Les cliniques médicales
par P. LOUYOT
Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)
Annales Médicales de Nancy
(édité en avril 1975)
« La France possédait dans ses provinces de l'Est de célèbres et florissants établissements d'enseignement supérieur. De douloureux événements les lui ont ravis. L'obligation de les rapatrier était pour nous une dette patriotique. Une autre raison encore nous le commandait. Dans un temps où le pays recueille toutes ses forces vives, il importait de ne pas laisser notre haut enseignement, surtout notre enseignement médical, privé d'institutions qui faisaient partie de son patrimoine, et d'hommes qui avaient contribué à sa puissance et à son éclat ». Ainsi s'exprimait, à la rentrée universitaire mémorable du 19 novembre 1872, en un style élégant où perçait l'émotion, Monsieur le Recteur Dareste de la Chavanne. « Cette université, poursuivait-il, créée il y a 18 ans avec quelques pierres d'attente, voit poser aujourd'hui ses dernières assises, et devient en un jour la plus brillante des universités françaises, la plus riche par le nombre des chaires, comme par la variété des enseignements ». Saluant « nos chers exilés de Strasbourg », il ajoute : « ils ne viennent point ici comme des épaves isolées ; ils viennent comme un corps qui, en se retirant, a sauvé son drapeau ! »
Paroles de chaleureux accueil et d'encourageant espoir. D'orgueil aussi, puisque, après les transformations successives de la Faculté « en Collège royal, enseignement libre, enseignement secondaire et école préparatoire de Médecine et de Pharmacie» (Edmond Simonin), Nancy acquérait un bel éventail de Facultés et d'Écoles, notamment l'une des trois Facultés françaises de Médecine (avec Paris et Montpellier), et couvrant, par sa circonscription académique, les écoles de Besançon, Dijon et même de Lyon (La Faculté de Médecine de. Lyon fut créée en 1877).
Le recteur Dareste de la Chavanne était fier à bon droit, car, toutes difficultés aplanies, le Président de la République, par décret du 1er octobre 1872, confirmait le vote de l'Assemblée nationale proposant le transfèrement de la Faculté de Médecine de Strasbourg à Nancy, avec 17 professeurs titulaires, 9 professeurs adjoints, 8 agrégés en exercice et 3 suppléants. D'Alsace, « neuf anciens Professeurs et une partie des agrégés, ayant à leur tête leur éminent Doyen, Monsieur le Professeur Stoltz, importèrent à Nancy les traditions de l'École de Strasbourg ».
Ce rassemblement d'hommes issus de deux écoles (Faculté strasbourgeoise et École préparatoire nancéienne), différentes par l'esprit, par la formation scientifique, par la langue (et ceci sous la pression d'événements ne portant pas à l'optimisme), exigeait d'emblée un consentement mutuel d'abnégation. Les Professeurs de l'École préparatoire durent s'effacer devant leurs collègues de Strasbourg, se contentant de postes de professeurs adjoints. Les exilés, eux, abandonnant leur terre natale, perdaient du même coup leurs moyens de travail : « Nos instruments, nos musées, notre bibliothèque, même nos archives, sont restés entre les mains de l'Étranger », précisa le Doyen Stoltz. Et là-bas, sur les bords du Rhin, d'autres renonçaient à leur promotion universitaire, maintenant de leur mieux la pensée française, soutenant moralement et médicalement leurs compatriotes rivés au sol natal, avec, au cœur, l'espérance ardente d'un prompt retour à la Mère Patrie.
Premiers pas de la Revue Médicale de l'Est.
Ils sont étroitement liés aux conditions vitales universitaires et hospitalières.
L'ambiance particulière entourant la naissance de la nouvelle Faculté doit être rappelée pour comprendre, et du même coup admirer la force d'âme, la patience, la ténacité, le courage de nos aînés, vertus suscitées par la souffrance. Elles étaient d'autant plus nécessaires, ces vertus, que les difficultés matérielles ajoutaient aux difficultés morales. Les locaux universitaires et hospitaliers d'avant 1870, les institutions, l'instrumentation, les livres, rien ne préparait Nancy à devenir soudainement ville frontière et centre culturel important. Sans doute, le Collège Royal de Stanislas ouvrit la voie à l'enseignement médical, sans doute, l'École préparatoire de Médecine et de Pharmacie érigée en 1842 eut le mérite de former les futurs médecins de la région. Sans doute, dans un esprit de recherche, Edmond Simonin eut-il le souci d'instituer une Société savante en cette même année 1842, la Société de Médecine de Nancy. Mais trente ans plus tard, une toute autre dimension était nécessaire à la vie et à la croissance de la nouvelle Faculté.
Grâce à des subventions de plusieurs provenances, les bâtiments anciens furent aménagés et des constructions nouvelles sortirent de terre dans les jardins de l'Académie, entre la rue de Serre et la rue de la Ravinelle ; les galeries couvertes furent fermées pour abriter des laboratoires. Ce pis-aller, momentanément suffisant et accueilli avec reconnaissance, n'empêchait pas l'arrière pensée et l'espoir d'une solution définitive grandiose en rapport avec le développement prévu de la cité, poste avancé du territoire vers lequel les exilés ne devaient pas manquer d'affluer.
Le problème hospitalier était d'autre mesure, hérissé d'obstacles concernant autant les finances que l'urbanisme. Au XIXe siècle, un hôpital ne se gérait pas à la façon d'une entreprise dont les rentrées d'argent sont assurées soit par le client, soit par organisme payeur interposé. Subventions, charité publique, dons testamentaires ne laissaient dresser qu'un bilan très fluctuant, menacé en cas d'épidémie, d'invasion étrangère, de fléaux divers. Encore que le fonctionnement de l'hôpital assuré par les Religieuses de saint Charles était beaucoup moins dispendieux que s'il eut fait appel à un personnel salarié.
En 1872, les fortes dépenses, apparues brusquement nécessaires pour faire face à la nouvelle situation, semblaient irréalisables.
Nancy disposait alors de trois institutions principales, l'Hospice Saint-Julien, l'Hôpital Saint-Charles et la maison de Secours.
L'Hospice Saint-Julien de l'Abbé Vernier (ou Warnier ?), alors à l'emplacement actuel de la grande Poste, était, depuis le XVIIIe siècle, plus spécialement réservé aux vieillards et aux enfants, institution de chroniques sans renouvellement rapide et régulier.
L'hôpital Saint-Charles, fondé en 1626 par Charles IV en faveur de jeunes enfants et possédant « une infirmerie pour recueillir les pauvres», était situé en bordure de la rue Saint-Jean, de la rue Clodion et de la rue de l'Équitation (une caserne de cavalerie existait de l'autre côté de cette dernière ; son activité était jugée fort bruyante pour l'hôpital voisin, mais la pollution sonore et malodorante de nos chevaux-vapeur a-t-elle plus de charme ?) Il était composé de trois grandes salles, une autre plus réduite et une petite construction adjointe datant de 1824 ; Vingt ans plus tard, les 113 lits disponibles étaient répartis dans 4 salles d'hommes et 3 salles de femmes (Henri Lepage). Au cours des années suivantes, l'ensemble abritait 130 à 140 lits, grâce aux dotations généreuses de Charles Edouard Collinet de la Salle (20 lits de fondation) et de Roger de Videlange (8 lits). Lors de la transformation de l'École secondaire en École préparatoire, en 1842, les salles Saint-Roch, Sainte-Anne et Sainte-Françoise, soit un total de 32 lits, avaient été réservées aux cliniques des maladies internes. En 1872, deux petites salles furent attribuées à l'ophtalmologie, dont le Chef de Service, l'agrégé Monoyer, fut chargé d'une clinique complémentaire de cette spécialité. Cette grande pauvreté hospitalière, dont durent s'accomoder les deux titulaires de Clinique médicale, ne convenait pas à la nouvelle vocation de Centre hospitalo-universitaire. Aussi le Doyen Stoltz obtint rapidement l'aménagement de deux services, à l'intention des deux Professeurs de Clinique chirurgicale, dans le dépôt de mendicité (vulgairement dénommé l'Hôtel des poux), devenu asile de vieillards en 1850 (capacité 105 lits); « cet établissement, situé à proximité de la Faculté et de l'Hôpital Saint-Charles, aéré de tous côtés par les jardins qui l'entourent, placé en face de l'Église Saint-Léon, dans le quartier le plus élevé de la ville, ne laisse rien à désirer comme salubrité » (Coze). Que les temps sont changés !
Ce bâtiment devient alors l'Hôpital Saint-Léon, et sera plus tard l'École supérieure de filles.
Enfin, la Maison du Refuge d'Elisabeth de Ranfaing, devenue Maison de Secours au début du XIXe, hébergeant les indigents atteints de maladies vénériennes, gale, chancres, cancers, rage, cataracte, et même de quelques cas chirurgicaux, les filles et femmes enceintes au dernier mois de la grossesse (arrêté préfectoral du 2 mai 1817), bénéficie d'un nouveau bâtiment, édifié en bordure de la rue des Ponts en 1872, destiné à l'obstétrique et à son enseignement.
En d'autres termes, le volume hospitalier, fort étriqué, n'était guère à la mesure de la Capitale Lorraine, riche de 52978 habitants (1 lit pour 400 habitants), d'autant qu'une subvention annuelle de 5000 F accordée par le Conseil général était destinée à l'accueil éventuel de malades étrangers à la Cité. N'oublions pas cependant que les hôpitaux, volontiers dénommés « Hôtel-Dieu », étaient conçus pour l'assistance sanitaire aux indigents, les malades possédant quelque bien n'y accédant que rarement, et en payant de leurs deniers le prix de la journée.
En compensation à sa misère, le pauvre recevait des soins de qualité. Tout universitaires qu'ils fussent, les Chefs de Service ne recevaient aucune rétribution en reconnaissance du don de leur temps et de leur savoir, geste d'assistance et de charité à l'égard des déshérités de l'existence. Ainsi, religieuses et médecins ne grevaient guère les dépenses d'une administration à laquelle pourtant les fonds faisaient souvent défaut pour améliorer et moderniser les moyens techniques.
Par surcroît, aggravant encore une situation fort précaire, l'exode d'une grande partie de la population des départements annexés ne devait pas manquer d'accroître les besoins. Dans le cadre universitaire, aux émigrés vinrent s'ajouter les jeunes gens appartenant aux familles restées en terre spoliée. Dès la première année 1872-1873, 187 étudiants s'inscrivirent à la Faculté. Pendant plusieurs années, la proportion annuelle d'alsaciens-lorrains inscrits a oscillé entre 15 et 25 % de l'ensemble estudiantin.
A la disposition des maîtres et des élèves, la bibliothèque n'offrait que de maigres ressources au démarrage, le fonds étant constitué des ouvrages provenant soit de l'École préparatoire, soit de dons privés. Les laboratoires de sciences fondamentales manquaient de l'équipement le plus élémentaire, mettant leurs utilisateurs en état d'infériorité vis à vis d'autres centres de recherche, français ou étrangers. Les collections d'anatomie, normale et pathologique, de matière médicale, de physique, etc... étaient à refaire entièrement ou à compléter. Dans ce domaine aussi, l'aide efficace et généreuse ne fit pas défaut. « Le musée d'anatomie de la Faculté de Médecine de Nancy fut créé en 1872 avec un fonds de pièces anatomiques provenant des collections de l'ancienne École de Médecine, auquel vint s'ajouter un fort contingent de pièces anciennes et signées de noms illustres qui fut fourni par la Faculté de Médecine de Paris. Toute la collection de la Faculté de Strasbourg demeura la propriété de l'université allemande » (Gross).
Mains vides, mais sous le signe de la confiance en l'avenir, grâce aux 1100 à 1300 malades admis annuellement à l'hôpital saint Charles où le Laboratoire des Cliniques ne pratiquait en moyenne que deux analyses par jour, les responsables de l'enseignement de la Clinique Médicale n'avaient pas de meilleure ressource que les contrôles anatomo-pathologiques sur la table d'autopsie. Enseignement d'autant plus précieux que la mortalité était élevée (17 à 18 % des hospitalisés), conséquence de la promiscuité imposée par l'exiguïté des locaux et d'une thérapeutique encore bien rudimentaire et balbutiante. De cette manière, bon an, mal an, parmi les décédés, 150 corps n'étaient pas réclamés. Aussi considérait-on que la Médecine hospitalière était d'un type particulier; et déjà, en 1873, le Doyen Stoltz formulait ce vœu que « les professeurs de clinique et leurs aides visitent les malades pauvres à domicile, ou leur envoient leurs élèves les plus instruits, qui apprennent de cette manière la pratique à domicile, bien différente encore de celle des hôpitaux ».
Plongeant ses racines dans les traditions éprouvées et respectées, la jeune Faculté trouvait les éléments de sa grandeur dans la foi en sa mission et la conscience de ses devoirs. Ce n'est pas là une banale louange, mais la constatation d'une vérité, transparente dans les écrits de l'époque, notamment dans les comptes rendus et procès verbaux des séances de la Société de Médecine de Nancy, imprimés à partir de 1844, et ceci sans interruption jusqu'en 1919. Les fascicules renferment le texte intégral des rapports, mémoires originaux, communications et discussions que celles-ci suscitent, avec cette particularité que figurent seulement les « mémoires dont la Société a voté l'impression ». La Société entière avait donc le droit de censure.
En 1874, « la Revue médicale de l'Est » vint, non pas supplanter le Bulletin, créé trente ans plus tôt par Edmond Simonin, mais le compléter, en adjoignant au résumé des communications 10 à 12 rubriques de nouvelles universitaires, analyses bibliographiques, annonces et relations de congrès, renseignements météorologiques, tableaux statistiques des maladies contagieuses, etc..., sans oublier les placards publicitaires (soutiens financiers du journal) auxquels le recul du temps apporte une couleur qui ne manque pas de pittoresque .
Telle est la base de départ de la Revue médicale de l'Est, enténébrée d'une austérité et d'une indigence plus propices à l'ardeur dans l'effort que ne l'eussent été le confort et l'opulence. La croissance s'en est montrée ensuite d'autant plus vigoureuse et rapide reflétant l'acharnement dans un travail consciencieux et sans relâche de ceux qui, dans les trois domaines essentiels, clinique, enseignement, recherche, ont su, leurs qualités humaines aidant, préparer et aplanir la route pour ceux qui les suivirent.
La Revue et son siècle de vie.
Par son aspect extérieur, somatiquement pourrait-on dire, la Revue manifeste son adaptation au goût du jour et sa recherche de progrès dont elle est redevable aux sept rédacteurs en chef qui, successivement, ont magistralement dirigé sa marche (Charles Frédéric Gross, Albert Heydenreich, Marie Xavier Joseph Schmitt, Pierre Parisot, Georges Étienne, Aimé Hamant, Pierre Chalnot).
Elle suit la mode en se parant d'une nouvelle jaquette lorsque la précédente a verdi. Sa parure change de nom (Revue médicale de Nancy, Annales médicales de Nancy), sa taille s'adapte à des poussées de croissance. Elle est aujourd'hui, élégamment parée, sigillum habens, et cela lui sied.
Sa composition organique repose principalement sur le sens général des idées scientifiques en vogue, le genre littéraire et l'enseignement écrit, dont la mutation et la progression au fil des années procèdent par bonds, sont sous l'impulsion de découvertes majeures, médicales ou non, soit sous celles de conflits internationaux parfois curieux activateurs de celles-ci.
Ainsi, suivre la Vie de la Revue, c'est retracer les étapes principales de paix et les guerres qui les séparent.
I - Entre 1873 et 1914, le sens général des thèmes abordés est commandé par les découvertes révolutionnaires de Pasteur et par la neurologie dont est indirectement responsable l'Ecole de la Salpétrière ; cette première période se termine par les premiers balbutiements de la radiologie.
1° Les travaux sur les infections et maladies contagieuses sont légion en cette époque où l'on s'interroge encore sur « le crédit à accorder à ce chimiste, Louis Pasteur, qui se mêle de biologie » ! Cependant, nombreux déjà sont les disciples des idées pastoriennes. Avant 1870, à la Faculté de Strasbourg, Jean Antoine Villemin a démontré le caractère contagieux de la tuberculose. La jeune école nancéienne suit les traces de son aînée alsacienne, et rares sont les cliniciens qui n'apportent pas leur écot.
Les infections typhiques sont l'objet d'une préférence indiscutable. Admirablement décrite antérieurement par Louis, la dothienentérite de Bretonneau est un thème favori, et, cependant, son agent responsable ne devait être reconnu par Eberth qu'en 1880, ce qui n'empêche pas de poursuivre aussi loin que possible les considérations épidémiologiques.
La suite logique des découvertes dans le domaine de l'infection et de la contagion est la prise de conscience des notions d'asepsie et d'antisepsie (Lister, 1867), qui, à défaut d'avoir été convenablement respectées, expliquent la mortalité élevée dans les Ambulances et les hôpitaux de 1870. A titre d'exemple expérimental, Bernheim devait conter, en 1908 : « Tous les élèves de l'ancienne Faculté de Strasbourg se rappellent les deux professeurs de clinique chirurgicale : l'un, aussi érudit professeur que chirurgien peu soigneux, perdait presque tous ses opérés, l'autre, élégant, opérant avec une exquise propreté, c'était Sédillot, avait de magnifiques succès » .
La variole fait encore parler d'elle à propos de petites épidémies, notamment en 1889 (Haushalter), 1891 (P. Parisot), 1904 (M. Perrin) .
La syphilis, autre centre d'intérêt, forme pont entre l'infection et la neurologie, préoccupante par son caractère contagieux, et rejoignant les affections nerveuses à la phase tertiaire, sous forme de paralysie générale, de tabès, voire de complications arthropathiques, très répandues et très invalidantes.
2° La deuxième dominante est celle du goût des tenants de la Médecine Interne pour la Neurologie, pour deux raisons : l'une est la part élevée de maladies nerveuses dans les services de vieillards, en particulier à l'Hospice Saint-Julien, l'autre est la renommée montée en flèche de Jean Martin Charcot. Plus jeune que lui de 15 ans, Bernheim, n'ignorait pas ses travaux, ayant lui-même acquis une partie de sa formation à Paris.
Enfin, la pathologie ostéo-articulaire n'est pas laissée pour compte : l'ostéomalacie a retenu toute l'attention d'Emile Démange (1882), décrivant remarquablement le bassin de l'ostéomalacique du vieillard avec ses fractures spontanées.
Le genre littéraire des premiers cahiers de la Revue médicale de l'Est, dans la ligne des comptes rendus publiés pendant les trente années précédentes, reflète parfaitement les préoccupations d'une science médicale faite uniquement de l'observation clinique, éventuellement complétée par les renseignements anatomopathologiques. Ainsi rapporte-t-on des observations strictement personnelles, des faits isolés distingués par une originalité ou une anomalie exceptionnelle, chaque récit s'étalant sur plusieurs pages, conté par le menu d'une séméiologie vue à la loupe, essentiellement analytique, au besoin approuvé par une relation d'autopsie nantie d'une richesse comparable de détails. Mettre en parallèle ces observations de naguère et celles recueillies un siècle plus tard équivaut à comparer un Memling et un impressionniste du XXe siècle.
Selon la mode du XIXe, l'expérience clinique personnelle est la pièce maîtresse, tenant la scène, dépouillée de l'étalage d'un glanage livresque ou d'énumérations séquentielles de noms d'auteurs (anglo-saxons de préférence). Ce n'est pas que les travaux de la littérature soient ignorés ou méconnus, car nos aînés sont des érudits, mais ils n'en retiennent que les éléments utiles à leur discussion ; se limitant à l'essentiel, on ne publie que le fruit de son travail, évitant ainsi la répétition des revues générales. Par surcroît, les publications comportent une, quelquefois deux, rarement trois signatures.
Un siècle plus tard, on constate l'attitude inverse : comme des paquets de mer, le flot bibliographique submerge des observations cliniques plus ou moins décharnées (que le qualificatif de « synthétiques » voudrait excuser), négligeant bien des détails qu'aimerait connaître le lecteur. Le nombre des signataires est de même sens. In medio stat virtus !
Enfin, l'enseignement écrit a mené jusqu'à nous quelques leçons magistrales qui méritent encore aujourd’hui d'être lues et méditées, sous forme de mémoires originaux issus de toutes les disciplines, ophtalmologie (Monoyer), physiologie (Beaunis), maladies infectieuses (Bernheim), thérapeutique (Schmitt), conception de la maladie (Bernheim)...
Tel est le sens de la recherche scientifique formant le fond vital de la Revue médicale de l'Est. Pourtant, ce n'est pas tout.
La formation du jeune étudiant, futur médecin, est un sujet de préoccupation et de sollicitude de la part des enseignants qui accordent ouvertement leur préférence pour le baccalauréat es-lettres, jugé capable de donner la meilleure culture générale. Aussi, le décret du 20 juin 1878, applicable au 1er novembre 1879, en exigeant le double titre du bachelier es-lettres et es-sciences pour l'entrée à la Faculté de Médecine, provoque une vive émotion et une réduction du nombre des étudiants inscrits dans cet établissement. Le nombre annuel des étudiants, maintenu jusqu'alors aux environs de 200, tombe à 154 en 1881 sous l'exigence ministérielle. A la même période, les étudiants de la Faculté de Médecine de Paris sont au nombre de 6000 environ. Appelé à remplacer le Doyen Tourdes, le Professeur Michel lance alors un appel en faveur à la décentralisation (déjà !). L'année suivante (1882), Bernheim, assesseur du Doyen, critique le programme des études médicales et propose quelques réformes, sans grand résultat d'ailleurs.
La réalisation d'un ensemble hospitalier neuf ouvre une ère nouvelle pour la vie médicale nancéienne lui offrant des perspectives d'épanouissement. Tandis que certains services conserveront encore durant plusieurs années leur installation primitive, tels ceux des affections dermatologiques et vénériennes, et de la maternité à la Maison de Secours, les tractations et les projets ébauchés en 1867, après bien des vicissitudes, conduisent à une prise de position ferme en 1877, et les constructions entreprises extra muros, dans la prairie, en bordure du faubourg saint Pierre sont menées rondement. Leur inauguration officielle a lieu dans la salle de conférences de la Clinique médicale du Pavillon Roger de Videlange, en présence de M. le Recteur Mourin, puis, le 23 novembre 1883, quittant définitivement l'hôpital saint Charles (qui sera détruit en 1885), les malades sont transférés dans les nouveaux services comportant chacun 4 salles de 16 lits. Les malades y trouvent un confort jusqu'alors inconnu ; le corps médical également, disposant de dépendances propices à l'installation de laboratoires d'analyse et de recherches. Aisance arrivant à point nommé en cette fin de siècle où la science médicale, en crise de croissance, appelle de nouvelles dimensions.
Il est permis de dire en effet que, secouant la torpeur impuissante et chronique où elle est enlisée depuis plusieurs siècles, parce que son sort est lié à celui des autres sciences, physiques et chimiques, détentrices des possibilités d'investigation, la médecine interne va dorénavant assister à l'émancipation successive, comme les marcottes de la vigne, de certaines de ses branches assoiffées d'indépendance, sans séparation totale et définitive cependant, car, comme le dit Bergson : « Le tout existe avant les parties ».
Par l'attribution de deux chambres réservées à l'Hôpital saint Charles en 1872, l'ophtalmologie, confiée à Monoyer, est la première spécialisation officielle. Elle ne constitue pas cependant une innovation, car, en 1829, Stoeber avait obtenu semblable poste à la Faculté de Strasbourg. Après la nomination de Monoyer comme titulaire à la Faculté de Lyon lors de la création de cette dernière en 1877, la charge de cours échoit successivement à Gross, à Heydenreich, à Weiss, entre 1878 et 1883.
L'hospice saint Julien est tout désigné pour l'enseignement des maladies du vieillard, assuré par le Médecin Chef de l'établissement. La charge de cours officielle ne sera créée qu'en 1890, et donnée à Emile Démange, successeur de son père Charles.
La Médecine infantile trouve difficilement sa voie. Elle est curieusement confiée à FJ. Herrgott en 1872 lors de la création de la dix-septième chaire octroyée à la Faculté. Malgré les demandes réitérées, l'Instruction publique se refuse à sanctionner la Spécialité par l'attribution d'une nouvelle chaire. Seuls, des cours complémentaires de Médecine infantile sont successivement assurés par A. Herrgott (1880), Schmitt (1883), Simon (1887), puis enfin par Paul Haushalter (1894).
Inspirant la crainte de contagion, la syphilis primaire et secondaire, ainsi que les affections dermatologiques font l'objet d'une section séparée. Leur enseignement, sanctionné par une charge de cours, est confié à Pierre Parisot en 1886 ; Schmitt lui succède l'année suivante.
En 1882, un service réservé aux maladies infectieuses est réclamé avec insistance. Dans le cadre du nouvel hôpital civil, on finit par ériger un édifice en bois, sans étage, l'accès de chaque chambre ayant lieu par une galerie extérieure, édifice construit sur la parcelle de terrain compris entre le Pavillon Roger de Videlange et le Pavillon Krug actuel (qui n'existait pas à cette époque) ; malgré cela, les typhiques ont été admis dans les services de Médecine Interne jusqu'en 1930.
Tel est le nouveau cadre hospitalier dans lequel une à une les disciplines spécialisées naissent et se détachent de la médecine interne.
Du côté universitaire, la Faculté de Nancy reçoit l'attribution de 6 postes de Chef de clinique, dont deux destinés à la Médecine Interne. Les premières spécialités auxquelles le droit de cité est reconnu sur le plan hospitalier ne bénéficient que de quelques charges de cours complémentaire, car, toujours méfiante et réticente, ou bien freinée par le Ministère des Finances chargé des cordons de la bourse, l'Instruction Publique suit, à distance très respectueuse, l'évolution irrésistible des sciences. En 1883, une chaire d'ophtalmologie est accordée au Professeur Rohmer, dont le service s'installe dans le Pavillon Léonie-Bruillard-Balbatre, là où il se trouve encore aujourd'hui. Les autres créations sont réservées au XXe siècle.
Sans parler de l'ouverture de l'école d'infirmiers et infirmières en 1900, on accueille avec faveur la création de la chaire de Médecine infantile, qui, en 1906, vient enfin récompenser le labeur et les mérites de Paul Haushalter, dont le service prend possession du rez-de-chaussée du Pavillon Virginie Mauvais, bâti en 1894. Deux autres consécrations officielles ont lieu en 1907, concernant l'oto-rhino-laryngologie confiée à Paul Jacques, avec 20 lits, et l'urologie confiée à Paul André, avec 12 lits.
Les recherches scientifiques sont activement poussées. Déjà on parle de l'« École de Nancy», et Bernheim a acquis un crédit notoire, suffisant pour croiser le fer avec Charcot, sans ciller.
Paul Vuillemin poursuit ses travaux dans le silence du laboratoire, exposant ses idées sur «symbiose et antibiose » (1889), entrant ainsi dans les vues de Pasteur lui-même, prémices du principe de l'antibiotisme dont la gloire de l'application devait revenir à Fleming 50 ans plus tard.
Dans le domaine de la clinique, en 1889, Paulin Étienne, chef de Clinique chirurgicale, en collaboration d'abord avec son maître Heydenreich, puis avec Baraban, décrit, dans le moindre détail, l'observation clinique puis les constatations histopathologiques d'une thromboangéite oblitérante des extrémités des membres chez un homme jeune, âgé de 31 ans. Précédant de 17 ans le travail de Léo Buerger (New York, 1906), celui de Parkes Weber (Londres, 1917), et l'observation de Gilbert et Coury (Paris, 1922), l'étude de Paulin Étienne, trop facilement méconnue des Index Analytiques, constitue à coup sûr l'observation princeps, à cette seule particularité près que, étant unique, elle ne pouvait pas mettre en valeur le caractère préférentiel racial de l'affection, mais curieusement concernait un « transplanté » puisque le cordonnier lorrain avait accompli son service militaire à Orléansville.
Parmi d'autres travaux importants, on découvre la notion de myélite vasculaire étudiée et mise en valeur par E. Démange, et la publication du Précis de Diagnostic Médical écrit par Paul Haushalter, Paul Spillmann et Paul Simon.
La première période de la vie médicale, retracée par la Revue médicale de l'Est, s'achève. En vingt ans, le volume hospitalier est de nouveau insuffisant et l'on se sent à l'étroit. Pour s'étendre, le dévolu est jeté sur un terrain du quartier en bordure du « pensionnat des demoiselles » des Religieuses du Sacré Cœur, délimité par le Quai de la Bataille et le cimetière du Sud. En 1910, l'Hôpital Villemin sort de terre, primitivement destiné aux contagieux, tandis que les bâtiments du pensionnat abriteront des services complémentaires, chirurgie annexe et dermato-syphiligraphie (1914), puis, plus tard, les maladies contagieuses.
Mais, de l'horizon politique assombri en 1911, la guerre se prépare ; les hostilités éclatent soudainement en 1914, prenant pour prétexte le double assassinat de Sarajevo.
II - 1914-1918. D'un mouvement unanime, les forces vitales du pays se tendent et barrent la route à l'envahisseur. Dispersé vers les unités combattantes, les ambulances, les hôpitaux militaires auxiliaires, le corps médical fait son devoir à tous les échelons. Après le premier acte de la « guerre de mouvement », la ligne des tranchées stabilise le front tant bien que mal. La victoire du grand Couronné du Général de Castelnau arrête l'ennemi à 6 km de Nancy, définitivement sauvée de l'occupation étrangère.
En conséquence, la Faculté de Médecine reste ouverte et l'enseignement des étudiants encore non mobilisés se poursuit dans les meilleures conditions possibles, grâce au Doyen Meyer et aux quelques professeurs non mobilisés ou maintenus sur place.
Les réunions de la Société de Médecine, momentanément suspendues, reprennent le 27 janvier 1915, sous la présidence de Jules Sterne (Médecin praticien, ancien chef de clinique de Bernheim), qui annonce dans son discours de réouverture : « Mon cher Confrère et ami Guilloz devrait présider cette séance, son état de santé le tient pour quelque temps éloigné de Nancy. Dans une lettre qu'il écrivait il y a quelque temps, il pensait qu'il y avait lieu d'encourager tout ce qui peut stimuler la vie intellectuelle de notre pays ».
La Société de Médecine retrouve sa vie, au rythme d'une séance hebdomadaire durant la première année. Au début, noblesse oblige, le devant de la scène est occupé par les travaux chirurgicaux auxquels les engins de guerre, hélas, assurent un large champ d'étude. La médecine interne n'est pourtant pas en reste, ayant à faire face à toute la misère des armées en campagne.
L'année 1915 s'ouvre ainsi sur une joute passionnée autour des fièvres typhoïde et paratyphoïde, et des « états typhoïdes » dans lesquels on découvrirait soit des formes atypiques, soit des associations bactériennes, soit des infections voisines seulement de la typhoïde. Des rapports documentés de P. Spillmann, de G. Étienne, P. Jeandelize et Soncourt suscitent une discussion animée à laquelle prennent part le Médecin Général Schneider, G. Mouriquand, Gasquet, P. Simon, P. Haushalter, Joltrain, etc..., les portes de la Société étant largement ouvertes aux médecins que le hasard de la mobilisation avait attirés dans la région de Nancy. Sartory et Lasseur soulignent l'intérêt de l'hémoculture à la phase initiale de l'infection, et accordent moins d'importance au sérodiagnostic ; à ce propos, ils précisent avec bon sens : « Nous ne voulons pas dire que l'étude bactériologique doit se substituer à l'examen clinique du malade, loin de là notre pensée, le médecin qui comprendrait ainsi son rôle effectuerait une mauvaise besogne ». Faisant suite à la discussion, de Paris, le Professeur Vincent adresse alors une longue lettre à la Société, précisant sa doctrine personnelle.
D'autres sujets sont traités dans ces séances de temps de guerre, sujets neufs notamment, tel que les répercussions physiologiques de l'altitude sur les aviateurs ou la prostate des automobilistes. Bien entendu, le tétanos aux armées, la gangrène des plaies de guerre, la fièvre de Volhynie, les aspects cliniques de l'épidémie grippale apparue dans l'armée le 22 avril 1918, ne sont pas oubliés.
Les horreurs de la guerre ont aussi leur place, alors que les premiers numéros du journal n'avaient guère abordé de tels thèmes au lendemain de 1870. Le Professeur Guntz, Directeur de l'Institut Chimique de Nancy, fait aux médecins un exposé sur les gaz asphyxiants. Les neurologues étudient les « Psychoses de guerre » (Paris). D'un autre genre est l'étude de F.J. Herrgott, vétéran de 1870, et assurant pendant la guerre mondiale le service de la Maternité ; après Stroganoff, Nothomb, Resanoff, et reprenant quelques propos du Professeur Hartmann de Paris, Herrgott attire l'attention sur « la femme outragée, victime de la guerre », soulevant le problème (toujours d'actualité brûlante) de l'avortement, sans y souscrire, et rappelant à ce propos la déclaration admirable faite peu de temps auparavant par Pinard à l'Académie de Médecine : « Une femme en état de gestation représente fatalement, pour l'homme de science, une dualité au moins deux fois sacrée, impliquant d'une façon inviolable pour lui la protection de la mère et de l'enfant, quelle que soit cette femme, quelle que soit l'origine de l'enfant ». Ce problème, comme le précise Herrgott, n'est pas de ceux qui font progresser la science pure, mais dont la portée et les répercussions sont considérables sur le plan de la morale, de la famille, de la santé.
La Revue de guerre montre aussi comment misère et infirmité rendent ingénieux, suscitent des découvertes, ou plus simplement sollicitent la conception d'appareils prothétiques ou encore, ce que, en langue française on appelle les « aides techniques ». Parmi les présentations d'inventions de ce genre, il en est une qu'il convient de rappeler ici. Le 7 avril 1915, Gaston Michel présentait à la Société une « canne-soutien, pouvant remplacer d'une façon avantageuse les béquilles chez certains blessés des membres inférieurs ». Cette canne-soutien est l'invention « d'un ingénieur très distingué qui, ayant eu de nombreux traumatismes des membres inférieurs, avait eu à rechercher le moyen de diminuer le plus possible son incapacité de travail. Monsieur Schlick, à qui appartient l'idée de cette canne, a pris un brevet, non pas dans un esprit de lucre ; bien au contraire, si cette canne est adoptée, elle sera vendue au profit de l'œuvre des mutilés de la guerre. Le prix de revient sera infime, il ira de 3 à 5 francs ». Qui peut prétendre que la canne de Schlick est anglaise ou canadienne ?
III - 1919. Le retour de l'activité scientifique et universitaire suit celui de la paix. Chacun reprend son poste. Les vides sont comblés. Une nouvelle ère s'ouvre, fortement marquée par trois causes majeures : le développement rapide des moyens d'investigation, la mise en application de la loi du 5 avril 1928 et l'éclatement de la médecine interne.
1° L'avènement des moyens d'investigation transforme profondément les conditions du diagnostic des maladies, en leur apportant le secours des analyses chimiques et biologiques et de la prospection radiologique.
Avant les hostilités, les rayons Rœntgen (1896) voient leurs premiers pas rendus hésitants par un matériel encore au stade expérimental et des clichés encombrants sur plaques de verre. Mais de grands services dans les ambulances et les services hospitaliers chirurgicaux pour le repérage des corps étrangers leur sont dus. Malheureusement, les mauvaises conditions d'emploi les rendaient dangereux : Guilloz a payé de sa vie sa passion à leur égard et son sens élevé du devoir. Après guerre, les progrès techniques ont été très rapides.
Installé primitivement au sous-sol du Pavillon Virginie Mauvais, le service de radiologie, encore bien rudimentaire, a gagné ensuite le sous-sol du pavillon Léonie Bruillard Balbatre, ne trouvant enfin un confort relatif qu'en 1930, au rez-de-chaussée du Pavillon Krug.
Le laboratoire central des cliniques, quoique institué en 1872, a connu pratiquement un demi siècle de quiescence. Les analyses biologiques restaient l'apanage des laboratoires universitaires, considérés comme des émanations de la science pure, comme le font comprendre par exemple les rapports de guerre sur la typhoïde rappelés ci-dessus. En 1920, Georges Etienne comprenant l'immense portée d'une relation étroite et constante entre le laboratoire et la clinique, confie à Marcel Verain le soin de réaliser ses vues : l'homme était tout désigné, par son esprit, son dynamisme, son sens pratique et organisateur, ces qualités naturelles étant au service d'une grande droiture, d'une probité rigoureuse, doublées par surcroît de l'amitié de cœur et d'esprit qui l'unissait à son maître. En dépit de débuts difficiles (le médecin, cet individualiste, a une méfiance naturelle contre toute nouveauté), Marcel Verain, après avoir parfait ses connaissances à l'Institut Pasteur, monte un premier laboratoire à la Clinique médicale B, et peu à peu, l'habitude se répand de compléter les renseignements cliniques par les analyses complémentaires, chimiques, cytologiques, bactériologiques. Plus tard, devenu Chef de service, il est appelé à concevoir et construire un laboratoire d'analyses de routine et de recherches. Le tandem clinique-laboratoire était sur ses rails.
2° A la veille d'élections législatives, en date du 5 avril 1928, les Parlementaires se dépêchèrent de voter la loi dite de Sécurité Sociale (qui était en puissance dans les idées sociales d'Albert de Mun en 1885), au bénéfice des classes sociales les moins favorisées, complétant l'œuvre commencée en 1898 avec la loi sur les Accidents du Travail. Cette loi, dont la mise en application le 1er juillet 1930 fut fixée par un deuxième texte, créant des Caisses d'Assurances Sociales, d'abord autonomes puis définitivement fondues en une institution nationale, les charge d'assumer les prestations médicales, pharmaceutiques et hospitalières, les indemnités des malades contraints à arrêter le travail, les frais de maternité, etc... Fait paradoxal, certaines mesures prophylactiques telles que les vaccinations, en dépit de l'économie qu'elles apportent sur les frais de médecine de soins, ne sont pas prises en charge.
Investigations complémentaires et Sécurité sociale conjuguées bouleversent la vie médicale à partir de 1930, phénomène prévisible mais insuffisamment prévu, puisqu'ils engendrent un nouveau style hospitalier et une augmentation massive de la consommation médicale.
La vocation de l'hôpital change de sens, passant du style Hôtel-Dieu fréquenté par les pauvres hères et les manants, à celui de l'assistance polyvalente et universelle, style « grand ensemble». Changement de clientèle, changement d'ambiance, « changement de vitesse aussi» pourrait-on dire : la « rotation » rapide des hospitalisés remplace la stagnation des sans logis à la recherche d'un havre chaud. La multiplication des examens complémentaires et des soins, s'ajoutant à cela, le volume hospitalier est dépassé par les besoins : Dans les salles des deux Services de Médecine Générale, A et B, on ajoute des « lits bis », et, de 16 ou 20, le nombre des lits par salle dépasse 30 unités. Un surcroît de personnel devient nécessaire. Les Religieuses de Saint-Charles auxquelles malades, corps médical et administration doivent tant de gratitude depuis de nombreuses années, ne suffisent plus à la tâche.
3° Autre conséquence, l'éclatement de la Médecine Interne.
En 1926, l'Hôpital civil institue à Nancy, sur l'instigation de la Faculté, son premier concours de Médical des Hôpitaux, attendu et hautement apprécié. Le Dr Louis Mathieu, premier Médecin des Hôpitaux de Nancy, après avoir assuré le Service de consultations externes de Médecine reçoit la charge d'un service de Cardiologie créé pour lui en 1930, et, occupe les locaux du Service ORL sous les combles du Pavillon Collinet de la Salle, sans ascenseur (sans doute pour réaliser l'épreuve d'effort chez l'insuffisant cardiaque !). Quelques années plus tard, ce sera le tour de la spécialité neurologique à l'intention du Pr Kissel, puis celui de la neurochirurgie confiée à la maîtrise indiscutée d'un jeune agrégé de chirurgie, René Rousseaux. Durant cette période « entre les deux guerres », on vit également bâtir l'Hôpital Fournier (1925) à l'intention du Doyen Louis Spillmann, et fonder une Chaire de Gynécologie confiée à André Binet.
Mais comme à l'accoutumée, la prudence de l'Éducation Nationale marque un retard sur la poussée irrésistible d'éclatement de l'enseignement médical, malgré l'impossibilité désormais d'embrasser l'ensemble des connaissances en médecine interne. Ce retard se retrouve au niveau des concours d'agrégation. Lors du concours de 1939, les candidats anatomopathologistes, bactériologistes, hygiénistes, médecins légistes sont encore astreints à subir les épreuves de Médecine générale, avec seulement, en sus, une épreuve pratique dans leur spécialité. Ce système avait au moins l'avantage d'éviter une claustration menaçant d'être quelque peu stérilisante, en exigeant un minimum de culture médicale générale.
L'orientation spécialisée l'emporte malgré tout, courant irrésistible dont la Revue est le fidèle témoin. Au changement des thèmes traités s'ajoute celui de la présentation. D'un style plus simple, plus étoffées en rappels historiques et en références contemporaines, moins séméiologiques, mais largement pourvues en investigations complémentaires, ne manquant pas de tableaux synoptiques ou synthétiques, comblées d'une iconographie due aux perfections d'édition (qui ne minimise en rien la qualité de planches souvent remarquables réalisées par d'habiles dessinateurs et illustrant la Revue dans ses premières décennies), les publications ont un genre nouveau ; leurs titres sont suivis d'un nombre élevé de signataires. Leur présentation et leurs indicatifs en facilitent le repérage et le classement. Quant au fond, tout en étant d'essence fort différente, il n'enlève rien et n'a rien à envier aux travaux de nos aînés.
Les sujets traités sont choisis d'une autre manière. Une observation originale et rare, publiée seule, est l'occasion d'une revue détaillée des observations identiques de la littérature avec adjonction d'une bibliographie en fin d'article, ce qui n'entrait pas dans les anciennes coutumes. Souvent, il s'agit d'un travail d'ensemble, résumant utilement les données d'un problème ; mais de plus en plus, les sujets sont choisis dans une discipline donnée. La spécialisation en est bien à l'âge de l'adolescence, en attendant celui de l'abondance.
Parallèlement, elle cherche le débouché dont elle a besoin : en certains domaines, elle est dispendieuse, réclamant un appareillage lui-même spécialisé.
Enfin, l'enseignement suit la même voie, et, dans les deux grands services ayant officiellement conservé l'étiquette généraliste, une orientation spécialisée se dessine en clair.
IV - Deuxième guerre mondiale. Nouveau bouleversement de la vie universitaire et hospitalière, plus grave et plus triste dans ses conséquences qu'en 1914-1918. La dispersion est plus grande et plus durable, aggravée par le découpage du pays en trois zones et l'annexion (heureusement provisoire) de l'ancienne région dite d'Alsace-Lorraine ; internements et déportations ont sérieusement éclairci les rangs. Le marasme auquel les présents font face s'exprime dans l'activité ralentie de la Revue, reposant sur les quelques éléments de publications encore utilisables, grattés dans les dossiers d'avant-guerre ou encore avec l'analyse des effets physiologiques ou morbides de la sous-alimentation !
Donnant l'exemple, et toujours à l'affût de tout ce qui peut améliorer les conditions de vie de l'homme, seul ou en collectivité, et avec ce sens aigu de l'organisation qui est l'une de ses forces, Jacques Parisot entreprend avec Charles Friedel (1893-1970) la mise sur pied des premiers éléments de l'Association Lorraine de la Médecine du Travail (dont le fonctionnement très satisfaisant a conduit à la loi de 1946), étendant le bénéfice de cette institution à l'ensemble de la France. Allant plus loin encore, le Doyen organisa le reclassement professionnel. Ainsi se complétait progressivement l'œuvre sociale entreprise en 1898.
Les quatre années d'occupation n'étaient donc pas stériles. Mais à l'heure des premiers signes de l'effondrement de l'hydre allemande rongée d'ambition et assoiffée de cruautés, Joseph Helluy, Jacques Parisot, Maurice Lucien, Paul Louis Drouet, Charles Heully, payant de leur liberté leur attitude ferme devant l'occupant, étaient entraînés vers le camp de Neuengamme-Hambourg.
V - Dernier quart de siècle : l’après-guerre, ère de grands changements dans la vie médicale hospitalo-universitaire. Une mue de la politique économique, la désertion des campagnes au profit des villes, une plus grande aisance financière des classes moyennes et ouvrières, ouvrent l'accès des professions libérales au plus grand nombre. Par surcroît, le changement apporté aux conditions du baccalauréat vers 1960 facilite l'accès aux Facultés, transformé en ruée en 1968. Qu'on en juge :
On comptait en France 16587 étudiants en 1890, 29377 en 1900, 708000 en 1971 (soit 24 fois plus en 71 ans !). A Nancy, sur un total de 22727 étudiants, 4081 sont inscrits à la Faculté de Médecine. Entre 1960 et 1973, comparativement à l'ensemble de la population estudiantine, le pourcentage des jeunes gens inscrits à la Faculté de Médecine passe de 14,7 % à 17,3 %. Dans cet ensemble, la proportion de jeunes filles accédant aux Facultés augmente rapidement, passant de 3,1 % en 1900, à 7,3 % en 1920, à 25,3 % en 1950 et à 45,4 % en 1969, de l'effectif estudiantin global.
Le nombre des malades augmente aussi ; les lois sociales, l'amélioration des conditions matérielles d'existence, la multiplication des moyens d'investigation médicale qu'exigé un équipement lourd, accroissent rapidement l'afflux de la clientèle hospitalière.
Ainsi s'imposèrent une adaptation des locaux, universitaires et hospitaliers, une multiplication des moyens d'étude, une modernisation des installations existantes.
En 1951, l'hospice Saint-Julien, normalement destiné aux vieillards depuis que les enfants en ont été retirés au XIXe siècle, régi par le règlement de Charles III (1594), sert de vase d'expansion aux hôpitaux ; successivement, on y installe le service des maladies rhumatismales puis des services complémentaires, de médecine, de chirurgie, de spécialités.
De nouveaux projets sont proposés et âprement discutés. Celui du Doyen Parisot, utilisant toutes les possibilités offertes sur place, n'est pas accepté ; la préférence est donnée à la construction d'un hôpital suburbain permettant en principe d'accroître le nombre des lits qui, en 1957, est de 1705 (Gauguery). Édifié sur le terrain de la Commune de Vandœuvre, le nouvel hôpital ouvre ses portes, étage par étage, à partir de 1973. L'Hôpital de Brabois répond à la nouvelle conception de la vie médicale, assuré de moyens techniques modernes, tout en n'accordant qu'une augmentation modérée du nombre des lits.
Entre temps, l'administration des Hospices civils de Nancy a acheté à l'armée d'occupation américaine son hôpital de campagne (Hôpital Jeanne d'Arc) à 20 km de Nancy. Le problème hospitalier paraît donc momentanément moins crucial.
Dans les conditions malaisées du retour à la paix, Jacques Parisot porté au décannat, s'attaque aux problèmes concernant la Faculté. Acquise entre les deux guerres, la propriété Bergeret se prête heureusement à des constructions et transformations ouvrant de nouveaux services et laboratoires, et à l'édification d'un vaste amphithéâtre de 700 places. Les installations anciennes sont modernisées. La bibliothèque s'agrandit, gagne en confort et devient davantage fonctionnelle.
Aujourd'hui, à la suite des événements de 1968, une nouvelle Unité d'Enseignement et de Recherche pose ses fondations près de l'hôpital de Brabois. Parallèlement, de nouvelles places sont offertes au corps enseignant. Au cours des dernières années, leur accès est facilité par la suppression des concours sur épreuves à tous les échelons, Internat excepté.
Est-ce à dire que les trois missions de soins aux malades, d'enseignement et de recherche sont en progression constante ? Rien n'est moins certain. Par faute de leur trop grand nombre les étudiants ne bénéficient plus de travaux pratiques suffisants nécessaires à l'épanouissement de leur sens d'observation et à l'enrichissement de leur savoir. Ils ne sont mis en contact avec les malades (en nombre insuffisant par rapport au leur), que durant un temps trop bref au cours de leurs études, dans trois services universitaires seulement. La spécialisation, de panorama trop étroit pour eux, favorable peut-être à l'analyse, n'est pas propice à l'esprit de synthèse dont le futur généraliste a besoin. Au lendemain de sa thèse, le jeune médecin moyen est peu apte au diagnostic précis et à l'établissement d'une thérapeutique appropriée et pondérée, non fantaisiste et non kaleidoscopique.
Au surplus, la conjonction d'une médecine menacée de gigantisme autant que de dispersion comminutive, d'un retard permanent et croissant de l'appareillage clinique et expérimental, d'un accès trop large aux études médicales accordé à un nombre de jeunes supérieur aux besoins réels de la collectivité, et aussi des exigences de la recherche, soit scientifique pure, soit pour raison d'expertise médicamenteuse, imposées aux malades sans bénéfice direct pour leur santé, cette conjonction, dis-je, n'oriente-t-elle pas vers une médecine technologique, de type industriel, incompatible avec le sens de l'humain que le patient désire rencontrer chez son médecin ?
La fin du premier siècle d'existence de ce que sont aujourd'hui les Annales Médicales de Nancy aborde un virage difficile.
Les Annales font écho aux mutations invoquées, non en clair, mais en filigrane. Scientifiquement elles consacrent encore quelques séances aux travaux de tous genres, accordant plus de place aux spécialités pures dont le nombre s'accroît. Elles reflètent les travaux de la Société de Médecine, celle-ci n'étant plus guère fréquentée que par les disciples de la Spécialité à l'ordre du jour.
Il est heureux que les Annales gardent leur vie propre, leur intérêt majeur de trait d'union entre les disciplines de la médecine interne, entre leurs participants, leur très grande portée dans la mise à jour des connaissances. Nouvelles techniques, nouvelles maladies découvertes, progrès de la thérapeutique, analyses bibliographiques, nouvelles professionnelles. Dans la période d'après guerre, elles ont contribué à faire connaître les nouveaux moyens de traitement, antibiotiques, hormones, perfectionnement de la transfusion sanguine, réanimation médicale, et cela sans minimiser pour autant la valeur d'autres médications utiles. De ce trépied thérapeutique, la chirurgie a tiré un immense profit, gagnant en sécurité opératoire et en succès définitifs plus nombreux.
La tenue des Annales de Nancy souligne le mérite de ceux qui en sont responsables et ont droit à notre admiration et à notre gratitude.
Qu'il nous soit pardonné de ne pas pénétrer dans le détail d'une histoire instructive et passionnante, ayant insisté davantage sur les feuillets jaunis par le temps et vénérables par leur valeur intrinsèque. En revanche, s'attarder sur la science en marche, aux mains de vivants dont les années futures sont pleines de promesses et ardentes d'espoir n'est pas notre propos. L'éclosion de la pensée nouvelle ne se fait pas en un jour, ne peut se juger qu'avec le recul, et je n'ai pas de talent pour écrire des « mémoires d'avenir ».
Aux guides de la Médecine interne moderne, je souhaite de poursuivre l'œuvre de leurs prédécesseurs, en comprenant qu'à chaque âge correspond une pierre de l'édifice et que toute pierre a sa valeur. Comme les ouvriers sur une échelle se transmettent une pile de briques, tous font le même effort, celui du haut de l'échelle n'ayant ni mérite ni gloire plus que celui tout en bas. C'est en d'autres termes la pensée qu'exprimait Bernheim dans sa critique de l'enseignement : « ... dans notre science, plus que dans toutes les autres, la division du travail s'impose, comme condition de progrès ou de vérité. Vita brevis, ars longa ! ». :
QUELQUES ÉVOCATIONS BIOGRAPHIQUES
Du transfèrement à ce jour, deux séries de titulaires se sont succédées à la tête des deux cliniques de Médecine interne. Un tableau d'ensemble est présenté pour en faciliter la compréhension, établi en fonction de la répartition dans les deux pavillons Collinet de la Salle et Roger de Videlange, ayant débuté en 1883, pavillons désignés plus communément aujourd'hui en A et B.
Si la nomination à la chaire de clinique médicale a eu lieu par transfert, la chaire de titularisation est indiquée.
Les biographies sont obligatoirement sommaires ; il est aisé d'en saisir le motif. Le lecteur, curieux d'une documentation plus riche sur chacun des hommes dont la mémoire est évoquée, se reportera naturellement à la Revue médicale de l'Est, à la Revue médicale de Nancy ou aux Annales médicales de Nancy, selon l'époque considérée.
On nous pardonnera de ne pas apporter, en fin de ce travail, un index bibliographique. Des références, en nombre très élevé, sont facilement trouvées non seulement dans la Revue dont on fête le Jubilé, mais encore dans le Bulletin de la Société de Médecine entre 1844 et 1919, et dans les ouvrages intéressant l'histoire de la Lorraine.
CLINIQUE MÉDICALE A
La chaire de Clinique médicale A en est à son huitième titulaire. Elle a été occupée successivement par MM. Hirtz, H. Bernheim, M. X.J. Schmitt, P. Simon, L Richon, E. Abel, P. Michon. Son huitième titulaire est René Herbeuval.
Matthieu Marc Hirtz (1809-1878) fait ses études à Strasbourg, gagnant rapidement ses grades hospitaliers, et soutenant sa thèse en 1836 sur « Recherches cliniques sur quelques points du diagnostic de la phtisie pulmonaire », et acquiert le titre d'Agrégé de Médecine en 1839. Devenu Professeur de Pathologie interne et Clinique médicale en 1861, il est transféré dans la même chaire à la Faculté de Nancy en 1872.
L'activité scientifique de Hirtz concerne surtout la période de sa vie universitaire Strasbourgeoise ; il a publié de nombreux articles, soit cliniques, soit thérapeutiques (études sur l'aconit, la jusquiame, le datura, la digitale, etc...) ; il a collaboré aussi à plusieurs chapitres du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique de Jaccoud.
Son installation à Nancy a été suivie à peu de distance d'ennuis de santé, l'obligeant à confier son enseignement clinique à Hyppolyte Bernheim.
Gross le dépeint ainsi : « Carrière noblement remplie, utile à la science et à l'enseignement. Intelligence vive et d'une grande sagacité, jugement d'une merveilleuse lucidité, nature, fine, parole pleine de charme, de science et d'élévation. Professeur habile et praticien très répandu en Alsace. »
Hippolyte Bernheim (1840-1919) gravit les échelons des études médicales à la Faculté de Strasbourg, Interne en 1862, aide de clinique la même année, et soutient sa thèse en 1867 sur la Myocardite aiguë. Il réussit le concours d'agrégation dès l'année suivante, mais pour le jeune agrégé de 28 ans, le désastre de 1870 menace une carrière qui s'annonçait brillante.
Le décret de transfèrement conduit Bernheim à Nancy en 1872, et lui offre une compensation au sacrifice de l'émigration il est nommé agrégé dans la Clinique médicale de Hirtz. Son «Patron», dès l'année suivante (20 novembre 1873), est mis en disponibilité sur sa demande pour raison de santé. Et voilà le jeune maître de 33 ans, à la tête d'une Clinique médicale qu'il n'abandonnera qu'à l'heure de la retraite.
La dureté du sort a parfois d'heureuses conséquences, et à la compensation de Bernheim s'ajoute celle de la nouvelle Faculté de Médecine de Nancy, qui, après 1870, compte dans les rangs de ses enseignants un maître d'une valeur exceptionnelle.
Dès la leçon d'ouverture qu'il fait en 1873 en lieu et place de son maître Matthieu Hirtz, il n'hésite pas, devant les élèves, à montrer comment il conçoit la vie et le rôle du Professeur de Clinique médicale : « Si, dans les arts ou dans les sciences exactes, on peut, par les qualités innées ou par la puissance du travail, s'élever, jeune encore, au rang des maîtres, dans une science comme la nôtre, il faut de longues années d'observation personnelle pour acquérir l'autorité magistrale... A celle qui me manque, je suppléerai par mon dévouement et mon désir ardent d'être utile à chacun de vous ; votre indulgente et bienveillante attention facilitera ma tâche. » Quelle leçon dès le départ, utile encore de nos jours, pour les disciples des personnages de Jean Baptiste Poquelin !
En 1878, Bernheim est nommé titulaire de la Clinique médicale. Retracer l'œuvre scientifique du maître de l'École de Nancy est une gageure, car si, pour un esprit superficiel, elle se limite à l'hypnotisme, c'est oublier les impératifs de l'enseignement de la médecine pratique au lit du malade, de sa charge hospitalo-universitaire.
La part prise dans le domaine neurologique sera exposée ailleurs mieux qu'on ne saurait le faire dans cette étude ; notons seulement le point de départ curieux de ses recherches à propos de la magnetothérapie, c'est-à-dire l'emploi d'un aimant considéré comme esthésiogène, à la suite de travaux de Andry et Thourel en 1779-1780.
Ne s'attardant pas sur une méthode empirique incontrôlable, l'esprit critique et le bon sens de Bernheim, après analyse de la méthode de Liébeault et une longue pratique clinique lui inspirent 90 publications d'orientation neuropsychiatrique (dont une bonne douzaine dans la Revue médicale de l'Est). De là sa conviction dans l'utilité de la suggestion, tandis que l'hypnotisme est une technique d'exception.
Devant l'opposition de Charcot, il sait se défendre, car « c'était un rude jouteur qui défendit avec la dernière énergie les idées que son expérience et sa raison lui faisaient considérer comme vraies. Il a eu le rare bonheur de voir ces idées acceptées d'une façon à peu près générale, bien que quelquefois démarquées » (Jules Sterne).
Les conférences faites pour le plus grand profit des étudiants portent sur tous les sujets, les typhoïdes (sujet de sa thèse d'agrégation), le rhumatisme, les aortites, l'asthme cardiaque, le brightisme, l'asystolie, la grippe, etc... Toute observation le passionne, fait l'objet d'une analyse minutieuse et d'une discussion serrée du diagnostic. Il a cependant un certain penchant pour la cardiologie ; il est le premier à signaler le refoulement et l'écrasement du ventricule droit du fait de l'hypertrophie du ventricule gauche, et il décrit les signes de l'asystolie en les rapportant à leur véritable cause (Revue médicale de Nancy, 1909). Ce syndrome porte son nom à juste titre.
« Bernheim n'est pas seulement un homme de science et un clinicien de haute valeur, il est profondément dévoué à la Faculté de Médecine et à l'université de Nancy. Il s'est de tout temps intéressé aux différents problèmes qui se sont posés pour assurer le progrès de l'une et de l'autre » (Gross). D'ailleurs, ses conceptions administratives le font désigner comme assesseur du Doyen en 1882, deux ans après un rapport présenté à la Société pour l'étude des questions d'enseignement supérieur au nom de la section de Médecine de Nancy (Revue médicale de l'Est, 1880). Depuis cette date, il rédige à douze reprises des rapports critiques sur l'enseignement médical et les remèdes à y apporter.
Dans une vision d'avenir (car en son temps l'observation personnelle est la base essentielle de la publication scientifique), le grand savant et le clinicien accompli qu'est Hippolyte Bernheim se prononcent avec autorité en faveur de la division du travail, plus profitable et plus enrichissante, tout en se gardant d'une dispersion excessive et, par là, dangereuse.
Marie Xavier Joseph Schmitt (1855-1912). Interne des Hôpitaux et Aide de Clinique en 1877, soutient sa thèse sur la contribution à l'étude symptomatique et thérapeutique du diabète sucré et obtient au Concours le grade d'Agrégé de Médecine (Thèse : « de la tuberculose expérimentale ») en 1883. Il est chargé alors d'un cours de Pathologie infantile et d'une consultation pour enfants, puis d'un cours de dermatosyphiligraphie (1887), et, deux ans plus tard encore, du cours de thérapeutique et matière médicale (1889). Complaisant en toutes disciplines, il en est récompensé par la titularisation dans la Chaire de Thérapeutique et matière médicale (1891). Enfin, en 1910, il est transféré dans la Chaire de Clinique médicale, devenue vacante par le départ en retraite de Bernheim.
Malheureusement, son apogée universitaire est de brève durée, la mort le frappant en 1912.
Et cependant, l'œuvre de Schmitt est féconde. Ses travaux s'intéressent à de nombreux sujets : troubles neurologiques et vasculaires, cancérologie, cirrhoses, infections (choléra de 1884 notamment), et, bien entendu, toxicologie et pharmacologie (études sur les dérivés du chloral, l'oxymel scillitique, l’aristal, la théobromine, le traitement salicylé du R.A.A., les métaux colloïdaux, etc...).
Schmitt collabore au Traité de thérapeutique appliquée de Robin (1896), à divers congrès, et publie deux ouvrages : « microbes et maladies » (1896), « diagnostic et thérapeutique des maladies infectieuses » (1902).
De nombreuses publications figurent dans la Revue médicale de l'Est : noblesse oblige, car Schmitt assume la lourde responsabilité de rédacteur en Chef de la Revue, de 1883 à 1891.
Hélas, il n a pas eu la chance de donner toute sa mesure dans le cadre de la Médecine générale.
« Professeur éminent, grand labeur scientifique pendant les 20 années de son enseignement de la thérapeutique ; s'est adonné après sa mutation de chaire, à l'enseignement clinique avec une ponctualité scrupuleuse, un dévouement inlassable, qui promettaient une contribution féconde de recherches cliniques, entouré de la considération générale » (Gross).
Paul Simon (1857-1939) est un élève brillant dans l'enseignement secondaire comme dans l'enseignement supérieur, et, après une thèse de doctorat intitulée « quelques faits sur l'anévrysme de l'aorte » (1882), il est reçu au concours d’agrégation de Médecine à l'âge de 29 ans (1886).
Ses conférences sont très appréciées, sur le diagnostic médical, la Pathologie générale, les maladies des enfants, enfin sur la Pathologie interne dont il occupe la chaire en 1894. Ascension rapide, Simon est titulaire à l'âge de 37 ans. Ses publications sont multiples et touchent tous les domaines. Avec Bernheim, son maître, il publie un recueil de faits cliniques (1890). Son nom paraît dans la Revue médicale de l'Est et dans de nombreuses revues, notamment la Revue de Médecine, le Bulletin général de Thérapeutique. On le retrouve dans les congrès : Congrès médical de Lille, 1899 (accoutumance des médicaments), congrès international de la Tuberculose (Histoire de la Tuberculose en Lorraine), congrès d'Hygiène sociale (préservation de la jeunesse contre la tuberculose). En 1925, deux ans avant sa retraite, il préside le XVIIIe congrès des Médecins de Langue française à Nancy.
Paul Simon est appelé à reprendre la Clinique médicale devenue vacante en 1912 par la mort prématurée de Schmitt, dans le service de Bernheim, après avoir assuré le service clinique de la Maison de Secours.
Calme, posé, de caractère égal, il a été un clinicien de valeur en même temps qu'un travailleur de laboratoire. Il savait se montrer humain, rassurant. Sa bonté allait à ses malades comme à ses élèves.
Louis Richon (1874-1958), originaire de Metz, fait ses études supérieures à Nancy où ses parents s'installent en 1886 pour fuir « l'occupant ». Le 27 juillet 1899, il soutient sa thèse sur la paralysie diphtérique.
Chef de Clinique d'Hippolyte Bernheim en 1899, il est reçu au concours d'agrégation et nommé en 1904. Sa formation est marquée par l'influence de trois maîtres, Paul Spillmann, Paul Haushalter et surtout Bernheim, comme en témoignent ses travaux sur la Neurologie, la gastro-entérologie, la cardio-angéiologie. Les circonstances universitaires ont maintenu longtemps Louis Richon à la Clinique des maladies du vieillard à l'Hospice Saint-Julien.
Professeur sans chaire en 1920, il est nommé titulaire de Pathologie interne et Clinique Propédeutique en 1923, et consacre son enseignement magistral théorique aux maladies du tube digestif.
Enfin, en 1927, il accède à la Chaire de Clinique médicale, retrouvant le 1er étage du pavillon Charles Edouard Collinet de la Salle où il avait travaillé du temps de Bernheim.
Louis Richon, de conscience scrupuleuse, a été un médecin complet, s'appliquant tout ensemble à ses devoirs de « patron » hospitalier, à la recherche scientifique et à la clientèle de ville qui sollicitait ses soins éclairés. Mais « bien que consultant réputé et recherché, il n'a pas hésité, voyant croître le nombre des hospitalisés et des étudiants stagiaires de sa clinique, à renoncer à la clientèle privée pour se consacrer uniquement à son devoir d'état » (E. Abel).
De son œuvre importante, une mention doit être faite de ses publications en collaboration avec son maître Bernheim, avec son ami Maurice Perrin, et surtout avec Jeandelize dans le domaine de l'endocrinologie expérimentale. Participant à divers congrès, il a présenté un rapport très remarqué sur l'angine de poitrine au XVIIIe Congrès français de Médecine, à Nancy en juillet 1925.
Comme Abel l'écrivit fort justement « Louis Richon est mort sans bruit et a gagné sa dernière demeure avec la simplicité et la discrétion qui furent le propre de toute sa vie ».
Emile Abel (1885-1964) s'oriente d'abord vers la médecine militaire et doit poursuivre ses études à la Faculté de Lyon dès la 2e année de Médecine. Affecté à Nancy, au sortir du Val de Grâce, il est surpris par la guerre en 1914.
En 1921, après avoir quitté le service de Santé militaire, il est reçu Chef de Clinique et de Laboratoire de Médecine infantile. N'ayant pas une vocation de pédiatre, il se présente au concours de Médecin des Hôpitaux de Nancy en 1926 (ce concours avait lieu pour la première fois), et réussit brillamment. Il est affecté alors à un service de Médecine complémentaire.
Chargé de cours de Pathologie interne en 1928, il est promu Agrégé au concours de 1930. En 1936, il est chargé du service Femmes de l'hôpital Villemin, puis, après un an de passage dans la chaire de Thérapeutique, Emile Abel devient titulaire de la Clinique médicale en 1942, dans ce service du Pavillon Collinet de la Salle, antérieurement tenu par son beau-père Paul Simon.
L'œuvre d'Abel est marquée au coin d'une conscience poussée jusqu'au scrupule. Son passage en Clinique médicale infantile a inspiré ses recherches sur les réactions méningées dont l'exposé d'ensemble a fait l'objet d'un rapport sur les méningites aiguës curables au Congrès de Médecine de 1936 ; la même année, il prenait part au Congrès de Vittel consacré à la goutte.
Emile Abel a été, comme les maîtres qui l'ont formé, un généraliste intéressé par tous les aspects de la médecine interne ; avec raison, il défendait l'examen consciencieux du malade, la nécessité de consigner tout symptôme quelle qu'en soit l'importance, redoutant cependant que la « haute technicité n'entraîne une fragmentation excessive de la médecine, faisant perdre de vue la personnalité du malade » (Heully).
Au sortir de la vie universitaire, Emile Abel, esprit traditionaliste, reste fidèle à la Médecine, comme le reflètent ses communications à l'Académie de Stanislas à laquelle il appartenait.
Grande simplicité et ténacité, très attaché à son service hospitalier et surtout aux pauvres qui y étaient admis, conscience de roc et modestie, telles sont les qualités qui ont donné à Emile Abel toute sa grandeur.
Paul Michon (1897-1964), retardé dans ses études par la première guerre mondiale qui le retient aux armées où il s'engage en 1915, libéré en 1919, est successivement Externe en 1920, Interne des Hôpitaux en 1921, Chef de Clinique médicale dans le service de Paul Simon en 1924, puis nommé au Concours de Médecin des Hôpitaux en 1929 ; il est alors affecté au service des vieillards de l'Hôpital Saint Julien (1929-1939).
Entre temps, il soutient sa thèse de Doctorat ; « De l'immunisation active dans le traitement curatif des tumeurs malignes chez l'homme», ouvrage important et d'avant garde qui lui vaut le prix de thèse (Fondation Schemel).
Le titre d'Agrégé de Médecine lui est conféré à la suite du concours de 1939. Mais, à peine nommé, il est rappelé sous les drapeaux par la seconde guerre mondiale. Au cours des 20 années écoulées, les circonstances veulent que Paul Michon cherche sa voie, ce qui aux yeux de quelques uns semblait trahir une certaine instabilité. En fait, comme ceux de ses prédécesseurs, ses travaux sont en partie sous la dépendance du hasard de la Clinique médicale où affluaient les « tout-venants » ; mais pendant plusieurs années, Paul Michon manifeste quelque attirance pour la neurologie et la gastrologie.
Les enseignements dont il est chargé sont la Propédeutique médicale (1942-1946), Pathologie Interne (1947-1949), et enfin l'Hématologie et la Transfusion sanguine (1958).
Sur le plan hospitalier, il devient Directeur du Laboratoire central des cliniques en 1954, succédant à celui qui avait le premier illustré ce poste, Marcel Verain.
Débordant à la fois d'idées nouvelles et d'un besoin d'action, Paul Michon a une activité parallèle qui lui est très chère : co-directeur du Centre de Transfusion des Hôpitaux de Nancy depuis 1937 (au cours des douze années précédentes, les transfusions étaient effectuées dans les services de façon artisanale), il devient Directeur en 1948. Il n'a de cesse alors de réaliser un Centre spécialisé avec tout l'équipement scientifique et matériel qu'une telle entreprise mérite. Hélas, l'inauguration officielle de ce Centre sous la Présidence de Jacques Parisot et en présence de M. Marcellin, Ministre de la Santé publique, n'a lieu que quelques mois après sa mort.
Mais revenons à la Clinique médicale. Le départ en retraite d'Emile Abel en 1955 entraîne la vacance de la Chaire. A peine titularisé dans la Chaire de Thérapeutique et Pharmacologie durant cette même année, Paul Michon est muté à la Clinique médicale en 1956, assurant magistralement sa nouvelle fonction jusqu'au jour où la maladie le contraint à sa mise en disponibilité.
Cependant, de nombreuses preuves révèlent l'ardeur du Maître. Son activité débordante le conduit à entrer comme membre actif dans une douzaine de Sociétés savantes, sans oublier la participation active manifestée dans les Congrès. Parmi ses titres, il convient de mentionner celui de Membre correspondant de la Société médicale des Hôpitaux de Paris, et surtout celui de membre correspondant national de l'Académie Nationale de Médecine.
L'œuvre de Paul Michon est considérable, orientée par les Maîtres avec lesquels il a collaboré, la dermatologie, la neurologie, l'endocrinologie, la gastroscopie ; mais elle est fortement dominée par l'Hématologie.
L'homme est ingénieux, curieux de toutes choses, s'efforçant d'embrasser le maximum de ce que la création a mis à sa portée : son titre de licencié ès-Sciences naturelles en témoigne, avec mention de Licence d'Enseignement. Il est inventif, et ne manque pas de composer lui-même son appareillage ou de perfectionner les instruments déjà existants. Il fait lui-même ses microphotographies.
L'homme est fort sympathique par surcroît. D'un abord aimable, toujours souriant, aux « propos pleins de gaîté », très serviable, il est attirant pour les jeunes, en même temps qu'un « patron amical et affectueux, attentif aux joies et aux peines de chacun, compréhensif et réconfortant, sachant laisser de grandes responsabilités tout en maintenant ferme la direction de l'ensemble. Il savait se faire respecter. Il avait su se faire aimer ». (A. Larcan).
CLINIQUE MÉDICALE B
Cette chaire a été tenue successivement par des maîtres jouissant d'une certaine longévité, puisqu'ils sont seulement au nombre de six ; ce sont : V. Parisot, P. Spillmann, G. Étienne, M. Perrin, P.-L. Drouet, suivis de P. Kissel.
Victor Parisot (1811-1895), après avoir gravi rapidement les échelons des études médicales, soutient sa thèse à Paris en 1836 sur : « Considérations sur quelques points de l'Histoire de la fièvre typhoïde ». A l'âge de 38 ans, il devient titulaire de la chaire de Clinique interne de l'École préparatoire de Médecine et de Pharmacie de Nancy (1849), étant ensuite le seul à conserver sa chaire de Clinique lors du transfèrement de 1872. Enfin, assesseur du Doyen de 1881 à 1885, il prend sa retraite en 1886.
Médecin généraliste, il fait porter ses travaux principalement sur la fièvre typhoïde ; en réalité, son activité s'étend à différents domaines, appartenant à la Commission administrative des Hospices civils. Président du Conseil central d'Hygiène départementale, membre de la Commission de surveillance des Prisons. Il entre également dans le Conseil municipal de la ville de 1875 à 1879, où il devient premier adjoint au maire et Président de la Commission municipale d'Hygiène. Il préside également la Commission de surveillance de la Bibliothèque publique.
Dans ses jeunes années, il assura, de 1837 à 1848, la charge de Médecin du Bureau de Bienfaisance. On le trouve également membre des commissions du conservatoire de Musique et de l'École régionale des Beaux Arts, aussi bien que membre de la Commission des enfants du Premier Age, etc...
Tous ces titres montrent combien ce « Professeur aimé de ses élèves, esprit fin, délicat, ouvert à toutes les grandes choses » a su inspirer la confiance et ne s'est jamais dérobé aux devoirs auxquels ses qualités d'homme et de savant l'avaient préparé.
Il fut le premier à occuper la Clinique médicale du Pavillon Roger de Videlange, en 1883, dans le nouvel hôpital civil dont il a relaté l'inauguration dans la Revue médicale de l'Est.
Enfin, Victor Parisot était préoccupé des conditions d'enseignement de la Médecine. Dix ans avant sa retraite, il connut l'expérience de la décision ministérielle imposant à tout candidat à la profession médicale l'obligation des baccalauréats de Lettres et de Sciences. Personnellement, il estimait que l'enseignement secondaire classique était une préparation nécessaire à la vie médicale. Près d'un siècle plus tard, une telle opinion ne peut pas être désavouée.
Paul Spillmann (1844-1914), licencié es-Sciences naturelles (1866), Interne des Hôpitaux de Paris (1867), Docteur en Médecine en 1869 (Thèse : «Les syphilis vulvaires »), toujours à la Faculté de Paris, exerce, pendant l'année terrible la fonction de médecin de l'ambulance des prisons de Nancy. D'ailleurs, il est d'origine nancéienne.
En novembre 1872, il assume la charge de Directeur des autopsies à la Faculté, tout en poursuivant la montée des échelons universitaires : chef de clinique médicale en 1877, il est reçu brillamment au Concours d'agrégation de Médecine et de Médecine légale en 1878 (Thèse : « Tuberculisation du tube digestif »).
Médecin de la Maison de Secours en 1879, Paul Spillmann est chargé d'une conférence de diagnostic médical l'année suivante, puis d'un cours annexe de dermato-syphiligraphie. Enfin, il accède à la Chaire de Clinique médicale en 1887. Agé seulement de 43 ans, il va donner toute sa mesure jusqu'à sa retraite en 1914.
A l'instar de ses maîtres et de ses pairs, il s'intéresse à tous les chapitres de la Médecine, mais plus spécialement, comme son fils plus tard, aux maladies vénériennes. Avec Maurice Perrin, il publie sur le tabès et la paralysie générale, puis communique sur les lésions vasculaires et nerveuses de la syphilis. Au congrès international de Médecine de Paris (1900), il présente un rapport sur la syphilis et les érythèmes polymorphes, et, en 1906, au congrès d'Hygiène sociale de Paris, il parle longuement de la Préservation de la jeunesse contre les maladies vénériennes.
On rencontre Spillmann au Congrès de Bordeaux en 1895 (polynévrites mercurielles), et à celui de Nancy au cours de l'année suivante (typhus exanthématique).
Outre les communications présentées à la Société de Médecine de Nancy ou extra muros, Spillmann a écrit un manuel de diagnostic médical (4 éditions entre 1884 et 1902) traduit en Italien et en Espagnol ; il publie avec Haushalter un précis de diagnostic médical et d'exploration clinique ; il collabore au traité de Thérapeutique appliquée de Robin et au Dictionnaire Encyclopédique des Sciences médicales de Dechambre.
« Clinicien de valeur, enseignement très apprécié par les élèves, et toujours au courant de tous les progrès de la science. Grande notoriété médicale. A abordé au cours de sa carrière professorale tous les sujets qui peuvent intéresser un clinicien, et avec le plus grand succès » (Gross).
La tuberculose et la lutte antituberculeuse ont également retenu son attention : président fondateur de l'œuvre lorraine des tuberculeux (1891), dont dépend le sanatorium de Lay-Saint-Christophe (reconnu d'utilité publique le 6 janvier 1902), il est nommé Vice-Président de la Fédération des œuvres contre la tuberculose fondée en 1902 à Paris sous la présidence du Professeur Brouardel.
Ainsi, Paul Spillmann, tout en dirigeant un service de Clinique médicale très apprécié, a le souci des grands fléaux, syphilis et tuberculose, et sans titre universitaire spécialement orienté, comme on aurait tendance à l'exiger de nos jours pour lui conférer « un droit », a mené contre eux une lutte constante.
Au titre justifié de grand médecin, il convient donc de joindre celui de grand hygiéniste.
Georges Étienne (1866-1935), selon l'expression sportive de notre époque, prend le départ « sur les chapeaux de roue». Externe des Hôpitaux en 1889, Interne en 1890, Prix Bénit de l'Internat en 1892, Docteur en Médecine en 1893 après soutenance d'une thèse sur les « Pyo-septicémies médicales », Chef de Clinique médicale en 1894, il réussit le concours d'agrégation de Médecine en 1895, soit 6 ans après le concours d'Externat ! Il est alors âgé de 29 ans. Mais ensuite, il marque le pas ; les vacances de chaires sont rares. Dans l'attente, il reçoit une charge de cours complémentaire de clinique des maladies du vieillard, le poste de médecin adjoint de l'hospice Saint-Julien (installé depuis peu à son emplacement actuel), puis une charge de cours de Pathologie générale lui est confiée, ainsi qu'une charge de cours de pathologie médicale et thérapeutique à l'enseignement dentaire.
C'est le 10 février 1913 seulement que Georges Étienne est nommé Professeur de Pathologie générale et Interne. Presque aussitôt, la mise à la retraite de son maître Paul Spillmann, le fait accéder, par mutation, à la chaire de Clinique médicale le 12 mai 1914.
Il est permis de penser que l'attente d'une chaire pendant 18 ans a été l'un des ferments, pour l'agrégé jeune et brillant, de l'activité scientifique débordante exprimée dans l'éclosion d'une multitude de publications en tous domaines, classées par l'auteur même dans les rubriques de pathologie générale, de maladies infectieuses (pneumocoque, bacille d'Eberth, tuberculose, syphilis), endocrinologie, neurologie, pathologie cardiovasculaire, thérapeutique. Toute observation originale fixait l'attention du maître. Celui-ci ne dédaigne pas non plus la « médecine parallèle », et avec humour et finesse, il rapporte les secrets de rebouteux de son pays Vosgien : « Quelques pratiques thérapeutiques en usage dans les campagnes, particulièrement en Lorraine ».
Si l'on voulait retracer toute la pensée scientifique de Georges Étienne, il faudrait faire aussi le tour de tous les congrès, dont il était l'un des habitués fidèles. Entre le Congrès de Nancy de 1896 et celui de Paris en 1912, on le voit à Montpellier, Lille, Bruxelles, Genève, Lyon, etc... et, en tous endroits, il présente soit un rapport, soit quelques communications. De nombreuses sociétés savantes l'ont accueilli parmi leurs membres, et, souvent l'ont élevé à la Présidence. Dans ce champ d'activité, la Société de Médecine de Nancy tient une place de choix. Georges Étienne l'a fait vivre, les communications signées de son nom figurant presque à chaque séance. D'ailleurs, il attachait un tel prix à la Revue médicale de l'Est qu'il accepta, avec grande satisfaction d'en devenir le Rédacteur en Chef pendant 16 ans, de 1919 à sa mort.
Ceux qui l'ont connu se souviennent de l'homme distingué, affable, courtois, disponible, accueillant à tous, arrivant chaque matin à son service, ayant en main la ou les revues dont il avait eu le temps de prendre connaissance dans le taxi qui le menait à l'Hôpital. Travailleur infatigable, il ne se reposait qu'à une heure avancée de la nuit.
Maurice Perrin (1875-1956), licencié es-Lettres à 19 ans (philosophie), nommé Interne des Hôpitaux en 1898, Aide de Clinique en 1900, Docteur en Médecine en 1901 (thèse sur les Polynévrites). Il contribue, dès 1899, aux Annales de Clinique médicale de Bernheim. En 1903, à peine nommé Chef de clinique médicale, il est admissible au concours d’agrégation, mais n’obtient le grade d'Agrégé qu'en 1910. Il est affecté alors à la Clinique de la Tuberculose, poste hospitalier qu'il tiendra pendant un quart de siècle. En 1925, il est nommé titulaire de la chaire de thérapeutique et Pharmacologie, et enfin accède à la Clinique médicale en 1936.
L'œuvre de Maurice Perrin est considérable ; au moment du Concours d'agrégation, on dénombre déjà plus de 200 communications touchant absolument à tous les domaines, dont de nombreux textes occupant les pages de la Revue médicale de l'Est. Certaines d'entre elles méritent d'être revues et méditées : le 12 juillet 1904, il expose ses résultats obtenus dans le traitement de l'anémie des cirrhotiques par l'extrait de foie, sujet sur lequel il est revenu à diverses reprises, notamment, au Congrès Français de Médecine en 1907. Maurice Perrin est le véritable père de l'hépatothérapie, 21 ans avant Murphy ; malheureusement, ses travaux, n'ont pas retenu l'attention (ils n'avaient pas eu les honneurs de la presse anglosaxonne !)
Comme ses prédécesseurs, Maurice Perrin s'intéresse beaucoup aux infections, mais sa curiosité de toutes choses peut être soulignée par quelques titres de communications, tels que : « Ostéomalacie sénile », « l'hygiène et les tramways de Nancy », « étude sur le venin d'abeilles », « comment améliorer la patente », « les leucocytes chez les cirrhotiques », « à propos du lancement d'un produit pharmaceutique (considérations financières et déontologiques) », etc...
Plus soucieux d'être utile et serviable que de la vaine gloire d'exposés savants... et caducs, Maurice Perrin porte intérêt à tout ce à quoi et à qui on peut apporter un appui ou un remède efficaces.
Avant Santenoise, avant Louis Merklen, intéressé dès les premiers travaux de la Source Lanternier à Nancy-Thermal, il introduit la crénothérapie dans son cours de thérapeutique, et à titre de travaux pratiques, organise des « voyages d'étude médicale » dans les centres thermaux et climatiques, méthode d'enseignement fort appréciée des élèves.
Maurice Perrin laisse le souvenir d'une grande bonté, d'une grande indulgence aussi vis-à-vis de certaines critiques dressées contre lui : malgré la peine qu'il en a ressenti, son sens de la charité l'a engagé au silence. Bon pour ses malades, ne se départissant pas de son sourire, de son abord serviable, Maurice Perrin donne l'exemple d'un homme de bien et d'un travailleur laborieux.
Paul Louis Drouet (1892-1955), Interne des Hôpitaux au sortir de la première guerre mondiale en 1919, Docteur en Médecine l'année suivante, s'oriente d'abord vers la Dermatologie-Syphiligraphie en devenant le Chef de Clinique de Louis Spillmann en 1922. Les grades de Médecin des Hôpitaux (1929) et d'Agrégé de Médecine générale (1930) complètent sa promotion.
Drouet devient ensuite titulaire de la Chaire de Thérapeutique en 1938, puis, en 1941, obtient son transfert en Clinique médicale. En souvenir de son maître Georges Étienne, son transfert du Pavillon A au Pavillon B lui est accordé en 1942.
Les publications de Paul Louis Drouet sont d'abord centrées sur la dermatologie, puis, à partir de 1928-1930, elles concernent les divers chapitres de la Médecine générale. Parmi elles, on peut rappeler surtout tout d'abord les recherches sur l'hypophyse, lobe postérieur principalement, dans ses rapports soit avec les phénomènes de pigmentation (expériences sur les mélanophores de la grenouille), soit avec la sécrétion gastrique, puis ses travaux sur le mécanisme sécrétoire des glandes surrénales ; il imagine les moyens d'excitation et de sédation de ces glandes par injections portées au contact des nerfs splanchiques.
En outre, Drouet collabore à la lutte antivénérienne dans la section spécialisée de l'office départemental d'Hygiène Sociale, au Dispensaire Fournier et au Service spécialisé de la Maison d'Arrêt. Lorsque, sur la proposition du Doyen Jacques Parisot est réalisée sur le terrain de l'Institut régional d'Hygiène cette œuvre qui, dans la suite, en France comme à l'étranger, prend logiquement l'importance qu'elle doit avoir, c'est-à-dire la surveillance de la santé des étudiants, la direction technique du Centre universitaire de Médecine préventive lui est confiée.
Ainsi, ses devoirs de médecin hospitalier généraliste ne lui ôtent pas le sens de ceux de l'hygiéniste.
Malheureusement, en 1943, il subit la déportation à Neuengamme, avec ses Maîtres les Doyens Maurice Lucien et Jacques Parisot. Au sortir des camps allemands, sa santé est fortement ébranlée, mais il reprend courageusement sa tâche, ayant la satisfaction d'être admis directement membre titulaire de l'Académie Stanislas, sans passer par le stade généralement obligatoire de membre associé correspondant.
Dans un dernier hommage lors de ses obsèques, le Doyen Jacques Parisot s'exprimait en ces termes : « Dans une vie aussi laborieuse, aussi riche d'efforts que d'activités variées, les difficultés à résoudre, les obstacles à vaincre, les critiques à subir sont, peut-être aujourd'hui plus qu'hier, l'apanage de ceux qui assument de délicates et souvent lourdes responsabilités. C'est avec courage, dévouement et désintéressement que notre collègue s'en est toujours acquitté »
AUTRES CHAIRES RATTACHÉES A LA MÉDECINE INTERNE
Parmi les Maîtres qui n'ont pas donné leur enseignement dans une chaire de Clinique médicale, certains méritent d'être rappelés parce que leur activité scientifique s'est exercée dans les mêmes thèmes. Ils ont occupé soit la Pathologie générale, la Pathologie interne, la Thérapeutique. Leur notoriété et leurs mérites ne sont pas moindres que ceux des cliniciens. Ainsi, il n'est pas pensable de prendre en considération la Médecine interne à la Faculté de Nancy sans évoquer l'une des plus grandes figures, celle du Doyen Jacques Parisot.
Le lecteur, sans que j'abuse de sa patience, me permettra donc de lui rappeler, dans l'ordre chronologique : C. Démange, L. Coze, P. Parisot, P. Haushalter, J. Parisot, J. Girard et M. Vérain.
Charles Démange (1815-1890) mérite d'être rappelé ici. Ayant soutenu sa thèse de doctorat à Paris, il devient Professeur de l'École préparatoire de Médecine et de Pharmacie en 1856, ce qui lui vaut d'être maintenu en fonction, au titre de Professeur adjoint de Pathologie Générale et Interne à la suite du transfèrement de 1872.
Médecin du Service hospitalier de l'Hospice Saint-Julien, il est chargé du cours des Maladies des vieillards. Il est l'un des membres fondateurs de la Société de Médecine de Nancy en 1842.
« Carrière digne et laborieuse - Esprit sage, nature bienveillante, empreinte de sérénité et de bonhomie - grande notoriété médicale » (Gross).
Léon Coze (1819-1896), après avoir soutenu sa thèse en 1842 sur le « rétrocèle vaginal et sa cure radicale», s'adonne à la clientèle à Sainte-Marie-Aux-Mines de 1844 à 1852, puis, revenant à Strasbourg, subit avec succès les épreuves du concours d'agrégation, présentant une thèse sur «l'Histoire naturelle et pharmacologique des médicaments narcotiques fournis par le règne végétal ». En 1958, il devient titulaire de la Chaire de matière médicale et thérapeutique, succédant à son père Jean Baptiste Coze (1795-1875). Il prend sa retraite, dans la même chaire, en 1889.
En sus de son enseignement théorique, Léon Coze assure l'enseignement pratique des maladies des vieillards à l'Hospice Saint Julien.
Cependant, l'œuvre de Coze, tout en comportant divers travaux cliniques, notamment sur les maladies infectieuses, s'intéresse surtout à la matière médicale (uréthane, strychnine, etc...), son champ d'action, ou encore au bacille tuberculeux.
D'autres charges ont fait appel à son activité : au titre d'assesseur du Doyen Stoltz, il a pris une grande part à l'organisation de la nouvelle Faculté de Médecine de Nancy, dès 1872.
« Professeur estimé, homme de devoir, d'opinions très arrêtées, mettant au service de convictions profondes une volonté énergique et une parfaite droiture. Travailleur de laboratoire, il fut un des précurseurs de la Bactériologie ; dès 1866, en collaboration avec Feltz, il a fait connaître ses recherches expérimentales sur l'état du sang dans les maladies infectieuses, affirmant, dès cette époque, la nature microbienne de la plupart des maladies infectieuses ». (Gross). Ce sujet lui est cher, et, le reprenant en 1872, il fait connaître ses « Recherches cliniques et expérimentales sur les maladies infectieuses, envisagées principalement au point de vue de l'état du sang et de la présence de ferments ».
Louis Emile Hecht (1830-1906), nommé agrégé à la Faculté de Strasbourg en 1857, deux ans après avoir soutenu sa thèse sur « Essai sur le spiromètre », accède à la chaire de Pathologie générale et Pathologie Interne lors du transfèrement de 1872. Il est élu membre titulaire de l'Académie de Stanislas en 1879.
Parmi ses œuvres, il convient de souligner ses articles de séméiologie dans le Dictionnaire Encyclopédique des Sciences médicales, de nombreuses observations originales, dans des domaines variés, une contribution à la connaissance de l'étiologie de l'endémie typhoïde à Nancy en 1882. Il s'intéresse aussi à la littérature, ayant fait des études sur les lépreux en Lorraine et sur les colonies lorraines en Hongrie.
Malheureusement, une santé précaire contraignit Louis Emile Hecht à demander sa retraite anticipée en 1894.
« L'enseignement du Professeur Hecht était méthodique, exceptionnellement classique, exempt de toute discussion abstraite, de toute vue théorique non confirmée par la pratique et l'expérience ; il était toujours basé sur un sens clinique parfait » (Gross).
Pierre Parisot (1859-1938) a sa place dans cette galerie de portraits parce que, après sa thèse soutenue en 1884 sur « Recherches sur le pouls dans le cours, la convalescence et la rechute de la fièvre typhoïde », il est nommé agrégé de Médecine et de Médecine légale en 1886, et, à ce titre, commence sa carrière universitaire par des conférences de Pathologie interne et de neurologie (1887), puis par la charge de cours complémentaire de maladie des vieillards (1889). C'est là une filière volontiers suivie depuis le début de la Faculté de Médecine de Nancy. En 1895, Pierre Parisot fait une série de conférences sur les maladies nerveuses et mentales.
En 1898, il est nommé médecin adjoint de l'Hôpital Saint-Julien, puis médecin Chef en 1904. Ces fonctions hospitalières orientèrent naturellement ses nombreuses publications vers la neurologie, surtout sous son aspect gériatrique, et vers la tuberculose du vieillard.
Toutefois, déjà médecin expert auprès du tribunal dès 1893, il accède à la chaire de Médecine légale en 1904, soit à l'âge de 45 ans, chaire qu'il conserva durant toute sa carrière.
Son œuvre ne se limite pas seulement à la discipline médico-légale. Elle comprend des publications sur la dermatologie (1886), sur les maladies infectieuses, grippe, variole, typhoïde, tuberculose, sur les affections neurologiques.
Les problèmes d'hygiène entrent dans ses préoccupations, notamment celui de l'alcoolisme à Nancy. Auprès du Conseil municipal, il dénonce le danger de la multiplication des débits de boisson (un débit pour 95 habitants en 1901, contre un débit pour 145 habitants en 1873).
Pierre Parisot, d'apparence extérieure un peu sévère et solennelle pour ceux qui le connaissent mal, est en réalité très attentif et bon auprès des «vieux» de l'Hospice Saint-Julien dont il prend soin jusqu'à l'heure de sa retraite.
Paul Haushalter (1860-1925), après son Internat, soutient sa thèse en 1886 sous le titre «Recherches sur le cœur sénile », et, à la fin de 5 années de Chef de Clinique en Médecine générale, est admis au concours d'Agrégation de Médecine en 1892.
En 1894, il reçoit une charge de cours complémentaire de clinique et maladies des enfants, et si l'orientation définitive se tourne vers la Pédiatrie dont la Chaire créée le 12 février 1906 lui est donnée, l'œuvre du savant est déjà considérable et comporte une part importante de Médecine générale et de laboratoire (chargé du laboratoire des cliniques en 1887).
Paul Haushalter publie sur les infections, syphilis et tuberculose surtout, ce qui lui vaut d'être désigné par le Ministre de l'Instruction publique comme membre de la délégation officielle envoyée au Congrès international sur la tuberculose à Berlin en 1899, et de la conférence internationale pour la prophylaxie de la syphilis, la même année, à Bruxelles.
Parmi les travaux de médecine générale se rangent de nombreuses études sur les infections les plus diverses, infections puerpérales, staphylococcie, diphtérie, variole, typhoïde, etc...
Laissant à une plume plus autorisée que la nôtre le soin de rappeler l'œuvre pédiatrique de Paul Haushalter, nous ne pouvons cependant pas passer sous silence le remarquable ouvrage que ce savant a publié en 1902, chez C. Naud à Paris, en collaboration avec G. Étienne, L. Spillmann et Ch. Thiry, intitulé « Cliniques médicales iconographiques». Cette magnifique collection d'observations et d'images, en avance sur son temps, mérite encore aujourd'hui d'être consultée.
Un jour de 1925, au cours d'un voyage pour obligation universitaire, Paul Haushalter s'est éteint dans une salle commune d'hôpital, comme les malades pauvres qu'il avait aimés et secourus durant toute sa vie exemplaire.
Jacques Parisot (1882-1967), par hérédité et par vocation, appartient à la Médecine interne, où son intelligence et son travail lui gagnent très vite les grades d'interne, de chef de clinique médicale, et, en 1913, celui d'Agrégé de Médecine. L'année suivante, il est chargé d'un service à l'hôpital Villemin récemment inauguré.
La guerre 1914-1918 l'appelle aux armées, interrompt sa carrière mais non pas son activité scientifique, ni ses projets d'avenir. De retour à Nancy, en 1919, il reprend son poste à l'Hôpital Villemin et reçoit la charge de cours de Pathologie générale. Puis, Professeur sans chaire en 1925, il est enfin Professeur titulaire de la chaire d'Hygiène en 1927.
Jacques Parisot n'est pas un « confiné », il appartient à toute la Médecine, aux hommes, aux institutions, à la recherche. Sa pluralité, au service de ses qualités d'homme, le désigne à l'attention et à l'affection de ses collègues qui le placent à leur tête comme Doyen en 1949.
Son œuvre est immense en tous domaines. Depuis 1905, année de sa première publication, ses travaux se multiplient rapidement. Si la tuberculose est pour lui un centre d'intérêt, surtout sous l'angle de l'hygiène, il est particulièrement attiré par l'endocrinologie (plus de 90 publications), dont le premier essai remonte à 1907 avec sa thèse de doctorat sur « Pression artérielle et glandes à sécrétion interne » ; avec ses amis Maurice Lucien et Gabriel Richard, il écrit alors un gros traité d'endocrinologie en plusieurs tomes entre 1925 et 1929.
Pendant la première guerre mondiale, Jacques Parisot ne reste pas inactif : dans une série d'articles, il étudie la gelure des pieds, le « pied des tranchées », les néphrites de guerre, puis la toxicologie des gaz de combat, et enfin l'épidémiologie de l'armée d'occupation.
Doué d'une intelligence claire, d'un esprit propre aux décisions réfléchies, servi par une grande puissance de travail, il est intérieurement sollicité par « cette passion inassouvie de bâtir », selon l'expression de Pierre Simonin. « Rajeunissant ses anciens services et les agrandissant ; développant sa bibliothèque ; transformant de vieilles installations industrielles en de nombreux laboratoires, propres aux besoins les plus récents de la médecine et de la chirurgie expérimentales, de la bactériologie et de la virologie, des isotopes, de la microscopie électronique ; créant à sa mesure un vaste amphithéâtre, et le doublant de salles qui puissent réunir congrès, colloques ou sociétés savantes : bref, permettant à cette Faculté, modernisée, de s'adapter une fois encore à son rôle... l'œuvre du Doyen Parisot prend place dans son histoire. » (P. Simonin).
Mais conceptions et constructions de grande envergure ne sont pas qu'un assouvissement de la passion de bâtir, ce n'est pas une « maladie de la pierre » de Roi Soleil ; c'est la réponse à une sollicitation intérieure et profonde d'altruisme, à un appel social au service de la collectivité, heureusement desservie par la conjoncture du bon sens et d'une détermination volontaire.
D'autres ont la mission de retracer dans ce numéro spécial les promotions sociales et les distinctions acquises dans les rouages administratifs supérieurs de la Nation et sur le plan mondial. On ne peut se défendre pourtant de scruter, dans l'œuvre, la valeur et l'âme de celui qui la conçoit et la crée.
Derrière la façade des constructions multiples, sous le couvert de travaux scientifiques, dans l'action menée avec ténacité auprès des détenteurs du Pouvoir, derrière aussi un « air distant, voire quelquefois un peu dédaigneux », destiné à protéger d'une sensibilité dont on craint qu'elle soit une faiblesse, on découvre le sens de l'humain. Le masque dont Jacques Parisot, ce grand seigneur, se départit rarement, a sa correspondance intellectuelle dans l'axiome exprimé par lui-même : « Le malade est une unité sans doute, mais au milieu d'une collectivité : la famille, l'atelier, la cité ».
Il l'a cependant rejeté, ce masque, lorsque, dans le camp de Neuengamme-Hambourg où son courage face à l'occupant l'avait conduit, il décide de tenir tête à ses geôliers pour défendre la vie des 1500 dysentériques entassés dans l'infirmerie, dont le « service chirurgical était, et c'est tout dire, aux mains d'un ancien chauffeur de taxi de Berlin dont on devine quel pouvait être sur la table d'opération le méfait des interventions ». « Nos geôliers », dit Albert Sarraut, « connaissaient sa réputation scientifique. Ils durent céder devant sa volonté formelle d'aller au secours de ses frères de malheur. Ils le laissèrent forcer la porte des chambres où gémissaient des entassements d'agonisants... De jour et de nuit, sans repos et sans répit, avec un sang-froid inaltérable et une ténacité que rien ne rebutait, Parisot allait de lit en lit, ou plutôt de litière en litière, pour réconforter tous ces gisants, ajouter à l'action médicale ou chirurgicale la bienfaisante thérapeutique psychologique... dans ce rôle de sauveur qui a préservé l'existence de beaucoup de nos compagnons ».
La froideur apparente, la démarche impériale, le regard d'acier, parfois le sourire ironique de Jacques Parisot n'ont pas trompé ceux qui l'ont approché. Avec ses élèves, la confiance et l'affection étaient réciproques et sincères. Avec ses petits protégés de Flavigny, il était gai et partageait parfois leurs jeux. Conscient du bienfait de son œuvre médicale et sociale, il avait la foi en sa mission. Derrière le masque, il y avait la Foi, tout court.
Jean Girard (1903-1955), excellent élève au cours du cycle des études secondaires, maintient ses promesses de brillante carrière à la Faculté. Interne en 1925, Chef de Clinique en 1929, Médecin des Hôpitaux en 1938, il est nommé Agrégé de Médecine en 1946. Si les circonstances le dirigent vers la Clinique Phtisiologique laissée vacante par Emile Abel en 1943, il est avant tout un médecin généraliste.
Ses publications en témoignent : en neurologie (« lésions congénitales et tumeurs du névraxe», « pathologie nerveuse inflammatoire »), en rhumatologie (« formes inflammatoires articulaires et abarticulaires »), endocrinologie (« mélanodermies », « maladies de la thyroïde et des parathyroïdes »), maladies de la nutrition, maladies infectieuses, cardiologie.
Jean Girard a également le goût du laboratoire. Déjà il imagine une grille pour réaliser la digraphie et met en route l'exploration fonctionnelle respiratoire. « Ses derniers travaux, et tout spécialement ses études sur la spirométrie, la densimétrie pulmonaire, la bronchographie lipiodolée, le dépistage et l'appréciation des pneumoconioses attirèrent l'attention, parfois étonnée, sur l'activité de l'école nancéienne, et suscitèrent un vif intérêt en ces nombreux congrès et colloques, où le conduisait certes son humeur voyageuse, mais où l'accompagnait toujours, et parfois fort loin, le souci du renom de notre Faculté » (P. Simonin).
Si cette courte notice a sa place ici du fait d'une carrière, prématurément brisée dont l'apogée aurait dû, s'épanouir dans une chaire de clinique médicale, Jean Girard est davantage encore l'humaniste d'esprit fin, c'est-à-dire non « pas celui qui oublie au profit des livres les problèmes humains, mais celui qui, dans les textes anciens ou modernes, sait retrouver les mouvements du cœur et les opérations de l'intelligence ».
Membre de l'Académie de Stanislas, il rapporte souvent, devant la Compagnie, des communications pleines d'expérience et de sens psychologique. Qui ne se souvient de son étude humoristique sur le « Bibliophage », véritable autobiographie ?
La vaste culture, l'immense érudition, la puissance de lecture et de travail, l'esprit d'invention et de synthèse, tout ceci agrémenté d'une grande courtoisie, d'une ironie aimable et fine tout ensemble, d'une serviabilité extrême, tel est le chef d'œuvre de « médecin complet » qu'a été Jean Girard. Il fut mon compagnon de travail et mon ami fidèle pendant 35 ans, sincèrement regretté.
Marcel Verain (1889-1961) a sa place parmi les bâtisseurs de la Médecine interne, car il est de ceux qui, dans l'ombre, leur apportent les matériaux indispensables.
Au retour de la première guerre mondiale (durant laquelle il a imaginé un appareil de protection auriculaire contre les explosions, en collaboration avec son frère, professeur à la Faculté des Sciences d'Alger, ce dernier étant le génial inventeur de la lampe scialytique des salles d'opération), il est reçu au concours de l'Internat en 1919, devient élève de l'Institut Pasteur, puis chef du laboratoire que Georges Etienne lui demande de créer dans son service : c'est la naissance de cette collaboration étroite de la clinique et du laboratoire élevée à la hauteur d'un dogme, et c'est le départ de l'activité féconde d'une spécialité nouvelle. Officiellement, M. Verain est nommé Chef du Laboratoire Central des cliniques, qui est son œuvre, en 1932, poste qu'il conserve jusqu'à l'heure de la retraite en 1954. Entre temps, il reçoit à bon droit le grade de Biologiste des Hôpitaux (1944).
L'œuvre scientifique de Marcel Verain est considérable, car l'équité la plus élémentaire doit ajouter son nom, trop souvent oublié, parmi les signataires de travaux qui, sans son travail à l'ombre du laboratoire, seraient sans objet. Mais en vérité, débordant le cadre étroit de la science, son œuvre est autre chose, orientée au premier chef vers le bien-être du malade, guidée par un esprit en éveil permanent, inspirée par une conscience sans faille, une grande ingéniosité, du sens social et une sensibilité délicate.
La conscience du médecin est rigoureuse : soucieux de n'apporter au praticien que des données biologiques sûres, ennemi de la routine et de l'indifférence, M. Verain n'hésite pas, même de nuit, à retourner auprès d'un malade et refaire un prélèvement lorsque le résultat d'un dosage lui parait sujet à caution.
L'esprit d'invention du savant crée ou perfectionne l'appareillage, tels l'électrode à hydrogène pour mesure du pH (en collaboration avec G. Etienne et Bourgeaud), le viscosimètre réalisé avec son ami Lecomte de Nouy, ou encore l'introduction en France d'instruments étrangers nouveaux : ainsi en est-il de la polarographie selon la technique de Heyrovsky de Prague, de l'interféromètre de Hirsch, de la chromatographie. Avec G. Parisot et C. Burg, M. Verain s'intéresse aux radiations ionisantes. Dès 1932, il aborde un lourd travail sur les moyens d'améliorer les eaux de consommation, conduisant à la création de l'Institut de recherches hydrologiques (1952).
Son sens social apparaît dans les multiples fonctions dont il accepte la charge : Président du Syndicat des Biologistes, Président de la Commission médicale Consultative, membre du Conseil d'Administration du Syndicat des Médecins de Meurthe-et-Moselle, etc.
L'homme de cœur enfin et surtout, ami du beau et du bon, amateur d'art, admirateur passionné de la nature (avec joie, il fait à ses amis, l'honneur de ses serres et jardins), cache une sensibilité délicate derrière un masque volontaire tempéré de douce ironie à bon escient ; son dynamisme proverbial, dès avant l'action, s'allume dans le regard direct de ses yeux clairs. Toujours disponible et à l'écoute de la misère des autres, voilée de modestie, sa bonté foncière s'exprime par une générosité aussi efficace que secrète.
La Faculté de Médecine de Nancy est fière de ces Maîtres dont elle a reçu des traditions de haut savoir, et la notion du devoir dont le médecin, plus que tout autre membre de la Société, ne saurait se départir sans déchoir. Quelques uns de ces maîtres ont été grands, réputés, célèbres, et ont été chefs d'école. Les autres, plus obscurs, doués de qualités moins brillantes, ont rempli tout autant leur tâche, avec conscience et ferveur auprès de l'homme en détresse dans la brève traversée de la vie.
Les uns et les autres ont eu à cœur d'illustrer leur Faculté par leurs nobles vertus, montrant la voie à ceux qui les suivent, de la manière exprimée par Michel dans son discours de rentrée de Faculté en 1881 : « Comme le coureur antique, elle (la Faculté) tiendra à honneur de ne pas laisser éteindre le flambeau dans sa main, mais à le léguer à ses successeurs brillant de toutes les découvertes de la science moderne, et éclairant d'une vive lumière cette noble devise : le Travail pour règle, le devoir et l'honneur pour but ».