La pneumo-phtisiologie
par P. LAMY
Numéro Spécial du Centenaire de la Revue (1874-1974)
Annales Médicales de Nancy
(édité en avril 1975)
La Pneumo-Phtisiologie à Nancy a des racines profondes et, si on remonte dans le temps, on s'aperçoit qu'on rejoint Laennec... évidemment d'une manière très modeste et uniquement chronologique.
Il faut en effet remonter à Villemin pour situer les premières recherches lorraines sur la tuberculose et c'est donc tout naturellement que notre hôpital spécialisé porte son nom, ce qui justifie quelques explications.
Jean Antoine Villemin est en effet un lorrain de pure souche puisqu'il est originaire de Prey, petit village vosgien de la vallée de la Vologne, où il naquit en 1827, un an après la mort de Laennec et un an après la publication de la deuxième édition du traité de l'auscultation médiate. Il fit ses études à Bruyères puis à Strasbourg et fut même assistant du laboratoire d'anatomie, avant de devenir médecin-inspecteur du service de santé des armées et agrégé du Val-de-Grâce.
Ce fut un précurseur en matière d'épidémiologie, puisqu'il devait démontrer en 1865 la contagion de la tuberculose avant même la découverte du bacille tuberculeux en 1872. Cette démonstration intervenait comme une suite logique des théories de Laennec sur l'unité de la tuberculose et sept ans avant la mise en évidence du bacille de Koch.
Le mémoire de Villemin à l'académie de médecine, le 5 décembre 1865, était catégorique : «la tuberculose est une affection spécifique, la cause en réside dans un agent inoculable... », la démonstration en était flagrante en particulier dans le livre important qu'il écrivit en 1868 intitulé « études sur la tuberculose ».
Les nancéiens devraient aussi tirer une certaine fierté de la clairvoyance clinique de l'un deux, Paul Spillmann, qui décrivit pour la première fois dans le monde l'ostéo-arthropathie hypertrophiante pneumique en 1890. Son observation princeps est rapportée dans les cliniques médicales iconographiques de Nancy, publiées en 1901 par P. Haushalter, G. Etienne, Louis Spillmann et Ch. Thiry, en un gros volume de 380 pages, remarquablement illustré.
Pierre Marie, à Paris et Von Bamberger, à Berlin, les auteurs qui devaient attacher leur nom au syndrome, n'ont en effet fait connaître leurs travaux qu'en 1890, donc au même moment que Paul Spillmann qui aurait pu lui aussi signer ce syndrome.
Paul Spillmann, professeur de clinique médicale de 1887 à 1914, fut aussi le pionnier de la lutte antituberculeuse en fondant dès 1900 « l'œuvre lorraine des tuberculeux » qui créa et finança la même année le sanatorium de Lay-Saint-Christophe, dont la propriété devait revenir après la guerre de 1914-1918 aux Hospices Civils de Nancy. Ceux-ci réparèrent et agrandirent ce « sanatorium Paul Spillmann » dont l'évolution moderne à orientation plus générale a repris, depuis 1971, le nom d'origine sous la forme de « centre médical Paul Spillmann ».
C'est aussi sur son initiative que les Hospices Civils de Nancy rachetaient la propriété des religieuses du Sacré-Cœur (dont le beau portail de l'Hôpital Maringer garde encore les symboles) pour y construire, à partir de 1911, l'Hôpital Villemin. Celui-ci fut inauguré en octobre 1914... et la guerre en fit d'abord un hôpital pour les blessés et les contagieux de l'armée. Il devait accueillir plus de 5000 malades avant de revenir à sa destinée première, d'hôpital pneumo-phtisiologique en 1920 sous les directions des Professeurs Jacques Parisot et Maurice Perrin, puis Emile Abel, après un « triage » fait dans les deux services de médecine des Professeurs P. Simon et g. Etienne.
La tuberculose tuait alors « un français toutes les dix minutes» (M. Perrin) et on comprend le souci que représentait alors cette maladie. Souci que l'on retrouve dans de multiples publications de la Revue Médicale de l'Est, dès 1875 avec Bernheim, au sujet du pneumothorax tuberculeux (il s'agissait uniquement des perforations dans la plèvre de cavernes tuberculeuses et il n'était nullement question de pneumothorax thérapeutiques) ; Bauquet en 1887 soulignait déjà la gravité de la tuberculose pulmonaire chez l'éthylique, problème hélas toujours actuel ; Haushalter en 1891 attirait l'attention sur la contagion de la tuberculose en particulier chez les enfants, Rueff dans le service de Bernheim étudiait l'Association tuberculose apicale-emphysème des bases, etc.
Cette période phtisiologique fut à son apogée dans les années 1920, 1921 et 1922 et on retrouve dans la revue médicale de l'Est une prolifération de communications de Jacques Parisot, Georges Etienne, de M. Mutel, de R. Zuber, etc. Nous en retiendrons la première application du pneumothorax thérapeutique par L. Caussade et R Simon, l'étude des tuberculoses après blessures de guerre des poumons par J. Parisot, celle de la toxicité des liquides pleuraux par J. Parisot et P. Simonin, le problème de l'avortement thérapeutique chez les tuberculeuses par A. Fruhinsholz, etc.
Parallèlement à toutes ces études cliniques, un travail fondamental s'effectuait à Nancy sur le plan anatomique avec Lucien qui, dès 1927, démontrait la systématisation pulmonaire, la symétrie des deux poumons, la classification de l'arborisation bronchique, l'importance du système des parabronches, etc. Tous ces travaux font école en matière d'anatomie du poumon et des bronches, et il nous faut citer, entre autres, les publications anatomo-radiologiques de Lucien, Grandgérard et Wéber de 1927 à 1934, la thèse de P. Wéber en 1936 sur l'apex pulmonaire, la systématisation pulmonaire, morphologie et ramescence des bronches intrapulmonaires avec leur répartition topographique par Lucien et Wéber en 1936 dans les archives d'anatomie, l'étude anatomoradiologique de l'orientation des bronches et des artères pulmonaires par Grandgérard et Wéber en 1935 dans les archives médico-chirurgicales de l'appareil respiratoire, l'anatomie médico-chirurgicale de l'arbre bronchique par Lucien et Beau en 1946, ainsi que l'important rapport des mêmes auteurs en 1951 à l'association des anatomistes (congrès de Nancy), les études de Cayotte sur les variations de la répartition bronchique, celles de Beau et Trial en 1938 sur les anomalies costales, etc.
Cette énumération démontre combien a été prépondérante la part de l'école anatomique clé Nancy dans l'évolution de nos connaissances sur l'appareil respiratoire.
La pathologie non tuberculeuse du poumon n'était pas oubliée et on retrouve dans la revue médicale de l'Est des publications originales dés le début : pneumonie abortive par Bernheim en 1877 et 1889, cancer colloïde de la plèvre par Démange en 1879, gangrène du poumon et fièvre typhoïde par Simon en 1887, mort des pneumoniques âgés par Perrin en 1908, gangrène pulmonaire par Parisot et Caussade en 1925, etc.
C'est après la grande guerre que la phtisiologie s'organisa avec Jacques Parisot qui créait l'Office d'Hygiène Sociale de Meurthe-et-Moselle en 1922 et avec la réouverture de l'Hôpital Villemin ou plus exactement son ouverture réelle aux malades tuberculeux sous sa direction. Les travaux de Jacques Parisot, à partir de cette époque, s'orientèrent surtout vers la médecine sociale sous tous ses aspects, multipliant les dispensaires, animant les services d'assistance, créant les structures de la lutte antituberculeuse, développant la vaccination par le B.C.G. et le dépistage systématique... dans une lutte inlassable que son autorité et sa fermeté persuasive rendaient d'une efficacité remarquable
Pierre Simonin, qui était agrégé de médecine depuis 1926, devint Chef de Service à l'Hôpital Villemin en 1930, puis professeur de pathologie générale, médecine expérimentale et clinique de la tuberculose en 1944, chaire qui devait devenir clinique de pneumophtisiologie en 1962 avec son titulaire actuel.
Le Doyen Simonin, après une formation de laboratoire concernant en particulier les toxines et l'ultra-virus tuberculeux, se consacrait ensuite à des travaux cliniques dont nous retiendrons surtout les études sur les antibiotiques à leur début, et tout spécialement la Streptomycine, sur les corticoïdes, sur le terrain diabétique, sur les associations de tuberculose et de cancer, etc.
Le Doyen Simonin a marqué de son empreinte la clinique de pneumo-phtisiologie et on ne saurait trop souligner ses qualités profondes, son humanisme son talent de clinicien, averti et prudent, réservé devant les affirmations trop rapides, mais sachant encourager toutes les initiatives.
Il avait à ses côtés, dans le service Villemin-Femmes. le professeur Jean Girard, dont la carrière trop courte s'arrêtait en 1955, à 52 ans. Jean Girard avait une personnalité marquée par une immense culture et par beaucoup de sensibilité. Il consacra surtout ses études aux cavernes tuberculeuses, aux bronchites segmentaires, aux images bulleuses, aux atélectasies de la tuberculose, à la psychologie des tuberculeux, etc.
En même temps, Paul Louis Drouet développait l'orientation pneumologique par de très nombreux travaux. Nous en retiendrons d'abord l'emphysème bulleux qui, après plusieurs publications, fit l'objet de la thèse de G. Faivre en 1946.
Ce fut aussi les abcès du poumon, leur évolution, leurs séquelles de cavités épithélialisées et leur traitement par les injections antibiotiques transpariétales.
Ce fut encore le syndrome de Pancoast et Tobias, les opacités des sinus cardio-phréniques, les explorations par cathétérisme et angiographies à leur début, les syndromes pleurésies-atélectasies, les paralysies phréniques, le cancer bronchique dont il comprit très tôt l'ampleur que devait prendre cette affection et dont il étudia tous les aspects évolutifs, etc.
Paul Louis Drouet, professeur de clinique médicale de 1941 à 1955, avait su regrouper autour de lui une équipe pluridisciplinaire vraie qui dans le cadre d'une formation médicale générale étendue associait chaque spécialité en permettant une synthèse permanente. Il fut, avec beaucoup de tact, et d'influence, avec une curiosité d'esprit appuyée sur une expérience clinique incomparable, le maître qui donnait à chacun de ses élèves l'orientation qu'il pourrait ensuite approfondir.
P. Simonin et J. Girard furent à l'origine du laboratoire d'exploration fonctionnelle du poumon, non seulement dans son organisation mais par des travaux originaux sur la spiromètrie, la densimètrie pulmonaire, les bronchographies, le dépistage et l'appréciation des pneumoconioses, etc.
Paul Sadoul devait donner toute leur ampleur à ces recherches fonctionnelles par le développement de toutes les techniques complexes d'investigations et de mesures, et par un service hospitalier réservé aux malades atteints d'insuffisances respiratoires.
Le bilan resterait incomplet si on ne mentionnait les recherches de Jean-Pierre Grilliat sur de multiples aspects pneumologiques, et plus spécialement sur l'asthme, et l'immunopathologie.
La chirurgie thoracique a fait ses débuts avec André Guillemin pour se poursuivre avec P. Chalnot, J. Lochard, R. Frisch, et J. Borrelly. La collapsothérapie chirurgicale et les exérèses pulmonaires furent codifiées à Nancy très tôt, mais les recherches chirurgicales furent aussi très poussées dans le domaine des indications opératoires au cours des primo-infections compliquées, du traitement des goitres plongeants postérieurs, des corps étrangers bronchiques, des traumatismes thoraciques, des emphysèmes, etc.
L'école actuelle de pneumo-phtisiologie poursuit cette tradition de travail. La Revue Médicale de Nancy lui doit de nombreuses publications dont des recherches particulières sur le cancer à petites cellules en 1957 et la sarcoïdose en 1960, ou encore sur la pathologie du lobe moyen, les localisations respiratoires des hémopathies et réticulopathies, la pathologie pleurale et spécialement les mésothéliomes, les tumeurs du médiastin, etc.
En matière de phtisiologie, elle s'est donnée pour tâche de poursuivre l'éradication de la tuberculose par l'utilisation optimale des antibiotiques, dont les plus récents font l'objet d'études permanentes et par la coordination de tous les services antituberculeux et leur réorganisation.
En matière de pneumologie, elle se consacre essentiellement au cancer bronchique par le perfectionnement des moyens de diagnostic et, dans ce domaine, elle a été à la naissance des techniques de fibroscopie et des méthodes scintigraphiques, par les thérapeutiques chimiothérapiques et aussi par les problèmes fondamentaux de l'origine du cancer. Il faut y ajouter maintenant les méthodes modernes d'explorations vasculaires, en particulier bronchiques ou pariétales et enfin des recherches originales sur l'analyse radiologique.
C'est l'aboutissement de toute une lignée de chercheurs et de cliniciens. C'est surtout le travail de toute une équipe étroitement soudée, celle de tous les collaborateurs de Pierre Bernadac, Pierre Briquel, Pierre Zuck, Gérard de Ren, Gérard Vaillant, Daniel Anthoine et Pierre Lamy.