` sommaire

Les fondations hospitalières à Nancy

 

par J-P. GRILLIAT

 

HISTOIRE DES SCIENCES ET TECHNIQUES EN LORRAINE

(publiée sous la direction de Georges Grignon)

Encyclopédie illustrée de la Lorraine

Editions Serpenoise – Presses Universitaires de Nancy

(nombreuses photos dans ce texte)

 

 

 

 

L'hôtel-Dieu devant Nancy

 

Créé au début du XIIe siècle, il se situait primitivement entre le centre urbain de Nancy et le village de Saint-Dizier comme il est indiqué dans la charte de confirmation de l'évêque Henri de Lorraine (1162). A la fin du XIVe siècle, l'Hôtel-Dieu fut transféré près de la porte Saint-Nicolas de la Vieille Ville (rue Saint-Julien, rue des Dominicains, actuellement). Il se trouvait alors à proximité du prieuré Notre-Dame. Ce furent des prêtres séculiers qui administrèrent l'hôpital avec la collaboration de religieuses de Sainte-Elisabeth dites « Sœurs Grises ». L'établissement fut touché par l'incendie de Nancy en 1218. Mais les richesses accumulées et les donations nombreuses permirent de réparer, voire agrandir, l'établissement hospitalier.

 

L'établissement hospitalier des dames prêcheresses

 

Une léproserie fut créée à Nancy au début du XIIIe siècle pour limiter la propagation de la maladie et secourir les malades. Elle se situait à proximité de l'Hôpital central actuel. Un accord intervint en 1221 pour répartir les tâches et établir un accord financier entre les frères chargés de la maison des lépreux et les moines du prieuré Notre-Dame. Au XIVe siècle, l'établissement fut confié aux dames prêcheresses, en fait les dominicaines qui disposaient d'un important monastère en Vieille Ville.

 

L'hôpital Saint-Julien

 

II fut créé sous le règne du duc Raoul au début du XIVe siècle par un prêtre riche et charitable, nommé Vernier, qui possédait une grande maison dans la Grande Rue dite « Maison Vernier ». Il la céda à la Ville de Nancy en 1336 pour l'affecter aux soins hospitaliers. Il garda, sa vie durant, la direction du nouvel hôpital et fit appel aux dames précheresses pour assister les patients. Ce nouvel hôpital fut placé sous le patronage de saint Julien. Son administration, bien que parfois revendiquée par l'administration ducale, resta à la ville. Quatre commis administraient l'hôpital, aidés, à partir du XVIe siècle, de deux bourgeois, désignés comme surintendants selon l'ordonnance de Charles III (1565). Pendant deux siècles et demi, l'hôpital resta au même endroit de la Grande Rue. Toutefois, au milieu du XVIe siècle, les besoins avaient beaucoup augmenté et Charles III constatait « que bien des malades étaient contraints misérablement de mourir de faim sur les fumiers, dans les rues et voies publiques ». A partir de 1588, on construisit un nouvel hôpital Saint-Julien qui devint opérationnel à partir de 1590. Il se situait sur le territoire compris actuellement entre la place Stanislas et la cathédrale ; une rue porte toujours le nom de Saint-Julien.

A proximité se fixèrent bientôt les sœurs de la congrégation de Saint-Pierre Fourier, les deux établissements étant séparés par la rue de la Congrégation, devenue rue de la Constitution et aujourd'hui rue Maurice Barrès. Pour assurer des ressources régulières au nouvel hôpital, Charles III décida « que le meilleur et principal habit que chaque habitant de Nancy - bourgeois ou manant - aurait à l'heure de son décès serait donné à l'hôpital Saint-Julien par la veuve ou les héritiers ».

Le duc eut aussi recours au système des indulgences ; c'est ainsi que le pape Clément VIII, à la demande de Charles III et par bulle du 4 novembre 1604, attribuait une indulgence plénière aux malades de Saint-Julien qui, à l'article de la mort, après s'être confessés et avoir communié, invoqueraient le nom de Jésus. Surtout, les visiteurs qui iraient voir les malades et feraient don à l'hôpital, pourraient bénéficier d'une indulgence de quarante jours.

L'administration de l'hôpital fut modifiée ; comme précédemment, deux bourgeois étaient désignés par la cité comme surintendants, mais en plus, deux gouverneurs fonctionnaires, également désignés par la cité, administraient l'établissement sous la surveillance quotidienne d'un économe.

Hommes et femmes étaient hospitalisés séparément. Les femmes plus ou moins valides s'occupaient des petits enfants. Les enfants plus grands recevaient une ébauche d'instruction. La capacité hospitalière était de l'ordre de deux cents malades, étant entendu que les pauvres étaient admis préférentiellement.

L'hôpital Saint-Julien vécut difficilement les contrecoups des occupations françaises du XVIIe siècle : d'une part baisse des revenus, d'autre part sollicitations considérablement majorées du fait de la misère, la famine et la peste. De retour sur ses terres, Charles IV réorganisa l'administration hospitalière. Trois directeurs, nommés par le prince, étaient désormais à sa tête ; en principe un ecclésiastique, un conseiller à la Cour, un avocat. Avec Léopold, la Lorraine retrouva de meilleures conditions d'existence et la vie hospitalière en profita. Mais le grand événement fut l'arrivée à Saint-Julien des sœurs de Saint-Charles dont la congrégation générale venait d'être créée à Nancy et qui avaient déjà leur propre hôpital Saint-Charles. Elles étaient deux sœurs en 1702, puis sept au milieu du siècle et remplissaient, en particulier, les fonctions d'économe et de préposée à la pharmacie. Sous Stanislas furent créés de nouveaux lits de donation, mais surtout une structure particulière, dépendant de Saint-Julien et destinée à assurer l'éducation d'orphelins : douze garçons et douze filles, tirés au sort, étaient pris totalement en charge, quasi embrigadés sous l'uniforme et bénéficiaient d’une instruction et de l’apprentissage d’un métier manuel. A la sortie, ils recevaient une dotation et l'administration hospitalière était chargée de leur trouver une place professionnelle. Stanislas fit construire à sa charge un corps de bâtiment spécial dit « bâtiment royal ». Saint-Julien continuait, par ailleurs, à fonctionner comme un établissement hospitalier de l'époque, mais progressivement l'habitude se prit d'adresser les sujets actifs à l'hôpital Saint-Charles et les enfants et sujets âgés à Saint-Julien. Ainsi, à la veille de la Révolution, l'hôpital Saint-Julien était devenu une maison pour les personnes âgées nécessiteuses et par ailleurs un orphelinat.

Durant la Révolution, l'hôpital continua à fonctionner selon les mêmes principes, les trois directeurs restèrent à leurs postes jusqu'à la Terreur et furent remplacés par un officier communal. Les sœurs restèrent également malgré quelques tracasseries ; elles durent abandonner leurs habits religieux et ne suspendirent leurs activités que pendant quelques mois au début de 1795. Quant à l'église de l'établissement, elle fut momentanément transformée en salle de réunion populaire. La fondation des Orphelins de Stanislas disparut dans la tourmente, de sorte que, au début du XIXe siècle, Saint-Julien était devenu uniquement un établissement de retraite pour les personnes âgées, soit hôtes payants, soit dépendantes de la charité publique. Apres la guerre de 1870, la municipalité de Nancy envisagea de transférer le second hôpital Saint-Julien, devenu insalubre, dans un nouveau quartier. Ayant écarté Boudonville, elle se fixa sur le terrain de l'ancien cimetière Saint-Nicolas, situe au-delà de la porte de la nouvelle ville et à proximité de l'établissement des enfants trouvés et surtout du terrain où l'on construisait le nouvel hôpital de soins.

La construction du troisième hôpital Saint-Julien fut réalisée entre 1896 et 1900. Christian Pfister a fait, de ce nouvel établissement, une description flatteuse : « Les vieillards possèdent désormais à l'extrémité sud de notre ville un édifice superbe, avec des jardins, de l'air et du soleil, et l'art a embelli de ses décorations les lignes sobres de l'architecture. Bussière a sculpté à côté de l'horloge un bas-relief représentant un génie qui recueille et réconforte un vieil infirme. Au-dessus du portail de l'élégante chapelle de style Renaissance, une grande fresque, de Maclot et Martignon, représente l'Apothéose de Saint-Julien ; une rosace, due à Gruber, envoie à l'intérieur de l'édifice les rayons de lumière tamisés. »

Les hospitalises ont pris possession de ces nouveaux locaux le 17 septembre 1900, et cette date doit être retenue et rapprochée de celle du 3 janvier 1590, où fut occupé pour la première fois le second Saint-Julien. Quelques jours plus tard, on y amena les femmes que les sœurs de Saint-Charles avaient recueillies, aux frais de la ville, à leur maison de Saint-Mathieu, rue de Strasbourg. Le nombre des hospitalisés était exactement à cette date de 394, dont 251 jouissaient d'anciennes fondations privées ; les autres étaient à la charge de la ville ou du département ou encore du ministère de l'Intérieur (trois lits fondés par Mme Carnot). Il y avait, en outre, quatre vingt-dix pensionnaires, vingt et une sœurs et dix-huit préposés. En tout 523 personnes habitaient le nouvel hôpital et les demandes de réception étaient nombreuses.

Souhaitons que ce troisième Saint-Julien, pendant un long laps de temps, console les vieillards, embellisse leurs derniers jours, remplisse son office de paix, de dévouement et de charité.

 

La Maison de secours

 

A l'origine Notre-Dame du Refuge, primitivement établie dans la rue Saint-Nicolas en 1624, puis transférée en 1696 dans le quadrilatère formé, aujourd'hui, par les rues des Quatre-Eglises, Abbé Didelot, Charles III et des Ponts, cette institution fut créée par Elisabeth Ranfaing, devenue Mère Marie-Elisabeth de la Croix de Jésus, pour servir de refuge aux femmes et filles libertines et les ramener à la vertu. A partir de cette maison mère, des maisons satellites furent créées sur le même modèle sur tout le territoire français et leur activité se développa jusqu'à la Révolution qui ferma ces établissements. La maison de la rue des Quatre-Eglises fut acquise par le Département en 1801, transformée en maison de secours recevant les indigents atteints principalement de maladies vénériennes, gale, chancre, rage, cancer, cataracte,... L'administration et le service des soins furent confiés, en ce début du XIXe siècle, à la congrégation de Saint-Charles dont la maison mère et le noviciat étaient voisins. La maison de secours garda longtemps sa vocation dermatologique et gynécologique. Le Service universitaire de dermatologie s'y implanta après le transfert de la Faculté de médecine de Strasbourg. Ce n'est qu'après la Première Guerre mondiale qu'un service fut construit sur le terrain de la congrégation du Sacré-Cœur, quai de la Bataille par le doyen Spillmann. Il s'agit de l'hôpital Fournier, voisin de l'hôpital-sanatorium Villemin. Ce dernier s'est progressivement transforme en hôpital pneumologique à la suite de la régression de la tuberculose pulmonaire des années 1950. La vocation gynécologique de la Maison de secours se transforma en activité obstétricale et la maternité départementale y fonctionna jusqu'à l'ouverture de la grande maternité Adolphe Pinard.

 

Institution Jean-Baptiste Thiéry

 

M. Claude-Emile Thiéry légua au département de Meurthe-et-Moselle, à son décès en juin 1895, une propriété située à Maxéville, aux portes de Nancy, s'étendant sur plus de deux hectares et une somme de 125000 francs devant servir à la construction d'un établissement chargé d'accueillir les enfants malades hospitalisés à la Maison de Secours de Nancy.

L'appellation de l'établissement devait être Asile Jean-Baptiste Thiéry selon le nom du père du donateur.

Commencés aussitôt, les travaux furent termines en 1900 et le 16 mai 1900, cinquante enfants atteints « d'affections chroniques, scrofuleux et teigneux » hospitalisés à la Maison de Secours, sont transférés dans le nouvel hôpital dirigé par six religieuses de la Congrégation de Saint-Charles. Cette création est donc, à ses débuts, une annexe pédiatrique de la Maison de Secours.

La première construction fut complétée, en 1908, par deux bâtiments parallèles ; en 1914, par un pavillon de façade ; en 1937, par une clinique moderne reliée aux services précédents par une galerie ; enfin, en 1958, par un groupe scolaire de douze classes sur deux niveaux.

L'institution Jean-Baptiste Thiery poursuit en les adaptant ses missions initiales :

- hospitalisation et traitement des enfants et adolescents (jusqu'à vingt ans) atteints d'affections médicales chroniques,

- hospitalisation, ou pour certains, hospitalisation de jour à fin de traitement et d'éducation d'enfants ou adolescents plus ou moins gravement handicapés.

Par ses objectifs, son organisation, son dynamisme, l'institution Jean-Baptiste Thiéry est un centre médical et médico-éducatif performant.

 

L'hospice Saint-Stanislas

 

Stanislas avait projeté de créer à Nancy un établissement - pilote pour l'époque - destiné à recevoir et à élever les enfants abandonnés à leur naissance. Il n'a pas eu le temps de réaliser son vœu, mais Louis XVI, dès son avènement et sur les conseils de sa tante, la princesse Adélaïde, désira reprendre le projet de son arrière grand-père Stanislas et fonda l'hospice dès la première année de son règne (lettre patente du 28 juillet 1774).

Cet hôpital se situait à l'origine dans une maison particulière de la rue Saint-Dizier, il était administré par un bureau autonome d'une quinzaine de membres tandis que les sœurs de Saint-Charles assuraient le fonctionnement quotidien. Après les vicissitudes de la Révolution et quelques déménagements, l'établissement devint l'hospice des Enfants de la Patrie et fut confié à la Commission administrative des hôpitaux de Nancy. Celle-ci, disposant par compensation des locaux de l'ancien séminaire des jésuites (rue Saint-Dizier, près de la porte Saint-Nicolas), y installa l'hospice des Orphelins (1805) rassemblant, dès lors, enfants trouvés, enfants abandonnés et orphelins du département de la Meurthe. Ce n'est que sous la Restauration que l'appellation d'hospice Saint-Stanislas fut définitivement retenue en souvenir probable du roi Stanislas dont le prénom était porté par son arrière petit-fils, devenu le roi Louis XVIII. L'établissement fonctionna régulièrement avec la collaboration des sœurs de Saint-Charles tout au long du XIXe siècle et pendant la plus grande partie du XXe siècle. Ce n'est que tout récemment que l'établissement a reçu une autre mission : l'accueil des personnes âgées.

 

De l'hôpital Saint-Charles à l'hôpital Central

 

Les origines

Il n'est pas possible de dissocier la fondation de l'hôpital Saint-Charles et la fondation de la congrégation du même nom. La création officielle par Charles IV de l'établissement, sis rue Saint-Jean, date de 1663, au moment où les sœurs organisèrent leur communauté et prenaient le nom de sœurs de Saint-Charles. A la fin du XVIIIe siècle, la capacité hospitalière était de 110 lits, le nombre des hospitalisés pour une année était de l'ordre de 1800, surtout des sujets actifs porteurs de maladies aiguës.

Pendant les guerres de la Révolution et de l'Empire, toutes les ressources de l'hôpital étaient absorbées par les soins donnés aux malades militaires, au détriment des malades civils dont le nombre de lits était réduit a quatre-vingts. En 1826, la capacité de l'établissement fut portée à cent vingt lits et par la suite, en 1843 et 1846, une cinquantaine de lits supplémentaires furent ouverts pour les besoins de l'enseignement médical.

A la fin du XIXe siècle, malgré les fondations charitables qui se succédèrent et les généreuses dotations de Charles-Edouard Collinet de la Salle (1862) et de Roger de Videlange (1868), les premiers signes de l'encombrement se manifestèrent et le surpeuplement de l'hôpital devint préoccupant. L'hôpital Saint-Charles était incapable d'accueillir les malades dans des conditions tolérables : trop exigu pour le nombre croissant de lits qu'il renfermait, il était, de plus, vétuste et insalubre. Il faut quand même remarquer que cet hôpital possédait déjà des salles spéciales pour les contagieux, si l'on en croit L. Boppe (1906) : « A Saint-Charles, on occupe d'une manière permanente la salle dite de rechange ; les salles réservées aux maladies contagieuses sont affectées aux malades fiévreux ; enfin, on serre les lits dans les salles. »

En 1867, le vice-président Leclerc présenta à la Commission administrative des Hospices civils de Nancy un rapport magistral faisant abandonner toute idée d'améliorer Saint-Charles sur place et concluant à la nécessité de reconstruire un hôpital neuf. La Commission administrative et le Conseil d'hygiène se rallièrent à cette conclusion, mais la guerre de 1870-1871 éclata et tous les projets furent ajournés.

 

La situation hospitalière au lendemain de la défaite de 1871

La guerre de 1870-1871 suivie par le traité de Francfort eut des effets importants sur le développement de Nancy et sur ses structures hospitalières. La population nancéienne augmenta brutalement du fait de la venue de nombreux expatriés d'Alsace et de Moselle. De 50000 habitants en 1870, la population passa à 60000 deux ans plus tard et à plus de 70000 en 1882. De nombreuses industries s'implantèrent dans la banlieue de Nancy du fait du transfert d'industries alsaciennes, ce qui naturellement attira une population ouvrière venant du milieu rural. Mais, parallèlement, le nombre des indigents augmenta avec les conséquences sanitaires habituelles. Toutefois, l'événement le plus marquant et qui eut les plus grandes conséquences sur les structures hospitalières fut le transfert de la Faculté de médecine de Strasbourg.

L'Assemblée nationale avait en effet voté ce transfert des mars 1872 et le décret présidentiel fut signé le 1er octobre de la même année. Nancy prenait donc le relais de Strasbourg et devenait la troisième ville de Faculté de France après Paris et Montpellier. Si ce transfert était pleinement justifié pour des raisons politiques et intellectuelles (maintenir un foyer universitaire à proximité des provinces annexées), la décision fut très contestée en raison de l'absence presque complète de locaux pour les enseignements et surtout du fait de la situation hospitalière de Nancy. L'hôpital Saint-Charles était tout à fait insuffisant en capacité de lits et équipement médical.

Seules deux cliniques médicales purent être installées provisoirement dans l'ancien hôpital Saint-Charles. Les cliniques chirurgicales de Strasbourg furent accueillies au dépôt de mendicité qui se situait en face de l'actuelle église Saint-Léon et qui prit passagèrement le nom d'hôpital Saint-Léon, permettant l'implantation de soixante-dix lits de chirurgie.

 

Les projets hospitaliers

Compte tenu de cette situation très précaire, une commission fut rapidement créée pour étudier des solutions à apporter. Ses travaux aboutirent au rapport Leclerc, du nom du rédacteur du texte dépose en juin 1873.

Deux solutions étaient envisagées : soit utiliser l'hospice Saint-Stanislas, à l'extrémité de la rue Saint-Dizier et à proximité de la porte Saint-Nicolas, qui justement venait d'être ravagé par un incendie en avril 1872 et dont l'aménagement pouvait faire espérer la mise en place de quelque trois cents lits ; soit construire un nouvel établissement. Ceci paraissait possible sur un terrain situé au-delà de la porte Saint-Nicolas, appelé « la Prairie », d'où le nom donné à la rue qui délimita ultérieurement le vaste territoire hospitalier.

Après bien des hésitations et l'évaluation du rachat des droits de propriété de la congrégation sur l'ancien hôpital Saint-Charles, la municipalité de Nancy décida de retenir la seconde solution et de créer un nouvel hôpital sur les terrains de la Prairie (décision du 9 avril 1877). La convention signée précisait : « La ville bâtira le nouvel hôpital à ses frais, conformément aux plans adoptés sur le terrain dit de la Prairie. Les hospices abandonneront à la ville leurs droits de copropriété sur l'immeuble Saint-Charles sous réserve que la municipalité se charge d'indemniser la congrégation dans les conditions prévues par la transaction de 1874 ».

L'avant-projet établi par Tourdes prévoyait un établissement hospitalier entièrement neuf ayant une capacité de cinq cents lits théoriques. Toutefois, il était prévu que les constructions se feraient en deux temps et que la première partie serait limitée à la mise à disposition de trois cent dix lits. En même temps, il était décidé que le Service des Maladies cutanées et vénériennes d'une part et les Services de Maternité d'autre part resteraient implantés à la Maison de secours, rue des Quatre-Eglises qui, elle-même, dépendait du Département de Meurthe-et-Moselle. Cette situation s'est pérennisée jusqu'à la fin du premier quart du XXe siècle.

Sur le plan architectural, on envisagea trois solutions : soit un seul grand bâtiment, soit au contraire des pavillons distincts, soit enfin un système mixte : construction de deux bâtiments parallèles diriges nord-sud et comportant rez-de-chaussée, premier étage, sous-sol et combles. Cette dernière solution fut retenue.

Certaines normes d'hygiène étaient précisées : « Les dimensions des salles seront calculées de manière à assurer à chaque malade cinquante mètres cubes d'air dans les services ordinaires et soixante mètres cubes pour les malades contagieux... Le cube produit par l'élévation de la salle ne suffit pas, il faut aux malades la superficie et l'espace latéral, sans exagération afin d'éviter la tentation de multiplier le nombre de lits. La hauteur des salles est une des conditions essentielles à retenir... Il est recommandé 5 mètres pour le rez-de-chaussée et 4,50 mètres pour l'étage supérieur ».

Des locaux d'enseignement étaient prévus, dépendant de chaque service. En particulier, on prévoyait une salle d'opération pouvant servir en même temps de salle de conférences et contenir cent places pour les cliniques chirurgicales, deux salles de conférences disposées en amphithéâtre pouvant accueillir chacune soixante élèves pour les cliniques médicales, une salle d'opération servant en même temps d'amphithéâtre pour trente élevés pour la Clinique des maladies des yeux et enfin une salle d'opération et de conférences de trente élevés pour les besoins de la Clinique des maladies des enfants. Un quartier spécial était prévu pour le logement de vingt à trente religieuses à proximité de la chapelle.

 

Les constructions

Ce fut Prosper Morey, élevé de Viollet-le-Duc, qui fut chargé d'élaborer le projet architectural. Il retint une vaste cour d'honneur avec les bâtiments administratifs, les bâtiments pour les sœurs de Saint-Charles. Face à l'entrée, la chapelle avec un passage de part et d'autre permettant d'accéder aux bâtiments d'hospitalisation. Les deux bâtiments principaux furent désignés par les noms de leurs donateurs, l'un Collinet-de-la-Salle et l'autre Roger-de-Videlange. Les bâtiments d'hospitalisation et d'enseignement ont une longueur de cent trente mètres. Ils se composent de salles de malades interrompues au centre par un massif qui contient tous les locaux destinés à l'enseignement. Chacune des moitiés latérales est à son tour partagée en deux par un massif contenant des escaliers, des cabinets de bains, des water-closets, des chambres d'isolement et des décharges. Chaque bâtiment présente donc dans sa longueur, quatre salles de malades et trois massifs intermédiaires. Au niveau des salles, la largeur est de neuf mètres ; elle est de seize au niveau des massifs, chacun de ces derniers faisant une saillie de sept mètres sur les façades extérieures par rapport à l'axe général de l'établissement. Les façades intérieures par rapport a cet axe sont continues et uniformément éloignées l'une de l'autre de quarante mètres. L'espace est rempli par un jardin. Les salles de malades placées au rez-de-chaussée ou au premier étage sont toutes semblables : quatre par étage, huit par bâtiment, seize en tout.

La première tranche de construction fut réalisée entre l'automne 1879 et l'été 1883. A cette date, la capacité disponible était de trois cents lits. Dix ans plus tard, le rapport administratif dit que le nombre de lits disponibles est passé à quatre cents, en relation probable avec la construction du pavillon d'Ophtalmologie. On assiste également au développement de consultations gratuites spécialisées : Electrothérapie (1897) ; Orthopédie (1897) ; ORL (1897) ; Urologie (1901). En 1907, furent crées vingt lits d'ORL et douze lits d'Urologie. En 1909, l'établissement situé en face de l'Hôpital civil, dit Maison Marin, servait de complément et accueillait les patients convalescents. En 1908, la capacité d'hébergement était de cinq cent trente-deux lits avec une occupation moyenne de quatre cent soixante-seize malades, mais cinq ans plus tard, en 1913, l'occupation moyenne était de cinq cent soixante-sept, ce qui veut dire qu'il existait un encombrement permanent et que les salles, prévues pour quinze malades, en accueillaient jusqu'à trente.

 

Le fonctionnement du nouvel hôpital

Le fonctionnement du service médical était réglé par un certain nombre de dispositions consignées par un règlement intérieur des Hospices civils de Nancy (1889) :

• Le corps médical est tenu de se conformer aux règlements et décisions de l'administration en ce qui concerne les services intérieurs de l'hôpital. Les médecins sont responsables de leurs services tant en ce qui concerne les traitements de leurs malades qu'en ce qui touche le régime alimentaire, l'hygiène, le service des infirmiers.

• Les médecins doivent procéder à la visite de leurs malades tous les jours de 7 heures à 10 heures du matin. La contre-visite n'est obligatoire que pour l'interne du service qui, en cas d'urgence, fait venir le chef du service intéressé.

• Au cours de la visite de leurs malades, médecins et chirurgiens sont accompagnés des sœurs responsables des salles, des étudiants et des élèves internes ou externes. Les prescriptions médicales et les régimes alimentaires de chaque malade doivent être inscrits sur des cahiers prévus à cet effet, qui doivent être signés et contrôlés chaque jour par les médecins et chirurgiens responsables, puis disposés à la pharmacie et à l'économat.

• Le règlement intérieur fait obligation aux chefs de services de tenir un registre des statistiques. A la fin de chaque mois, il doit remettre à la Commission administrative le rapport rendant compte de l'état précis des malades ou blessés séjournant depuis plus de trois mois à l'hôpital.

• Chaque année, ils doivent adresser à la Commission un rapport sur les cas graves ou extraordinaires, sur les maladies endémiques ou épidémiques, constatés pendant leur service.

Il faut insister sur le fait que l'arrivée de la Faculté de médecine de Strasbourg à Nancy eut pour effet de donner un caractère universitaire au système hospitalier. En fait, les services médicaux de l'Hôpital civil étaient tous affectés aux cliniques de la Faculté de médecine. Par conséquent, les médecins chefs de services étaient des professeurs de la Faculté nommés par la Faculté. Ainsi, se développa un certain pouvoir médical dépendant de la Faculté qui devait tenir compte des structures administratives hospitalières. D'ailleurs, des 1896, l'Institut anatomique de la Faculté de médecine s'implanta à proximité de l'Hôpital civil, rue Lionnois. Et, en 1902, l'ensemble des services de la Faculté de médecine étaient installés de part et d'autre de la rue Lionnois, en bordure de l'hôpital. Ainsi, se trouvait réalisé, au moins au plan architectural, un ensemble qui préfigurait, des le début du siècle, le centre hospitalo-universitaire réalisé cinquante ans plus tard.

 

Les différents services médicaux

Lors de l'ouverture, l'Hôpital civil comptait cinq services de cliniques installés dans les deux grands pavillons d'hospitalisation prévus : Clinique Chirurgicale « A » dirigée par le docteur Théodore Weiss au rez-de-chaussée du pavillon Collinet-de-la-Salle ; Clinique Médicale « A » du professeur Hippolyte Bernheim au premier étage du même pavillon ; Clinique Chirurgicale « B » dirigée par le professeur Frédéric Gross qui occupait le rez-de-chaussée du pavillon Roger-de-Videlange ; Clinique Médicale « B » du docteur Victor Parisot au premier étage du même pavillon. On remarquera que cette distribution resta inchangée jusqu'à l'ouverture de l'hôpital de Brabois en 1973. Une cinquième clinique (Ophtalmologie) eut du mal à trouver sa place et fut, dans un premier temps, installée dans les locaux mansardés du pavillon Collinet-de-la-Salle en attendant qu'une construction prévue dans la cour d'honneur permette une installation plus décente.

 

Le personnel médical

Les services se voyaient attribuer un poste de médecin chef de clinique. Il s'agissait d'universitaires dont la nomination était proposée par la Faculté de médecine et validée par la Commission administrative. Ses activités, étant considérées comme étant de type honorifique, n'étaient pratiquement pas rémunérées.

La fonction d'interne rétribué n'avait été créée à l'hôpital Saint-Charles qu'en 1861. Après l'implantation de la Faculté de médecine, le doyen de la Faculté soumettait à la Commission des hospices la liste des candidats qui avaient été reçus au concours annuel de l'Internat organise par la Faculté. C'est sur cette proposition que la Commission administrative nommait aux postes vacants. Plus tard, le concours de recrutement fut organisé exclusivement par l'hôpital. En 1883, le nombre d'internes était limité à quatre. Il était de treize en 1913.

La nomination de femmes comme internes, susceptibles d'assurer des gardes de jour comme de nuit, posa de réels problèmes à l'administration. La première nommée en avril 1899 fut amenée à démissionner quelques mois plus tard. La deuxième proposition fut faite en 1913 ; la Commission administrative réserva son acceptation, demanda l'avis du ministère de l'Intérieur et du directeur de l'Administration générale de l'Assistance Publique de la Seine. Celui-ci porta un avis favorable à la nomination, rédigé de la façon suivante : « Les femmes internes participent aux divers services médicaux dans les mêmes conditions que les internes hommes et les usages pas plus que les règlements n'ont établi de différence entre ceux-ci et ceux-là. Elles participent donc au service de garde de jour et de nuit et depuis 1882, date à laquelle les femmes ont été autorisées à prendre part au concours de l'Internat en médecine, les internes femmes ont assuré à Paris ce service sans qu'il soit résulté aucun inconvénient ou accident ». En conséquence, Mlle Marthe Laurent fut nommée. Elle devait, par la suite, faire une brillante carrière de consultant en pédiatrie en dehors de l'hôpital.

Il était prévu également des externes dépendant de la Faculté, placés sous la responsabilité des chefs de Services ; ils exécutaient les prescriptions relatives aux malades, assistaient régulièrement aux visites, remplissaient les cahiers de visite, faisaient la relation avec la pharmacie et l'économat. Il était rappelé aux étudiants en médecine qu'ils devaient se conformer aux dispositions d'ordre intérieur déterminées par l'administration des Hospices sous peine d'être exclus temporairement ou définitivement de l'hôpital. Ils ne devaient avoir accès aux salles de malades qu'accompagnés des chefs de Services.

Un professeur agrégé de la Faculté de médecine, affecté à la réception des produits pharmaceutiques, fut nommé Pharmacien responsable de la pharmacie centrale des Hospices et de la distribution. En plus, deux postes d'Internes en pharmacie titulaires furent crées en 1913.

 

Les sœurs hospitalières

Un traité signé en 1841, approuvé par le ministre de l'Intérieur, avait été conclu entre les Hospices de Nancy et la communauté de Saint-Charles. Il était précisé que les sœurs étaient placées, du point de vue temporel, sous l'autorité de la Commission administrative. En échange, elles étaient logées et nourries, et recevaient une indemnité annuelle. Le nombre des sœurs, déterminé conformément aux besoins, ne cessa d'augmenter ; il était de 44 en 1889 et de 64 à la guerre de 1914. On trouvait ainsi une sœur supérieure chargée de la surveillance générale, aidée d'une sœur chargée des écritures (parmi ces sœurs supérieures on retiendra tout particulièrement la personnalité de Sœur Louise Barrot qui assura ces fonctions de 1907 à 1942) ; une sœur pharmacienne assistée de deux sœurs aides-pharmaciennes ; une sœur cuisinière et une aide-cuisinière ; une sœur économe ; trois sœurs à la lingerie...

 

La pension Bon-Secours

Dès l'établissement du rapport Tourdes en 1877, il fut prévu de construire une vingtaine de chambres individuelles pour malades payant un prix de journée spécifique déterminé pour les hospitalisés et leurs accompagnants éventuels, y compris dans certains cas domestiques particuliers. Ces patients étaient soignés par le médecin de leur choix, hospitalier ou non. Les produits pharmaceutiques étaient réglés en plus du prix de journée. Pour attirer vers l'hôpital la clientèle aisée, l'administration n'hésita pas à faire des aménagements et des agrandissements, en particulier en 1904 elle implanta un ascenseur hydraulique et même installa le téléphone. Le nombre de lits passa de vingt-deux en 1903 à soixante-deux la veille de la Première Guerre mondiale, répartie en quatre classes d'hospitalisation (neuf hors classe, dix-huit en première classe, neuf en deuxième et dix-neuf en troisième). Situé dans la cour d'honneur de l'hôpital Central, elle fut notablement agrandie après 1919 (création du nouveau Bon-Secours) et fonctionna selon le même principe jusqu'à l'ouverture de l'hôpital de Brabois.

 

La Première Guerre mondiale

 

Le développement de l'activité hospitalière au début de ce siècle se traduisit par de nombreux travaux qui étaient à peu près terminés au moment de la guerre. Ainsi, l'hôpital Maringer - anciennement Maison du Sacré-Cœur - assurant l'enseignement des jeunes filles bourgeoises de la région, mais confisqué au titre des lois laïques de 1904, venait d'être réaménagé pour recevoir le Service de Dermatologie-Vénérologie situé précédemment à la Maison de secours. L'hôpital Villemin, destiné à recevoir les tuberculeux et construit dans la propriété des Dames du Sacré-Cœur, devait être inauguré en novembre 1914. D'autres projets furent stoppés et ne purent être repris qu'à la fin des hostilités.

La mobilisation priva les hôpitaux d'une grande partie du personnel médical. Il fut nécessaire d'avoir recours aux médecins de ville non mobilisés, aux étudiants en médecine, aux médecins étrangers non mobilisables et aux femmes médecins disponibles dont plusieurs vinrent de Paris en renfort.

Très vite, les combats firent rage sur le front proche de Nancy, la Seille, le Grand Couronné, Fenetrange. L'hôpital Central dut accueillir jusqu'à cinq cents blessés par jour. Ceux-ci étaient installés sous les galeries ou sur les pelouses pour assurer le tri et faciliter l'évacuation des blesses légers. A partir du 10 septembre 1914, le front se stabilisa et les blessés furent moins nombreux, mais l'hiver particulièrement rude et les conditions d'hygiène des campements militaires favorisèrent les affections de tous types : grippes, bronchites, dysenterie, fièvre typhoïde. Devant cette situation, les autorités militaires désignèrent l'Hôpital civil comme centre principal d'action du Service de Santé militaire de la région. Ainsi, le Centre hospitalier de Nancy participa en permanence à la défense sanitaire des troupes mobilisées. Durant cette période de guerre, il reçut 25000 militaires malades ou blessés et 24000 malades ou blessés civils, ce qui représentait une charge considérable et une activité médicale intense.

 

L'entre-deux guerres

 

Les besoins hospitaliers à la fin de la guerre étaient considérables. Bien que des personnalités médicales et universitaires furent pour la première fois associées à l'administration hospitalière, le professeur Froelich et le doyen Seyot (Pharmacie), deux personnalités marquèrent cette période : Alfred Krug d'une part, sœur Louise Barrot, supérieure des sœurs Saint-Charles d'autre part. C'est à cette époque que fut construit, dans l'enceinte de l'Hôpital civil en parallèle avec le pavillon Videlange, un nouveau pavillon destiné à abriter les services d'ORL, d'Urologie, de Radiologie et surtout de Médecine Infantile, qui devait s'appeler Pavillon Krug.

Par ailleurs, la pension Bon-Secours fut agrandie par la construction du nouveau Bon-Secours en englobant les salles de garde des internes et les locaux (réduits) pour la consultation. Cette expansion hospitalière et la fréquentation progressivement croissante de toutes les couches sociales, y compris les plus favorisées, pour la pension Bon-Secours inquiétèrent quelque peu le corps médical non hospitalier qui craignait que se développe une concurrence pratiquée par les pouvoirs publics. Le syndicat des médecins de Meurthe-et-Moselle demanda, par l'intermédiaire de son bulletin et par lettre à la Commission administrative, que les soins externes gratuits soient réservés uniquement aux indigents et que les patients plus favorisés ne soient pas admis en salle commune et envoyés dans les cliniques privées. Une première demande formulée en 1919 fut reprise en 1934 par le président du syndicat qui exigeait qu'un véritable contrôle soit exercé sur la situation financière des patients. Chaque fois, la Commission administrative se refusa à effectuer de tels contrôles et à développer une sorte de ségrégation dans l'accession à l'hôpital public. Dans ce contexte, l'administration hospitalière eut à envisager les applications de la loi instituant les assurances sociales avec les conséquences sur le recouvrement des honoraires médicaux. Il apparut alors qu'il n'existait pas de véritable contrat entre la Faculté de médecine et les hôpitaux. Sous l'impulsion du vice-président Krug, un véritable traité fut signé entre les deux parties le 15 juillet 1930 avec approbation du recteur de l'Académie et du préfet. Par ailleurs, il était institué au sein de l'hôpital un concours spécifique de recrutement de médecins et chirurgiens des Hôpitaux susceptibles de devenir chefs de service. Un membre de la Commission administrative devait faire partie du jury constitué de chefs de service, à l'époque tous professeurs à la Faculté.

Ce fut l'origine de quelques conflits. Ainsi, au premier concours de chirurgiens des Hôpitaux, le candidat soutenu par l'Administration ne fut pas retenu par le jury et cependant nommé ! Mais, là encore un modus vivendi intervint et pendant trente ans, les concours de médecin et chirurgien sélectionnèrent des cliniciens de qualité, indépendamment des fonctions universitaires. Ces cadres médicaux étaient donc soit bi-appartenants (université-hôpital), soit mono-appartenants (uniquement hospitaliers) partageant leur activité entre l'hôpital où ils exerçaient le matin et leur cabinet privé ou ils consultaient l'après-midi. Certains furent de véritables chefs d'école comme le docteur Louis Mathieu.

 

La Deuxième Guerre mondiale et ses suites

 

Les répercussions sur la vie hospitalière furent assez différentes de celles de 1914. Nancy resta longtemps à l'écart des opérations militaires et ne subit pratiquement pas de destruction. Une grande partie des hommes valides étaient mobilisés et la population générale avait sensiblement diminué. Du fait de la mobilisation d'une partie du personnel et de la diminution de la fréquentation hospitalière, l'administration ferma une partie du pavillon Krug et l'hôpital Marin.

• L'occupation allemande fut marquée par la réquisition d'établissements hospitaliers comportant l'hôpital Villemin (dont les patients tuberculeux furent transférés à l'hôpital Maringer, voisin) ; l'hôpital Saint-Julien dont le pavillon Louise-Elisabeth fut transformé en kommandantur. On sait, par ailleurs, que l'attitude courageuse de sœur Louise empêcha la réquisition de l'hôpital Central. Ainsi, la vie hospitalière put se poursuivre dans un cadre limité, en parallèle avec la vie universitaire. Il revint à l'administration sous l'égide du notaire Philippe Houot, vice-président de la Commission administrative, d'appliquer à Nancy la réforme hospitalière (21 décembre 1941) du gouvernement de Vichy tendant à unifier le fonctionnement des hôpitaux publics. Sous l'autorité du Secrétariat d'Etat à la Santé, le décret du 17 avril 1943 instaura une Commission médicale consultative qui devint rapidement la référence médicale de la Commission administrative (avec parfois des situations de tension).

• Les divers décrets publiés en 1941 à 1944 définissaient les relations entre chefs de service et administration entre la communauté des sœurs de Saint-Charles et les Hospices civils, entre le système hospitalier général et la « clinique ouverte » que devenait la pension Bon-Secours. C'est également à cette date que la fonction de Directeur général fut créée, (tandis que disparaissait la fonction de secrétaire de la Commission administrative), limitant d'autant les pouvoirs de la Commission administrative.

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La grande mutation du système hospitalier (1950-1980)

 

A partir de 1950, les demandes d'hospitalisation ne cessèrent d'augmenter, ce qui se traduisit par un encombrement chronique des services existants. En janvier 1955, pour une capacité de 920 lits, l’hôpital Central avait reçu plus de 1000 patients. Les causes de ce phénomène étaient l'évolution de la législation sociale assurant la couverture des frais hospitaliers pour la plupart des catégories professionnelles ; le développement des techniques médicales nécessitant un matériel dont les cliniques de l'époque ne disposaient pas (endoscopie, radiologie) ; le développement des spécialités médicales et chirurgicales à partir du réservoir de connaissances que représente la Faculté de médecine ; l'intérêt des équipes médicales regroupant des compétences complémentaires.

Cette évolution traduisait, en fait, une profonde transformation de la mentalité publique : l'hôpital n'était plus du tout l'établissement destiné à héberger les indigents ; il était devenu « l'hôpital de tous » gage de l'utilisation optimale des nouvelles ressources médicales. Des lors, les pouvoirs publics s'intéressaient de plus en plus à cet établissement qui pesait lourd dans la vie de la cite et le maire de Nancy, qui déléguait ses pouvoirs de président de la Commission administrative, s'investit dans les préoccupations hospitalières. Le sénateur Raymond Pinchard fut, à partir de mai 1953, le premier à présider personnellement aux destinées des hôpitaux.

Dans ce contexte, il convenait de rechercher une solution pour assurer l'expansion hospitalière. Les projets furent nombreux : utilisation de la construction interrompue par la guerre de la fondation Hinzelin-Lhuillier au parc de Saurupt pour y établir un hôpital d'enfants ; construction de nouveaux bâtiments dans l'enceinte de l'hôpital Central ; reconstruction surélevée des bâtiments principaux ; utilisation, en tant qu'hôpital actif, de l'hospice Saint-Julien, ... Aucun de ces projets, en fait peu ambitieux, n'aboutit ; il fallut attendre... et construire des bâtiments préfabriqués dans les espaces libres (ce qui ne satisfaisait personne). En fait deux projets furent progressivement élaborés :

le premier prévoyait la réutilisation des bâtiments de l'hôpital Central et la réalisation d'une construction sur l'emplacement du parc Olry. Il assurait une bonne liaison entre les différents établissements voisins : de l'ensemble Villemin-Maringer à la maternité, hôpital Marin, hôpital Central, Saint-Julien, Faculté de médecine rue Lionnois. Ce projet était soutenu par la Faculté de médecine et principalement le doyen Parisot.

• le second projet, soutenu par la Commission des Hospices, prévoyait la construction d'un hôpital suburbain sur un terrain très vaste (30 à 40 hectares), permettant le transfert de tous les services du CHR de Nancy tout en réservant le terrain pour des constructions associées ultérieures.

Un terrain situé à proximité du parc de Brabois, sur la commune de Vandœuvre, bien desservi par les projets autoroutiers, fut retenu.

Ces deux conceptions étaient difficilement conciliables, ce qui provoqua un grave conflit entre Faculté et administrations hospitalière et municipale. Le maire, Raymond Pinchard, s'opposa violemment au doyen honoraire Parisot. Finalement, le ministre de la Santé Publique dut donner son arbitrage (février 1960) : maintien et modernisation des installations intra-muros ; construction d'un ensemble hospitalier à l'extérieur de la ville répondant aux exigences des ordonnances des 11 et 30 décembre 1958.

Cette réforme élargissait le champ d'action des hôpitaux de ville, de Faculté, dénommés dorénavant « Centres Hospitaliers Régionaux et Universitaires » dont les missions sont : soins (prévention comprise) ; enseignement ; recherche. Pour répondre à ces tâches, le temps plein hospitalier fut institué pour les professeurs de Faculté, tandis que les concours spécifiquement hospitaliers (médical, chirurgical) étaient supprimés. Des mesures d'intégration étaient prévues.

Après beaucoup d'attente, d'hésitation et de conflit, la décision retenue arrivait à un moment favorable. La construction hospitalière pouvait être réalisée dans l'esprit de la réforme et, par conséquent, avec l'appui du gouvernement.

 

L'hôpital de Brabois

 

Le décès du sénateur-maire Pinchard ne ralentit pas le projet de construction de l'hôpital de Brabois dont la mise au point et le suivi furent assurés conjointement par l'ingénieur-général Henri-Paul Valentin, devenu en 1961 vice-président de la Commission administrative, et du nouveau doyen de la Faculté de médecine Antoine Beau.

Le ministre, ayant donné son approbation définitive le 16 juin 1965, les travaux de voirie purent débuter des juillet de la même année. La responsabilité architecturale fut confiée au cabinet Lemaresquier de Paris qui proposa une réalisation compacte en un seul bâtiment de seize niveaux (complété par un bâtiment annexe dit Tour Paul-Louis Drouet).

Cette conception s'opposait au système pavillonnaire de l'hôpital Central et à la construction tout en longueur sur un niveau de l'hôpital Sédillot. La construction, proprement dite, débuta en janvier 1968, s'effectua en continu de sorte que le nouvel établissement complètement équipe fut inauguré le 15 septembre 1973 par le Premier ministre Pierre Messmer et le ministre en charge de la Santé publique Michel Poniatowski. Le bon déroulement de cette opération gigantesque bénéficia de l'action et de la compétence du Directeur général Gabriel Marquet et du Directeur de l'hôpital de Brabois Paul Aubanel qui devait devenir, plus tard, Directeur général du C.H.R.U. de Nancy.

Le nouvel hôpital comprend un bloc principal d'une capacité de 1100 lits construit sur seize niveaux : les autre niveaux inférieurs abritent les services médico-techniques (laboratoires, services d'explorations fonctionnelles, radiologie...). Les onze autres niveaux correspondent aux services d'hospitalisation transfères des établissements urbains : cinq services de Médecine (A-B-C-D-E), trois services de spécialités médicales : Cardiologie, Rhumatologie, Néphrologie (sur un demi-étage), un service de chirurgie générale (C), quatre services de spécialités chirurgicales : Cardio-vasculaire, Urologie (sur un demi-étage jouxtant la Néphrologie), ORL (B) et Ophtalmologie (B). Le bâtiment annexe auquel on donna le nom de Paul-Louis Drouet, à la suite d'un legs aux hôpitaux de l'ancien professeur de clinique médicale B, fut destiné à recevoir les services des maladies contagieuses, ainsi que le service des insuffisants respiratoires qui fonctionnaient jusqu'alors dans l'hôpital Maringer de l'ensemble Villemin-Maringer-Fournier.

La période de transition qui précéda la mise en service de l'hôpital de Brabois fut quelque peu facilitée par l'acquisition par les Hôpitaux de Nancy de l'Hôpital Jeanne d'Arc de Toul, abandonné par l'armée américaine. A partir de 1970, il fut possible d'y implanter deux services de médecine spécialisée et un service chirurgical de Traumatologie. Une partie des lits disponibles fut réservée aux convalescents susceptibles de bénéficier d'un réentraînement physique.

 

L'hôpital d'enfants

 

Depuis les années 1930, des solutions avaient été recherchées pour satisfaire aux multiples besoins de la pathologie infantile. La construction du bâtiment Hinzelin-Lhuillier fut arrêtée durant la guerre 1939-1945. La vocation hospitalière de l'établissement fut abandonnée après la Libération. Un projet élaboré en 1963 envisageait de réaménager en un ensemble pédiatrique le pavillon Krug de l'hôpital Central avec l'implantation du service de Chirurgie infantile dans des locaux libérés par le transfert prévu du service d'Urologie à Brabois ; l'extension et la rénovation du service de Médecine. Finalement, le Pr Nathan Neimann et le doyen Antoine Beau, aidés par le Pr René Herbeuval (Président de la Commission médicale consultative), purent obtenir une décision de la Commission administrative, en juin 1967, pour la création à Brabois d'un hôpital d'Enfants de 465 lits. En fait l'autorisation ministérielle d'engagement de l'opération n'intervint qu'en 1977, les travaux débutèrent en octobre 1978 et furent terminés fin 1981. Une fois l'équipement terminé, l'ensemble des services pédiatriques fut transféré en décembre 1982, après son inauguration par le ministre de la Santé, Jacques Ralite.

 

Les autres implantations sur le site de Brabois

 

A la fin de 1974, le Centre Anti-cancéreux, très à l'étroit avenue de Strasbourg à côté de l'hôpital Central, fut construit sur un terrain jouxtant l'ensemble du C.H.U. de Brabois. Cet établissement rassemble tous les services de consultations, d'hospitalisation, médicaux et chirurgicaux, ainsi que les laboratoires concourant à la lutte contre les diverses formes de cancer. Il porte le nom d'Alexis Vautrin qui fut professeur de clinique chirurgicale et fondateur à Nancy du Centre Anti-cancéreux. (Signalons que la nouvelle construction servit de référence et de modèle pour la construction d'un centre analogue au Maroc). Maigre l'ampleur de la construction, il est devenu nécessaire d'augmenter la capacité de l'établissement par la construction d'une nouvelle aile (1993).

Le Centre de Transfusion Sanguine, sans abandonner les locaux de la rue Lionnois, s'est implanté, dès l'ouverture du C.H.U., dans l'enceinte hospitalière. Cette nouvelle construction assure les besoins de l'ensemble hospitalier du plateau de Brabois et permet d'élargir l'activité du service de transfusion par le développement d'un centre de fractionnement des produits sanguins.

Enfin, la mise en service en septembre 1975 de la nouvelle Faculté de médecine, construite de l'autre côté de la route de Neufchâteau, permit de réaliser sur le plateau de Brabois un ensemble entièrement nouveau répondant à la conception de centre hospitalo-universitaire.

 

La rénovation de l'hôpital Central

 

Ce remarquable développement de l'équipement hospitalier extra-muros permit le désencombrement de l'hôpital Central dont la rénovation fut parallèlement réalisée selon deux préoccupations, d'une part assurer dans de meilleures conditions l'accueil des patients en particulier les urgences, d'autre part, humaniser les conditions de fréquentation de cet établissement vieux de près d'un siècle. Un bâtiment d'accueil, qui comporte trois niveaux et offre une surface utile de 870 m2, a été édifié en contrebas et entre les deux bâtiments principaux de l'hôpital Central dont il illustre le renouveau. Construit notamment pour accueillir le service des urgences, il a reçu le nom de Pierre Chalnot, professeur de clinique chirurgicale et pionnier de la chirurgie thoracique. La capacité hospitalière ramenée à 550 lits, soit la moitié des lits disponibles en 1970, permit l'établissement d'un plan directeur assurant la rénovation de la totalité des services et la transformation de l'ancienne clinique Bon Secours. L'acquisition par le Centre Hospitalier Régional, en 1978, des anciens bâtiments de la Faculté de médecine (après transfert des enseignements dans les nouveaux locaux universitaires de Brabois) permit le transfert et le développement des laboratoires hospitaliers ainsi que l'organisation d'un funérarium permettant d'assurer dans les meilleures conditions l'accueil des familles des patients décédés.

L'évolution du Centre Hospitalier Régional de Nancy se poursuit : une nouvelle redistribution des services a été amorcée en 1992, mais surtout un nouveau plan directeur prévoit l'implantation sur le site de l'hôpital Central d'un bâtiment entièrement consacré à la Neurologie et à la Neurochirurgie. Ces services, en quittant l'hôpital Saint-Julien où ils sont actuellement implantés, permettront à cet établissement de revenir entièrement à sa vocation d'établissement d'accueil pour les personnes âgées.

 

Le développement des cliniques privées

 

Durant la première moitié du XXe siècle, des cliniques privées se sont ouvertes à Nancy. Elles étaient surtout à vocation chirurgicale et dirigées par des communautés hospitalières (sœurs de Niederbronn, sœurs de la Sainte-Enfance...). Elles étaient surtout fréquentées par la société aisée de la ville. Du fait, en particulier, de la diminution des vocations religieuses et de la nécessité d'investissements importants pour adapter ces cliniques aux besoins techniques et aux nouvelles demandes de confort de la population, les cliniques réduisirent leurs activités et la plupart disparurent.

A partir de 1950, de nouvelles cliniques furent créées grâce à des formules d'actionnariat intéressant les médecins qui pouvaient de la sorte devenir propriétaires de leur outil de travail. De très belles réalisations dues aux initiatives médicales s'implantèrent surtout en bordure de l'agglomération nancéienne, comme la clinique Saint-André, la clinique d'Essey-les-Nancy, la clinique de Gentilly.

 

Le Centre de Médecine Préventive

 

Le Centre de Médecine Préventive installé à Vandœuvre a été crée en 1969 à l'initiative du doyen Jacques Parisot dont cette dernière réalisation a matérialisé le souci qu'il a eu tout au long de sa carrière de l'identification des risques sanitaires et sociaux et de leur prévention.

Cet établissement, considéré comme un modèle dans ce domaine, a le statut d'une Association dite loi de 1901. Il assure son activité avec l'accord de la Sécurité Sociale. D'abord limite au seul département de Meurthe-et-Moselle, son recrutement s'est étendu au département des Vosges. Des antennes ont été créées ensuite à Reims, Saint-Dizier, Verdun et Longwy.

Le Centre de Médecine Préventive a plusieurs missions :

En premier lieu, il assure les bilans de santé pour des assurés sociaux qui ont la liberté de se présenter spontanément pour les uns, qui ont été invités à le faire pour les autres, qui sont aussi plus nombreux (environ 90 %). Ces invitations sont faites au hasard : un membre d'une famille est tiré au sort dans le fichier des Caisses Primaires d'Assurance Maladie, la famille tout entière est invitée à se présenter au Centre de Médecine Préventive pour y bénéficier de ces bilans. Il va de soi que lorsqu'une quelconque anomalie est observée, les membres de la famille concernée en sont informés et que leur dossier est communiqué à leur médecin traitant (après que les résultats observés leur aient été commentés, ce qui confère au Centre de Médecine Préventive un rôle éducatif évident). Ces bilans sont systématiquement répètes tous les cinq ans.

En second lieu, le Centre de Médecine Préventive a une importante activité de recherche dans le domaine de la Santé Publique. On conçoit aisément qu'en dressant les bilans de santé d'environ 60000 sujets par an, il dispose de données nombreuses et parfaitement identifiées sur un important échantillonnage de la population. Ceci représente un remarquable outil de travail qui ne cesse d'être utilisé pour une meilleure évaluation des risques encourus par chacun et au total pour le bien de tous.