travaux anglo saxons étaient couverts
par le secret militaire.
L'arrivée des américains en
automne 44 fut pour nous une révélation.
Ils amenaient dans leur
paquetage un produit miraculeux, la pénicilline, dont l’action bactéricide
apparaissait spectaculaire avec des doses qui nous paraissent aujourd'hui
ridicules, de l'ordre de 500.000 à 1.000.000 d'unités au total.
Le produit était distribué avec
parcimonie aux civils et par suite réservé aux malades les plus gravement
atteints. Les flacons étaient conservés à basse température et les injections
se faisaient toutes les 3 H. C'est à cette occasion que s'est installé à l'hôpital
un externe de garde chargé de parcourir la nuit les salles pour réaliser les
traitements.
L'apparition de la pénicilline a marqué le début de l'antibiothérapie et fut bientôt
suivie de nouvelles drogues.
Ainsi, en 1947, l’avènement de
la streptomycine a permis enfin le contrôle du BK.
Un service spécial fut créé à
Maringer sous le contrôle du Pr de Lavergne où l'on traitait essentiellement
des granulies et des méningites BK.
Je me souviens alors que j'étais
interne au service en 1948 du premier malade traité et guéri à Nancy d'une
méningite tuberculeuse.
C'était un médecin biologiste
alsacien qui avait fait lui même son diagnostic et suivait avec angoisse
l'évolution de sa maladie.
Peu de temps après, ce fut l'avènement
de la typhomycine qui modifie le pronostic de la typhoïde.
L’arrivée des américains a également
marqué le début d'une ère nouvelle en chirurgie.
Les américains ont permis
d'équiper les hôpitaux avec les premiers appareils d'anesthésie à circuit
fermé.
En même temps, l'armée américaine
approvisionnait les services de chirurgie en flacon de plasma en attendant
l'ouverture par le Pr Michon en 1948 du Centre Régional de Transfusion. Cette
évolution des techniques d'anesthésie et de réanimation favorisait en
particulier le développement au service du Pr Chalnot de la chirurgie
thoracique puis de la chirurgie cardiaque.
Par la suite on assista à
l'éclatement de la médecine et de la chirurgie générale en nombreux services de
spécialité.
Les locaux de l'hôpital central
s'avérèrent bientôt trop exigus et dès 1948, on faisait des projets pour le
nouvel hôpital.
Parallèlement, sous l'influence
du Pr Jacques Parisot, élu doyen en 1949, la faculté devait également connaitre
un développement et une expansion considérable.
Si l'on fait le bilan de l'état
de la médecine en cette fin de siècle par rapport à ce qu'il était dans les
années 40, le bilan est certes très positif.
La pénétration de la médecine
par les sciences exactes, physique et chimique, et par les sciences
biologiques, est à l'origine de développements prodigieux dans tous les
domaines et cette évolution se poursuivra certainement dans l'avenir.
Mais il ne faudrait pas que la
médecine ne devienne que l'expression d'une haute technicité orientée
uniquement vers le traitement de la maladie, le malade lui même étant considéré
comme une association d'organes, qui font l'objet de multiples investigations,
réunis dans des bilans parfois impressionnants, quand il n’est pas assimilé à
un simple volume cible.
Ainsi, lors des staffs du lundi
soir au service du Pr Chalnot, la présentation et l'examen du malade était de
règle avant la prise de décision thérapeutique. Actuellement, ces décisions se
prennent souvent sur simple examen de dossier, et l'on peut craindre que dans
l'avenir, l'ordinateur seul établisse le programme thérapeutique.
Malgré les progrès, la médecine
ne sera jamais une science exacte, et il est nécessaire de conserver l'esprit
médical, transmis par nos anciens maitres, généralistes et humanistes, et qui
repose sur la valeur de l'examen clinique, le développement de l'esprit
clinique et la personnalité de chacun.