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Le centenaire de l'hôpital Central : 1883-1983

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par A. LARCAN

Discours prononcé en 1983 à l'occasion de ce Centenaire

 

L'oubli de l'histoire collective constitue probablement la plus grande tragédie de notre époque, constatation faite par des esprits comme Maurice BARRES, Charles de GAULLE, François MITTERAND, Michel DEBRE ou Pierre CHAUNU.

La profession médicale ou plutôt la médecine n'échappe pas à cette tendance qui se marque par l'oubli très rapide du nom des chefs de service qui ont pourtant marqué toute une génération, par l'absence de citations datant de plus de trois années, surtout si elles sont françaises ... et par une méconnaissance de la progression des idées dans la connaissance de telle ou telle maladie.

J'ai toujours pensé que nous vivions une époque où après le « Hitler connais pas », nous aurions aussi en médecine le « Laennec connais pas » et le « Pasteur connais pas ». Là, comme ailleurs, la technique balaye tout et l'emportera rapidement sur l'intelligence proprement dite car la technique au lieu de nourrir le gisement intellectuel, l'appauvrit. A cette tendance désastreuse, il faut des contre-feux, même s'ils sont un peu désespérés. Il faut se pencher sur le passé, le comprendre et le reconstituer. Il faut savoir comment se sont édifiées les institutions qui sont aujourd'hui nos outils de travail. Il faut, sans trop sacrifier l'histoire traditionnelle, se plonger dans l'histoire des mentalités, ce qu'avec plus ou moins de bonheur certains historiens font aujourd'hui, en s'intéressant à la mort, à la naissance, aux épidémies et, à la suite du Recteur IMBERT, aux hôpitaux.

Il faut, tout en sachant le caractère évolutif des choses et en recherchant tous les perfectionnements raisonnables, reconnaître les tendances fondamentales de la médecine hospitalière et les constantes d'une action au service des malades et de la science médicale.

C'est pourquoi, il faut remercier la Direction Générale et plus spécialement Monsieur et Madame VUILLEMIN d'avoir eu l'idée de présenter cette exposition émouvante et réussie et de nous en avoir donné le catalogue sous forme d'un livre volumineux qui se lit avec intérêt. Comme je sais d'expérience, ayant fêté il y a une dizaine d'années le centenaire de la Revue que je dirige « les Annales Médicales de Nancy et de l'Est », les difficultés d'une telle entreprise ainsi d'ailleurs que le plaisir intellectuel que l'on y prend, j'en félicite doublement et chaleureusement les auteurs.

Voilà donc évoqués cent ans d'activité hospitalière, d'activité hospitalo-universitaire, d'activité médicale générale ou spécialisée, d'activité chirurgicale générale ou spécialisée, d'activité pédiatrique par l'intermédiaire du Registre des délibérations de la Commission des Hospices et d'autres documents, règlements, correspondance, budgets et même menus (avec ces incroyables horaires des repas : de 7 h., 10 h. et 16 h. que j'ai bien connus !).

Nul doute que cette fille cadette de Clio qu'est l'histoire hospitalière ne retienne ce document qui évoque si bien les difficultés financières qui ont toujours existé : l'état ne subventionnant rien pendant longtemps en dehors des remboursements de guerre et la municipalité se refusant à combler les déficits en arguant d'un bilan temporairement satisfaisant, juste avant 14.

- Les régimes sociaux avec, pour Nancy, la curieuse affaire des lits de fondation (qui étaient d'ailleurs personnalisés par des lits de bonne facture lorraine ... !) réservés, en principe, aux seuls indigents de Nancy ; à Laxou, on était déjà un étranger. La fusion aurait eu du bon déjà ! - L'évolution des régimes sociaux très imparfaits jusqu'à l'instauration de la Sécurité Sociale dont on a trop dit les abus pour ne pas proclamer les immenses bienfaits dans le domaine hospitalier plus particulièrement.

- L'évocation des deux guerres et le rôle glorieux des Hospices de Nancy, en particulier pendant la bataille du grand Couronné de Septembre 1914 qui lui valut une glorieuse citation à l'Ordre de la Nation.

- Le fonctionnement difficile lors de l'exode et de l'occupation.

- La place importante jouée par la Communauté des Soeurs de Saint-Charles dont la fête, rescapée de 1'Aggiornamento, tombe justement le 4 Novembre. Elles ont marqué de leur empreinte d'économie mais aussi de leur esprit charitable cet établissement. J'ai connu personnellement des supérieures remarquables, certaines ont eu un rôle ambigu et leur pouvoir fut sans doute excessif jusqu'à chercher à désigner les chirurgiens des hôpitaux. J'ai approché au moins une sainte authentique et suis prêt à témoigner à un éventuel procès de canonisation. Il s'agissait d'une religieuse exceptionnelle de bonté et de rayonnement : Soeur Adrienne, en salle 8.

- Enfin, 1'irrésistible montée des activités médicales et chirurgicales, en dépit de freins importants (commission des hospices, direction ou rivalités médicales). On voit se développer le nombre des services autour des grandes cliniques médicales et chirurgicales où l'on retrouve les noms encore prestigieux de BERNHEIM et aussi de Paul SPILLMANN, de Victor PARISOT, de Georges ETIENNE, de Louis RICHON, de P-L. DROUET pour la médecine, de WEISS, de GROSS, de VAUTRIN, d'HAMANT pour la chirurgie.

J'ai vu un américain venir à Nancy pour visiter le service de Bernheim, le plus grand de nos cliniciens. Il était un peu surpris de monter le petit escalier qui menait à la Clinique Médicale A et le bureau exigu que je partageais avec mon regretté maître, le Professeur Paul MICHON dans une période plus contemporaine.

Il n'est pas une des grandes techniques, aujourd'hui dispersées dans le C.H.U. qui n'ait vu ici le jour.

Faut-il rappeler le début de la neuro-chirurgie avec les Professeurs ROUSSEAUX et LEPOIRE. Les débuts conduits à la maîtrise totale de la chirurgie thoracique, pulmonaire, oesophagienne, cardiaque avec les premières circulations extra-corporelles conquise au prix d'un travail acharné et d'une patience inlassable par le Professeur CHALNOT.

Les débuts de la réanimation avec la transfusion et le rein artificiel sous l'égide du Professeur Paul MICHON et aussi la création de disciplines : cardiologie avec le Docteur Louis MATHIEU, neurologie avec le Professeur KISSEL et les progrès spectaculaires réalisés en ophtalmologie (greffes de cornée et strabologie) avec le Professeur THOMAS, en O.R.L. avec les Professeurs JACQUES, GRIMAUD, WAYOFF, en chirurgie maxillo-faciale avec les Professeurs GOSSEREZ, STRICKER ...

Même si l'Hôpital d'Enfants attendu et dont la conception autonome et les projets successifs ont souvent perturbé la réorganisation du C.H.U. et tout spécialement de l'Hôpital Central, comme le rappelle le document, est aujourd'hui sur le plateau, il serait injuste de ne pas évoquer l'oeuvre médicale et sociale des Professeurs HAUSHALTER, CAUSSADE et NEIMANN pour la pédiatrie, des Professeurs FROELICH, BODART et BEAU pour la chirurgie infantile.

La biologie a vu très tôt à Nancy se constituer un laboratoire central sous l'égide de Marcel VERAIN. Tous les cliniciens universitaires ont regretté les laboratoires plus petits rattachés aux services. Cette conception économiquement rentable et techniquement satisfaisante représente pour le chercheur médical une difficulté car ces laboratoires gigantesques doivent d'abord satisfaire à la routine avant de s'intéresser à la recherche. Mais le bilan reste cependant très positif.

La radiologie qui aujourd'hui a fait un bond prodigieux est restée longtemps en retard à Nancy. Mais il convient d'évoquer ici le souvenir de GUILLOZ mort victime de la maladie des rayons. Cette activité médicale était concentrée dans des locaux qui, même si leurs plafonds étaient le plus souvent élevés (5 m ; - 4 m.71) et les salles alimentées de courant 110 volts, éclairées de nuit à l'aide de curieux fils pendants où on accrochait des baladeuses, restèrent toujours et probablement dès leur fondation insuffisants.

Chaque épidémie saisonnière (et nous ne parlons pas du choléra) amenait d'énormes difficultés de fonctionnement : lits dans les couloirs, surmenage du personnel, pour ne pas parler de ce que l'on appellerait aujourd'hui la qualité des soins.

Cette activité menée à l'économie devait permettre de dégager une somme considérable d'auto-financement permettant les constructions que nos collègues des hôpitaux extérieurs et plus spécialement de l'Hôpital de Brabois, installés désormais dans le confort moderne et technique et même dans le luxe, veuillent bien s'en souvenir ....

 

L'Hôpital Central qui fut longtemps le pivot de l'activité sanitaire de Nancy et de sa Région, qui eut une pension modèle démantelée récemment par le sectarisme, souffre de handicaps et bénéficie d'avantages.

Ses handicaps sont nombreux :

- Handicap de l'exiguïté des terrains. On ne voit jamais suffisamment large lorsqu'on construit. L'urbanisme vrai doit d'abord consentir des surfaces. A une époque où l'avenue de Strasbourg comprenait encore des terrains maraîchers et de grandes propriétés, on aurait du retenir pour les Hospices, les serres de la ville, les terrains des masures de la rue Lionnois, l'ensemble des immeubles de l'avenue de Strasbourg, de part et d'autre de St-Pierre, les terrains de la rue Molitor et de la rue Foller, etc...

A l'époque, on heurtait trop d'habitudes et surtout de préjugés. L'hospitalisation pour les indigents était toujours trop onéreuse. Ce ne fut pas fait ou trop tard et fort cher pour les collectivités et les individus. Plus près de nous, les erreurs ont continué, comme la construction de l'Hôtel de Police, boulevard Lobau, sur un terrain hospitalier. Ceci est une première leçon qui n'enlève pas sa valeur à la réflexion lucide et au seul plan réellement médical des hôpitaux de Nancy proposé par le Doyen J. PARISOT où à côté de la Faculté on aurait reconstruit une cité hospitalière intra-muros intégrant non seulement les hectares de serres, mais agrandissant Maringer, Villemin, Fournier, grâce aux quelques hectares inoccupés que l'on découvre quand on est au dernier étage de l'Hôpital Villemin : sous-sol parcouru de ruisseaux (le ruisseau de Nabécor, pourvoyeur autrefois de la typhoïde et qui a nui à notre expansion et rendant toutes nos caves inondables). La proximité de la Meurthe et du canal qui rendaient difficiles la construction des substructures et qui conduisaient à de fréquentes inondations.

- L'étagement de l'Hôpital Central qui permet la création de beaux jardins presque suspendus dans la cour d'honneur, mais entraîne aussi de réelles difficultés de circulation, en partie supprimées par l'entrée trop tardivement décidée de la rue Lionnois.

- Enfin, les difficultés de stationnement existant partout, puis-je dire qu'à l'Hôpital Universitaire de Liège seules sont autorisées à pénétrer à l'Hôpital les voitures du personnel médical titulaire de grade élevé.

Ces difficultés furent et demeurent majeures à l'Hôpital Central. Tout projet de restructuration doit comporter un parking intégré ou contigu, souterrain ou en hauteur. Heureusement la ville a bien voulu modifier elle aussi un de ses plans de voirie qui aurait conduit tout simplement à la démolition de Collinet de la Salle pour élargir la rue de la prairie.

Ses avantages majeurs demeurent :

- Sa situation proche du centre de Nancy et de l'agglomération bien desservie par les transports urbains, bien connue des usagers et des ambulances.

- Sa vocation reconnue depuis longtemps et toujours confirmée pour les urgences et les activités de consultations dans les domaines surtout ophtalmologique, cardiologique, médical, neurologique et O.R.L.

- Son rôle de pivot des hôpitaux de ville, à côté de l'Hôpital Saint-Julien notre Salpétrière, de l'Hôpital Villemin notre Hôpital Laennec, de l'Hôpital Maringer, de l'Hôpital Fournier notre Hôpital Saint-Louis et aussi de la Maternité, haut lieu obstétrical et néo-natal avec le regroupement de nombreux services actifs, bien dirigés, bien équipés qui ont déjà pour beaucoup la vocation de véritables départements, si l'on veut bien laisser à ceux-ci un rôle de fédération volontariste de services, en respectant l'existence et la nature des services, la hiérarchie existante, sans introduire une fausse démocratie, facteur de confusion, d'irresponsabilité, de récession et de perte de temps pour tous.

Nos activités prépondérantes sont et demeurent :

- l'activité neurologique,

- l'activité angéiologique,

- l'activité de pathologie thoracique,

- l'activité centrée autour de la tête et du cou,

- l'activité toxicologique,

- l'activité des urgences,

- l'activité dermatologique.

Le groupe des Hôpitaux de ville représente donc un grand nombre de services, de lits et d’activités.

Son avenir est celui d'un centenaire qui se porte bien, d'un centenaire qui, non seulement ne veut pas mourir, mais d'un centenaire qui se maintient en forme et veut rajeunir.

Monsieur le Député Maire de Nancy et Monsieur le Directeur Général, ancien directeur de l'Hôpital Central, l'ont parfaitement compris. Qu'ils en soient l'un et l'autre félicités et remerciés.

Le temps n'est plus aux grandes constructions où l'architecte et les crédits de diverses origines palliaient l'absence de réflexion médicale. On ne peut plus accepter des distributions de services un peu anonymes et polyvalents, construits selon des normes technocratiques toujours dépassées, réalisées au petit bonheur la chance, à la sauvette au nom de principes de répartition honorables peut-être mais aujourd'hui très discutables, une fois disparus les traditionnels concours d'agrégation, de médicat et une fois consacré le partage de la médecine générale et de la chirurgie générale en de multiples tranches d'activité.

Il faut désormais se tourner vers des constructions à finalisation particulière, tant en ce qui concerne le nombre de lits que la discipline avec projets bien étudiés s'intégrant dans un plan directeur rajeuni, souple, intelligent, susceptible de réalisations successives selon un ordre précis et n'acceptant plus les intolérables changements permanents d'orientation, tels qu'ils sont bien décrits dans le document, selon les pressions, les idées préconçues, aberrantes ou géniales peu importe, des uns ou des autres : ministère, architectes, cabinets d'études, inspection générale, médecins, politiques locaux …

Seules doivent être réalisées des constructions réellement indispensables et ce n'est pas le fait d’un égoïsme bien ordonné que d'évoquer la Réanimation qui hospitalise dans un bâtiment provisoire de quatorze ans d’âge et qui fait venir de toutes parts les malades les plus graves du C.H.U. et de la Région pour un prix de journée d'environ un demi million de centimes par jour....

- Tous les locaux existants doivent faire l'objet de restructurations étudiées par les médecins et l'administration. Ceci a déjà été largement entrepris grâce aux initiatives de Monsieur AUBANEL et doit se maintenir en particulier à M.V.F. Les activités générales doivent être prioritaires car elles sont utiles à tous.

Il faut surtout prendre la mesure du poids énorme des techniques nouvelles et de leur renouvellement.

Ce ne sont plus les bâtiments qui classent un Centre Hospitalier. Ce sont les techniques que l'on y implante, que l'on y développe, que l'on sait pratiquer et interpréter.

Une attention toute particulière doit être portée à l'imagerie. Or, dans les hôpitaux de ville, nous avons trois pôles principaux d'activité radiologique : Saint-Julien avec la neuro-radiologie, l'Hôpital Central et M.V.F. avec la radiologie générale plus le service de médecine nucléaire, plus les activités radiologiques de services (urgences, chirurgie, ...) avec amplificateurs de brillance, radiographies per-opératoires, etc.

Dans ce domaine, il faut savoir abandonner pour mieux développer. Le principe de Schumpeter à l'égard duquel je suis habituellement réticent trouve ici sa pleine application. Le développement des nouveaux moyens radiologiques indispensables et qui ne doivent pas coûter à l'hôpital une fois mis en place, entraînera la disparition d'activités traditionnelles. Il faut savoir retrancher et non toujours additionner.

- La place des hôpitaux de ville au sein du C.H.U. exige la définition d'un code de bonnes relations avec les autres centres hospitaliers, recherchant une certaine autonomie mais également une nécessaire complémentarité.

Ceci entraîne, à mon avis, l'engagement de tous autour du principe de ne pas contribuer à accentuer désormais le déséquilibre en faveur d'un pôle prépondérant. Comme pour les Euromissiles, il faut viser non la suprématie de l'un mais tendre à l'équilibre.

- De ne pas décider la création de nouvelles activités dans un des pôles sans effort parallèle sur l'autre. Si un jour Brabois récupère une activité venant d'un troisième pôle hospitalier, il faut prendre des dispositions pour réaliser une opération comparable à Central, etc..

- De continuer à rechercher un équilibre raisonnable, tant des crédits de matériel médical et de travaux, que du personnel médical et para-médical.

Ceci nécessite le développement harmonieux des liaisons, des transports, des activités communes : informatique, biologie, hygiène hospitalière, ateliers.

 

Le C.H.U. est un. Les hôpitaux de ville qualifiés en constituent un des fleurons. Nous appuyant sur l'histoire mais aussi sur la qualité des équipes actuelles et de notre équipement, nous entendons contribuer à la bonne marche du C.H.U. et à la mission sanitaire qui nous incombe, tant à Nancy qu’en Lorraine.