dans la tourmente de
1914-1918
par J-P.
GRILLIAT
Annales médicales de Nancy et de l’Est (1997, 36, 153-162)
(photos et références dans cet
article)
Durant sa longue histoire, qui s'étend sur plusieurs siècles, la Faculté de Médecine de Nancy a dû affronter au moins quatre situations de guerre. Sans doute, la « Grande Guerre » de 1914-1918 a touché plus particulièrement Nancy, du fait de sa situation de ville frontière.
Avec le recul de 80 ans, la mémoire collective, qui ne veut oublier ce passé, s'interroge :
- Comment la Faculté s'est-elle organisée pour poursuivre ses activités malgré la mobilisation générale touchant une grande partie des enseignants et des étudiants ?
- Comment, en liaison avec le Service de Santé des Armées, a-t-elle rempli sa tâche en distribuant les soins appropriés aux populations militaires et civiles ?
Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons rassemblé et confronté des renseignements venant de trois sources principales :
- les archives universitaires, en particulier les arides procès verbaux des Conseils de Faculté,
- les récits minutieux et colorés du Directeur-Econome des Hôpitaux Civils,
- les bulletins de la Société de Médecine, véritable mémoire scientifique du corps médical nancéien.
Notre démarche tient compte, dans la mesure du possible, des trois missions des Facultés de Médecine qui, sans être parfaitement explicitées à l'époque, constituent, de tout temps, leur raison d'être : Enseignement - Soins - Recherche.
Nous distinguerons, dans cette analyse, les diverses périodes qui ont marqué la place de Nancy dans le conflit :
- le choc des premières semaines avec les soins urgents à donner aux blessés.
- la stabilité relative du front de Nancy pendant trois ans, permettant, malgré les bombardements, une organisation de la vie universitaire.
- 1918, enfin, année cruciale pendant laquelle la Faculté dut constamment s'adapter jusqu'à la victoire, puis la lente démobilisation.
Ce
fut alors le moment d'honorer les disparus, morts pour la France, tandis que la
ville, la Faculté puis les hôpitaux recevaient l'expression de la
reconnaissance de la Nation.
AOUT-SEPTEMBRE
1914 : LE CHOC
L'organisation hospitalière
Au début des hostilités, en août 1914, Nancy se trouvait particulièrement exposée en raison de la proximité de la frontière allemande et de l'enjeu psychologique que la ville représentait.
Les enseignants de la faculté mobilisables furent rapidement affectés, soit aux unités combattantes et aux ambulances, soit aux hôpitaux militaires.
Dans le cadre des hôpitaux civils, le Doyen Edouard Meyer et M. Alfred Krug, vice-président de la commission administrative, durent répartir les responsabilités médicales en fonction des besoins de guerre et des disponibilités restantes des professeurs, chefs de service. Ainsi le Doyen Frédéric Gross, arrivé à l'âge de la retraite, conserva la direction de son ancien service de clinique chirurgicale B, le Pr Théodore Weiss fut remplacé par le Pr Agr. Gaston Michel mobilisé plus tard ; le Pr Joseph Rohmer assura la direction d'un service de chirurgie dans le pavillon d'ophtalmologie ; le Pr Alexis Vautrin devint le responsable d'un service de chirurgie dans le pavillon pédiatrique Virginie Mauvais. Les Prs Paul Simon et Georges Etienne assurèrent la direction des services de clinique médicale; le Pr Théodore Guilloz dirigea le service de radiologie et d'électrothérapie jusqu'à sa mort survenue du fait de la maladie des rayons en 1916.
Aux services de l'hôpital civil, réorganisés pour recevoir les blessés, furent associées des installations sanitaires complémentaires comme celles de l'ancien Grand-Séminaire dans l'hôtel des Missions Royales du roi Stanislas mis à la disposition par le recteur et jouxtant la maison Marin. Le Pr Pierre Parisot fut nommé chef de service de ces deux établissements. Citons également des formations sanitaires improvisées groupées autour de l'hôpital central : à la maison mère des Sœurs de Saint-Charles, rue des Quatre-Eglises, dans les dépendances de la Laiterie Saint-Hubert (rue Pichon), au pensionnat de Mlle M. Duré, rue de Strasbourg.
Les installations de l'hôpital Villemin, en fin de construction, furent rapidement aménagées pour recevoir les militaires victimes de maladies infectieuses. Le Pr Paul Haushalter, sans abandonner ses activités de chef de service de pédiatrie, en assura la direction médicale. Par ailleurs, les universitaires disponibles eurent la responsabilité médicale des formations autonomes de la Croix-Rouge et de la Société de secours aux blessés. Ainsi, le Pr Gross à l'école professionnelle ; le Pr Vautrin à la clinique de la rue Sainte-Marie et à l'ambulance toute proche des beaux-arts ; le Pr Etienne à la maison du Bon-Pasteur rue de Toul. Des structures sanitaires furent également mises en place au Lycée Jeanne d'Arc et à la clinique de « La Sainte Enfance ».
Des médecins de ville comme le docteur Adam, affecté à l'hôpital Maringer, le docteur Goepfer à l'hôpital civil (l'hôpital central d'aujourd'hui) et le docteur Louis Michel furent directement associés à la nouvelle organisation hospitalière. En plus, vingt docteurs en médecine, non mobilisés, furent sollicités pour seconder les chefs de service dont les collaborateurs se trouvaient mobilisés. Par ailleurs, le Doyen demanda au ministre de l'Instruction publique d'envoyer à Nancy cinquante étudiants, non mobilisables, des Facultés de Paris et de Lyon pour renforcer le contingent très réduit des internes et externes restés en fonction. Une partie de ces étudiants arriva à Nancy à partir du 10 août, il s'agissait surtout de femmes-médecins et d'étudiants étrangers.
Ce dispositif civil, dépendant pour l'essentiel de la commission administrative des hôpitaux et de la Faculté de médecine, pouvait utilement compléter la structure hospitalière du Service de santé militaire, centrée sur l'hôpital Sédillot. Cet hôpital, situé au lieu dit du « Bon-coin » à proximité du parc Sainte-Marie, avait remplacé le vieil hôpital Saint-Jean (emplacement du boulevard Joffre actuel). La nouvelle construction, envisagée dès 1884, mais seulement réalisée à partir de 1901, fut mise progressivement en service à partir du 1er juin 1909. Certains pavillons ne furent achevés qu'au début de la guerre. Cet imposant complexe hospitalier était constitué de pavillons disposés en « arête de poisson » de part et d'autre d'une galerie axiale de communication. Son potentiel était, durant la guerre, de 465 lits dont 180 furent affectés aux malades contagieux.
Au début des hostilités la direction de l'établissement était assurée par le médecin-principal Guillemin. Il eut comme collaborateurs plusieurs professeurs de la Faculté de médecine mobilisés.
En fait, l'association des hôpitaux civils et des hôpitaux
militaires n'allait pas de soi.
A la veille des combats à la frontière, au moment où les hôpitaux civils se réorganisaient, transformaient les services de spécialité en service de chirurgie générale et créaient des formations complémentaires, les autorités militaires firent savoir que l'armée n'envisageait pas une collaboration avec les hôpitaux civils, dont la vocation était de soigner la population. Selon le règlement militaire en vigueur, seuls les établissements jouissant du statut d'hôpital militaire étaient autorisés à recevoir les blessés de l'armée. Toutefois, la Croix Rouge Française et la Société de secours aux blessés, avec lesquels les universitaires chefs de service collaboraient à titre personnel, étaient reconnus par l'Etat comme organismes susceptibles de donner des soins aux blessés militaires.
Pour contourner le règlement, les hospices civils durent s'affilier, pour la forme, à la Société de secours aux blessés, étant convenu que leur autonomie de gestion, médicale et administrative, serait préservée. Après une visite méthodique des établissements civils, le médecin-inspecteur Sieur donna son accord et fit parvenir la literie et le matériel manquant pour achever l'équipement des diverses installations dépendant des hôpitaux civils.
Ainsi,
l'ensemble du dispositif hospitalier (militaire, civil et association de
secours) représentait, au début de la guerre, près de 3000 lits disponibles
dont 2000 dépendant des hospices civils et de leurs annexes. Les
2/3 de ces lits étaient affectés aux blessés et quelques 600 lits aux malades
militaires « contagieux ».
La mise à l'épreuve
Rapidement cette organisation sanitaire fut mise à l'épreuve. Ce fut tout d'abord l'offensive à la frontière, la poussée française vers Morhange et l'arrivée à Nancy des premiers blessés le 16 août. Ce fut ensuite le repli, dans la seconde quinzaine du mois d'août, puis surtout la bataille du Grand-Couronné que le général de Castelnau engagea et gagna entre le 4 et le 12 septembre. Cette victoire sauva Nancy et stabilisa le front.
Au plus fort de la bataille, 400 à 500 blessés par jour furent pris en charge dans les hôpitaux de Nancy. Il était parfois nécessaire de coucher les blessés dans les galeries ou sur les pelouses de l'hôpital civil en attendant d'assurer les premiers soins et d'effectuer le triage. Durant cette période, la « salle de jour » fut aménagée en salle de réception des blessés. Cinq tables de soins y avaient été installées avec le matériel de première nécessité. Ainsi les blessés n'étaient jamais introduits directement dans les salles d'opération pour éviter encombrement et contamination.
Le Service de santé militaire assurait ensuite les évacuations nécessaires, soit 1300 blessés en quelques jours, principalement transférés à l'hôpital Sédillot qui reçut 3600 blessés durant les mois d'août et septembre 1914.
Cette organisation, qui nécessitait collaboration entre services de santé militaire et structures civiles, ne fut pas à l'abri de difficultés durant les dures journées de la bataille de Nancy.
Nous évoquerons, à titre d'exemple, l'épisode des 22 et 23 août 1914. La situation militaire était alors dramatique et le front était menacé de rupture. Le Général de Castelnau qui dirigeait la bataille, dut prendre certaines dispositions comme l'évacuation du parc automobile et des avions à terre, la fermeture de la gare de Nancy, le transfert des services de la poste,...
Le 23 août, entre minuit et deux heures du matin, deux hospitalisés. Le médecin chef, le Pr Pierre Parisot ne fut même pas informé ; il en fut de même pour l'administration hospitalière dont dépendaient ces hôpitaux. Les « poilus », malades, le plus souvent porteurs de dysenterie, furent conduits jusqu'à une gare voisine à pied ou en tramways. Finalement, les autorités civiles purent intervenir, l'évacuation fut suspendue et les malades retrouvèrent leurs lits sous la responsabilité des médecins civils.
Cet épisode correspondait à un état de panique et à des initiatives d'évacuation prises pour l'hôpital Sédillot contre l'avis du médecin-principal Guillemin, par la direction militaire du Service de santé repliée à Troyes.
La situation générale se détendit les jours qui suivirent et l'hôpital Sédillot fonctionna à nouveau à partir du 29 août. De leur côté, les hôpitaux civils avaient pu maintenir, durant cette période, un fonctionnement régulier et exemplaire.
De nouveau, le 10 septembre, une évacuation massive fut envisagée mais le 11 septembre, la bataille était considérée comme gagnée, en même temps d'ailleurs que la bataille engagée sur la Marne.
L'ÉTAT
DE GUERRE 1915-1917
La Faculté de médecine et le service de santé militaire
Les affectations
Durant ces années et la longue épreuve de la guerre, les structures hospitalo-universitaires et les services de santé militaire eurent à répondre aux besoins sanitaires des armées et de la population civile.
Rappelons que les étudiants à 8 inscriptions étaient mobilisés comme médecins-auxiliaires. Par ailleurs, les Professeurs agrégés étaient mobilisés, dans le cadre complémentaire, en qualité de médecins-principaux c'est-à-dire avec le grade de commandant.
De nombreux professeurs de la Faculté de médecine furent mobilisés et chargés de responsabilités dans les établissements hospitaliers militaires. Le Pr T. Weiss et le Pr Agr. Louis Spillmann furent chefs de service à l'hôpital Sédillot où se trouvait également le Pr P. Bouin. Le Pr Agr. Michel y fut également affecté début 1916.
Le Pr Agr. R. Froelich dirigea le Centre orthopédique de l'hôpital militaire complémentaire installé dans le collège de la Malgrange.
D'autres enseignants furent affectés à une unité comme Pr Agr. Sencert fut affecté à une ambulance chirurgicale du 20e corps et opéra sans relâche du front Lorrain au front d'Artois. En 1916, il dirigea une « auto-chir » et fut à la fin de la guerre chef d'un service de chirurgie à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris. Le Pr Agr Jacques Parisot fut pendant une année, médecin de bataillon dans un régiment lorrain, le 269e ; muté en juillet 1915 à une ambulance du front, puis à une unité de soins aux gazés (ambulance Z), il devint, à la fin de la guerre, consultant de l'armée Mangin en Allemagne. Le Pr Agr. Fruhinsholz fut successivement médecin-chef dans un hôpital complémentaire puis au centre hospitalier Gama à Toul. Il fut ensuite affecté à l'hôpital d'évacuation de Mesgrigny.
On citera enfin le cas particulier du Pr Agr. Paul André qui fut amené à donner ses soins réguliers à celui qui avait été nommé commandant du 20e corps à Nancy en 1913 et qui devint chef des armées alliées: le Maréchal Foch. Il dut le sonder quotidiennement sans jamais provoquer d'infection. Cette belle performance facilita, sans doute, la création d'une chaire d'urologie dans l'immédiat après guerre et assura une solide réputation, dans cette spécialité, au centre hospitalier et à sa clinique ouverte.
Les difficultés
On ne peut passer sous silence les difficultés de relation et de répartition des tâches entre corps médical civil et militaire.
Les successions rapides des responsables du service de santé ne facilitaient pas les choses. En l'espace de quelques semaines la chefferie médicale de la place changea plusieurs fois de titulaires. Tout d'abord, le médecin-chef de 1re classe Dubujadoux et son adjoint le médecin-major de 2e classe Donnadieu, puis le médecin-principal de 2e classe Henry, les médecins-majors Barot puis Voirin. Ces mutations étaient en fait les conséquences d'importantes transformations dans l'organisation administrative du service de santé. En effet, dès fin août 1914, la place de Nancy fut rattachée à la direction du Service de Santé de la 20e région installée à Troyes, elle-même dépendant plus tard de la 8e armée. Ainsi les centres de décisions sanitaires de la 20e région furent transférés à Troyes et à Mesgrigny (Aube) avec le relais d'une chefferie de place à Nancy.
Il convient d'ajouter une intense tension, ou rivalité, entre les médecins d'activé, chargés des tâches de commandement et les médecins de « réserve » du « corps complémentaire » qui assuraient une grande partie des soins aux blessés et malades.
Par ailleurs, dans les hospices civils de Nancy, les administrateurs, spécialement Alfred Krug (qui, dès le début de la guerre, était venu s'installer avec sa famille à la pension Bon-Secours, dans l'enceinte de l'hôpital central) acceptaient mal, de la part de leurs interlocuteurs militaires, une attitude à leurs yeux rigide et autoritaire. Les mutations militaires, coïncidant avec la nomination au poste de directeur-économe de Marcel Gauguery en remplacement de Marcel Brousse (décédé brutalement), et l'établissement de nouveaux circuits administratifs contribuèrent à modifier les relations entre civils et militaires, ce qui permit une coopération plus efficace.
La mise en ordre
La prolongation de la guerre amena, en 1915, le sous-secrétaire d'Etat au Service de santé militaire à modifier l'organisation sanitaire et à installer dans chaque région des « Centres de spécialités ».
Pour la 20e région, Nancy fut désigné « Centre principal d'action du Service de santé ». En conséquence, presque tous les professeurs revinrent dans les hôpitaux civils reprendre, à titre militaire, le service de spécialité dont ils assuraient la direction médicale avant la guerre. Ainsi, le Pr Agr. Jacques pour le service ORL, le Pr Agr. Gaston Michel pour l'urologie, le Pr Rohmer pour l'ophtalmologie, le Dr Rosenthal (responsable de l'Institut dentaire) pour le service de prothèse maxillo-faciale, le Pr Agr. Froelich pour le service d'orthopédie et mécano-thérapie. Un service de dermatologie et des maladies vénériennes fonctionna, en outre, à l'hôpital Maringer.
Un
officier d'administration fut affecté au centre hospitalier pour assurer la
comptabilité propre au « Centre de spécialité » nouvellement créé. Par
ailleurs, les hospices civils purent reprendre leur complète liberté par
rapport a la Société de secours aux blessés et furent
agréés directement par le Service de santé militaire. Ils étaient en outre
autorisés à bénéficier du concours financier de l'Etat. Une convention passée
en août 1915 avec le ministère de l'Intérieur rapprochait, pour la durée de la
guerre, hospices civils et Service de santé militaire, prévoyait une
indemnisation équitable pour les services rendus et apportait ainsi une
solution, au moins partielle, au délicat problème financier des hôpitaux
civils.
Les soins aux populations civiles et militaires
Après la période chaude des premiers mois, il fallait affronter deux dangers permanents :
- les bombardements,
- les épidémies.
Les bombardements
Du fait de la proximité du front, Nancy se trouvait directement sous la menace des bombardements.
Le 4 septembre 1914, la ville reçut le baptême du feu par bombes d'avions. Il y eut plusieurs victimes. Il en fut de même le 22 décembre. Le 25 décembre, jour de Noël, un zeppelin lança 18 bombes sur la ville. Le lendemain, un avion jeta des projectiles de faible puissance dont quelques-uns touchèrent les cours de l'hôpital central. A partir de 1915 et surtout de 1916, Nancy subit de nombreux bombardements par canon de 380 à longue portée (baptisé « grosse Bertha ») implanté à Hampont. A plusieurs reprises, cette pièce fut heureusement neutralisée par l'aviation et l'artillerie française.
Parmi les bombardements les plus meurtriers citons celui du 16 septembre 1917.
Durant ces quatre années, bien que touchés 18 fois, les bâtiments des hôpitaux civils ne subirent pas de gros dommages. Signalons toutefois, le bombardement par avion du 19 août 1918 qui toucha, par bombes incendiaires, les hôpitaux Villemin et Marin, tandis qu'une classe était détruite à l'hospice Saint-Stanislas.
Au total, Nancy subit 19 bombardements par canon, 110 par avions ou zeppelins. Elle a reçu 1196 projectiles de type obus, bombes ou torpilles. Un millier d'immeubles furent touchés ; on dénombra 170 tués dont 120 civils et de l'ordre de 500 blessés. En conséquence, Nancy fut déclarée « Ville martyre du front ».
Pour limiter les risques de bombardement des hôpitaux, la commission des hospices prit en certain nombre de dispositions :
- Dès 1915, une « défense passive » fut organisée. Les sous-sols des établissements hospitaliers furent aménagés pour recevoir les malades et blessés transportés à chaque alerte. Ce fut tout spécialement le cas de l'hôpital central ou, sous les pavillons Collinet-de-La-Salle et Roger-de-Videlange, furent installées des salles de malades et deux salles d'opération. Celles-ci étaient complètement équipées pour recevoir et éventuellement opérer les blessés des bombardements. Des chirurgiens étaient en permanence requis pour assurer les soins dans les meilleurs délais.
- Par ailleurs, en mars 1917, les orphelins de Saint-Stanislas et les vieillards impotents de l'hospice Saint Julien furent évacués dans le couvent des Pères Oblats sur la colline de Sion à 30 kilomètres de Nancy.
Les épidémies
Durant les années de guerre, le corps médical nancéien dut affronter une série d'épidémies touchant les militaires mais aussi la population civile.
Ces épidémies étaient redoutables du fait de l'état de fatigue, des conditions d'hygiène et du contexte psychologique. Il fallut affronter: rougeole, dysenterie, fièvre typhoïde avant que ne déferle la grande épidémie de grippe. Quelques cas de variole furent diagnostiqués et l'Abbé Lefebvre, aumônier des contagieux, en aurait été victime. Les soldats contaminés ou suspects de maladie contagieuse étaient hospitalisés soit dans les services spéciaux de l'hôpital Sédillot dont les chefs de service étaient le Dr Hecquin et le Pr Agr. Spillmann, jusqu'à la fermeture inexplicable de cet hôpital militaire en 1916, soit dans les hôpitaux civils réservés aux militaires : l'hôpital Villemin qui, disposait de quelques 400 lits, l'hôpital Marin complété par les locaux voisins de l'ancien Grand Séminaire où étaient préférentiellement hospitalisés les militaires touchés par les dysenteries.
Les
soins à la population civile furent assurés par les chefs de service non
mobilisés (Pr Simon, Pr
Etienne,...) dans le cadre de l'hôpital civil régenté par Alfred Krug et la sœur Louise Barrot. La toute puissante
supérieure de la communauté de l'hôpital des sœurs de Saint-Charles
devait recevoir en 1916 la croix de guerre avec palme des mains du Président de
la République Raymond Poincaré et, au lendemain de l'Armistice le 29 décembre
1918, la légion d'honneur des mains du Maréchal Foch. Ces distinctions
honoraient sœur Louise mais aussi l'ensemble des sœurs de la congrégation pour
leur disponibilité, leur dévouement et leur efficacité.
L'enseignement médical
La Faculté
Dès le mois d'octobre 1914, la stabilisation du front permit de mettre au point l'organisation de la vie universitaire en période de guerre.
Le Conseil de Faculté décida de suspendre tous les concours et l'attribution de prix jusqu'à la fin des hostilités pour ne pas léser les candidats éventuels mobilisés.
Le Doyen Meyer s'efforça par ailleurs d'organiser l'enseignement pour les étudiants inscrits et non mobilisés. Soit pour 1914-1915:
- 11 en première année
- 2 en deuxième année
- 6 en troisième année
- 6 en quatrième année
- 1 en cinquième année
Pour 1915-1916:
- 14 pour la première année
- 3 pour la deuxième année
- 0 pour la troisième année
- 2 pour la quatrième année
- 5 pour la cinquième année
Le faible nombre d'inscriptions ne manqua pas d'avoir des conséquences préoccupantes sur les finances de la Faculté.
La réouverture des cours fut fixée au 1er novembre 1914. L'enseignement d'anatomie débuta le 15 novembre avec le Pr Ancel, mobilisé à Nancy. Les cours de physiologie du Doyen Meyer commencèrent en janvier 1915. Le Pr Herrgott organisa un enseignement conjoint avec celui des sages-femmes sous forme de leçons d'accouchement. La part la plus importante de l'enseignement correspondait aux stages hospitaliers qui associaient les étudiants, dès leurs premières années, aux soins donnés aux blessés et aux militaires malades. Tous ces étudiants remplissaient les fonctions d'externes ou d'internes. Les Prs Weiss et Michel organisèrent, dès 1915, des cliniques de pathologie externe. A partir de 1916. le Pr Agr. Michel assura un cours régulier de chirurgie générale. Un enseignement élémentaire de pathologie interne fut également assuré par les Prs Simon, Haushalter et Etienne. Il s'agissait essentiellement de causeries au lit du malade pour les quelques étudiants inscrits en 3e et 4e années.
Les examens se déroulèrent tant bien que mal en tenant compte des problèmes dus aux incorporations en cours d'année universitaire. Ainsi, en 1917, les examens furent programmés entre le 10 et le 31 juillet. Pour la classe 18, les examens purent débuter dès le 25 juin uniquement à l'intention des étudiants mobilisés à Nancy, sans aucune dérogation pour les incorporés hors de notre ville.
Le Service de santé militaire
Une situation délicate, touchant l'enseignement de la médecine, apparut en 1917. Durant l'été, le Doyen de la Faculté avait été informé, par le sous-secrétaire d'Etat du Service de santé, de la mise en place d'un enseignement spécial, à but militaire, destiné à certaines catégories d'étudiants mobilisés pour « assurer révisions et perfectionnement en vue d'améliorer le rendement de ce personnel médical ». Les directives du 29 septembre prévoyaient l'organisation de centres d'enseignements en tenant compte des groupements hospitaliers du front, en particulier celui de Nancy. Il était indiqué que l'enseignement serait à la fois clinique, théorique et pratique. Il était également prévu que les cours seraient sanctionnés par des examens qui n'auraient pas de valeur pour la collation des grades universitaires mais seraient pris en compte pour « les garanties et mesures de réparation » en fin de conflit. La première structure de ce type fut créé à Bouleuse (Marne) : « La faculté de Bouleuse ». Le 23 octobre 1917, le Doyen était informé que cet enseignement serait, pour la Lorraine, concentré à Saint-Nicolas-de-Port et que les enseignants de la Faculté n'assureraient que les enseignements pratiques d'anatomie, de médecine opératoire et peut-être d'accouchement. En fait, seuls les Prs Ancel (anatomie) et Bouin (histologie) étaient impliqués dans cet enseignement, alors, qu'étant mobilisés à Nancy, ils donnaient déjà à la Faculté un enseignement à leurs heures de « loisir». A part ces cas particuliers, l'enseignement à Saint-Nicolas-de-Port ne fut assuré que par des médecins militaires. En somme, la Faculté de médecine se trouvait dépossédée, pour un temps, de l'essentiel de sa fonction d'enseignement.
Cette
situation créa quelques tensions dans le corps professoral. Le Pr Weiss exigea une réunion exceptionnelle du
Conseil de Faculté (4 mars 1918) pour demander des explications au Doyen sur
les contacts qu'il avait eus au plus haut niveau et pour que soit clairement
écartée, en cas d'accident, toute responsabilité de la Faculté à l'égard des «
étudiants militaires » à Nancy.
La mobilisation intellectuelle
Nous envisageons ici le travail scientifique et technique réalisé durant cette longue guerre par les enseignants de la Faculté de médecine de Nancy. Le Pr T. Guilloz, très sévèrement atteint par la radiodermite dont il devait succomber en 1916, écrivait, au début de la guerre, à la Société de médecine qu'il ne pouvait présider : « Il est nécessaire d'encourager tout ce qui peut stimuler l'activité intellectuelle du pays ».
La Société de médecine
La Société de Médecine qui avait suspendu ses réunions dans la seconde moitié de 1914 prit, à partir de janvier 1915, une grande part à cet effort intellectuel de guerre. La fréquence des réunions fut augmentée (chaque semaine), les sujets médicaux dus à l'actualité de guerre furent abordés. Ces réunions facilitèrent les échanges et discussions entre médecins nancéiens et militaires, de carrière ou mobilisés, venus de tous les coins de France. On citera, entre autres, le médecin-général Schneider, le médecin-inspecteur Odile de la VIIIe armée, les docteurs Mouriquand, Gasquet, Lian, Joltain, Sartory... dont plusieurs firent par la suite une carrière hospitalière et universitaire.
Les textes des communications de la Société de médecine furent régulièrement publiés pendant les années de guerre dans le « Bulletin de la Société de médecine de Nancy ». La « Revue médicale de l'Est » (fondée en 1872), qui avait suspendu ses parutions dès le début de la guerre, publia à nouveaux les textes de la Société en fusionnant avec le bulletin à partir de 1919. La publication porta alors le double titre jusqu'en 1936, date de la transformation en « Revue médicale de Nancy ».
Evoquons quelques thèmes abordés durant ces années de guerre par la Société de médecine de Nancy :
- A la suite de la bataille du Grand-Couronné qui avait fait un grand nombre de blessés hospitalisés à Nancy, le traitement des plaies de guerre se trouva à l'ordre du jour (séances les 3-10-17-24 février 1915). Les chirurgiens nancéiens T. Weiss, F. Gross, R. Froelich et surtout A. Hamant, prenant en compte certains enseignements tirés des récentes guerres balkaniques et à rencontre des doctrines classiques de l'époque, préconisèrent de réaliser des sutures primitives des plaies. Petit à petit les chirurgiens des ambulances adoptèrent cette nouvelle démarche.
- Il fallait par ailleurs évaluer les plaies osseuses, repérer les projectiles et les extraire (séances les 3 mars, 21 et 28 avril et 2 juin 1915).
Dès le début de la guerre, le Pr T. Guilloz (physicien chargé du cours de clinique radiologique) fit en sorte que chaque hôpital auxiliaire de la région soit doté d'un service radiographique.
Il s'attacha à perfectionner les appareils de repérage des projectiles tel que le compas de Hirtz; il préconisa l'usage d'aiguilles électriques et de pinces électriques pour la recherche et l'extraction des projectiles.
Pour mettre à disposition des hôpitaux de campagne des appareils sûrs, maniables, robustes et peu coûteux, il réunit une équipe de collaborateurs non médecins, des scientifiques comme le Pr Rothé, des mathématiciens en particulier E. Stock qui, après la mort du Maître, assura la diffusion de la « méthode Guilloz ».
- Pour aider les blessés des jambes à se déplacer, le Pr Agr. G. Michel présenta à la Société de médecine du 7 avril 1915, une canne-soutien conçue et réalisée par l'ingénieur Schlick, à la suite de blessures dont il avait été victime lui-même. Cette canne-soutien, susceptible de remplacer avantageusement les traditionnelles béquilles chez certains blessés des membres inférieurs, fut ensuite copiée pour devenir la « canne anglaise ».
- La pathologie infectieuse, si importante en cette période de guerre, fit l'objet de nombreux travaux et discussions.
- A la suite de l'épidémie de la Woëvre, en octobre 1914, la fièvre typhoïde et les « états typhoïdiques » furent à l'ordre du jour (séances des 17 et 24 mars, 7 et 14 avril, 9 juin 1915). Comment faire au mieux le diagnostic? Que penser de la prévention? P. Spillmann et G. Etienne présentèrent un rapport très documenté suivi d'une discussion qui se poursuivit pendant plusieurs séances. Le médecin-général Hyacinthe Vincent adressa de Paris un message précisant son point de vue.
• Le tétanos, la gangrène gazeuse, l'intoxication par les gaz de combat (y compris l'étude du masque allemand) furent également l'objet de présentations et d'échanges.
• A la fin de la guerre, l'épidémie de grippe s'imposa aux préoccupations de tous. Louis Spillmann, médecin-consultant de la VIIIe région, présenta un rapport complété par l'observation des 1200 cas collectés par Jules Sterne et par l'expérience de P. Haushalter, responsable de la section spécialisée de l'hôpital Villemin (séance du 24 novembre 1918).
• Alphonse Herrgott, Professeur de clinique obstétricale, aborda les douloureux problèmes des « femmes outragées, victimes de sévices sexuels de fait de guerre». Il reprit les conclusions du Pr A. Pinard présentées à l'académie de médecine, auquel A. Vautrin s'associa : « Nous n'avons pas le droit d'attenter à la vie de l'être qui se développe dans le sein de sa mère, même quand celle-ci a été victime de violences ».
Par ailleurs, le Pr Agr. Fruhinsholz attira l'attention des gynécologues sur le travail des femmes, en particulier, des femmes enceintes. Il poursuivait ainsi les travaux de son maître et beau-père A. Pinard. Celui-ci avait en effet étudié, à l'aide de statistiques, l'incidence sur la prématurité du travail en usine des femmes enceintes du camp retranché de Paris. Il concluait à la nécessité d'un repos prénatal minimum.
Les voies nouvelles
Au-delà de ces préoccupations proches des réalités journalières de la guerre, la Faculté de médecine prit, pendant cette période, une grande part dans l'élaboration de voies nouvelles telles que la médecine aéronautique et surtout la médecine sociale.
• Dès le début du développement de l'aviation, Nancy eut une place importante dans ses applications militaires. C'est ainsi que l'on considère que l'aviation de bombardement naquit à Malzéville. L'aviation prenant de plus en plus d'importance dans les actions de guerre, il devint nécessaire d'étudier le comportement des aviateurs, leurs réactions physiologiques, les manifestations pathologiques éventuelles. Ce fut, très tôt, l'objet de travaux nancéiens originaux.
A l'instigation du Pr Agr. Jacques Parisot, Joseph-Georges Ferry, jeune interne des hôpitaux, présenta fin 1915, plusieurs communications à la Société de médecine puis soutint une thèse remarquée sur « le mal des aviateurs ». Par ailleurs, Pierre-Lucien Perrin de Brichambaut, mobilisé en fin d'études médicales comme pilote breveté (plusieurs fois cité et décoré), utilisa son expérience pour proposer des critères physiologiques et psychologiques de sélection des aviateurs. Ces travaux peuvent être considérés comme les débuts de l'école de physiologie aéronautique de la Faculté de Nancy qui devait être illustrée, plus tard, par Robert Grandpierre et ses élèves.
• La médecine sociale, qui devait prendre tant d'importance et de développement dans les décades suivantes, trouve également une part de ses racines dans cette période de guerre et ses suites.
A la séance de la Société de médecine du 9 avril 1919, G. Etienne et M. Perrin posaient la question : Ne faudrait-il pas reprendre la campagne pour l'hygiène ? On retiendra surtout le travail de pionnier du Pr Agr. Jacques Parisot : affecté, dès la déclaration de guerre, à une ambulance du front, il s'intéressa à divers aspects de la pathologie de guerre. C'est ainsi qu'il chercha à prévenir et à limiter les conséquences des gelures des pieds des fantassins dans les tranchées. Il étudia « la fièvre des tranchées » et les néphrites associées ; il fut, par ailleurs, très attentif aux diverses affections pulmonaires issues ou non de l'exposition aux gaz toxiques. Nommé à la fin de la guerre médecin-consultant de l'armée Mangin, en Allemagne, il organisa la prévention des épidémies qui menaçaient (le typhus exanthématique en particulier). Il avait été décoré de la médaille d'argent des épidémies en 1917.
Il se consacra également à la lutte du fléau le plus redoutable de l'époque : la tuberculose pulmonaire. Rentré à Nancy, il poursuivit son action auprès des soldats réformés susceptibles de contaminer les populations civiles. Il organisa la prévention auprès des familles les plus exposées. Il prit en compte, dans le même esprit, d'autres situations entretenant un risque social : la syphilis, l'alcoolisme, les troubles psychiques, les risques maternels et infantiles.
De nombreux chefs d'école de la Faculté s'associèrent à cette démarche : L. Spillmann, A. Fruhinsholz, L. Caussade,...
Ce fut l'origine de l'Office public d'hygiène sociale qui devait ultérieurement servir d'exemple pour l'organisation de la médecine sociale en France.
Une publication, du Doyen Louis Spillmann et du Pr Agr. Jacques Parisot, exposa ce qui devenait une véritable doctrine sous le titre expressif : « guérir c'est bien, prévenir c'est mieux » (1924).
Ainsi, à partir de la rude expérience de guerre, la Faculté de médecine de Nancy montrait sa vitalité et prenait une place originale dans l'évolution médicale.
1918
La fin de la guerre
Au début de 1918, la situation devint pour Nancy à nouveau préoccupante. Les bombardements, par avion, étaient plus nombreux et plus meurtriers; une menace d'attaque ennemie se précisait.
Le président du Conseil Georges Clemenceau et le chef des armées françaises, le général Pétain se rendirent en Lorraine et rencontrèrent, le 20 janvier, en gare de Frouard, le préfet Mirman. Malgré l'avis de ce dernier, il fut alors décidé d'évacuer la plus grande partie de la population civile de Nancy. Les dispositions étaient les suivantes :
1) Evacuer vers l'intérieur les asiles de réfugiés et les établissements hospitaliers de Nancy.
2) Fermer certains établissement d'enseignement dont le fonctionnement, dans les circonstances actuelles, ne présentait pas un intérêt particulier.
3) Conseiller de partir à toute personne dont le séjour à Nancy n'intéressait pas la vie économique.
En un mois, 30000 personnes quittèrent la ville. Les vieillards restés jusque là à l'hôpital Saint-Julien (420) furent transférés par train le 13 février 1918, dans le département du Calvados ou leur hébergement n'avait pas été prévu. Des solutions de fortune purent être improvisées sur place, grâce à l'intervention de Marcel Gauguery.
Dans des conditions plus satisfaisantes quelques 934 enfants furent évacuées en Bretagne, dans les hôtels de Dinard pour les filles (459) et de Saint-Lunaire pour les garçons (475). 45 instituteurs et institutrices et 30 femmes de service accompagnaient le convoi. Ce transfert fut, la paix retrouvée, l'origine d'une véritable colonie nancéienne sur ces plages.
Dans ce contexte d'évacuation, le recteur Adam décréta la fermeture des facultés dépendant de l'Université, à l'exception de la Faculté de médecine, en raison du rôle joué par les étudiants dans les différents services. Ceux-ci furent autorisés à prendre leurs inscriptions en mars 1918 et à passer les examens correspondants.
Finalement, l'offensive ennemie ne se produisit pas sur le front de Nancy; à partir du mois de septembre, les attaques franco-américaines déstabilisèrent les forces allemandes. Le Maréchal Foch et son chef d'Etat Major, le général Weygand rendant visite à l'hôpital central le 20 septembre, firent entrevoir une prochaine victoire. Les bombardements cessèrent bientôt mais les hôpitaux durent affronter, en cette période, l'épidémie de grippe (dite espagnole) qui affectait l'ensemble de la France.
En collaboration avec le Pr Paul Bouin, mobilisé sur place, le Pr Paul Haushalter organisa un service spécial à l'hôpital Villemin. Touché, lui-même, par l'épidémie, il fut suppléé par Mlle le Docteur Marthe Laurent sa collaboratrice.
Cette
épidémie de grippe entraîna la remise en activité de l'hôpital Sédillot qui fonctionna à nouveau à partir du 1er
octobre 1918, avec un personnel réduit et sous la direction du Pr Hoche mobilisé et remplissant les fonctions
de médecin-principal.
La reprise des enseignements
Après le 11 novembre 1918, le retour à la vie civile s'effectua progressivement et les activités de la Faculté s'organisèrent en fonction des disponibilités des enseignants et des étudiants.
Suite à la demande du recteur Adam (30 octobre 1918), le ministre de l'Education nationale décréta la réouverture de la Faculté de Nancy (9 novembre 1918). Les modalités de scolarités, pour les étudiants restant mobilisés, furent publiées le 6 janvier 1919 :
« - Les étudiants ancien régime (ayant débuté leurs études avant la guerre) sont autorisés à réaliser en 6 mois les scolarités prévues pour une année.
- Les étudiants, nouveau régime, restés sous les drapeaux, sont mis à la disposition de la faculté en proportion de 50 %, en deux séries. Les étudiants de la première moitié (1re série) sont autorisés à suivre l'enseignement du 7 janvier au 31 juillet. Les étudiants de la 2e série prendront la relève du 1er août au 31 décembre.
Les étudiants militaires vivront en « popote » s'ils sont officiers et au mess s'ils sont médecins-auxiliaires.
Les étudiants non mobilisés sont, pour leur part, soumis au régime nouveau et normal des études. »
A
partir de l'année 1919-1920, le régime des enseignements et des validations se
normalisa rapidement. Par ailleurs, les concours d'agrégation qui avaient été
reportés furent programmés pour 1920.
Nancy et Strasbourg
Au lendemain de la paix et de la libération de l'Alsace, une question majeure venait à l'ordre du jour : la Faculté de médecine, héritière en 1872 de la Faculté française de Strasbourg devait-elle faire retour à sa ville d'origine et ainsi quitter Nancy ?
On peut penser que grâce à la remarquable activité de la Faculté et de ses membres, pendant la guerre, grâce également au soutien d'hommes politiques lorrains parmi lesquels Raymond Poincaré, président de la République et Albert Lebrun, à cette époque député de Briey et ministre des régions libérées, Nancy put garder rétablissement qui étaient devenu sa Faculté de médecine. Une nouvelle Faculté de médecine fut créée à Strasbourg.
Toutefois, à la demande du gouvernement, trois professeurs quittèrent la Faculté de Nancy pour la nouvelle fondation strasbourgeoise :
- le Pr Pol Bouin, titulaire de la chaire d'Histologie (nommé en octobre 1919) ;
- le Pr Paul Ancel, titulaire de la chaire d'Anatomie (nommé en novembre 1919) ;
tous deux pionniers de l'endocrinologie fondamentale
- le Pr Agr Louis Sencert (nommé en 1920), qui s'était illustré pendant la guerre dans les fonctions de chirurgien aux armées.
Il avait, en particulier, acquis une grande compétence dans les domaines de la pathologie vasculaire (plaies des vaisseaux) et des greffes.
La Faculté de médecine de Nancy fut invitée par la Faculté de Strasbourg à l'inauguration solennelle de la nouvelle Université française le 23 novembre 1919.
Le Conseil de la Faculté de Nancy envisagea de profiter de la circonstance pour remettre à la nouvelle Faculté de médecine la Masse de l'appariteur de l'ancienne Faculté amenée à Nancy après la défaite de 1870 par les professeurs strasbourgeois. En fait, cette remise officielle n'ayant pas été possible, il fut alors décidé de remettre, sans cérémonie, cet objet symbolique au recteur de l'Université de Strasbourg.
L'HEURE
DES BILANS ET DE LA RECONNAISSANCE
L'activité hospitalière
Durant
les quatre années de guerre, les hôpitaux de Nancy (non compris l'hôpital
militaire Sédillot) reçurent 25150 militaires, grands
malades ou blessés et 23714 malades et blessés civils, ce qui témoigne de la
double tâche militaire et civile en dehors de la gestion des hospices pour les
vieillards, les orphelins et enfants assistés.
La scolarité
La vie de la Faculté avait été très éprouvée durant ces terribles années comme l'indiquent, entre autres, les variations du nombre d'inscriptions en première année de scolarité médicale.
Partant de 63 inscriptions à la veille de la guerre (1912-1913), on enregistre un effondrement des inscriptions dont le nombre s'infléchit en dessous de 15 par an pendant deux années. Suit une augmentation relative à 33 inscriptions pendant deux années et 25 inscriptions en 1918-1919. Par contre, à partir de la rentrée universitaire de 1919-1920, on assiste à une progression considérable (107 inscriptions) qui va se confirmer et s'amplifier l'année suivante (120 inscriptions). Il est probable que beaucoup d'étudiants empêchés du fait de la guerre abordaient, avec retard, leurs études. Par ailleurs, le 20 février 1919, le Conseil de Faculté avait autorisé l'inscription, en Faculté de médecine de Nancy, d'une vingtaine d'étudiants américains faisant partie du corps de débarquement et maintenus sous les drapeaux dans l'Est de la France. Il fut, par ailleurs, décidé d'examiner, cas par cas, les demandes de ressortissants étrangers, anciens combattants des armées alliées.
Le cas des étudiants alsaciens, ayant débuté leurs études sous le régime allemand, était à prendre en considération. En effet, quinze étudiants demandaient avec insistance l'autorisation de poursuivre leurs études à Nancy. Le Doyen et son Conseil adressèrent un vœu au ministère pour que des équivalences avec le curriculum allemand soient établies et que l'autorisation d'inscription a Nancy soit acceptée. Le ministre de l'Instruction publique fit aussitôt part de son désaccord et, sans laisser aucun choix, enjoignit aux étudiants alsaciens de rejoindre Strasbourg et de s'inscrire auprès de la nouvelle Faculté française.
Le
nombre d'inscriptions supérieur en 1922 à ce qu'il était en 1912 peut
s'expliquer en partie par l'arrivée à la Faculté de Médecine de Nancy
d'étudiants venant d'Europe Centrale (Roumains, Bulgares, Yougoslaves,
Tchécoslovaques), ne pouvant plus faire leurs études dans l'ancienne Russie et
ne désirant pas s'arrêter en Allemagne qui, a cette époque, était en pleine
crise.
« Morts pour la France »
Il convenait par ailleurs d'honorer les morts pour faits de guerre. La Faculté de médecine fit graver dans son péristyle, rue Lionnois, la liste des enseignants, étudiants et anciens étudiants « morts pour la France ». Quarante-trois noms ; parmi eux: 12 externes et anciens externes, 6 internes et anciens internes des hôpitaux, dont un chef de clinique (André Rohmer), et 17 étudiants en médecine qui n'avaient pas de charges hospitalières en 1914.
Parmi ces disparus citons Pierre Schmitt, interne des hôpitaux. Son père, médecin à Baccarat, proposa, en 1919, la création d'un prix annuel destiné au 1er reçu au concours de l'internat, en mémoire de son fils, mort au Champ d'Honneur. Par ailleurs, André Rohmer, chef de clinique, qui était le fils et le collaborateur du professeur de clinique ophtalmologique Joseph Rohmer succomba après l'armistice (janvier 1919), ayant contracté une maladie infectieuse dans son service hospitalier en pays occupé.
On relève également le nom de Jean Simonin, dernier descendant de cette famille qui, pendant un siècle avait assuré la continuité de l'enseignement médical à Nancy, de Jean-Baptiste, professeur au Collège de chirurgie en 1778, à Edmond, professeur puis directeur de l'Ecole de médecine avant d'être intégré dans le corps universitaire aux côtés des Strasbourgeois de 1872 à 1879.
Ajoutons
que plusieurs professeurs furent éprouvés dans leur vie familiale. Le Pr Rohmer perdit deux fils, le Pr Weiss ses deux gendres, les Prs Garnier et Vautrin un fils.
La reconnaissance de la Nation
Pour
conclure sur cette période d'épreuves, évoquons les services rendus par les
membres de la Faculté et reconnus par l'attribution au long des mois de guerre
de décorations, tout spécialement de la Légion d'Honneur :
- Citons le Pr Agr. Lucien, le premier décoré sur le champ de bataille. Les Prs Agr. André, Froelich (1914), le Pr Agr. Sencert (1915), le Pr Agr. Jacques Parisot (1916). Le Pr Agr. Louis Spillmann, les Prs Vautrin, Haushalter décorés en 1917. Puis à la fin de guerre, les Prs Hoche et Jacques, le Pr Agr. Thiry. Le Pr Weiss fut promu Officier de la Légion d'Honneur en 1917 et le Pr Agr. Jacques Parisot en 1920...
- Quelques étudiants reçurent également la Légion d'Honneur. Citons, les médecins aide-major Dautrey, Rollot et Louvard...
Le gouvernement français voulant, par ailleurs, honorer l'ensemble de la Faculté et porter à la connaissance de la nation la belle conduite de tout son personnel, cita la Faculté de médecine de Nancy à l'Ordre de la Nation (16 avril 1920) :
« La Faculté de médecine de l'Université de Nancy (personnel enseignant, personnel auxiliaire, personnel de service) a, pendant toute la durée des hostilités, à courte distance du front, assuré sa mission avec les éléments laissés par la mobilisation, unis dans un complet esprit de solidarité pour l'enseignement aussi bien qu'en faveur des victimes militaires ou civiles dans les hôpitaux dont elle avait la charge. Malgré les dangers fréquents auxquels Nancy fut exposée, notamment en 1918, alors que, par ordre du Gouvernement, tous les établissements avaient dû être fermés, la Faculté de médecine, restée ouverte en raison de ses obligations hospitalières, a donné l'exemple de l'énergie constante, du courage tranquille, du devoir quotidien modestement accompli ».
Déjà
le 11 octobre 1919, la ville de Nancy avait reçu la croix de guerre et
la croix de la Légion d'Honneur avec citation à l'Ordre de la Nation :
« Ville dont l'ardeur patriotique s'est affirmée magnifiquement au cours des épreuves de la guerre ; directement menacée, a assisté avec le plus grand courage à la bataille du Grand-Couronné livrée pour la défendre ; bombardée par avions puis par pièces à longue portée n'a jamais, malgré les souffrances perdu son sang-froid.
A bien mérité du pays ».
En 1930, les hospices civils de Nancy furent également cités à l'Ordre de la Nation pour les services rendus durant la guerre 1914-1918. (Journal Officiel du 27 juillet)
« Le gouvernement porte à la connaissance du Pays la belle conduite de :
La commission administrative et du personnel de tout ordre des hospices civils de Nancy
Pendant toute la durée des hostilités, les Hospices Civils de Nancy ont assumé, à quelques kilomètres du front, une charge écrasante dans des conditions extrêmement pénibles et particulièrement dangereuses. Malgré les bombardements répétés de l'ennemi, par canons et par avions, au cours desquels, par dix-huit fois, ils ont été atteints, les Hospices Civils de Nancy ont assuré, sans trêve et sans la moindre défaillance, l'hospitalisation et les soins de 25150 blessés ou malades militaires et de 23714 blessés ou malades civils, ainsi que l'existence de leur importante population habituelle de vieillards, d'orphelins et d'enfants assistés.
En
rendant à l'armée d'incalculables services et en continuant vis-à-vis de la
population civile de Nancy et de la région, cruellement éprouvée pendant cette
période tragique, leur mission charitable et humanitaire, les hospices civils
de Nancy ont symbolisé, dans une sérénité confiante, un patriotisme et une
abnégation au-dessus de tout éloge, les plus belles vertus de la Bienfaisance
française. »
CONCLUSION
Ainsi, la Faculté de médecine de Nancy a pu surmonter remarquablement la douloureuse épreuve de ces années de guerre.
Elle sort de cette période confortée et définitivement fixée en terre lorraine.
Par ailleurs, après une période d'immobilité pour les carrières, la Faculté se trouve profondément renouvelée. Avec les mutations et le jeu des retraites, les promotions sont nombreuses tandis que les concours d'agrégation sont organisés en 1920.
De
nouvelles perspectives de travaux et de recherches, parfois issus
de la guerre, laissent entrevoir de nombreux développements pour les années à
venir. Malheureusement, après moins de 20 ans, la Faculté sera affrontée à de
nouvelles épreuves durant la triste période 1939-1945.