` sommaire

L'endocrinologie

par P. HARTEMANN

Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)

Annales Médicales de Nancy

(édité en avril 1975)

L'histoire de l'Endocrinologie à Nancy commence, un peu avant le début du siècle, avec les travaux de morphologistes éminents : les Professeurs Adolphe Nicolas et Auguste Prenant. Les recherches et les découvertes faites à l'Institut Anatomique de la rue Lionnois allaient attirer l'attention du monde scientifique sur la Faculté de Médecine de Nancy. C'est en 1893 que Nicolas découvrit les parathyroides internes tandis que Prenant, puis son élève Charles Simon apportaient de précieux renseignements sur la structure de ces organes. Il vaut retenir en outre les travaux de Prenant sur l'histogenèse du thymus et sur celle de la glande germinative mâle. Enfin, Prenant inspira les thèses remarquées de Ch. Simon (1896) sur «Thyroïde latérale et glandule thyroïdienne chez les mammifères », celle de Pol Bouin (1897) sur les « phénomènes cytologiques anormaux dans l'histogenèse et l'atrophie expérimentale du tube séminifère », celle de M. Limon (1901) sur « la glande interstitielle de l'ovaire ».

Les Professeurs Paul Ancel et Pol Bouin, successeurs de Nicolas et de Prenant, unirent leurs efforts et réalisèrent de remarquables travaux dans le domaine de l'endocrinologie fondamentale. Ils purent démontrer que les cellules interstitielles du testicule possédaient les caractères histologiques de cellules glandulaires endocrines, alors qu'on leur attribuait jusqu'alors un simple rôle nutritif, et qu'elles étaient la source de l'hormone mâle dont l'activité conditionne l'apparition et le maintien des caractères sexuels secondaires. Un peu plus tard, ils montrèrent que le corps jaune de l'ovaire était la source de l'hormone progestative et mirent ainsi en évidence la double fonction de la gonade femelle, comme ils l'avaient fait pour la gonade mâle.

Après le départ d'Ancel et de Bouin, nommés à Strasbourg en 1919, le Professeur Maurice Lucien devint titulaire de la chaire d'Anatomie et le Professeur Remy Collin de la chaire d'Histologie. Ces deux Maîtres allaient s'illustrer à leur tour dans la recherche endocrinologique. On trouve dans la Revue Médicale de l'Est entre 1908 et 1910 sous la signature de M. Lucien et J. Parisot des publications relatives à la pathologie hypophysaire et thyroïdienne, à l'influence du thymus sur le développement osseux. Poursuivant ses travaux, le Professeur Lucien comprit que l'endocrinologie constituait une science qui par « son individualité, ses méthodes de recherches et ses applications particulières » justifiait la création d'une publication spécialisée, et en 1923, il fondait à Nancy la Revue Française d'Endocrinologie dont il fut le rédacteur en chef jusqu'en 1940. Les articles originaux du premier numéro paru en février 1923 portent des signatures illustres, celles des Professeurs E. Gley, E. Sergent, J. Sabrazès, L. Cuenot. L'article princeps rédigé par E. Gley, Professeur au Collège de France, est consacré à « l'origine et les progrès de l'Endocrinologie en France ». L'auteur y rappelle que l'endocrinologie, née en France des travaux de Claude Bernard (1855) et de Brown-Séquard (1889-1891 ) « n'a pas cessé d'y être en honneur et d'y progresser ». Il fait l'historique du mouvement des recherches embryologiques, histologiques, physiologiques et pathologiques dans lequel les médecins nancéiens tiennent une place enviable. M. Lucien écrivit ultérieurement plusieurs articles originaux pour la Revue qu'il avait fondée ; toutefois son œuvre majeure fut la rédaction avec Jacques Parisot et Gabriel Richard d'un Traité d'Endocrinologie édité par Doin. Dans les cinq volumes de cet ouvrage imposant : la Thyroïde (paru en 1925), les Parathyroides et le Thymus (1927), Glandes surrénales et organes chromaffines (1929), l'Hypophyse (1934), le Testicule (1942), se trouvent rassemblées toutes les données anatomiques, physiologiques et cliniques concernant les glandes à sécrétion interne que l'on connaissait à l'époque. La parution de ce Traité eut un retentissement considérable et valut aux auteurs une renommée internationale.

Le Professeur Remy Collin consacra l'essentiel de ses recherches à l'histophysiologie hypophysaire et à l'étude des rapports de la glande pituitaire avec la neuro-hypophyse et le diencéphale. Il eut le grand mérite de montrer que les sécrétions hormonales sont dépendantes des régulations nerveuses et qu'inversement l'imprégnation hormonale influence les régulations nerveuses. Des constatations de R. Collin est née la notion de neuroendocrinologie que l'auteur a développée dans un ouvrage publié en 1938 chez Albin Michel : « Les Hormones ». Il ouvrit la voie aux découvertes modernes des « releasing-hormones » et des mécanismes de « feed-back ».

Héritiers d'un passé prestigieux, le Professeur Antoine Beau dans la chaire d'Anatomie et le Professeur Etienne Legait, dans la chaire d'Histologie, ont poursuivi les recherches de leurs prédécesseurs et ont apporté une riche contribution à l'étude morphologique du système nerveux et de l'hypophyse.

Mais l'éclat des travaux des Fondamentalistes nancéiens ne doit pas cacher le mérite des Cliniciens. Ceux-ci s'inspirant des découvertes fondamentales, et pour nombre d'entre eux participant directement à l'activité des laboratoires, ont contribué par leurs publications à individualiser l'Endocrinologie Clinique devenue une compétence, sinon une spécialité, au sein de la Médecine Interne. Le lecteur trouve dans la Revue Médicale de l'Est dès 1884 un travail de Weiss sur la thyroïdectomie pour kystes thyroïdiens, un autre de Liégeois en 1887 sur le goitre exophtalmique, un troisième de P. Spillmann en 1896 consacré au traitement de la maladie d'Addison par les extraits de capsules surrénales fraîches.

A partir de 1900, les communications d'endocrinologie se multiplient provenant tant des Cliniques Médicales ou de spécialités médicales que des Cliniques Chirurgicales, Gynécologique et Obstétricale. Une analyse complète en serait fastidieuse, nous n'en ferons qu'une brève synthèse. Après les publications déjà mentionnées de M. Perrin, M. Lucien et J. Parisot entre 1904 et 1909, signalons une série de recherches expérimentales concernant les glandes génitales et le corps thyroïde ainsi que le retentissement de l'extirpation de ces glandes sur la lactation et sur le développement osseux réalisé par le Professeur Louis Richon, en collaboration avec M. Perrin et P. Jeandelize ; les travaux de Weiss sur la chirurgie thyroïdienne ; ceux d'Albert Fruhinsholz sur l'origine thyro-parathyroïdienne de certaines éclampsies, sur les diverses formes de l'insuffisance thyroïdienne et paratyhyroïdienne au cours de l'état gravido-puerpéral, sur l'acromégalie gravidique, sur l'insuffisance surrénalienne aiguë déclenchée par la grossesse ou le post-partum. Il convient de mentionner aussi les publications de Jules Watrin sur l'hypertrophie gravidique de la cortico-surrénale, sur les modifications de l'hypophyse au cours de la gestation, sur l'histophysiologie des glandes génitales, sur le déterminisme de la sécrétion lactée ; les nombreuses communications et les livres d'André Binet intéressant l'endocrinologie gynécologique ; les travaux d'Emile Abel sur le diabète bronzé ; ceux de Jean Girard sur la tétanie, la maladie de Basedow, les mélanodermies ; ceux de Paul Michon sur les gynécomasties (thèse de J. Ladaique 1949), sur l'excitabilité neuro-musculaire en endocrinologie, sur la maladie d'Addison et plus particulièrement sur le traitement de cette affection par l'implantation sous-cutanée de pellets d'acétate de désoxycorticostérone pour laquelle il avait conçu et fait fabriquer un trocard spécial ; les recherches enfin de René Herbeuval sur l'influence du terrain endocrinien sur les infections (thèse G. Debry 1956). Dans cette liste des principales publications nancéiennes concernant l'endocrinologie, il est intéressant de faire mention de deux numéros spécialisés de la Revue Médicale de l'Est, l'un en 1922 consacré à la pathologie hypophysaire, l'autre en 1931 à « la syphilis et les glandes endocrines ».

Si tous les Cliniciens se sont bien naturellement intéressés à l'endocrinologie, certaines personnalités de notre Faculté et de notre Centre Hospitalier ont plus particulièrement contribué au progrès de l'hormonologie :

Georges Etienne, agrégé de Pathologie Interne en 1895, plus tard successeur du Professeur Paul Spillmann dans la Chaire de Clinique Médicale, a laissé une œuvre considérable et a su parmi les premiers en France, comprendre l'intérêt de l'exploration biologique en médecine clinique. Dans le domaine de la Pathologie des glandes endocrines, on relève plusieurs publications concernant des syndromes polyglandulaires, l'insuffisance thyroïdienne, le nanisme, des malformations organiques multiples chez un castrat naturel, un cas de goitre lingual...

Maurice Perrin, succédant au Professeur Etienne, devait également devenir Professeur de Clinique Médicale. Il a rédigé en 1907 avec Paul Jeandelize pour le IXe Congrès de Médecine un rapport « sur la posologie des produits opothérapiques ». En 1910, il a publié chez Baillière une monographie préfacée par le Professeur Gilbert, intitulée « Les sécrétions internes, leur influence sur le sang ». Il y aborde le rôle de la thyroïde de l'hypophyse, des surrénales et des gonades dans l'hématopoièse. Il précise que les connaissances de cette époque sont encore très fragmentaires mais affirme : « l'influence humorale de celles-ci (les glandes à sécrétions internes) intervient pour activer ou ralentir les processus histologiques formateurs ou destructeurs dont les organes hématopoiétiques sont le siège ».

Paul Jeandelize, avant de devenir titulaire de la Chaire d'Ophtalmologie, avait été Chef de Travaux Pratiques de Physiologie (1907). Il a publié de nombreux textes consacrés à la physiologie de la thyroïde, des parathyroïdes et des glandes génitales. Il faut faire une mention spéciale de sa thèse de Doctorat, ouvrage monumental de 824 pages, abondamment illustré (imprimé chez Baillière en 1903), intitulé « l'Insuffisance thyroïdienne et para-thyroïdienne. Etude expérimentale et clinique ». Cet ouvrage fut couronné par la Faculté de Médecine de Nancy et par l'Académie de Médecine. Jeandelize y démontre clairement que, contrairement à l'opinion de Broca, « la tétanie et le myxœdème sont des faits d'ordre différent entre lesquels il ne peut y avoir de transition ». Dans l'œuvre de Jeandelize, il faut retenir encore un rapport au Congrès International d'Ophtalmologie du Caire en 1937, consacré à « l'hypophyse et l'œil » et rédigé en collaboration avec P.L. Drouet.

Jacques Parisot, Chef de Clinique Médicale en 1906, Agrégé de Médecine en 1913, devait, avant de se consacrer avec le succès que l'on sait à l'Hygiène et à la Médecine Sociale, faire de nombreux travaux tant expérimentaux que cliniques de Pathologie Interne et spécialement d'Endocrinologie. Dans ce dernier domaine, une première série de recherches concerne les relations existant entre les variations normales et pathologiques de la pression artérielle et le fonctionnement des surrénales, de l'hypophyse, de la thyroïde, du foie et des reins. Ces recherches ont fait l'objet d'une monographie de 562 pages (Baillière éditeur : 1908) «Pression artérielle et glandes à sécrétion interne », couronnée par l'Académie de Médecine. Une deuxième série de travaux est consacrée à la physiologie normale et pathologique de la glande pituitaire et du thymus ainsi qu'à des syndromes divers ayant pour cause des altérations de la thyroïde, de l'hypophyse, des gonades et du thymus. Il faut citer, en particulier, des études sur la maladie de Basedow, l'acromégalie, l'infantilisme, les glycosuries d'origine thyroïdienne et hypophysaire, avec des déductions thérapeutiques intéressantes. En 1923, J. Parisot publie chez Doin, avec G. Richard un ouvrage intitulé « Les glandes endocrines et leur valeur fonctionnelle. Méthode d'exploration et de diagnostic ». C'est la même année qu'il fonde avec M. Lucien la Revue Française d'Endocrinologie et deux ans plus tard qu'il publie avec M. Lucien et G. Richard le premier tome du Traité d'Endocrinologie dans lequel sera condensée la somme de ses recherches expérimentales et de ses observations cliniques.

Avec Paul-Louis Drouet, cinquième titulaire de la Clinique Médicale B après le départ du Professeur M. Perrin en 1942, l'endocrinologie clinique devient très active à Nancy. Elève de P. Spillmann, de G. Etienne et de R. Collin, P.L. Drouet se passionnait pour l'hormonologie. Nous avons eu le privilège d'être son Interne et nous savons avec quel intérêt, quelle minutie et quelle sagesse, il examinait les patients, suscitait les explorations para-cliniques alors en plein développement et interprétait les résultats. L'œuvre scientifique du Professeur Drouet, entre 1920 et 1955, intéresse toutes les branches de la Médecine. Mais P.L. Drouet poursuivit de nombreuses recherches sur les glandes à sécrétion interne, spécialement l'hypophyse et la thyroïde. Il consacra sa thèse inaugurale (1920) à l'étude de « l'Epreuve de l'adrénaline et de l'hypophyse dans les syndromes endocriniens, et en particulier dans les syndromes Basedowiens ». Il étudia également l'hyperpituitarisme en particulier au cours de l'hyperthyroïdie et proposa un traitement de la maladie de Basedow associant les médications antithyroïdiennes et la radiothérapie hypophysaire. Il s'intéressa au rôle de l'hypophyse dans l'hypertension artérielle et dans la migraine. C'est sa réputation d'endocrinologiste qui le fit désigner comme rapporteur au Congrès du Caire en 1937 sur les corrélations entre l'hypophyse et l'œil. Enfin, P.L. Drouet inspira et dirigea de nombreuses thèses d'endocrinologie telles que « le rôle de l'hypophyse dans l'hypertension artérielle » (Mendelsohn), « le traitement du diabète insipide » (Mlle Kawenoki), « les corrélations hypophyse-thyroïdiennes et l'hyperthyroïdie » (Mlle Gonand), « contribution à l'étude de la maladie de Cushing » (Grandcolas)...

Dernier titulaire de la Chaire de Clinique Médicale B, le Professeur Pierre Kissel reçut en 1955 l'héritage endocrinologique de son prédécesseur et poursuivit le développement de son Service Hospitalier. Disciple de R. Collin dont il a fréquenté longtemps le laboratoire, le Professeur Kissel a une prédilection connue pour la neurologie et ses travaux dans ce domaine font autorité. Mais son œuvre scientifique couvre toutes les disciplines médicales et parmi les publications d'endocrinologie, nous signalerons celles qui concernent les tumeurs du tractus pharyngo-hypophysaire, la macrogénitosomie précoce, les cataractes endocriniennes, l'encéphalopathie addisonienne, l'acromégalie et la neurofibromatose de Recklinghausen, la tétanie et l'épilopsie, la spasmophilie, les syndromes musculaires des endocrinopathies. Les résultats d'une longue série de travaux consacrés au réflexogramme achilléen, à son intérêt dans les maladies endocriniennes et métaboliques ainsi qu'aux atteintes musculaires dans les dysthyroïdies, ont été rassemblés dans une monographie : « Les syndromes myo-thyroïdiens » (Masson Ed. 1955). Chef d'Ecole incontesté, le Professeur P. Kissel a instruit et formé de nombreux élèves dans les différentes disciplines médicales. C'est sous son impulsion et sa direction que devant le développement rapide des techniques d'exploration paraclinique et face à une demande toujours plus importante, ont été individualisés à l'intérieur de la Clinique Médicale B un département de Diabétologie et Maladies de la Nutrition ainsi qu'un département d'Endocrinologie, ultérieurement transformés en services hospitaliers indépendants. Le premier, installé à Dommartin-lès-Toul, a été confié à M. le Professeur G. Debry qui se consacre en priorité à l'étude et au traitement de la maladie diabétique et des troubles du métabolisme des lipides. Dans le second, à l'Hôpital de Brabois, nous nous efforçons de transmettre l'enseignement que nous avons reçu de notre Maître. Et avec nos collaborateurs, nous nous intéressons spécialement aux techniques d'exploration thyroïdienne et para-thyroïdienne. A la légitime fierté d'appartenir à l'Ecole Endocrinologique de Nancy s'ajoutent pour nous tous le souci et la volonté de garder le renom de notre Faculté.