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Naissance de l'Ecole chirurgicale Lorraine

(1872-1919)

 

par P. VICHARD

 

 

Histoire des Sciences Médicales – no 4 – 2001

(Les figures, les tableaux et la bibliographie ne sont pas reproduits)

 

Des travaux bien documentés ont relaté le transfert (ou transfèrement) de la Faculté de Médecine de Strasbourg à Nancy en 1872. Une séance provinciale de notre Société dans cette dernière ville y a été consacrée (1999).

Mais c'est plus spécialement de l'essor de la chirurgie universitaire lorraine dont nous souhaiterions vous entretenir. En effet, Ecole Préparatoire de Médecine jusqu' au drame de 1870, Nancy n'était pas en mesure de former des chirurgiens. La transformation de l'Ecole en Faculté va combler cette lacune au point que les chirurgiens des hôpitaux de Nancy joueront un grand rôle dans la défense de la ville et de la Lorraine pendant la Grande Guerre.

De plus, fille de celle de Strasbourg, l'Ecole Chirurgicale Nancéienne est progressivement devenue autonome tandis que différentes personnalités lui conféreront une certaine originalité. C'est le récit détaillé de cette genèse qui vous est proposé.

 

Un peu d'histoire

Rappelons qu'en 1792, la Révolution Française avait supprimé la Faculté de Médecine de Nancy comme toutes celles de l'hexagone et d'une manière générale  tous les établissements académiques, tandis que dès 1791 la funeste loi Le Chapelier abolissait les corporations grâce auxquelles jusqu'à Louis XV, et même après, l'enseignement pratique était dispensé aux futurs chirurgiens.

Les autodidactes ont marqué toutes les révolutions égalitaires. Plus près de nous celle de mai 1968 a aussi contribué à abolir les hiérarchies et paralyser les universités. Rapidement, les conséquences navrantes ont été perçues par le conventionnel Fourcroy lui-même. Ne disait-il pas que c'était « la période d'or des charlatans ».

Aussi ce collaborateur du 1er Consul est avec ce dernier à l'origine de la loi du 19 ventôse an XI (1803) qui crée trois Ecoles de Santé sur les ruines des trois principales Facultés, celles de Paris et par ordre d'importance Montpellier et Strasbourg.

En 1806, ces Ecoles sont transformées en Facultés tandis que les autres métropoles régionales (Nancy, Besançon, Reims, Dijon,...) se voient gratifiées de cours pratiques préfiguration des Ecoles Secondaires de Médecine, au financement purement local, créées autour de 1820 par le Roi Louis XVIII (les cours pratiques ont été institués dès 1803).

Ainsi Nancy est dotée d'une Ecole de Médecine en 1822.

Ces écoles destinées avant tout à former des Officiers de Santé appellation toute militaire attribuée à des praticiens dits aussi de 2ème grade car ils ne peuvent légalement réaliser que certains actes et exercer en dehors de la circonscription de leur Ecole de Médecine. Petit à petit les Ecoles de Médecine deviennent également le premier échelon d'un cursus médical complet réservé aux seules Facultés. Aussi, autour de 1840, les Ecoles Secondaires de Médecine les plus efficaces, surtout celles dont les Municipalités acceptent de financer les améliorations, deviennent Ecoles Préparatoires (c'est-à-dire préparatoires à l'entrée en faculté).

Dans l'Est, Nancy, Besançon, Dijon et Reims en font partie. C'est par rapport à la situation initiale l'occasion de nombreux frais d'investissement et de fonctionnement de la part des collectivités locales correspondantes. Après bien des tentatives de suppression du 2ème grade, notamment sous Louis-Philippe 1er, à la veille de la révolution de 1848, la situation s'est maintenue jusqu'à la loi de 1892 qui abolit le recrutement des Officiers de Santé (mais pas l'exercice d'où un tarissement progressif).

Parallèlement, les études chirurgicales ne différent des études spécifiquement médicales que par le sujet de la thèse finale. Et encore ce seul signe distinctif, la thèse, sera supprimé par la Loi de 1892, en même temps que le recrutement des Officiers de Santé. C'est l'Internat qui se charge de combler ce vide de formation pratique. Or l'Internat des Ecoles de Médecine n'est pas en mesure, hors peut-être celui de Lyon, de former des chirurgiens complets. Il n'y a donc que trois Centres Universitaires efficaces à ce propos, Paris (Internat de 1802), Strasbourg (Internat de 1812) ou Montpellier. L'Internat de Nancy date de 1852. Après 1872 il sera considéré comme l'héritier de Strasbourg. C'est ce qu'indiquent nos vieux annuaires. On parlait de l'Internat de Strasbourg avant 1872, de celui de Nancy et Strasbourg entre 1872 et 1919. Des internes de Nancy, mais notoirement alsaciens, emblématiques comme André Boeckel (1882-1933) (promotion 1907), fils de Jules et neveu d'Eugène Boeckel, étaient à Nancy choyés par leurs camarades de salle de garde au patriotisme intransigeant. Nous nous souvenons des discours des Présidents de l'Internat de Nancy (bien après 1919... bien sûr) qui évoquaient ces événements qui heurtaient notre compréhension car à l'époque nous ignorions tous ces détails qui en fait sont la trame d'une histoire souvent compliquée, parfois tragique qui a été celle de nos anciens et de nos pères.

 

Le nouveau rôle de Nancy

La refondation de la Faculté de Nancy est une décision extrêmement favorable pour la capitale lorraine (un peu plus de 100 000 habitants à cette époque), qui fut préférée à Lyon, déjà beaucoup plus peuplée, aux hôpitaux nettement plus adaptés.

Indépendamment de notre propre parti pris, c'est une sage décision, car elle crée au voisinage de la nouvelle frontière franco-allemande un foyer intellectuel français faisant contre-poids au germanisme triomphant. Car les Allemands implantent, dans le Reichsland, une Faculté allemande où sont transférés d'éminents professeurs de l'Allemagne intérieure (Von Recklinghausen, Madelung, ...) et embauchés de rares professeurs alsaciens tandis que la Faculté française quelques mois laissée en place est transférée à Nancy avec la plupart des Maîtres strasbourgeois volontaires.

Ainsi, le nouveau personnel médical titulaire de la Faculté de Nancy est en grande majorité alsacien, au moins par les professeurs. Et si l'ex-Hôpital militaire de Nancy porte le nom de Charles Sédillot (1804-1884) c'est que ce chirurgien militaire fut à la tête du Service de Santé de l'Ecole Militaire de Strasbourg, en même temps que Professeur de Clinique Chirurgicale à la Faculté civile. Au moins sur le papier, il suit la Faculté de Strasbourg à Nancy. En réalité, compte tenu de son âge, il préférera Paris où ses fonctions à l'Académie de Médecine et des Sciences l'attirent.

Quelques titulaires sont nancéiens dont Edmond Simonin, troisième représentant d'une dynastie chirurgicale dont l'histoire se confond avec celle de l'Ecole de Médecine. Cet Edmond Simonin a bien mérité de sa ville car le transfèrement de la Faculté à Nancy fut en partie son œuvre.

Nous avons vu que cette transfusion massive d'éléments chirurgicaux pour la plupart de valeur fut une aubaine car les moyens matériels et humains des Ecoles de Médecine n'avaient aucune commune mesure avec ceux des Facultés d'Etat.

Au début, donc la plupart des professeurs de Nancy (tous les chirurgiens sauf Simonin) sont alsaciens. Par la suite, le personnel chirurgical sera recruté sur place encore pour les générations suivantes, on retrouvera une connotation alsacienne compte-tenu de l'immigration importante qui a concerné des villes comme Nancy dont toute la partie Ouest a été édifiée après 1870. Parallèlement, Belfort passe de 8000 habitants en 1870 à 45000 en quatre décennies, Epinal atteint 35000 habitants, Besançon 60000 tandis que les campagnes sont aussi concernées par une industrialisation croissante (textile notamment) qui bénéficie de la main d'œuvre et des capitaux en provenance d'Alsace. Dans le domaine des arts, l'essor de l'Ecole de Nancy fut certainement influencé par l'exode alsacien et lorrain.

 

Les transformations architecturales et institutionnelles

Les chirurgiens d'origine alsacienne participent activement à l'organisation du nouveau Centre Hospitalier et Universitaire. Après Stoltz (accoucheur, Doyen de 1872 à 1879), Tourdes (Médecin Légiste, Doyen de 1879 à 1889), deux Professeurs de Clinique Chirurgicale sont doyens : Albert Heydenreich (de 1889 à 1898)  puis Frédéric Gross (de 1898 à 1914). Ces deux doyens contribuent à l'édification de la nouvelle Faculté, sise au départ Place Carnot, derrière l'actuelle Faculté de Droit tandis que la Bibliothèque de Médecine voulue et développée par le Gouvernement est implantée dans la Faculté même. Cette Faculté sera transférée rue Lionnois en 1902, la bibliothèque suivra en 1934 pour s'implanter dans les jardins de l'Institut de Physiologie. Avant 1968, cette Faculté dont les Instituts colonisent le quartier de St-Pierre, bâtie moins d'un siècle plus tôt, est considérée comme très adaptée.

Il ne faut pas oublier qu'à partir de 1872, il y a environ 60 étudiants en 1ère année ce qui donne un total nettement inférieur à 300 étudiants pour l'ensemble de la Faculté tandis que le Certificat dit PCN, créé en 1895 et transformé en PCB en 1935, est enseigné à la Faculté des Sciences.

Au plan hospitalier les Services de chirurgie sont abrités dans un ensemble encore plus médiocre que l'établissement universitaire de la Place Carnot puisque la principale formation est l’hôpital St-Charles dans le quartier de  St-Sébastien et aujourd'hui disparu. Il est flanqué de la Maison de Secours, bien nommée car abritant un ensemble comprenant (autrefois des délinquants) à cette époque, la Maternité, des indigents et la dermatologie. A Besançon, c'est la même tradition : St-Jean-1'Aumônier devenu Bellevaux pour le public, reçoit les milieux pauvres (jadis des prisonniers), les exclus dont les mères célibataires, les vénériens. Ce rôle essentiellement caritatif sera gommé avec le temps, c'est-à-dire en pratique la maternisation des femmes, l'assurance sociale généralisée, la dermatologie, complément de la vénérologie. Celle-ci, un moment en régression avec la pénicilline fera un retour fracassant au devant de la scène, compte-tenu de l'épidémie de SIDA.

Les Cliniques chirurgicales maintenant au nombre de 2 (A et B) éclatent dans cet ensemble vétuste de St-Charles au moment où les Chefs d'Ecole veulent précisément appliquer les règles du progrès technique : antisepsie puis aseptie. Les doyens et les chirurgiens s'efforcent alors de les transférer dans un hôpital de fortune rapidement aménagé dans un dépôt d'indigents, en face de l'Eglise St-Léon, c'est l'Hôpital St-Léon, « l'Hôpital des Poux », disent les Nancéiens dans un langage déjà volontiers réaliste. Celui-ci (un peu comme plus tard, l'Hôpital Jeanne-d'Arc à Toul) fait la soudure entre l'Hôpital St-Charles et le tout nouvel et vaste ensemble édifié entre 1877 et 1883 qui accueillera l'essentiel des Services de chirurgie et de soins, l'Hôpital Central, tandis que la Maternité départementale grâce à l'action d'Alphonse Hergott et Albert Fruhinsholz attendra 1929 pour s'implanter définitivement au bout de ce qui sera judicieusement appelé la Rue du docteur Heydenreich. Plusieurs hôpitaux périphériques (Marin, Maringer, Fournier, Villemin) seront construits avant ou peu après la première guerre mondiale.

Voici donc exposée à grands traits l'action matérielle et institutionnelle de la Faculté et singulièrement de ses deux doyens chirurgiens aux commandes pendant vingt-cinq ans.

Nous passons ensuite sur tous les équipements chirurgicaux et médicaux, sur les laboratoires et surtout pour nous sur les installations radiologiques qui doivent beaucoup au docteur Théodore Guilloz, un Franc-Comtois, professeur de physique médicale, radiologue très dynamique qui se consacre très tôt à l'identification des fractures, au repérage des corps étrangers, à l'instigation de Frédéric Gross, notamment au point qu'il en est mort au terme d'un atroce calvaire en 1916.

Mais il nous faut parler surtout des deux grandes Ecoles chirurgicales à une époque où la chirurgie générale était tout et les spécialités pas grand chose bien qu'elles fussent promises un siècle plus tard à un essor considérable.

 

Les deux grandes Ecoles chirurgicales

L'action chirurgicale fut, des deux côtés (on utilisait déjà cette expression pour désigner le pavillon Roger de Videlange [B] et le pavillon Collinet de la Salle [A], (du nom de deux bienfaiteurs de l'Hôpital Saint-Charles) consacrée au développement de l'antisepsie puis de l'asepsie en dehors des préoccupations propres aux différentes Ecoles.

Du côté A, nous avons vu qu'Edmond Simonin (1812-1884) conserve sa Chaire de Clinique chirurgicale dite A jusqu'à sa retraite en 1879. Il demeure pour tous le dernier directeur de l'Ecole et le restaurateur de la Faculté. Vu son ancienneté, il a implanté rapidement dès 1847 l'anesthésie générale à Nancy.

Pour lui succéder en Chirurgie A, on tente la même greffe alsacienne qu'en Chirurgie B. Il s'agit plutôt d'une greffe mixte puisque Eugène Michel est Franc-Comtois.

Eugène Michel (1819-1882), Professeur de Médecine Opératoire à Strasbourg, puis titulaire de la même Chaire à Nancy, est transféré en Chirurgie A. Alsacien de formation et de promotion, il est cependant Comtois puisqu'il est né à Saulx en Haute-Saône. Son parcours est assez intéressant parce que typique de la chirurgie du XIXème siècle où la culture des praticiens était vaste, les fonctions occupées de ce fait diverses. C'est un témoin de son temps. Qu'on en juge.

Il passe un baccalauréat de Lettres à Besançon en 1836, de Sciences à Dijon en 1837, sa thèse à Paris en 1841, au terme d'études de médecine à Strasbourg, il s'installe en 1845 comme généraliste à Besançon. C'est l'époque de l'attribution des Chaires par concours. Il concourt donc pour la Chaire de Physiologie à Strasbourg en 1846 contre Küss qui est nommé : brillant, Michel est remarqué.

Il deviendra donc à Strasbourg Chef des travaux anatomiques toujours par concours en 1847, et Agrégé d'anatomie et physiologie en 1849 au terme d'épreuves et d'une thèse intitulée « De la contractilité et des organes contractile ». Il s'intéresse à l'anatomie pathologique toute sa vie. Un Mémoire de 400 pages sur le microscope et ses applications en Pathologie lui vaut un prix de l'Académie de Médecine en 1856. Il atteste l'esprit novateur et de recherche des chirurgiens de cette époque, l'influence germanique de Virchow. Dans la querelle sur le développement tumoral qui oppose ce dernier à Broca partisan du blastème initial, Michel prend parti pour Virchow défenseur de la théorie cellulaire. L'Ecole morphologique de Strasbourg avec l'anatomiste Charles Morel émigrera à Nancy après avoir déjà à Strasbourg contribué à la naissance de l'histologie. Même évolution en anatomie pathologique où les auteurs germaniques et alsaciens utilisent précocement le microscope.

En 1856, la Chaire de Médecine Opératoire de Strasbourg lui est attribuée. Sous Napoléon III, les Chaires sont cooptées. Conformément aux habitudes de l'époque, il est chargé en qualité de chirurgien, avec Küss, de la Clinique des maladies syphilitiques et cutanées.

Président de la Société de Médecine de Strasbourg en 1855, membre de plusieurs ambulances civiles pendant la guerre de 1870, il part à Nancy en 1872 où il occupe comme à Strasbourg la Chaire de Médecine Opératoire jusqu'à la mort de Heydenreich. Pénétré de son rôle social, Michel est choisi par le Professeur Coze, hygiéniste, pour rejoindre Gray en 1854 à l'occasion de la terrible épidémie de choléra qui fait environ 10000 morts en Haute-Saône. Il reçoit en 1868, sous Napoléon III, la médaille d'or des épidémies. Passé qui ne l'empêche pas en Haute-Saône en qualité de Maire et Conseiller Général de Saulx, d'appuyer la IIIème République naissante.

A Saulx, Michel se rend régulièrement en chemin de fer depuis Nancy. Puis une voiture attelée l'amène de la gare vers un beau bâtiment XVIIIème siècle encore visible, qu'il appelle sa Clinique et qu'il lègue à la commune.

Il s'y livre en somme à la « chirurgie foraine » enlevant à l'époque des cancers du sein et des kystes ovariens... A Strasbourg déjà il s'était fait remarquer par l'intérêt porté à la gynécologie dans le sillage de Kœberle et à la chirurgie du goitre. Michel meurt rapidement après sa dernière promotion, sans doute, selon sa famille, d'une tumeur cérébrale.

Pour lui succéder, on fait appel successivement à deux chirurgiens, Heydenreich et Weiss, brillants aux mêmes caractéristiques. Issus de familles alsaciennes ayant opté pour la France ils ont émigré non pas à Nancy mais à Paris pour leurs études supérieures. Ils ont tous deux été les internes de Maîtres parisiens réputés.

Albert Heydenreich (1849-1898, (Interne de Broca, Richet, Rayer et Duplay), Agrégé en 1878 (Thèse d'Agrégation sur les « accidents d'éruption de la dent de sagesse »). Il dépasse ses contemporains de la tête et des épaules au point que Professeur de Clinique Chirurgicale en 1879, il succède, comme Doyen, à Stoltz et à Tourdes, tous deux Strasbourgeois.

Rapporteur au Congrès de l'Association Française de Chirurgie sur le traitement des fractures des membres en 1895, il ne se classe pas délibérément dans les novateurs à tous crins. C'est l'époque des premières ostéosynthèses. La radiologie n'existe pas, l'asepsie est balbutiante.

Pour nous, orthopédistes (le Rémois Serge Bedoucha, l'a rappelé dans sa thèse) il a eu le mérite d'isoler le concept de fracture des plateaux tibiaux par rapport aux fractures de jambe dans sa thèse inaugurale (1877). I1 n'a pas le temps de former de nombreux élèves car il meurt prématurément à 48 ans sans doute d'une affection contagieuse contractée auprès d'un malade.

En 1898, la Faculté fait alors appel à Théodore Weiss (1852-1942). Protestant, fils d'un notaire de Haguenau il se destine au Droit. Il raconte ainsi la naissance de sa vocation de chirurgien au terme de sa première année de juriste : « ... et tout ce champ de bataille de Froeschwiller sur lequel planait un ciel bas et sombre et où les sacs abandonnés de nos soldats dessinaient les positions de l'armée française, quel aspect pour moi, qui le connaissait de vieille date ayant l'habitude d'y passer comme enfant, une partie de mes vacances.... Et quand le drame fut fini au lieu d'être notaire, je me fis médecin, estimant qu'il n 'y a pas de plus beau rôle que celui de soulager la souffrance humaine. Et voilà comment il se fait qu'aujourd'hui, je suis appelé à vous parler de ces blessures de guerre qui ont été ma première vision des choses de la médecine, et qui ont décidé de ma vocation médicale. ». Chirurgien de réserve, il tire des enseignements des guerres russo-japonaise et balkaniques.

Alain Larcan, comme nous a lu ses monographies concernant les dégâts tissulaires des projectiles modernes et il voit dans ces opuscules comme dans la fréquentation assidue des cours aux médecins de réserve les premières preuves de l'existence d'une véritable Ecole de Chirurgie de Guerre à Nancy. Par ailleurs, un des Chefs de Clinique de Weiss (1910-1913) avant le premier conflit mondial, Aimé Hamant (1884-1973) ne consacrera-t-il pas une grande partie de son séjour aux armées entre 1914 et 1918, à l'étude des plaies de guerre, des conditions du parage et de la suture primitive ou non. Externe de Monsieur Hamant, nous gardons le souvenir de certaines diatribes de notre Maître. Hamant qui ne fut nommé Agrégé qu'en 1923, évoquait l'attitude du Professeur Henri Gaudier de Lille, pendant la guerre de 1914. Celui-ci était son supérieur hiérarchique dans l'armée et il se serait attribué dans des publications le mérite des propres travaux d'Hamant sur les plaies de guerre... En réalité, nombreux furent les articles consacrés à ce sujet et même si le rôle d'Hamant fut quelque peu occulté, les mêmes conclusions fusaient à partir des publications de nombreux chirurgiens.

Weiss comme Hamant ont donc été les promoteurs d'un traitement rationnel de ces plaies dont la pratique civile a par la suite bénéficié. Weiss a laissé le souvenir d'un excellent opérateur, méticuleux dans la préparation des interventions et leur réalisation. Ce fut donc une préfiguration de Hamant qui restera pour tous, le Péan nancéien. En effet, plus tardif que le grand Péan, il a poussé au plus haut point la perfection et la rapidité dans les interventions abdominales majeures à une époque où nombre de chirurgiens universitaires ne manifestaient pas et de loin la même maestria. Il excellait également dans la chirurgie orthopédique classique (les arthrodèses de hanche extra-articulaires par exemple). Nous nous expliquons sa prédilection pour cette chirurgie par ses fonctions d'assistant de René Froelich après 1919, Froelich qu'il avait connu chez Weiss. Froelich reste pour tous un Maître du traitement des luxations congénitales qu'il avait appris chez Lorenz à Wurtzburg, mais il n'était pas friand des interventions à ciel ouvert, selon le témoignage précis de Pierre Chalnot. Il était très heureux de les confier à ses assistants dont Hamant puis aux élèves de ce dernier, André Bodart et Pierre Chalnot.

Quoiqu'il en soit, Théodore Weiss eut peu d'élèves au sens agrégatif du terme puisqu'en dehors d'Hamant, agrégé en 1923, après son départ en retraite, seul Froelich parvient à ce grade et à la Robe Rouge tandis que Février nommé en 1892 se consacre finalement à sa carrière militaire et que sa promotion comme celle de Froelich est due à Heydenrich.

C'est d'ailleurs Froelich qui présidera en 1922 la cérémonie hospitalière marquant le départ de Weiss, cérémonie organisée par son successeur Gaston Michel dans les locaux opératoires mêmes de la Chirurgie A (le long de la Rue de la Prairie, devenue Rue Albert-Lebrun), les blocs opératoires n'étant pas encore devenus le saint des saints. Weiss eut affaire, en face de lui, à un personnage très influent, au plan universitaire, efficace, à la longévité impressionnante, Frédéric Gross.

La Clinique Chirurgicale B fut au départ tout naturellement confiée à l'immigration alsacienne au point qu'on pourrait parler « d'Ecole alsacienne ». Le premier titulaire fut Philippe Rigaud (1805-1881), élève à Paris de Richerand, Cloquet, Rostand, Dupuytren et Béclard, il vint à Nancy pour clore sa carrière. C'était lui aussi un chirurgien du XIXème siècle. Parisien de formation, il choisit Strasbourg au terme d'un concours, passé avec Charles Sédillot. Ils obtiennent tous deux une Chaire de Clinique Chirurgicale couplée à l'Enseignement de la Pathologie dite Externe. Rigaud est le patron de Gross avec lequel il se distingue lors de l'investissement de Strasbourg par les Prussiens. Lors de cet engagement, il est assisté notamment par l'Externe Heydenreich.

Pour nous, orthopédistes, c'est le promoteur du cerclage des fractures diaphysaires traitées auparavant par la suture (rudimentaire) voire l'ivoire (enchevillement ou rivure). Mais qu'on se rassure : avant l'antisepsie et l'asepsie on ne réalise aucune ostéo-synthèse de principe. Ce que feront les premiers, Lister pour l'olécrane et la rotule, Laine et Lambotte pour les diaphyses. Les chirurgiens se résolvent à l'abord des seules pseudarthroses, anciennes, très invalidantes, inappareillables.

Rigaud, lui, attribue le cerclage à Baudens et aux chirurgiens arabes. Promoteur sur le papier, comme il est fréquent à cette époque, il n'en pratiquera aucun...

Son successeur immédiat laisse à Nancy un souvenir beaucoup plus précis à tous égards. Frédéric Gross (1844-1927), né à Strasbourg, agrégé dans cette ville, dès 1869 il y reste pendant son bombardement et son investissement. Comme nous l'avons dit en effet Strasbourg est complètement découverte, après Froeschviller, par la retraite précipitée de Mac-Mahon au-delà des Vosges.

Puis il accompagne les grandes ambulances civiles faites de volontaires qui s'efforcent de pallier la carence de l'organisation militaire très défaillante pendant le conflit. Il part de Strasbourg avec toute son équipe civile, se rend à Clerval dans le Doubs, où sur la rive gauche,  il  secourt l'armée de l'Est de Bourbaki. Celle-ci minée par l'indiscipline, un moral médiocre (le peu de coordination avec Garibaldi qui tient Dijon), après l'éphémère succès de Villersexel, échoue sur la Lizaine, devant Héricourt et Belfort, se replie sur Besançon puis la Suisse. Rendu  à  l'activité  civile, Gross  rejoint  Nancy   puis prend la succession de Rigaud en 1881 et dès lors ne quittera plus la Chirurgie B avant 1914.

Son œuvre scientifique est consacrée à l'antisepsie et l'asepsie (il visite Lister à Glasgow avant Lucas-Championnière), à l'utilisation précoce et fréquente des rayons X. Dès 1897, il leur consacre son discours de Président du Congrès de Chirurgie. Elève de Sédillot, il pratique des interventions orthopédiques sur le pied mais c'est la gynécologie chirurgicale, la mère de la chirurgie abdominale qui pour lui, comme pour beaucoup de ses contemporains, a un grand attrait. On peut expliquer ce tropisme par l'influence de Koeberle, chirurgien strasbourgeois méticuleux et propre avant l'asepsie, excellent technicien, réputé notamment par ses succès dans le traitement radical des kystes ovariens.

La thèse de Gross consacrée à la structure microscopique du rein confirme l'intérêt des chirurgiens alsaciens pour l'anatomie pathologique naissante. Sa thèse d'Agrégation (elle sera supprimée plus tard) est consacrée à la valeur clinique des amputations tibiotarsiennes et tarso-tarsiennes. Ses premiers agrégés sont Joseph Rohmer (1883) et en 1886 Alexis Vautrin (1859-1927). Celui-ci excellent chirurgien abdominal, laisse son nom au retournement de la vaginale testiculaire dans les hydrocèles, au décollement duodénopancréatique. Vautrin comprend très tôt l'avenir de la cancérologie, s'y prépare studieusement. Mais à cette époque, il est tenu à l'écart de la seule activité hospitalière, il n'est que titulaire de la Maison de Secours. C'est pourquoi il fait construire la Clinique Sainte-Marie où il reçoit une importante clientèle privée qui explique sa popularité et sa grande expérience pratique.

Encore en 1950, la Clinique Sainte-Marie devenue Clinique Vautrin est considérée comme un des établissements les mieux aménagés de Nancy.

Après Vautrin, Gross fait nommer Paul André dont nous reparlerons, puis Gaston Michel (1874-1937), agrégé en 1901. Georges Gross est nommé en 1904, mais ne suivit pas l'exemple universitaire de son père. Suivent Louis Sencert (1878-1924) en 1907, André Binet (1883-1966), en 1910... Sencert fut certainement le plus prometteur des élèves de Gross. Né au coeur de la Lorraine, à Viterne (Meurthe-et-Moselle), il est très attaché à sa province et à son village qu'il rejoindra souvent depuis Strasbourg où il terminera sa carrière.

Contrairement à beaucoup d'élèves de Gross, il doit certes à son Maître, sa solide formation chirurgicale, mais il fait œuvre originale. On juge un chirurgien universitaire au soin avec lequel il assimile complètement l'héritage de son Maître, le fait fructifier grâce à son apport personnel tandis que le Maître à partir d'un certain stade laisse son collaborateur creuser son propre sillon. Sencert consacre ainsi sa thèse à un sujet nouveau pour l'époque : la chirurgie de l'oesophage. Cette thèse (de 1904) évoque déjà le cancer, les corps étrangers, propose des solutions thérapeutiques qui s'avéreront prometteuses : l'oesophagoscopie diagnostique et thérapeutique, l'abord de l'oesophage pour son drainage ou son exérèse. Il étudie les voies d'abord sur le cadavre puis au plan expérimental chez le chien. Il conclut dès 1904 à l'intérêt de la voie transpleurale, en note les effets néfastes sur la respiration, en vient à proposer la trachéotomie pour insufflation endotrachéale, mais perd ses chiens en raison des insuffisances anesthésiques de l'époque.

Sencert connaîtra Nageotte avec lequel il étudiera les possibilités des greffes nerveuses et vasculaires. Il réalisera et défendra les sutures vasculaires dans son rapport devant la Société Internationale de Chirurgie en 1922. Il y a du Carrel dans cet homme là ! Patriote intransigeant il jouera un rôle chirurgical éminent pendant la guerre de 1914.

Il terminera trop rapidement sa carrière à Strasbourg où il fut envoyé au lendemain de la Grande Guerre pour devenir le premier Professeur de Clinique Chirurgicale de la Faculté refondée par le Gouvernement Français. Ce fut une grande perte pour Nancy. Mais il est abusif de faire parler les morts. De toute manière, il eût fait défaut à Nancy du fait de son transfert en Alsace.

 

L'aube des spécialités chirurgicales

Au Pavillon Virginie Mauvais, nom d'une enseignante laïque, promotrice de l'Ecole Mutuelle préceptrice d'Emile Gallé, officiaient Paul Hanshalter et les pédiatres à partir de 1894.

Mais rapidement, René Froelich (1867-1945) élève de Th. Weiss (agrégé en 1895) y développe au début, en sous-sol une consultation de chirurgie orthopédique classique (c'est-à-dire destinée à la cure des anomalies morphologiques acquises ou congénitales des enfants, de traitement de leurs séquelles chez l'adulte et chez ce dernier des affections ostéo-articulaires chroniques). Il faudra attendre la guerre de 1914-1918 pour que soit édifié le pavillon Krug, Virginie-Mauvais devenant exclusivement et pour longtemps, jusqu'à l'Hôpital d'Enfants, le siège de la Clinique Chirurgicale Orthopédique et Infantile.

Par ailleurs, Paul André (1869-1950) un des plus anciens agrégés de F. Gross (1898) s'intéresse aux maladies des voies urinaires qu'il traite au 2ème étage du pavillon Collinet de la Salle partagée avec l'ORL (B) avant d'ouvrir un Service dit de Voies urinaires puis d'Urologie dans le même Pavillon (Krug) que l'ORL confiée à un anatomiste, Paul Jacques. A Nancy, comme en d'autres Centres, l'ORL spécialité au départ cavitaire tire plus son origine des disciplines morphologiques que de la chirurgie proprement dite.

Quoi qu'il en soit Paul André se distinguera par les soins délivrés au Maréchal Foch, dont il est le chirurgien, depuis la bataille des Marais de St-Gond jusque et au-delà de la victoire finale. Le grand chef militaire ne fut pas étranger à la promotion de l'urologie à Nancy. Pierre André plus tard, agrégé libre à Nancy, fils de Paul André, ne disait-il pas avec un certain humour mais avec une part de vérité « mon père qui a gagné la guerre... ». C'est peut-être avant 1918 que Paul André forme les élèves les plus connus puisque, après la guerre, ses anciens chefs ou internes s'installent exclusivement en clientèle à Nancy, tandis que André Boeckel (cousin de Weiss) voire Jacques René Simon (promotion 1910), fils de Paul Simon, Professeur de Clinique Médicale à Nancy (et élève plus proche de Gross et Sencert que de Paul André), deviennent les promoteurs de l'urologie hospitalière et universitaire à Strasbourg recouvrée : A. Boeekel (déjà mentionné) sera chargé de cours. R. Simon (1890-1979), agrégé en 1923, lui succédera comme enseignant de l'urologie.

Enfin, il ne faut pas oublier que l'ophtalmologie moderne à Nancy, comme en d'autres Centres, était depuis longtemps du ressort, au moins dans sa branche opératoire, de la chirurgie hospitalo-universitaire. Le plus ancien agrégé de chirurgie nommé grâce à Frédéric Gross, Joseph Rohmer (1883) n'a t-il pas écrit avec son Maître et Paul André un Traité de Pathologie Externe avant de se voir confier la Clinique de Chirurgie des Maladies des Yeux en 1883. Cette Clinique est implantée successivement à St-Léon dans les combles du Pavillon Collinet de la Salle qualifié de « Pigeonnier », puis au Pavillon Léonie-Bruillard-Balbâtre où on remarque encore un médaillon à l'effigie de Rohmer.

Très approximativement et toutes proportions gardées, il y a une filiation entre les chirurgiens universitaires de Lyon, Nancy et d'autres Ecoles ou Facultés, et les ophtalmologistes anciens, ambulants, appelés parfois dans l'histoire « abatteurs de cataractes » tandis que les ophtalmologistes de mouvance médicale comme l'agrégé strasbourgeois, Charles Monoyer, professeur de Physique Médicale en Lorraine, prédécesseur de Rohmer, à Nancy, entre 1872 et 1878, étaient au fond les héritiers des opticiens d'antan colportant des lunettes sur les marchés. Entre Monoyer muté à Lyon et Rohmer ce furent d'ailleurs Heydenreich, Gross et Weiss qui furent chargés de l'enseignement de l'ophtalmologie (1878-1893). Joseph Rohmer... encore un praticien de famille alsacienne. Il était si conscient de sa formation chirurgicale qu'au cours de la guerre de 1914-1918 où les hôpitaux de Nancy eurent un rôle éminent dans une ville bombardée à quelques kilomètres du front, qu'il se consacra à nouveau, et pendant tout le conflit à la chirurgie générale.

 

Les autres enseignants

Nous devons également rappeler le nom de quelques professeurs de Chaires théoriques ou agrégés libres qui ont participé surtout à l'enseignement. Ce fut Henri Chrétien, lorrain né à Chaligny (1845-1923), qui est successivement étudiant à Nancy, interne des hôpitaux de Nancy puis de Paris, agrégé d'anatomie à Nancy (1874). Professeur de Médecine Opératoire en notre Faculté. Contemporain de Farabeuf, il est connu pour avoir écrit un Précis de Médecine Opératoire au format très voisin de celui de son illustre homologue parisien. Il meurt à Sfax, en Tunisie où il s'est retiré. Joseph-Auguste Bach (1809-1886), professeur de pathologie externe à Nancy, après l'avoir été à Strasbourg où il a réalisé la première césarienne itérative avec succès, et plusieurs thyroïdectomies, ne peut vivre sa retraite en Lorraine tant il regrette son Alsace natale.

 

La Grande Guerre

En 1914, Frédéric Gross quitte le décanat et la Clinique Chirurgicale B où Alexis Vautrin lui succède.

La guerre débute par une campagne de mouvements puisque l'armée française se porte en Belgique pour prêter assistance à l'armée de ce pays envahi. Parallèlement, des combats violents commencent devant Nancy très proche de la frontière (environ 25 km). C'est la bataille de Lorraine.

Dès le début, le fer de lance, le XXème corps (Général Foch) de la 2ème armée (Général De Castelnau) massée devant Nancy, non seulement refoule l'ennemi mais pousse jusqu'à Morhange situé en territoire allemand, dans l'ancien département de la Moselle. Les Allemands bien retranchés et dotés d'une puissante artillerie repoussent les Français en direction de Nancy qui est menacée. Ceux-ci s'accrochent alors sur une série de reliefs constituant au Nord-Est le Grand Couronné, rendu célèbre par ces violents engagements. Les généraux De Castelnau et Foch parviendront à stabiliser le Front au delà du Grand Couronné jusqu'à la fin de la guerre.

Dans un 2ème temps, l'armée allemande pousse en direction de la « Trouée de Charmes », espace non fortifié qui va d'Epinal à Nancy et qui est une lacune du dispositif du Général Sere de Rivières, le « Vauban des temps modernes ». L'ennemi cherche à couper le cordon ombilical de Nancy (les routes qui se dirigent vers le sud et alimentent la ville avec les voies ferrées et le Canal de l'Est).

Une contre-offensive conjointe et vigoureuse de la 1ère armée (Général Dubail) et de la 2ème armée colmate la brèche créée par l'ennemi. C'est la fin de la guerre de mouvements en Lorraine.

Les événements majeurs concerneront maintenant le front du Centre où Foch est muté dès septembre 1914. Il s'y distingue dans les marais de St-Gond où se décide en partie le sort de la bataille de la Marne. Foch emmène avec lui Paul André qu'il connaît depuis son affectation à Nancy juste avant la guerre.

Fort heureusement, Nancy avait aussi été organisée au plan sanitaire tant civil que militaire. L'Hôpital Central déjà vu, a une activité plus militaire que civile. Toute la faculté est mobilisée, en grande partie sur place. Au centre du dispositif comprenant en outre de nombreux hôpitaux auxiliaires se trouve un grand établissement militaire, l'Hôpital Sédillot, terminé en 1910, monté en puissance en 1913 (700 lits), dont le chirurgien est Théodore Weiss assisté de l'agrégé Georges Gross, fils de F. Gross et déjà mentionné. Weiss et G. Gross appliquent leur doctrine sur de nombreux blessés publient à la Société de Médecine et à Paris à la Société Nationale de Chirurgie. Ils se font les avocats du parage rigoureux et de la suture primitive dont les conséquences concerneront non seulement les plaies des parties molles mais les plaies articulaires (que d'autres drainent largement et mobilisent), les plaies craniocérébrales... La situation de Sédillot est idéale à 20 km du front : il constitue à la fois un hôpital avancé et une grande formation, en situation intermédiaire entre le Front et l'arrière.

L'accalmie relative du Front est suivie d'une période de bombardements aériens mais surtout par l'artillerie lourde ennemie, qui tire depuis la Vallée de la Seille, tant que ses pièces ne sont pas neutralisées par notre aviation.

Nancy est partiellement évacuée et Sédillot qui aurait été considéré comme une cible idéale de 700 lits, est fermé en 1916. Nous avons vu que quelques praticiens nancéiens ne sont plus en place, André notamment. Sencert est affecté à d'autres secteurs. Il ne tarde pas à manifester un ascendant tel sur ses collègues, que la Direction d'un service au Val-de-Grâce lui est confiée. Il utilise intensivement les rayons X recommandés par Théodore Guilloz pour la pratique chirurgicale militaire aussi bien que civile. Cette utilisation intensive de la radiologie (on discute de l'intérêt réciproque de la scopie et de la graphie) a causé la mort de Guilloz. Comme de nombreux radiologues de cette période, Sencert atteint d'une hémopathie à Strasbourg où il est muté en 1919, meurt dès 1924, pour beaucoup des suites de ces irradiations.

Après guerre en effet, Alexandre Millerand nommé Haut Commissaire dans les territoires recouvrés, le Professeur Weiss de Paris (futur doyen à Strasbourg), sélectionnent le futur corps professoral de la Faculté alsacienne à restaurer. Ce sont surtout les Facultés de Paris et de Nancy (en dehors des éléments restés à Strasbourg) qui contribuent le plus à cette refondation. Deux chirurgiens nancéiens (Sencert et Simon) accompagnent un groupe de morphologistes de grande réputation. N'est-ce pas là désigner les meilleurs éléments de la Faculté de Nancy ?

Sencert succède en pratique à l'Allemand Madelung à la tête de la seule clinique chirurgicale de la Faculté alsacienne. Simon sera son agrégé. André Boeckel (ancien Chef de Clinique de Paul André), rentré à Strasbourg dès novembre 1918 avec son père Jules Boeckel dans l'entourage même du Maréchal Pétain, sera chargé du Cours d'urologie et quand il décédera en 1933, ce sera l'agrégé Simon dont le Maître décédé n'a pu donc assurer sa promotion dans la voie royale de la chirurgie générale qui succédera à Boeckel dans l'enseignement de l'urologie.

Au terme de cette longue guerre sanglante, dévastatrice notamment pour la Lorraine, la Faculté de Nancy est citée à l'Ordre de la Nation. Et sans trop confisquer les mérites de cette collectivité au bénéfice de quelques-uns on peut avancer que la contribution des chirurgiens, qui par ailleurs ont supporté de multiples sacrifices familiaux, fut essentielle pour l'attribution de cette haute distinction.

 

Conclusion

A tous égards, la guerre de 1914-1918 constitue bien un repère historique. Avant c'est à Nancy, où se prépare la vision lancinante de la Ligne Bleue des Vosges, une période d'expansion chirurgicale remarquable qui mérite d'être isolée par rapport à l'évolution générale de la Faculté correspondante.

Cette expansion est due au départ à un transfert de la Faculté de Médecine de Strasbourg. La judicieuse proposition d'Edmond Simonin, l'habileté de la Municipalité et de quelques notables, face à la maladresse des représentants de Lyon, la lucidité gouvernementale face à la pression intellectuelle germanique, ont entraîné l'implantation au sein de la Faculté d'un Corps chirurgical expérimenté qui a su former des élèves, grâce à un amalgame avec les éléments locaux et hisser les équipes au niveau de celles des autres grands établissements français.

Le dynamisme, la ténacité, le sens de l'organisation de Frédéric Gross, les qualités chirurgicales de Théodore Weiss, les initiatives prises par Paul André, René Froehlich, la brillante carrière prématurément interrompue de Louis Sencert, l'ardent patriotisme de tous devaient occuper dans les textes, une place que les édiles nancéens leur ont chichement mesurée d'où mon intervention.

Quand on parcourt les judicieux « Petits Livres » de Jean Schmitt sur le nom des rues de Nancy on ne peut qu'être frappé par la myopie des municipalités qui ont quasi complètement ignoré les personnalités évoquées.

La période qui suit la première guerre (1919-1945) pourrait s'intituler « le solde de la dette alsacienne ». Car au cours de cette période, le départ d'un certain nombre de brillants Maîtres de la Faculté de Nancy vers l'Alsace, l'essoufflement de l'effort public en faveur de Nancy, la concurrence de Strasbourg, devenue l'enfant chéri des pouvoirs publics et le pôle d'attraction de la Lorraine messine, (du fait même de l'épisode de l'annexion) vont constituer de lourds handicaps.

Néanmoins, la saga de la toute nouvelle Ecole chirurgicale lorraine méritait d'être contée.