` sommaire

Les sciences morphologiques

par E. LEGAIT

Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)

Annales Médicales de Nancy

(édité en avril 1975)

La connaissance des formes et des structures humaines est essentielle pour les futurs médecins ; l'enseignement des sciences morphologiques est d'une importance particulière dans les Facultés de Médecine. La Faculté de Médecine de Nancy, depuis sa restauration en 1872 a eu la bonne fortune de compter dans ce domaine de nombreux maîtres qui ont su par leurs enseignements et leurs travaux, élargir la réputation de cet établissement et créer ce qu'il est couramment admis d'appeler l'École morphologique de Nancy.

I  -  L'ANATOMIE

Cette école morphologique de Nancy est l'héritière directe de la Faculté de Médecine de Strasbourg. C'est en effet à un élève du Professeur Ehrmann et de Lauth agrégé chef de travaux, Charles Morel que nous sommes redevables de l'impulsion donnée à l'anatomie à Nancy.

Celui-ci avait été agrégé et professeur titulaire à Strasbourg avant d'occuper le premier en 1872 la chaire d'anatomie de la Faculté de Médecine de Nancy ; il avait su, déjà à Strasbourg, s'entourer de nombreux élèves, dont plusieurs le suivirent à Nancy, en particulier Mathias Duval qui sera par la suite nommé agrégé à Paris et succédera à Robin dans la chaire d'histologie de cette Faculté, Beaunis qui deviendra professeur de physiologie à Nancy et Bouchard, agrégé de Strasbourg qui continuera ses fonctions à Nancy avant d'être nommé professeur d'anatomie à Bordeaux.

C'est avec Bouchard qu'il assurera initialement, l'enseignement de l'anatomie, aidé dans cette charge par Lallement qui dirigeait l'enseignement pratique avant 1872 à l'École préparatoire de Médecine de Nancy et qui reçut, à ce moment, le titre de professeur adjoint.

Si l'enseignement théorique pouvait aisément être donné, le service des dissections nécessita de nombreux aménagements au fur et à mesure de l'installation de la nouvelle Faculté construite rue de Serre, à proximité du Palais de l'Académie. C'est avec l'aide de Bouchard puis, au départ de celui-ci, de Chrétien que Morel dut organiser l'enseignement pratique ; il est absolument remarquable de constater qu'il put se procurer près de 100 cadavres dès la première année et que ce nombre devait quelques années plus tard passer à plus de 400.

Morel était avant tout un observateur habile et consciencieux ; mais l'anatomie topographique du cerveau publiée en 1880 montre également combien il était au courant des progrès de la physiologie moderne ; son Manuel de l'Anatomiste (1883) en collaboration avec Mathias Duval restera longtemps classique et servira à de nombreuses générations d'étudiants en raison de son exactitude et de sa précision.

Cependant, Morel avait su attacher son nom à une science en plein développement, l'histologie dont il a été en France un des promoteurs, à une époque où peu de personnes encore en pressentaient l'importance et les progrès ultérieurs ; dès son installation à Nancy, il avait assuré un enseignement théorique et pratique d'anatomie microscopique. Lorsque cet enseignement en 1878 fut rendu obligatoire dans les Facultés de Médecine au même titre que celui de l'anatomie macroscopique, c'est tout naturellement à Morel que l'on fit appel pour occuper la chaire d'histologie nouvellement créée, tandis que Lallement occupait celle d'anatomie descriptive.

Lallement avait déjà eu une carrière brillante ; d'origine nancéienne, ayant effectué ses premières études à l'École de Médecine de Nancy, il s'était présenté à l'internat de Paris où il avait été reçu premier ; docteur en médecine, il revint cependant se fixer dans sa ville natale où il assura les fonctions de chef des travaux anatomiques, en même temps que de professeur suppléant des chaires de chirurgie et d'accouchement. Lallement se signalait dans son enseignement par la netteté de l'exposition et la chaleur de la parole. Mais sans parler même de sa clientèle absorbante, il se dépensait dans des activités multiples, présidence de la Société de Médecine, de l'Académie de Stanislas et de nombreuses autres associations. Membre du Conseil municipal de Nancy, il fut un défenseur heureux des projets d'installation de nouveaux bâtiments pour la Faculté de Médecine.

L'enseignement clinique, en effet, dès le début de la création de la nouvelle Faculté de Médecine s'était heurté à des difficultés considérables. Des aménagements temporaires avaient été réalisés dans les hôpitaux Saint-Charles et Saint-Léon pour assurer cet enseignement, mais très rapidement la réalisation d'un nouvel hôpital universitaire s'était révélée indispensable. Celui-ci construit sur un terrain dit de la Prairie put être inauguré en novembre 1882; il ne comprenait à l'époque que les deux bâtiments parallèles (pavillons Collinet de la Salle et Roger de Videlange) destinés à recevoir les cliniques chirurgicales et médicales. Dès ce moment, le problème du transfert de la Faculté de Médecine à côté de l'Hôpital Civil était posé. Avec une promptitude remarquable, un projet est étudié dés 1884 ; Lallement, malheureusement décédé à l'âge de cinquante ans n'en pu voir la réalisation qui débuta seulement en 1892. C'est à son successeur Nicolas qu'il appartint d'organiser l'installation de nouveaux laboratoires dans un Institut d'Anatomie que plusieurs ministres, Barthou et Boucher, vinrent inaugurer le 28 juin 1896.

Nicolas, professeur d'anatomie, s'imposa surtout grâce à ses recherches microscopiques et embryologiques ; ses travaux sur l'absorption intestinale et principalement l'étude du transfert des graisses à travers la paroi intestinale, sont toujours classiques, de même que ses recherches sur les organes érectiles, les trompes utérines, le développement de l'arbre bronchique et de l'épiphyse ; ses travaux sur l'appareil thyro-parathyroïdien en collaboration avec le professeur Gley constituent le vrai point de départ de l'anatomie physiologique. Son œuvre didactique est aussi fort importante ; c'est à lui en effet que l'on doit la réédition du monumental traité d'Anatomie humaine de Poirier, dont un grand nombre de chapitres ont été rédigés par lui-même.

Mais parfaitement au courant de l'évolution de la science morphologique, il s'efforça de donner à la pensée scientifique française, les moyens d'expression qui lui faisaient à ce moment défaut ; en créant une revue « La Bibliographie anatomique », il permit aux morphologistes de langue française de faire connaître leurs travaux ; publiée à Nancy depuis 1893, elle ne cessera de paraître qu'en 1914 au début de la première guerre mondiale. En créant d'autre part, une société « L'Association des Anatomistes », il put grouper autour des anatomistes français de nombreux étrangers. Fondée en 1899, cette association n'a vu ses réunions interrompues que par les deux guerres mondiales ; cinquante neuf congrès ont pu avoir lieu non seulement en France, mais encore dans de nombreux pays (Belgique, Suisse, Hollande, Pologne, Angleterre, Italie, Tchécoslovaquie, Espagne, Portugal, Bulgarie). Les Comptes-Rendus de chacune de ces réunions n'ont pas cessé de paraître depuis la fondation de l'Association ; le nombre des membres est actuellement de près d'un millier ; il est à noter que le secrétariat général de cette Association, en mémoire de son fondateur, se trouve toujours à Nancy, à l'Institut Anatomique de la Faculté de Médecine.

Enfin, en 1905, à son instigation a été créée une «Fédération Internationale des Anatomistes». Celle-ci groupait à ce moment, les cinq grandes Sociétés anatomiques d'Europe et d'Amérique ; elle groupe actuellement trente sociétés anatomiques. Cette Fédération réunit ses membres tous les cinq ans ; le neuvième congrès international d'Anatomie s'est tenu à Leningrad en 1970.

Nicolas eut à Nancy de nombreux élèves : Jacques, Collin et Lucien, qui occupèrent des chaires de notre Faculté de Médecine ; Ancel qui après avoir enseigné à Nancy, termina sa carrière à Strasbourg ; Weber qui fut longtemps professeur à Genève, après l'avoir été à Alger. La notoriété de Nicolas était telle à ce moment qu'il fut appelé en 1907 à diriger la chaire d'anatomie de Paris, en remplacement du professeur Poirier. Nicolas s'entoura encore de nombreux élèves ; deux surtout sont connus : Rouvière qui lui succéda et qui est l'auteur de traités d'anatomie toujours classiques et Augier, qui assura pendant de très nombreuses années la direction de l'enseignement pratique à Paris.

Au professeur Nicolas, succéda le professeur Ancel ; celui-ci quoique d'origine nancéienne, avait été nommé agrégé d'anatomie à Lyon. Sa carrière universitaire comme son activité scientifique comportent deux phases, l'une consacrée à Nancy, à la découverte et à l'exploration des hormones sexuelles période de collaboration intime avec le professeur Pol Bouin ; l'autre vouée à l'embryologie expérimentale quand après la guerre de 1914-1918, il vint occuper la chaire d'embryologie de l'Université de Strasbourg.

Il a été en effet avec Bouin, le créateur de l'endocrinologie sexuelle. C'est à leurs travaux, que nous sommes redevables en premier lieu, de la signification de la glande interstitielle du testicule. Leurs observations histologiques leur avaient montré que chez les animaux cryptorchides, les éléments des tubes séminifères disparaissent tandis que les cellules intertubulaires ou interstitielles se maintiennent intégralement. Constatant par ailleurs le maintien chez ces animaux de l'influence du testicule sur les caractères sexuels, ils surent en déduire que l'action sexuelle du testicule était due à l'activité de ces cellules. A cette découverte vinrent s'ajouter bientôt les notions fondamentales concernant la fonction endocrine de l'ovaire et le rôle distinct des divers éléments de cette glande.

C'est dans les problèmes de l'embryologie normale et pathologique qu'Ancel s'est ensuite et par deux fois révélé un véritable pionnier. Il a su montrer en effet chez les Batraciens avec son élève Vintemberger comment l'œuf à symétrie axiale se transformait en un système à symétrie bilatérale à orientation définie, caractérisé par l'apparition d'une région antérieure ou céphalique et d'une région postérieure ou caudale, c'est-à-dire comment apparaissent les caractères fondamentaux du nouvel organisme.

C'est également à lui que nous sommes redevables de l'essor de la tératologie. Il a été en effet le premier à créer cette science nouvelle qu'est la tératogénèse expérimentale. Ses travaux avec sa fille Madame Lallemand ont été surtout consacrés à la tératogénèse par agents chimiques montrant que si certaines substances ont une action toxique banale ou ralentissent le développement beaucoup conduisent à l'apparition de malformations. Les notions fondamentales qu'il avait pu dégager de ses recherches expérimentales ont été magistralement exposées dans un livre intitulé « la chimiotératogénèse chez les Vertébrés » (1950) qui représente une étape essentielle dans ce domaine

Mais il a su par ailleurs orienter de nombreuses activités scientifiques. C'est ainsi qu'il a dirigé Étienne Wolff vers l'étude des mécanismes de développement par dos irradiations localisées détruisant telle ou telle ébauche C'est par cette technique que ce dernier montra comment peuvent apparaître diverses monstruosités. Cette voie Wolff l'a brillamment continuée ; chacun connaît la brillante pléiade de chercheurs dont il a su s'entourer aussi bien à Strasbourg qu'à Paris.

Mais ces diverses étapes de l'activité du professeur Ancel sont loin de représenter toute son œuvre. Sa puissance de travail et son équilibre étaient extraordinaires et beaucoup d'autres recherches mériteraient d'être mentionnées. On peut remarquer qu'au moment même ou, avec le professeur Bouin, il était engagé dans la voie nouvelle et féconde de l'endocrinologie sexuelle, il publiait en 1906 un « Précis de dissection » montrant son intérêt pour l'enseignement.

C’est le professeur Maurice Lucien qui succéda à Ancel après son transfert à Strasbourg. Son œuvre scientifique est considérable, aussi bien dans le domaine de l'anatomie que de l’embryologie. C’est à lui qu'est due la connaissance de la systématisation broncho-pulmonaire et la division du poumon en segments et en territoires de ventilation. Mais par ailleurs, il assura de 1923 à 1940, les fonctions de rédacteur de la Revue française d'Endocrinologie, seule revue spécialisée à ce moment en France, dans laquelle il écrivit lui-même de nombreux articles originaux. En même temps il effectua avec la collaboration du professeur J. Parisot et de Richard, la réalisation d'un important traité d’Endocrinologie en cinq volumes qui représentaient à cette époque (1927 à 1942) la somme de nos connaissances en ce domaine.

Désigné par la confiance de ses collègues pour faire partie du Conseil de l'Université en 1937, il est nommé assesseur du Doyen le 29 juillet 1938. Le 28 mai 1940, le Doyen L. Spillmann meurt brutalement, laissant la responsabilité de la Faculté de Médecine au professeur Lucien.

Animé d'un courage indomptable, mais d'une courtoisie sans défaut, il sut lutter pied à pied contre les Allemands, refusant toute collaboration, limitant l'occupation de la Faculté et des Hôpitaux, protégeant les étudiants.

Il n'est pas étonnant que le 9 juillet 1944, le professeur Lucien ait été arrêté, puis déporté au camp de Neuengamme avec les professeurs Parisot, Drouet et Heully. Revenu à Nancy le 19 mai 1945, il reprit avec le même courage, la même sérénité, durant un an ses fonctions de Doyen auxquelles ses collègues l'avaient porté par un vote unanime.

Le professeur Beau assura de 1948 a 1963 la direction du laboratoire d'anatomie avant d'être nommé professeur de clinique chirurgicale infantile. On sait qu'élu Doyen de la Faculté en 1960, il a été renouvelé à deux reprises dans ces fonctions. Le professeur Cayotte depuis 1963 dirige le laboratoire d'anatomie.

II - L'HISTOLOGIE

La chaire d'histologie de la Faculté de Médecine de Nancy a été créée en 1879 ; le professeur Morel alors professeur d'anatomie en a été le premier titulaire. Morel dés sa nomination comme agrégé à Strasbourg avait su, en effet, créer la première école histologique de province et s'entourer de nombreux élèves. Il existait à vrai dire depuis plusieurs années (1839) à la Faculté des Sciences de Strasbourg, un enseignement de l'histologie donné par Lereboullet ; cet enseignement avait été repris à la Faculté de Médecine par Kuss, professeur de physiologie (qui fut le dernier maire de Strasbourg et dont on connaît la fin dramatique). Morel avait dès 1864 publié le premier traité d'histologie humaine normale et pathologique de langue française ; ce traité parfaitement illustré eut un grand succès et fut plusieurs fois réédité ; il était rédigé avec la collaboration d'un médecin-major de deuxième classe, répétiteur à l'école impériale du service de Santé de Strasbourg : Jean-Antoine Villemin, dont les études ultérieures sur la tuberculose lui valurent une juste célébrité.

On retrouve dans cet ouvrage les qualités essentielles de Morel, la précision et la sûreté des observations, la prudence dans les conclusions qui ne s'éloignent pas des faits.

Après la défaite de 1871 et l'annexion de l'Alsace, Morel sut redonner à Nancy une nouvelle impulsion aux recherches histologiques. Plusieurs de ses élèves présentent à ce moment des thèses remarquées, en particulier celle d'Auguste Priant, préparateur à la Faculté des Sciences qui deviendra professeur de zoologie, sur la « Structure du chiasma des nerfs optiques dans les différentes classes d'animaux vertébrés», celle de Bagneris, qui sera par la suite agrégé à Nancy sur la « Structure microscopique des veines normales ».

Sa mort, survenue en 1884, à 62 ans, ne lui permit pas de suivre la carrière de ceux qu'il avait distingués et qui allaient reprendre ultérieurement les chaires d'anatomie et d'histologie donnant à la recherche microscopique une nouvelle impulsion.

La charge de l'enseignement de l'histologie est confiée à ce moment à Baraban agrégé chef des travaux d'anatomie pathologique ; celui-ci s'était distingué par une thèse de recherches expérimentales effectuées sous la direction des professeurs Feltz et Ritter, et par de nombreux travaux d'histologie pathologique. Quelques années plus tard en 1891, il est nommé professeur d'histologie ; mais la mort en 1893 de son maître Feltz, l'incite à demander son transfert dans la chaire d'anatomie pathologique.

C'est Auguste Prenant que la Faculté avait déjà distingué qui succédera à Baraban. Il avait en effet publié le premier tome des « Éléments d'embryologie de l'Homme et des Vertébrés » (1891) ; le deuxième tome paraîtra quelques années plus tard en 1896. Ces éléments, sous leur titre modeste, représentaient un traité qui non seulement résumait l'ensemble des connaissances que l'on possédait alors sur le développement, mais encore relatait un très grand nombre de recherches personnelles. Quelques années plus tard (1904-1917), il présentait avec la collaboration de Bouin et de Maillard, un monumental traité d'histologie ; véritable encyclopédie de la science microscopique de cette époque, cette œuvre par la clarté de son expression, la valeur de sa documentation, n'a jamais été égalée. Mais son œuvre didactique ne se limite pas à ces deux traités ; pendant toute sa carrière, il mit son immense érudition au service de tous, dans de très nombreuses revues générales.

Sous son impulsion, le laboratoire d'histologie était devenu un foyer bouillonnant d'idées nouvelles ; si l'activité du maître était surtout orientée vers la cytologie, cependant l'histophysiologie et déjà l'endocrinologie retenait son attention. En embryologie, nous lui devons de remarquables études sur les dérivés branchiaux, sur l'hypocorde des reptiles, sur les yeux pariétaux accessoires ; en cytologie, rappelons sa découverte du corpuscule intermédiaire dans les cellules en cinèse, celles réalisées sur le corpuscule central, sur les cellules trachéales des insectes, sur la fibre musculaire, sur les cellules ciliées, sur les pigments et les cellules pigmentaires et en histologie, ses recherches sur la strie vasculaire du limaçon, sur l'histogenèse du thymus, sur celle de la glande germinative mâle, sur la spermatogénèse des mammifères, sur les modifications des parois artérielles de l'utérus après la parturition, etc...

De très nombreuses thèses ont été effectuées sous sa direction ; signalons celle de Charles Simon (1896) sur « Thyroïde latérale et glandule thyroïdienne chez les Mammifères », celle de Pol Bouin (1897), sur les «Phénomènes cytologiques anormaux dans l'histogenèse et l'atrophie expérimentale du tube séminifère », celle d'Athanasow (1898) consacrée à des «Recherches histologiques sur l'atrophie de la prostate consécutive à la castration et à la vasectomie », celle de Charles Garnier (1899) intitulée «Contribution à l'étude de la structure et du fonctionnement des cellules glandulaires séreuses» avec comme sous-titre : « Du rôle de l'ergastoplasme dans la sécrétion»; ce dernier en décrivant sous ce nom au niveau des cellules glandulaires séreuses des filaments basaux, mettait en évidence pour la première fois un des constituants cytoplasmiques fondamentaux : il reconnaît leur basophilie et constate que c'est « l'ergastoplasme » qui élabore les matériaux destinés à la sécrétion pour les livrer sous forme de granulations d'abord nodales, puis libres à l'intérieur du cytoplasme. Cette notion nouvelle connut dans ces toutes dernières années, un regain d'intérêt. De nouvelles techniques, et en particulier celles de la microscopie électronique, permirent de confirmer et d'étendre les observations de Garnier ; la présence d'un ergastoplasme au niveau des éléments cellulaires élaborateurs est actuellement admise sans conteste possible. Citons encore les thèses d'Albert Henry (1900) sur la fonction sécrétoire de l'épididyme, celle de Maurice Limon (1901) sur la glande interstitielle de l'ovaire et celle de Francis Marceau (1902) sur l'histologie des fibres de Purkïnje. Il n'est pas de traité d'histologie actuel qui ne fasse encore état des observations de ces auteurs.

Comme Nicolas, Prenant se préoccupait de donner aux biologistes de Nancy un moyen d'expression ; c'est en novembre 1895 que se réunit pour la première fois à son instigation et sous sa présidence « La Conférence biologique de Nancy », celle-ci s'élargit en 1897 en devenant la Réunion biologique qui quelques années plus tard, en 1903, devint l'actuelle Société de Biologie de Nancy; celle-ci fonctionne toujours suivant les directives de Prenant, réunissant les biologistes de nos Facultés de Médecine, de Pharmacie et des Sciences. C'est devant cette Société qu'il présenta ses recherches d'histologie endocrinienne qui devait être par la suite le domaine de prédilection de ses élèves.

La valeur de ses travaux avait donné à Prenant une telle réputation qu'il était appelé en même temps que Nicolas à la direction de la chaire d'histologie de Paris, devenue vacante en raison du décès de Mathias Duval. Là encore, il eut de nombreux élèves, citons en particulier, le professeur Verne qui dirigea à Paris successivement les chaires de biologie et d'histologie et le Doyen Turchini qui dirigea de nombreuses années celle de Montpellier.

Ce sont deux de ses élèves qui lui succédèrent dans les deux chaires qu'il occupa successivement, Pol Bouin à Nancy en 1907, et Christian Champy à Paris en 1927. L'un comme l'autre ont écrit sur leur maître des pages où se reflètent leur profonde admiration et une vive affection. Sa vaste intelligence, son érudition encyclopédique était connue de tous ; ce qui l'était moins, c'était son sens aigu de la justice, son amour de la vérité et sa grande sensibilité.

La carrière de Pol Bouin a été prestigieuse; peu d'hommes de sciences ont eu comme lui, la bonne fortune, à la fin de leur carrière de constater le bien fondé et l'importance des idées émises et des faits observés pendant leur vie de jeune chercheur ou d'homme mûr. Peu ont eu, sur l'orientation de la biologie, une influence aussi déterminante ; très peu ont eu, en même temps, une telle influence morale et ont pu s'entourer d'élèves aussi nombreux et d'une telle valeur. Associant ses efforts avec son collègue Ancel, ils purent établir que la glande interstitielle du testicule est la source de l'hormone mâle et que le corps jaune de l'ovaire est la source de l'hormone progestative.

L'essentiel de ces résultats était déjà acquis entre les années 1900 et 1907. La renommée scientifique de Bouin était telle à la fin de la première guerre mondiale qu'il était désigné en 1919 pour occuper la chaire d'histologie de la Faculté de Médecine de Strasbourg redevenue française. C'est à Strasbourg que Bouin a donné sa pleine mesure dans un Institut spécialement créé pour lui par la Fondation Rockefeller, entouré d'élèves nombreux et dont beaucoup ont acquis eux-mêmes un grand renom, comme les professeurs Courrier et Benoît du Collège de France, les professeurs Aron, Klein, Mayer et Clavert.

La bivalence de la glande génitale femelle est démontrée comme l'avait été celle de la glande génitale mâle, de même que l'influence de l'hypophyse sur les activités génitales, thyroïdiennes et mammaires ; de nombreuses autres corrélations endocriniennes sont également mises en évidence.

Après le départ de Bouin, Remy Collin prenait la direction de la chaire d'histologie de notre Faculté qu'il devait conserver pendant trente deux ans.

Dès sa nomination, la clarté et la forme admirable de son enseignement, dont on trouve un reflet dans plusieurs manuels édités à l'intention de ses étudiants, firent à Rémy Collin un rapide succès. L'histophysiologie hypophysaire était à l'époque à peine esquissée ; partant de la cytologie de la glande pituitaire, dont il découvre un des modes de régénération, l’endocytogénèse, il est conduit à préciser les voies d'excrétion des produits élaborés, à envisager les rapports de la glande pituitaire avec la neurohypophyse et secondairement avec le diencéphale. Son goût pour la libre discussion (dont on trouve la manifestation dans les deux tomes consacrés à l'hypophyse parus en 1933-1937), le souci qu'il a de former autant techniquement qu'intellectuellement, attirèrent à ce moment dans un laboratoire trop étroit, de nombreux élèves, dont beaucoup étaient étrangers. Sa notoriété scientifique déjà considérable prit encore davantage d'ampleur, avec la publication en 1938 d'un livre longtemps classique consacré aux hormones.

La deuxième guerre mondiale arrêta momentanément son activité scientifique ; mais il se servit à ce moment de sa plume pour mettre l'accent sur la nécessité de sauvegarder le capital moral et intellectuel de notre civilisation, rappelant l'importance sociale de la recherche fondamentale. Les questions, comme celles de l'avenir de l'homme et du conflit naturalisme-spiritualisme, ont été discutées dans plusieurs volumes (Le message social du savant, 1941 ; Les deux savoirs, 1946 ; La mesure de l'Homme, 1948 ; Plaidoyers pour la vie humaine, 1952). Cependant, cette activité philosophique n'étouffa nullement son activité scientifique, dirigeant de nombreuses thèses, rédigeant plusieurs rapports dont les neuroendocrinologistes devront tenir compte. Il écrivit d'autre part à cette époque, deux livres de vulgarisation scientifique, l'un « Panorama de la Biologie » destiné à guider ses jeunes étudiants ; l'autre, « L'organisation nerveuse», qui a connu plusieurs éditions.

Mais jusqu'à la fin de sa carrière, il restera pour les collaborateurs qu'il a formés, pour les jeunes qui participaient aux réunions de l'Association des Anatomistes dont il a été le secrétaire général pendant trente ans, un guide sûr et bienveillant et pour tous, suivant l'expression d'un de ses collègues « une des plus pures consciences de nos Facultés de Médecine... ».

Le professeur Étienne Legait assure depuis 1952 la direction de la chaire d'histologie. En raison des nécessités de l'enseignement deux nouvelles chaires ont été créées, l'une d'embryologie (1959) qu'occupé le professeur Alexis Dollander, l'autre de biologie médicale (1969) que dirige le professeur Georges Grignon.

III - L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE

Le professeur Feltz, agrégé de Strasbourg a été en 1872 le premier responsable de la chaire d'anatomie et de physiologie pathologique. Il a joué sur l'évolution de l'anatomie pathologique nancéienne un rôle aussi éminent que Charles Morel pour l'anatomie et l'histologie. Savant de grand mérite, il s'adonna surtout à la médecine expérimentale. Ses premières publications sur la phtisie des tailleurs de pierre, sur la leucémie, sur les différentes espèces de phtisie pulmonaire, ses expériences sur l'inoculation des matières tuberculeuses, sur le passage des leucocytes à travers les parois capillaires lui valurent d'être remarqué par l'Académie de Médecine. En collaboration avec le professeur Coze, il présenta à l'Institut plusieurs mémoires consacrés à des recherches expérimentales sur la présence d'infusoires et l'état du sang dans les maladies infectieuses qui furent réunis en un volume intitulé : « Recherches cliniques et expérimentales sur les maladies infectieuses envisagées principalement au point de vue de l'état du sang et de la présence des ferments» (1872). Dans ce livre, les auteurs établissent catégoriquement la nature microbienne de la plupart des maladies infectieuses ; on peut dire qu'ils ont été parmi les précurseurs de la microbiologie moderne. En 1870 paraît un traité clinique et expérimental des embolies capillaires, illustré de planches nombreuses, dans lequel à l'aide d'observations cliniques et d'expériences, il explique un grand nombre de lésions périphériques incomprises. En 1881, en collaboration avec Ritter, est édité un nouveau volume consacré à l'étude de l'urémie expérimentale, recueil de recherches personnelles importantes. De nombreuses autres publications mériteraient d'être analysées ; le rôle des vers de terre dans la propagation du charbon ; l'atténuation du virus charbonneux dans la terre, etc... Son activité scientifique ne se ralentit que dans les dernières années de son existence, alors qu'une clientèle de consultations l'absorbait de plus en plus.

C'est à son élève, le professeur Baraban qu'il appartint d'installer le laboratoire d'anatomie pathologique dans le nouvel Institut anatomique. Méthodique et précis, son premier objectif a été de développer l'enseignement pratique, initiant les étudiants aux techniques microscopiques et disposant à leur intention dans un musée créé par lui, de nombreuses pièces prélevées lors des autopsies, musée que son successeur ne cessera de développer. Ses recherches sur l'épithélium des séreuses et ses altérations, l'épithélium des voies aériennes, le parasitisme sont connues. Mais beaucoup de ses observations figurent dans de nombreuses thèses d'élèves effectuées sous sa direction. Conseiller municipal, membre du Bureau de Bienfaisance, Baraban manifestait un dévouement inlassable à ses diverses fonctions ; celui-ci devait ruiner sa santé et entraîner sa mort à 55 ans.

Le professeur Hoche qui le remplaça en 1905 à la direction du laboratoire, ne fut nommé professeur d'anatomie pathologique qu'en 1910 assurant cet enseignement pendant trente deux ans. Ses travaux sur la structure de la fibre musculaire cardiaque, sur le chorio-épithéliome malin et surtout sur les lésions anatomiques des reins au cours des néphropathies ont eu un grand retentissement. Dès 1906, il présentait à ses collègues des propositions précises pour l'étude régionale du cancer, puis un projet de statuts d'une ligue lorraine contre le cancer. Ces propositions généreuses ne purent se concrétiser qu'après la première guerre mondiale ; ce n'est, en effet, qu'en 1924 que fut décidé la création d'un centre anticancéreux.

La direction de ce centre fut assurée pendant trois ans par le professeur Vautrin et il appartint à Hoche pendant les dix années suivantes d'augmenter les lits d'hospitalisation, de développer les possibilités thérapeutiques (radiocurie et radiothérapie) et surtout le laboratoire de diagnostic cancérologique.

C'est le professeur Watrin qui a été appelé à lui succéder en 1938 dans la chaire d'anatomie pathologique. Élève des professeurs Nicolas et Ancel, puis de Collin, de Hoche et de Spillmann, Watrin a su se faire remarquer par sa très grande activité. Par ailleurs d'un caractère bienveillant et courtois, il a su s'entourer d'élèves qui lui sont constamment restés fidèles. Ses premiers travaux effectués soit au laboratoire d'anatomie, soit au laboratoire d'histologie sont surtout consacrés aux glandes endocrines ; il démontre l'hypertrophie gravidique de la cortico-surrénale, donne une des premières monographies sur les modifications présentées par l'hypophyse au cours de la gestation. L'action de la folliculine, de la pré- et de la post-hypophyse, des extraits thyroïdiens sur les glandes génitales, l'action de l'hypoglycémie expérimentale sur le système endocrinien représentent un ensemble important de recherches histo-physiologiques. Mais ce sont surtout les travaux d'histo-pathologie cutanée qu'il a poursuivis pendant toute sa carrière qui lui ont fait une large réputation. Aussi bon clinicien, qu'excellent histologiste, on lui doit de nombreux travaux sur les dermatites bulleuses, les lympho-dermies, le psoriasis, les sclérodermies, les dermites professionnelles et médicamenteuses, etc... Cette rapide énumération ne donne qu'une idée très incomplète de l'importance d'une œuvre qui a étendu la réputation de la chaire d'anatomie pathologique et de la clinique dermatologique.

Le professeur Florentin qui lui succéda en 1942 était depuis 1938 directeur du Centre anticancéreux. Histo-pathologiste éminent, mais ayant reçu une formation scientifique profonde et étendue à l'école du professeur Collin, dont il a été le collaborateur pendant de nombreuses années, et du professeur Cuenot, il a su donner une orientation nouvelle à la recherche anatomo-pathologique.

Histologiste, on lui doit de remarquables travaux sur le système réticulo-endothélial, la glande thyroïde, l'histo-physiologie comparée de l'appareil hypophysaire, etc... Anatomo-pathologiste, nous lui devons des travaux comme ceux consacrés aux tumeurs malignes primitives des organes de la cavité générale chez les enfants, mais nous lui sommes redevables surtout d'avoir cherché à utiliser en histo-pathologie des techniques d'investigation nouvelles. Enseigneur estimé des étudiants, il fit éditer pour eux, des livres de démonstrations pratiques tant d'histologie que d'anatomie-pathologique. Directeur du Centre anti-cancéreux, c'est à lui que l'on doit l'extension de ce service et la formation d'une équipe de médecins appartenant à des disciplines très différentes. Avec ses collaborateurs, il réalisera dès 1968 l'avant projet d'un nouveau centre anti-cancéreux dont la construction sera réalisée par son successeur le professeur Chardot.

Le professeur Rauber dirige depuis 1971, la chaire d'anatomie pathologique.

Le mérite des maîtres de ces trois disciplines morphologiques est d'avoir non seulement cherché à conserver à cette école un haut niveau d'enseignement et de recherche, mais surtout de s'être efforcé de former un grand nombre d'élèves capables d'assumer des fonctions de direction universitaires ou de recherches. La liste est longue des élèves de Nancy qui dans d'autres Universités sont à leur tour devenus des maîtres dans ces disciplines morphologiques. Formons le vœu que cette école de Nancy conserve encore pendant de nombreuses années la même vitalité.

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- Ehrmann Charles Henri (1792-1878) aide d'anatomie (1818), agrégé chef des travaux (1822), professeur d’anatomie (1826) et doyen de la Faculté de Médecine de Strasbourg (1857-1867)

- Lauth Ernest Alexandre (1803-1837) agrégé chef des travaux, auteur du Nouveau Manuel de l'Anatomiste publié en 1829 et réédité en 1835 à Strasbourg, fils de Lauth Thomas (1759-1826), professeur d'anatomie à Strasbourg,

- Morel Charles (1822-1884) : à Strasbourg, prosecteur d'anatomie en 1847, directeur des autopsies et agrégé en 1856, professeur d'anatomie en 1867 : à Nancy, professeur d'anatomie générale, descriptive et topographique en 1872 et professeur d'histologie de 1879 à 1884

- Duval Mathias (1844-1907) : à Strasbourg, aide d'anatomie (1866), prosecteur (1868), docteur en médecine (1869): à Nancy, chef des travaux anatomiques (1872): à Paris agrégé d'anatomie (1873), professeur d'histologie de 1885 à 1907. Il a été l’auteur de nombreux ouvrages en particulier d'un Atlas d'Embryologie (1889) et d'un Précis d'Histologie (1897)

- Bouchard Henri (1833-1899) à Strasbourg, docteur en médecine (1856), agrégé d'anatomie (1866) : à Nancy agrégé d'anatomie et chef de travaux jusqu’en 1874 : à Bordeaux, professeur d'anatomie (1878-1899). Bouchard est l’auteur avec Beaunis des Nouveaux éléments d'Anatomie descriptive et d'Embryologie parus en 1867 qui connurent plusieurs rééditions et d'un précis d'Anatomie et de Dissection (1887).

- Lallement Edmond (1838-1889) : aide d’anatomie (1856), prosecteur (1857), docteur en médecine (1864), professeur adjoint d’anatomie (1872), professeur d'anatomie descriptive (1879-1889),

- Chrétien Henri (1845-1923) : prosecteur d'anatomie (1866), chef des travaux anatomiques (1874), agrégé d'anatomie (1876),  professeur de médecine opératoire (1887-1918)

- Bouin Pol (1870-1962) : à Nancy, préparateur d'histologie (1892), chef de travaux d'histologie (1897), agrégé d'anatomie (1898) ; à Alger, professeur d’histologie et d'anatomie pathologique (1907) ; à Nancy, professeur d'histologie (1907) : à Strasbourg, professeur d'histologie (1919)

- Collin Rémy (1880-1957) : aide d'anatomie (1902), prosecteur (1904) docteur en médecine (1907), chef de travaux (1907), agrégé (1907), professeur d'histologie (1920-1952).

- Feltz Victor (1835-1893) : à Strasbourg, docteur en médecine (1860), chef de clinique (1865), agrégé (1865), directeur des autopsies (1866), médecin adjoint de l’hôpital civil (1869) ; à Nancy, professeur d'anatomie et de physiologie pathologique (1872 1893).

- Coze Léon (1819-1896) : à Strasbourg, agrégé en 1854, professeur de matière médicale et thérapeutique (1858), à Nancy même chaire à partir de 1877.

- Baraban Léon (1850-1905) : chef des travaux d’anatomie pathologique (1878), agrégé (1883), agrégé chargé de l'enseignement de l'histologie (1884-1891), professeur d'histologie (1891), professeur d'anatomie pathologique (1893-1905).

- Hoche Léon (1869-1941) : préparateur de physiologie (1892), docteur en médecine (1896), chef des travaux d'anatomie pathologique (1897), agrégé (1904), professeur d'anatomie pathologique (1910-1937) directeur du centre anti-cancéreux (1927-1937).

- Watrin Jules (1887-1955) : aide d'anatomie (1907), prosecteur d'anatomie (1909), chef de clinique (1913), docteur en médecine (1914), chef des travaux d'histologie (1920), agrégé d'histologie (1923), professeur sans chaire (1934), professeur d'anatomie pathologique (1938-1941), professeur de clinique dermatologique (1941-1955).

- Florentin Paul : préparateur d'histologie (1922-1927), chef des travaux d'histologie (1927), agrégé d'histologie (1934), directeur du Centre anticancéreux (1937-1970), professeur d'anatomie pathologique (1942-1970),